Nerf de l’économie locale des décennies, voire des siècles durant, les salines de Timelahine à Feraoun, à 60 km au sud de Béjaïa, ont perdu de leur superbe. Si bien qu’à défaut de les réhabiliter, d’aucuns songent d'ores et déjà à les classifier en patrimoine protégé de l’UNESCO et en faire une attraction touristique. Et pour cause : pratiquement, la majorité des sauniers de la région ont plié bagages et l’activité du sel y est réduite à sa portion congrue, a-t-on constaté. "Ce n’est plus une activité lucrative. Elle ne nourrit plus son bonhomme", maugrée Lakhdar Kemacha, entré dans le métier à l’âge de 14 ans et qui a 55 ans continue encore à y consacrer tout son temps pour préserver son métier, hérité de père en fils depuis des décades. "Je le fais par militantisme. Autrement, je n’ai plus rien à faire ici", lâche-t-il péremptoire, donnant presque raison à tous ceux qui ont abandonné. "Il ne reste que trois exploitants dans toute la région, alors qu’il y a quelques années, ce sont tous les villages alentours, notamment Ichekavane, Iadnanene et Ait-Ounir, qui s’adonnaient à la récolte du sel", se rappelle-t-il désabusé, persuadé, cependant, de pouvoir "tenir la barre jusqu'au dernier souffle, malgré le signes de détresse", dira-t-il, désignant du doigt un stock de sel de 3 quintaux qu’il n’arrive pas à écouler. "A 250 DA le sac de 45 kg, ça ne rapporte pas. Et, de surcroit, ça ne se vends pas. Sans quelques activités d'appoint, cela fait longtemps que j’aurais plié le tablier", dira-t-il amer, se mettant a évoquer l’époque de "grâce" où seulement avec le troc, il s'en tirait à très bon compte. "Contre le sel, le boucher me fournissait en viande, l’épicier en produits courants et le cultivateur en maraichers. Mais, tout ça a presque disparu", a-t-il expliqué, constatant au demeurant que le déclin de l’activité est un "coup porté à l’emblème de la région et à son patrimoine".
Le mouvement associatif à la rescousse
Béret basque flanqué sur la tête et blouson noir qui lui donne l’air d’un jeune premier, Lakhdar n’en perd pas le sourire pour autant. Ses bassins, une trentaine, bien qu’à l’abandon en cette période de neige et de pluie, lui apportent un réel motif d’espoir, d’autant qu’à l’occasion de la récente célébration de la journée mondiale des zones humides, il a reçu l’aide de plusieurs associations éco-touristiques, notamment "Assirem de Bejaia" qui a "débarqué" dans ses champs avec trois bus pleins à craquer pour nettoyer les cuvettes et les terrasses des salines ainsi que les environs du jaillissement de la source saline. "Ils ont fait du bon boulot. Cela me ravit. C’est autant de peine dont il me décharge", s’est-t-il réjoui, se mettant soudain à... rêver. "On m’a annoncé la mise en œuvre d’une procédure de classification du site auprès de l’Unesco pour sauvegarder ce patrimoine. Voilà de quoi attirer les investisseurs, soit pour moderniser la production du sel dans la région, soit pour y réaliser des relais de montagne dans cet espace absolument chatoyant. Il y a de vrais atouts à faire valoir", escompte-t-il. Niché à quelque 300 mètres d’altitude, sur les flancs de la montagne des Bâbor, l’espace se décline en forme d’amphithéâtre, à l’intérieur duquel se lovent des centaines de bassins, agencés les uns aux autres, et qui, l’été, période de récolte du sel, se liguent pour irradier leur blancheur et magnifier l’éclat du jour et celui des vergers et forêts environnants. La région, en effet, offre aux visiteurs des vues imprenables sur une vallée que le regard peine à fixer. Ichekavene, Iadnanene, Ait-Ouniràautant de hameaux de sauniers qui "meublent" discrètement le paysage, mais dont la perception, notamment avec leurs murs en briques non cimentés et leur toiture rouge, rajoute un contraste ocre des lieux qui semblent perdus au milieu de ces montagnes enneigées en hiver et verdoyantes en été. De quoi garantir l’évasion, même à fortiori, au cas où le sel ne venait plus à faire recette.
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