«La pire expérience qu’on a vécue ! Bloqués pendant neuf heures dans la voiture pour un résultat décevant. L’accès au parc était fermé à cause d’une mauvaise organisation. Une anarchie totale, les visiteurs laissaient leurs voitures au milieu de la route et continuaient à pied pour atteindre le sommet», tels sont les propos de Tarik, un amoureux de la montagne, déçu de sa visite à la station de Chréa où il voulait passer un week-end en famille. Décision : plus jamais de visite à cet endroit.
Eventuellement, la prochaine destination sera Tikjda, même si dans cette station la situation n’est guère reluisante également. Amine, un organisateur de randonnées à Tikjda et de week-ends en montagne depuis plus cinq ans fera ce constat : «Un chalet, une auberge et deux hôtels ne sont pas suffisants pour héberger les visiteurs de la région qui sont des milliers en hiver».
La beauté et la splendeur des paysages de montagne ne camouflent pas le manque de certaines infrastructures. Les raisons ? «Le site est tout simplement ignoré des pouvoirs publics depuis plus d’une trentaine d’années, il y a juste eu la construction des hôtels El Arz à Talaguilef et Le Djurdjura à Tikjda», répond l’expert en tourisme, Saïd Boukhelifa. Une petite comparaison : en France, 9 milliards d’euros par an sont les retombées économiques du tourisme hivernal et les sports de glisse.
Plusieurs raisons font que ce genre de tourisme n’est toujours pas développé. A commencer par la volonté des pouvoirs publics. Chez nous, en dehors des programmes des fêtes de fin d’année, les week-ends de détente en hiver sont très demandés. Et sur la grille des destinations suggérées par les clients et en plus des virées vers le Sud, les régions montagneuses et neigeuses sont pourtant très prisées.
Seulement, la carte des destinations internes n’est pas riche, voire pas du tout. Le choix est limité : Tikjda, Chréa et Thniet El Had. Et pourtant, un Schéma directeur d’aménagement du territoire (SDAT) a été mis en œuvre dans le but de valoriser le potentiel naturel, culturel et historique du pays afin de le hisser au rang de destination d’excellence dans la région méditerranéenne et d’en faire un pays récepteur à l’horizon de 2030.
Volonté
Aussi, un Plan qualité tourisme a été mis en œuvre pour le développement de la qualité de l’offre touristique nationale. Saïd Boukhelifa souligne que si la volonté politique est exprimée textuellement, elle est invisible sur le plan factuel. «Les assises nationales du tourisme qui ont été tenues en février 2008 avec des résolutions proposées avaient apporté l’espoir d’une relance effective d’un secteur sous perfusion depuis les années 1980. Malheureusement, ce SDAT, véritable cadre de référence et boussole, demeure délaissé sur les quais de l’oubli !
Il nous avait coûté des milliards de centimes avec les frais d’organisation des assises nationales (1200 participants, dont 250 étrangers).» Le ministre Ould Ali, en visite il y a quelques jours à Tikjda, avait instruit de réparer les télésièges qui mènent du complexe jusqu’aux pistes de ski. Reste à savoir si cette décision pourra être appliquée en ces temps de crise. En 2015, le président Bouteflika avait instruit le Premier ministre de relancer de manière pragmatique les secteurs de l’agriculture et du tourisme.
Mais deux mois après cette directive et dans le cadre d’un remaniement gouvernemental, le ministère sectoriel a été dissous pour le rattacher à celui de l’Environnement. «En plus, son budget annuel, déjà insuffisant, ne cesse de diminuer comme peau de chagrin ces trois dernières années !» Chose qui laisse croire, selon lui, que les pouvoirs publics n’accordent aucun intérêt à ce secteur. Il poursuit : «Pour le moment, les pouvoirs publics font semblant de s’occuper du tourisme balnéaire.
En été, l’offre est de moins de 40 000 lits, pour une demande nationale estivale estimée à 2 millions de personnes qui aspirent à passer des séjours en bord de mer, et du tourisme saharien qui offre moins de 10 000 lits pour une demande estimée à 200 000 personnes (hiver et printemps). Quant au tourisme hivernal et culturel, il n’existe pas dans le dictionnaire des décideurs, hélas !» Pour l’expert, bien que l’on possède un potentiel important en la matière, il ne faut pas parler d’un tourisme hivernal, climatique ou de montagne en Algérie.
A travers les parcs naturels du Djurdjura, les montagnes des Aurès, des Babors, des Traras de Collo, de Jijel, de Theniet El Had, Belezma, Medéa, Miliana, Chenoua…, l’Algérie compte des potentialités énormes pour développer le tourisme hivernal, mais, explique encore notre expert, les infrastructures d’accueil sont loin de répondre aux besoins sans cesse croissants. En hôtellerie, les infrastructures de Tikjda et Chréa ne cumulent que 1000 lits uniquement.
Une capacité litière ridicule pour parler de tourisme d’hiver. Même constat de Bachir Djeribi, président du syndicat national des agences de voyages. Selon lui, si le tourisme hivernal existe en Algérie, c’est surtout dans la région Sud qu’il donne sa pleine mesure. Pour lui, le Nord «ne propose pas grand-chose en matière d’infrastructures touristiques, que ce soit en hiver ou en été».
Explications : «L’hôtellerie laisse vraiment à désirer. On est le seul pays où les hôtels affichent les mêmes prix du 1er janvier au 31 décembre, ce qui veut dire qu’il n’y a pas des offres attractives pour les touristes. Par ailleurs, les responsables hôteliers ne font aucun effort pour améliorer les conditions d’hygiène, d’accueil et de service.» Les touristes se plaignent aussi du manque de transport. Si ont peut rallier Chréa par téléphérique, ceux qui n’ont pas de véhicule trouvent des difficultés pour aller dans d’autres stations. Pas de train ni de bus directs, à l’exception des visites guidées.
Inquiétude
Puis, il y a aussi l’insécurité. Un problème qui dissuade les touristes à choisir la destination Algérie et freine les efforts des professionnels du secteur et les agences de voyages. Selon les chiffres du ministère du Tourisme, le nombre de touristes étrangers ne cesse de chuter d’année en année.
Pour rappel, en 2014, près de 1000 visiteurs étrangers ont annulé leur voyage en Algérie après l’assassinat du touriste Français Hervé Gourdel par un groupe terroriste. Par ailleurs, il est à noter que plusieurs zones du pays ont été interdites aux touristes de nationalités étrangères en saison hivernale à cause des conditions sécuritaires. Des endroits à Djanet, la frontière libyenne, les hauteurs du Hoggar ont été cités par les services de sécurité.
Par ailleurs, plusieurs sites diplomatiques citent certaines régions du pays comme des destinations à risque terroriste. Le site France Diplomatie met en garde les ressortissants français et indique que même si la situation sécuritaire s’est considérablement améliorée en Algérie depuis la fin de la décennie noire, et si les grandes villes, en particulier la capitale Alger, bénéficient d’un dispositif de sécurité très développé, le pays reste exposé à la menace terroriste.
Cette menace persiste en raison du «risque terroriste régional lié en particulier à la zone sahélienne, limitrophe de l’Algérie, mais également à la situation sécuritaire qui prévaut en Libye ainsi qu’à l’ouest de la Tunisie, dans la région frontalière du mont Chaâmbi, où les forces de sécurité algériennes et tunisiennes poursuivent des opérations conjointes».
Un site du gouvernement canadien affiche, quant à lui, les wilayas d’Adrar, El Oued, Illizi, Ouargla, Tamanrasset, Tébessa et Tindouf comme des zones où il y a la présence de groupes armés avec des risques d’attentat terroriste, d’actes de banditisme et d’enlèvements. Sur le plan économique, l’expert en finances, Souhil Meddah, affirme que le secteur du tourisme est un moteur créateur de richesses et de croissance en mobilisant et en faisant la concordance entre toutes les ressources naturelles, matérielles et immatérielles.
Ce qu’il faut, c’est l’investissement et le développement dans les structures d’accueil, les infrastructures et les moyens nécessaires, ainsi que l’encouragement, le maintien et la vulgarisation de l’image de artisanat et du professionnalisme touristique. Seulement, ce n’est pas le cas en Algérie. «Le tourisme, qui représente un gisement très important est jusqu’à présent très peu exploité et ne contribue dans son ensemble qu’à hauteur de 2% à 3,5% du PIB.»
A Tikjda, par exemple, la piste de ski ne peut être accessible avant avril ou mai, le temps que la neige fonde. En plus, seuls les adhérents des clubs et quelques associations sportives en profitent. Paradoxe, puisque l’Algérie manque de spécialistes des métiers de la neige, les touristes ne profitent pas tout au long de la saison de la neige, puisqu’elle fond, surtout que le barrage de Bouira influe négativement sur le maintien de celle-ci.