Nombre total de pages vues

5/24/2013

Youcef Khatib (colonel Si Hassan). Médecin, ancien chef de la Wilaya IV historique

le sombre diagnostic du médecin

«Le difficile n’est pas de monter, mais en montant de rester soi.»Jules Michelet



Il était une fois au milieu des années cinquante, un jeune homme rangé, aux cheveux noir corbeau, qui préféra larguer une vie studieuse, les amphis de la Fac pour aller crapahuter dans les djebels. Il était une fois un jeune homme de 81 ans, les cheveux gris coupés courts, la démarche droite, qui peut vous raconter à satiété sa destinée au service des autres et de son pays. D’abord en sa qualité de combattant et d’officier supérieur au maquis, ensuite en tant que médecin, sa passion de toujours !
Il vous dira avec humilité qu’il a délaissé ses études pour ses devoirs. Youcef Khatib, dit Si Hassan, est né le 19 novembre 1932 à El Asnam (Chlef), au sein d’une famille originaire de Mascara, alors que sa mère est issue de Mostaganem. Le père Ali, de condition modeste, menuisier, subvenait aux besoins de ses 6 garçons et 4 filles. Youcef naquit dans cette ambiance chaleureuse, comme il sied aux familles nombreuses, où la générosité, la solidarité ne sont pas de vains mots. Youcef effectue ses classes à l’école Lallemand, puis au collège moderne d’Orléanville jusqu’à l’obtention du BEPC. Parallèlement, il apprend les rudiments du Coran auprès de M. Sahnoun, père de l’ancien diplomate. Son cycle secondaire est ponctué par la première partie du baccalauréat au lycée Bugeaud d’Alger, où il est pensionnaire.
Les études et les devoirs
Il ratera la 2e partie, mais se rattrapera lors de la deuxième session en septembre, passée à Montpellier, où il obtient le fameux sésame avec mention. Pour joindre l’utile à l’agréable, Youcef tâte du sport notamment du football. «J’aime défendre. C’est pourquoi je jouais arrière central, poste où je suis le plus à l’aise. J’évoluais au G S Orléanville avec les Lions du Chelif. On a même joué la Coupe d’Afrique du Nord, en 1954, contre le RA Casablanca des Dris Tchouki Abdeslam et autres, qu’on avait battu 3 à 1, au stade Municipal du Ruisseau avant d’échouer en finale face à l’ESM Guelma.
C’est au cours de ce match que je me suis blessé au genou sans pouvoir continuer la partie. J’étais un bon sportif et je ne l’ai pas regretté, car cela m’a beaucoup aidé au maquis, quelques semaines plus tard». Et d’ajouter : «Je me rappelle qu’on était partis au Maroc en 1953, par train, pour y affronter le WAC. J’étais junior et j’évoluais en senior, on avait le meilleur goal sur la place d’Alger du nom de Merle.» En octobre 1954, Youcef rencontre à la faculté de médecine d’Alger, qu’il intégra, une dizaine d’Algériens, dont Medjaoui Abdelhalim, originaire de Remchi, brillant étudiant, majeur de promo, qui rejoindra par la suite le maquis et sera en quelque sorte celui qui introduira Youcef dans le monde tourmenté de la guerre, en le présentant au Dr Nekache qui exerçait à Oran.
Nekache créera une cellule FLN à Alger, où activaient le Dr Nefissa Hamoud et les étudiants Benouniche Mourad, Boudhekba Ahmed et Youcef alors en 2e année. «On nous apprenait la petite chirurgie et les premiers soins à apporter aux blessés. Mais en vérité, mon éveil à la conscience nationale date de longtemps. Certains événements m’avaient choqué, voire bouleversé. En 1950, Mohamed Hassan, membre de l’OS, était arrêté à Chlef. En 1952, la visite de Messali dans la même ville a été sanctionnée par un lourd bilan de morts.
Enfin, la réaction hostile des pieds-noirs, en mai 1954, après la défaite française en Indochine, m’avait aussi choqué. Mais le détonateur a été sans conteste le 19 mai 1956, quand le FLN avait donné ordre à l’Ugema de déclencher une grève générale. Amara Rachid était en contact direct avec Abane.» «Peu d’étudiants ont rejoint par la suite le maquis et ceux qui avaient franchi le pas, relevaient de la fac de médecine. Même les lycéens et les collégiens avaient suivi le mot d’ordre.» «En ce qui me concerne, j’ai pris l’omnibus Alger-Djelfa qui passe par Médéa. Mon contact, dans cette dernière ville, était le frère Boudherba Smaïl, médecin de son état. Je suis resté une semaine où j’ai connu le commissaire politique du coin, Si Brahim. Il m’était facile de rejoindre les monts de Tamezguida, en face. Mon contact était Bachene Mahmoud. A mon arrivée au maquis, on m’avait ramené deux blessés. J’ai pu en sauver un, le deuxième succomba à une hémorragie interne. Notre mission : soigner les blessés et les populations qu’on sensibilisait.»
Engagement ferme
Le 14 juillet 1956, une vaste opération est menée par l’ennemi dans la région de Sbaghlia dans le massif blidéen. C’est là que Amara Rachid périt alors que Azzedine et trois jeunes lycéennes, Myriam Belmihoub, Bazi Safia et Fadela Mesli, sont arrêtées. «En août 1956, je monte dans la région de Chréa. Mais je voulais être muté plus à l’ouest, dans l’Ouarsenis que je connaissais bien. Je me suis retrouvé à Palestro. C’est là que Ouamrane et Bougara se réunirent après le Congrès de la Soummam. Dans la région de Zbarbar, je suis resté jusqu’à décembre 1956 puis muté dans la Zone 3 dans le Zakkar. Le chef de zone était Baghdadi Allili et le PC se trouvait au sein de la zaouia Louzana.» Youcef raconte dans le détail les dures péripéties dramatiques, pathétiques et parfois pitoyables, imposées par le contexte où la nécessité fait loi. Il le fait d’une manière à la fois pudique et coléreuse.
On sait qu’il répugne à l’ostentation. Et même la réserve, que lui dicte sa pudeur, cache parfois difficilement ses émois. «La discrétion de Si Hassan fait aussi sa grandeur», glisse son vieil ami Mohamed, assis à ses côtés. En 1957, Youcef active comme volontaire dans la zone 7 Tiaret-Frenda-Ain kermes, où il s’occupe à soigner les blessés tout en faisant le coup de feu. L’année 1958 a été la plus difficile du fait de la guerre psychologique : «Il y a eu comme une sorte de fléchissement. Ce qui explique la décision du chef de la Wilaya IV, Si M’hamed, d’envoyer à l’extérieur certains éléments qui n’étaient plus en mesure de continuer.» Et puis il y avait un manque terrible d’armement, encore plus de munition. Qui mieux que ce témoignage pour nous renseigner sur ces dures épreuves.
Ce combattant qui raconte le fait  : lorsque, encerclés par l’ennemi dans les maquis, ils ne pouvaient livrer combat, en raison de leur petit nombre. Si Hassan était parmi eux, l’état major a pris la décision de sortir de l’encerclement par petits groupes et c’est lui qui dirigeait l’opération de repli. «On aurait pensé que les chefs décideraient de se retirer en premier pour éviter que cette Wilaya stratégique de la capitale ne sorte décapitée. Le colonel Bounaama Djilali, le prédécesseur de Si Hassan à la tête de la Wilaya, était tombé les armes à la main dans un encerclement le 20 juillet 1961. Et pourtant, ce n’est pas cette décision que prennent l’état-major et Si Hassan qui se sont employés à nous faire passer tous en premier et ce n’est qu’après qu’ils sont passés eux-mêmes.» Et puis, il y a eu la «bleuite» qui a créé une véritable psychose.
Le complot a eu lieu, le noyautage aussi. Comment pouvions-nous penser au pouvoir alors qu’on n’était pas sûr d’être vivant dans l’heure qui suit. Heureusement que la Révolution a pu déjouer ce piège.» En février 1959, Youcef est promu responsable politico-militaire de la zone 3 Wilaya IV avec le grade de capitaine. Il assume ses responsabilités durant la période difficile traversée par la Wilaya IV, et ce, jusqu’à juillet 1960, où il est promu membre du Conseil de la Wilaya IV avec le grade de commandant. Et l’affaire Si Salah ? «Le Conseil de la Wilaya IV sans consulter l’ensemble de sa composante a pris la décision de contacter de Gaulle non pour le cessez-le-feu et la paix des braves, comme le soutiennent certains, mais pour connaître les intentions du général et quelle est sa stratégie pour appliquer l’autodetermination.
La rencontre a eu lieu le 10 juin 1960. Les négociateurs n’avaient pas obtenu des préalables, à savoir contacter les 5 détenus en France et le GPRA à Tunis. Il n’y a pas eu trahison. Le 8 août 1961, Si M’hamed Bougara tombe au champ d’honneur à Blida. Quelques mois auparavant et avec l’accord du GPRA, la Wilaya IV a eu aussi pour mission de réorganiser Alger. La mort de Si M’hamed «un homme exemplaire, d’une grande probité proche des humbles» laisse un grand vide. Youcef assure la direction de la Wilaya avec le commandant Youcef Benkherouf, le plus dur est à venir. Nous verrons comment la soif du pouvoir a changé la donne et a failli mener le pays à la catastrophe. N’empêche, la victoire a dû être amère.
Combats fratricides
Les combats fratricides l’ont entachée et nul ne pourra effacer les souillures. Pourtant, dans l’euphorie de l’indépendance, alors que les combattants sincères réfléchissaient déjà à la reconstruction, d’autres se fixaient sur la prise du pouvoir les premiers, une fois la libération arrachée par le fer et par le sang, sont retournés à leur vie et projet de départ. Comme Si Hassan qui reprit ses études de médecine, non sans savourer la liesse de la libération le 5 juillet 1962, il est parti avec ses officiers pour une grande parade avec plusieurs bataillons de Kouba jusqu’à Sidi Fredj, en même temps que le colonel Mohand Oulhadj , chef de la Wilaya III, le colonel Saoutel Arab (Salah Boubnider, chef de la Wilaya II, à Sidi Fredj, là où le corps expéditionnaire français avait débarqué un 5 juillet 1830.
Lors de cette cérémonie ô combien symbolique, c’est au doyen, le colonel Mohand Oulhadj qu’échut l’honneur de hisser l’Emblème national. «La Révolution nous a réunis autour d’idéaux, de nobles idéaux, par ce geste nous voulions montrer combien était chère à nos yeux l’unité nationale et la défendre comme la prunelle de nos yeux. La crise de 1962, ou l’été de la discorde, a été vécue comme une tragédie.» «La Wilaya IV s’est trouvée en position d’affrontement, mais elle a toujours privilégié sa position de neutralité. En fait, la crise a commencé lors du CNRA en mai 1962 à Tripoli. Nous en traînons les séquelles jusqu’à aujourd’hui. La Wilaya IV avait donné procuration à Ahmed Bencherif pour la représenter à cette réunion. Il y a eu un clivage, les Wilayas I, V et IV ont marché avec Ben Bella et l’état-major, les Wilayas II et III avec le GPRA. Bencherif a voté pour Ben Bella. La réunion de Zemoura a regroupé la Wilaya III, la Wilaya IV et la Fédération de France du FLN en optant pour la légalité, donc pour le GPRA. Je suis parti à Rabat avec Mohand Oulhadj pour voir Ben Bella et Khider et tenter de les raisonner face à la guerre civile qui se profilait. Ils ne voulaient rien entendre leur souci était d’accaparer le pouvoir. On a pu réunir les chefs de Wilaya à Chlef, le 20 juillet 1962 : Zbiri pour la I, Boubnider (WII) Mohand Oulhadj (WIII), votre interlocuteur (WIV) Othmane (WV) et Chabani (WVI). Mais le clivage persistait et de Tlemcen, Ben Bella d’une manière autoritaire et illégale annonçait le bureau politique du FLN. Le 5 juillet, les combattants de la Wilaya IV sont rentrés à Alger en force pour dire que la capitale est ville ouverte et appartient à tous les Algériens. D’un autre côté, il fallait encore faire face aux résidus de l’OAS et sa folie suicidaire. Je me suis résolu à réaliser mon projet en reprenant mes études de médecine. Le Congrès du FLN d’avril 1964 au cinéma Afrique me désigna membre du bureau politique aux côtés de deux autres chefs de wilaya : Mohamed Oulhadj et Mohamed Chabani. Quand l’affaire de ce dernier éclata, j’ai été missionné à Biskra avec Ali Mendjli, pour tenter de raisonner Chabani, en vain.»
Youcef fit partie du Conseil de la révolution lors de la prise de pouvoir par Boumediène le 19 juin 1965. «La déclaration du 19 juin bannissant le pouvoir personnel et prônant la démocratie m’a séduit. Je me suis dit pourquoi pas faire un pas et voir venir. Mais en réalité, j’étais plus accaparé par ma thèse que j’ai terminée le 13 juillet 1967. La confiance commençant déjà à se lézarder au niveau des responsables, on m’avait proposé des postes mais j’ai refusé. Dans l’affaire Zbiri en 1967, je n’y étais pour rien, mais on a voulu régler des comptes de la wilaya IV qui avait osé défier la force, quelques années plus tôt.» Youcef sera jugé à Oran en août 1969 et sera mis en résidence surveillée à In Salah, où il est resté 3 ans, puis à Ouargla (6 mois) enfin à Tiaret.
Grandeur et déchéance
En octobre 1977, il ouvre un cabinet médical privé à Alger. En 1993, il est appelé pour presider la commission du dialogue national. «Malgré tout, on a pu arriver à la conférence nationale ; rappelez-vous le contexte explosif, mais il n’ y a pas eu de consensus. Notre mission était terminée.» A l’avènement de Liamine Zeroual à la tête de l’Etat, Youcef est sollicité en tant que conseiller politique. «J’étais séduit parce qu’il était question de rupture et de la continuation du dialogue.»
En novembre 1995, préférant sa liberté, Youcef se retire, consacrant davantage de temps à son cabinet de médecin. Le 12 décembre 1998, après la conférence sur l’histoire au Club des Pins, poussé par ses amis, il se promet de relever le défi de présenter sa candidature à la présidence de la République en réunissant plus de 100 000 signatures. «Je n’avais aucune structure, je me suis présenté en candidat libre, tout en sachant que les jeux étaient faussés. Si Hassan livre son dernier combat en créant ,le 11 septembre 2001, la fondation Mémoire Wilaya IV historique.
«Un devoir de mémoire envers tous ceux qui se sont sacrifiés pour ce pays et dont les âmes continuent à planer sur nos têtes.» Observateur aigu de la scène politique, Youcef est visiblement peiné par la situation dans laquelle patauge l’Algérie. «La corruption, dit-il, a existé, existe et existera. Mais à si grande échelle, du jamais vu ! Comme il en est de la médecine, dans la corruption on doit aussi prévenir et contrôler. Mais le système n’est pas adapté.» Les médecins et le corps médical qui tempêtent à travers les grèves discontinues ? «Ceux qui revendiquent ont sûrement des raisons de le faire. Les injustices, les inégalités le mépris sont autant de ferments qui nourrissent la révolte et la haine. Alors la meilleure solution, c’est le dialogue.» D’une manière générale, Youcef estime que la situation du pays est actuellement très complexe. «On navigue à vue et on ne sait pas où on va avec une gouvernance qui n’en est pas une. Il faut tout revoir et ce n’est guère facile.»
Alors docteur, c’est grave …

5/18/2013

Le Chêne Kermes

Le Chêne Kermes
Cet arbuste qui domine la garrigue surtout dans les zones victimes d'incendies a un nom bizarre.Il se nomme "chêne à kermès" en toute logique (c’est-à-dire "le chêne à cochenille donnant le rouge").
Son nom latin botanique est Quercus coccifera, chêne "porteur de cochenilles". Son nom occitan le plus répandu est avaus (prononcez [avaous], et [abaous] en languedocien), tant en Provence maritime qu’en Languedoc (où il existe aussi la variante avals, prononcé [abals]). Il se nomme agarrús en Provence intérieure, et un autre nom languedocien répandu autour de Narbonne est celui de garrolha [garrouillo].
Ce petit chêne a cependant eu un double usage. En plus d’arbustes alimentant les fours comme beaucoup d’autres, c’est son écorce, nommée garrolha en occitan, qui était intéressante : très riche en tanins, elle était donc récoltée par les garrolhaires pour l’industrie des cuirs. Mais comme pour le chêne vert, elle est encore meilleure dans les racines : il a donc été arraché, ce qui lui lève la possibilité de rejeter de souche, donc de régénération.
Par glissement de sens, garrolha (qui nomme aussi plus généralement les surgeons de chênes) finit par désigner l’arbuste lui-même, dans tout l’ouest de l’Hérault et l’Aude.
Il a donné de nombreux toponymes, parfois méconnaissables au premier coup d’œil : Les Abaus, Les Sabalses, La Garouille, Garouilles.
Ses glands ont la cupule hérissée, et ils sont tellement amers qu’ils ne sont même pas consommés par les troupeaux.


Le chêne à kermès porte plusieurs espèces de cochenilles, une seule (kermes illicis) donne cette splendide couleur rouge si recherchée. La matière colorante est un mélange d’acide kermésique, un pigment du type anthraquinone, et de l’acide laccaïque D.C’est l’écarlate qui a servi à teindre les étoffes des tissus royaux, la laine et la soie. Sa présence a été décelée dans des peintures néolithiques, en France et sur les momies égyptiennes . Elle se présente sous la forme d’une "graine" recouverte de poussière grise, située au pied des rameaux.
On ne les confondra pas avec les autres petites "boules" rouges très fréquentes sur les feuilles de kermès, qui sont le résultat de l’attaque d’un autre parasite plagiotrochus quercusilicis , ni avec les "graines" noires, ressemblant à un gros grain de poivre, elles aussi situées sur la tige, qui sont une autre variété de cochenille pouvant parasiter l’arbuste
.
Galle parasitant un chêne kermès


Rejet de Kermès après un incendie

la teinture rouge vermillon ou kermes

Le kermes est le corps désséché de la femelle d'une cochenille du chêne,
 insecte du chêne KERMES.
Le ramassage s'effectuait tôt le matin en décrochant délicatement le Kermes ( le cocon de la chenille ) du chêne.

Pour obtenir la teinture rouge vermillon qui était très utilisé par les gens de la cour on laissait mariner pendant 10 à 12 Heures le Kermesdans du vinaigre. La laine et les étoffes étaient ensuite trempées dans des bains d'alun ou de fougeres et plongées dans la teinture bouillante. Elles en ressortaient d'un rouge écarlate: le rouge vermillon.

  

Cocon de la chenille utilisée pour la teinture vermillon.

  Au XII e siècle, notre " mont" Le saint Clair produisait ce Kermes sur ses chênes. Activité lucrative qui donnait lieu à des attributions officielles pour les récoltes et la gestion.
 

léxicographie de kermes

DEFINITION DE :  KERMES  
A. − Insecte hémiptère (Coccidés) parasite du chêne kermès (infra B), dont la femelle se recouvre, pour protéger ses œufs, d'une pellicule dure ayant la forme d'une graine qui, appelée graine d'écarlate, servait à fabriquer une teinture rouge. Dans les kermès, les mâles seuls ont des ailes; et les femelles, tout comme celles des cochenilles, vivent attachées sur l'écorce des branches et des racines d'un chêne (Brard1838).
P. méton. Teinture, couleur rouge obtenue à partir du kermès. Kermès végétal (vieilli), kermès animal; rouge de kermès. Il y avait là une pointe d'ocre et un soupçon de kermès, avec quelque chose de plus vif et pourtant d'un peu mat. Alors, c'était peut-être le cinabre? Nul doute, c'était le cinabre (Duhamel, Passion J. Pasquier,1945, p. 7).
B. − Chêne kermès, p. ell. kermès. Chêne méditerranéen à feuilles persistantes sur lequel on recueillait les kermès (au sens A supra). Une très haute colline couverte de bruyères courtes, ayant quelque analogie avec le chêne kermès de Provence (Hugo, Rhin,1842, p. 168).Il existe aussi diverses sortes de chênes à feuilles persistantes (chêne yeuse, chêne liège, chêne kermès) (Bérard-Gobilliard, Cuirs et peaux,1947, p. 58).
II. − Kermès minéral officinal, p. ell. kermès. Médicament expectorant ou vomitif à base d'oxysulfure d'antimoine, appelé aussi poudre des Chartreux. Tablette de kermès. Le kermès est un médicament en poudre d'un brun rouge, qui fut mis en vogue, au commencement du dix-huitième siècle, par le frère Simon, apothicaire des Chartreux (J. Thénard, Traité de chim., Paris, Crochard, t. 3, 1824, p. 401).User au début (...) de l'ipéca comme expectorant, de préférence au kermès (Londeds Nouv. Traité Méd. fasc. 2 1928, p. 576).
REM. 1.
Kermésite, subst. fém.Oxysulfure d'antimoine naturel. Poussière rouge cochenille ou rouge pourpre, très analogue à celle de la kermésite (Lapparent, Minér.,1899, p. 614).
2.
Kermétisé, -ée, adj.Qui contient du kermès minéral. MmeArnoux tâchait de lui faire avaler le contenu des fioles, du sirop d'ipécacuana, une potion kermétisée (Flaub., Éduc. sent., t. 2, 1869, p. 101).
Prononc. et Orth. : [kε ʀmεs]. Att. ds Ac. dep. 1762. Étymol. et Hist. 1. Ca 1500 Kermes « cochenille » (Hortus sanitatis translaté de latin en françois cité par Sainéan, L'Hist. nat. et les branches connexes dans l'œuvre de Rabelais, p. 171); 1762 (Bonnet, Considérations sur les corps organisés, t. 2, p. 90 : le kermés [...] est encore une gallinsecte); 2. 1584 bot. kermez (Du Bartas, Seconde sepmaine, Eden, 543 ds Œuvres, éd. U. T. Holmes, t. 3, p. 19); 1775 kermès (Dict. raisonné universel d'hist. nat., t. 2, p. 77 : Les Provençaux nomment ce chêne vert simplement kermès); 1808 chêne kermès (Baudrillart, Nouv. manuel forest., t. 1, p. 139); 3. 1737 pharm. (Lesage, Gil Blas, p. 1027). Empr. à l'ar.qirmiz « cochenille » (FEW t. 19, p. 95) v. alkermès, carmin, cramoisi. Le kermès, appelé graine en a. fr. et m. fr., a été considéré jusqu'au début du xixes. comme une excroissance du chêne vert, provoquée par la piqûre d'un insecte. La nature animale du kermès a été reconnue par l'Ital. Cestoni (1637-1718), cf. Batt., s.v. chèrmes, cit. de Vallisneri. Au sens 3, médicament, appelé communément poudre des Chartreux, mis en vogue en 1714 par le frère Simon (cf. Comm.).

5/12/2013

Djedar

Djedar, ou mieux Djidar, désigne, en arabe, une construction, un mur. Pour les archéologues du Maghreb, les Djedars sont des mausolées de la région de Frenda (wilaya de Tiaret, Algérie) de plan carré et à couronnement pyramidal qui s’élèvent sur deux collines, le Djebel Lakhdar au nord et le Djebel Araoui au sud. La première de ces nécropoles compte trois mausolées, traditionnellement désignés, depuis R. de la Blanchère, par les lettres A, B et C. Les mausolées du Djebel Araoui sont au nombre de dix : ce sont les Djedars D à M. Ces précisions ont été rendues nécessaires à la suite des confusions introduites par S. Gsell qui, dans Les Monuments antiques de l’Algérie, ne décrit que deux djedars du Djebel Lakhdar (qu’il appelle Dj. Hadjar) les mausolées A et B et un seul du Djebel Laraoui, à Ternaten, le plus grand de tous, qu’il désigne à tort sous la lettre C, alors qu’il s’agit du monument F de la nomenclature de R. de la Blanchère.
2Ces monuments attribués à l’Antiquité tardive n’ont guère retenu l’attention malgré leur aspect grandiose. Seul, parmi les auteurs arabes, Ibn er-Rakik, un chroniqueur du xe siècle, cité par Ibn Khaldoun (Histoire des Berbères, 1, p. 234 et 11, p. 540), mentionne trois de ces monuments en dos d’âne de la région de Tiaret qui, suivant une inscription lue au sultan fatimite El Mansour, auraient été élevés par « Soleïman le Sederghos » pour commémorer une victoire remportée sur des rebelles. Il est difficile de ne pas reconnaître sous ce nom et ce titre le Stratège Solomon, lieutenant puis successeur de Bélisaire lors de la reconquête byzantine de l’Afrique. Mais il est impossible d’attribuer les monuments du Djebel Lakhdar à cette époque (cf infra).
3C’est à R. de La Blanchère que l’on doit les descriptions les plus complètes de ces monuments découverts en 1842 par le Cdt Bernard ; après l’analyse de S. Gsell qui reprend les plans de Mac Carthy et de La Blanchère, il faut attendre les importants travaux de F. Kadra en 1968-1969, pour obtenir une documentation et une étude fondées sur des fouilles régulières. Celles-ci portèrent sur les monuments du Djebel Lakhdar.

Les Djedars du Djebel Lakhdar

4F. Kadra commença par dégager le Djedar A qui se révéla le plus important en raison des éléments architecturaux constituant un ensemble cultuel du plus haut intérêt. Ce monument domine la plaine de 100 m environ ; son soubassement, qui est un carré imparfait, mesure selon les faces de 34,30 m à 34, 80 m de longueur. Les murs de façade sont constitués de huit lits de pierre de taille soigneusement assisées ayant de 1 à 1,50 m de long. Ces façades s’élèvent de 3,20 m à 3,85 m au-dessus du sol. Le couronnement pyramidal était constitué de gradins de plaques calcaires qui cachaient un noyau de moellons liés par un mortier de chaux. La hauteur totale atteignait 17 m.
5F. Kadra mit au jour une enceinte limitant une vaste cour de plus de 50 m de côté qui avait été en partie remblayée. Sur la face est, cette enceinte délimite un podium sur lequel s’élève un petit monument cultuel possédant une étroite porte à glissière dans laquelle était mue une roue de pierre qui a été conservée. Le long de la façade orientale du Djedar, en face de cet édicule, était disposée une rangée de six auges de pierre, sans doute destinées à des libations ou des offrandes. Comme dans le Médracen, l’entrée du monument était cachée dans les degrés de la façade est. Un couloir conduisait à une galerie en U qui enserrait un noyau central sauf à l’ouest. A chacun des angles de la galerie étaient aménagées deux chambres contiguës. Les encastrements des linteaux et des pieds-droits rappellent davantage des montages de menuiserie que des dispositifs architecturaux


Le Djedar A (Djebel Lakhdar). Photo G. Camps
 
Djedar A ; vue de la galerie et du plafond surélevé, d’après F. Kadra
Djedar A ; vue de la galerie et du plafond surélevé, d’après F. Kadra
 
6Contrairement à ce que pensait S. Gsell, la décoration du Djedar A est entièrement originale. Il ne fut trouvé aucun bloc de remploi dans ce mausolée, contrairement à ceux de Ternaten et c’est par erreur qu’il attribue à ce monument une inscription en remploi datée de 486. Les linteaux sculptés des portes intérieures portent un décor géométrique bien connu dans les basiliques et édifices chrétiens. Ce décor est à base de défoncements à section triangulaire, de chevrons, de rosaces à six pétales, d’étoiles, autant de motifs qui évoquent, eux aussi, le travail du bois et qui se retrouvent, incisés, sur les épi-taphes d’Altava et même de Volubilis. A ce décor géométrique s’ajoute un décor figuratif en relief découvert par F. Kadra. A l’exception d’une colombe qui orne le linteau de l’une des chambres intérieures, les figures animales n’apparaissent que sur le revêtement du soubassement du djedar et sur la face extérieure de la grande enceinte de l’area funéraire. Ces figures sont en relief plat ; ce sont des colombes affrontées de part et d’autre d’un calice, un oiseau à longue queue (colombe* ou paon) devant un bassin, deux chevaux rendus d’une manière très maladroite, un bovin, une antilope bubale, un félin. Trois scènes où figurent des personnages retiennent particulièrement l’attention. C’est en premier lieu un gisant nu représenté naïvement. La seconde, située sur la façade méridionale de l’enceinte, représente une chasse à l’autruche menée par un cavalier figuré de face alors que la monture et l’oiseau sont en profil absolu, un chien, qui précède deux chasseurs à pied, complète la scène. Plus intéressante par son symbolisme, la dernière scène représente un personnage vu de face entre deux figurations animales, à sa gauche un cheval qu’il tient par la bride, à sa droite un félin dont il semble se protéger à l’aide d’un petit bouclier rond. Nettement plus grand que les animaux, figuré de face dans une nudité héroïque, alors que le cheval et le félin sont représentés de profil, l’homme apparaît comme un « maître des animaux ». Dans ces trois scènes le personnage représenté ne peut être que le prince défunt pour qui fut élevé le monument.
7F. Kadra a montré que le Djedar A, malgré ses structures intérieures complexes, fut construit autour d’un « noyau » lui aussi de plan carré. Le même programme de construction explique la structure du Djedar C ; celui-ci présente également un système de galerie et de chambres qui enserrent, sans l’entourer complètement, un noyau central carré. Le Djedar C a les mêmes dimensions que le monument A, la longueur moyenne des façades est de 34,60 m ; la longueur des blocs oscille entre 1 m et 1,40 m. Le soubassement possède le même nombre de lits mais ne possède aucun décor. Le Djedar C est beaucoup plus bas que le monument A, le couronnement est réduit à quelques degrés et le faible volume des déblais accumulés au pied du soubassement indique que le couronnement pyramidal était, dès l’origine, de faible hauteur, reproduisant plus fidèlement que les autres monuments le schéma habituel de la bazina* à degrés de plan carré. F. Kadra pense plutôt que le djedar dépourvu de monument cultuel, demeura inachevé. On ne partage pas cette opinion quand on remarque que ce monument reçut une dédicace qui fut, comme celle du Djedar A, placée sur la face est, dans l’axe de la galerie d’accès. Cette inscription est malheureusement illisible, mais il serait surprenant qu’un monument funéraire inachevé ait néanmoins reçu l’épitaphe de la personne à qui il était destiné.
Djedar A ; assemblage du linteau et des pieds-droits de la chambre G, d’après F. Kadra
Djedar A ; assemblage du linteau et des pieds-droits de la chambre G, d’après F. Kadra
 
Djedar A ; l’édifice cultuel, restitutions extérieure et intérieure, d’après F. Kadra
Djedar A ; l’édifice cultuel, restitutions extérieure et intérieure, d’après F. Kadra
 
Djedar A ; scène de chasse à l’autruche sur le parement externe de l’enceinte. Photo F. Kadra
Djedar A ; scène de chasse à l’autruche sur le parement externe de l’enceinte. Photo F. Kadra
 
Djedar A ; cheval et rosace hexapétale. Photo F. Kadra
Djedar A ; cheval et rosace hexapétale. Photo F. Kadra
Djedar A ; cheval, façade nord. Photo F. Kadra
Djedar A ; cheval, façade nord. Photo F. Kadra
Djedar A ; bœuf ou antilope. Photo F. Kadra
Djedar A ; bœuf ou antilope. Photo F. Kadra
Djedar A ; colombe. Photo F. Kadra
Djedar A ; colombe. Photo F. Kadra
Djedar A ; décor géométrique. Photo F. Kadra
Djedar A ; décor géométrique. Photo F. Kadra
 
Djedar A ; décor géométrique du linteau de la salle F. Photo F. Kadra
Djedar A ; décor géométrique du linteau de la salle F. Photo F. Kadra
8Le Djedar B est le plus petit du Dj. Lakhdar ; ses façades mesurent chacune 11,55 m et le soubassement atteint, avec ses 6 assises, 2, 75 m de hauteur. Le couronnement pyramidal est entièrement détruit. Comme sur les deux autres monuments, les degrés étaient constitués de plaques calcaires soigneusement dressées. Le Djedar B ne possède pas le système complexe de galeries et de chambres enserrant le noyau central, comme dans les deux autres djedars du Dj. Lakhdar. A vrai dire, le monument est réduit à ce noyau central qui recouvrait une fosse funéraire ; celle-ci fut fouillée par le Dr Roffo qui malheureusement ne publia jamais les résultats de cette fouille. Les travaux de dégagement de F. Kadra ont permis de reconnaître que la fosse dont les côtés étaient limités par des dalles plantées de chant, avait renfermé un cercueil en bois.
Plan du Djedar B, d’après F. Kadra
Plan du Djedar B, d’après F. Kadra
 
Djedar B, façade est et édifice cultuel. Photo F. Kadra
Djedar B, façade est et édifice cultuel. Photo F. Kadra
 
Djedar С. Photo G. Camps
Djedar С. Photo G. Camps
 
Djedar С ; détail du plafond de la galerie. Phot F.Kadra
Djedar С ; détail du plafond de la galerie. Phot F.Kadra
 

Les Djedars du Djebel Araoui ou de Ternaten

9La nécropole de Ternaten, au sommet du Djebel Araoui, compte une dizaine de monuments, en grande partie ruinés, sauf le plus grand, le djedar F appelé localement Ternaten et aussi le « keskes » en raison de sa forme en pain de sucre qui est celle du récipient en vannerie qui sert à faire cuire à la vapeur la semoule du couscous. Son aspect arrondi est dû à l’érosion et aux glissements qui affectèrent un couronnement pyramidal identique à celui des autres djedars. Malheureusement, ce vaste monument ne fit l’objet que de descriptions à différentes époques depuis le milieu du siècle dernier ; s’il fut sondé par des chercheurs de trésor, aucune fouille archéologique n’y fut jamais entreprise.
10Le Djedar F a, comme tous les djedars, un soubassement carré. Il mesure 46 m de côté (sauf à l’Est où la façade n’a que 45,70 m de longueur) et 2,50 m de hauteur. Le couronnement était constitué d’une masse de dalles et de moellons liés au mortier de chaux recouverts de gradins de 0,20 m de haut ; on peut, selon F. Kadra, estimer à 16 m environ l’élévation du couronnement terminé par un pyramidion et à 18, 50 m la hauteur totale du djedar. Ce monument présente les aménagements intérieurs les plus complexes et les plus achevés. Deux galeries concentriques, de plan carré, qui réunissent respectivement un chapelet de douze et de six chambres, constituent un double déambulatoire qui permet de circuler autour de deux chambres centrales dont la fonction sépulcrale ne fait pas de doute. Une galerie axiale qui s’ouvre au milieu de la façade est du soubassement, au niveau du sol naturel, traverse d’est en ouest le système du double déambulatoire, pour atteindre directement les deux chambres funéraires au centre du mausolée. Ces chambres voûtées ont une hauteur de 4 m, les voûtes en plein cintre prennent naissance à partir de 1,95 m, alors que les couloirs qui réunissent les chambres du déambulatoire ne dépassent pas une hauteur de 1,25 m. A l’inverse de ce qui a été observé au Djebal Lakhdar, les pierres de remploi sont très nombreuses dans le Djedar F, inscriptions, voussoirs, encastrements de porte et blocs divers décorés de motifs chrétiens permettent de fixer un terminus a quo (Cf. infra), mais une décoration originale de grand intérêt, sous forme de fresque, subsiste dans les deux chambres centrales. R de La Blanchère avait déjà décrit sommairement ces peintures qu’il comparait avec les œuvres les plus récentes des catacombes romaines. F. Kadra a pu encore discerner parmi les débris de peinture, de couleur bleu et rouge, un personnage vu de face dont la tête est nimbée ; il est revêtu d’une tunique blanche et porte un manteau sur les épaules. La main droite tient une crosse. D’après R. de La Blanchère on aurait encore distingué, peu avant son exploration, le cheval sur lequel ce personnage était monté. Toujours selon ce même auteur une autre scène aurait représenté deux personnages assis qui paraissaient converser, à l’arrière-plan apparaissaient les traces d’un paysage.
Djedar F (Ternaten). Photo G. Camps
Djedar F (Ternaten). Photo G. Camps
 
11Les autres djedars de Ternaten présentent les mêmes caractères mais sont tous plus petits que le monument F. Le Djedar D avait 16 m de côté, son couronnement pyramidal a été en grande partie détruit par des pillards à la recherche de trésors ; des alignements de murs sont décelables autour du monument. Le Djedar E, plus petit, possédait des aménagements intérieurs comparables aux djedars A et C du Djebel Lakhdar. On y reconnaît le noyau central enserré par une galerie. Le Djedar G mesure 25 mètres de côté et possède un monument cultuel devant la face est. Les Djedars H et I sont, le premier, complètement arasé, le second, réduit à l’état d’un tumulus dont l’amoncellement des matériaux cache toute structure, il en est de même pour les monuments K, L et M. Le Djedar J est un peu mieux conservé bien que le couronnement pyramidal ait en grande partie disparu ; dans le soubassement des structures complexes, peu discernables, déterminent des cellules triangulaires. Ce djedar est, par ses dimensions (les côtés mesurent en moyenne 30 m), le second de la nécropole du Djebel Araoui. Le monument disposait d’une annexe cutuelle à l’est et d’une enceinte faite d’un mur à double parement.
Djedar F ; détail de la galerie. Photo F. Kadra
Djedar F ; détail de la galerie. Photo F. Kadra
 
Djedar F ; détail de la galerie. Photo F. Kadra
Djedar F ; détail de la galerie. Photo F. Kadra
Fonction des Djedars
12Personne ne met en doute que les djedars soient des monuments funéraires, vraisemblablement des mausolées d’une ou plusieurs familles princières de l’Antiquité tardive, contemporaines de la domination vandale. La multiplicité des chambres intérieures dans les Djedars A (huit chambres), D (5 chambres), F (16 chambres rectangulaires et 4 cellules carrées) et E (structure intérieure semblable à A) a fait penser que ces monuments importants ne servait pas de sépulture unique. F. Kadra défend l’hypothèse de sépultures collectives et pense que toutes ou la plupart des chambres, au moins dans les Djedars A et C, avaient reçu des sépultures. Elle en voit pour preuve les traces, dans plusieurs chambres, de banquettes en briques qui auraient servi de lits funéraires. En admettant que ces banquettes aient effectivement eu cette fonction, on peut trouver étrange que dans un monument aussi soigneusement construit, on ait utilisé de simples briques, grossières, pour édifier sommairement ces banquettes élevées au rang de lits funéraires. Quand on examine attentivement la structure interne des Djedars A, C et E, on remarque que les galeries et chambres enserrent un noyau central de plan carré qui fut indubitablement la partie primitive de la construction. Or, dans le Djedar B dont le « noyau primitif » constitue la totalité du monument, la fosse sépulcrale creusée dans le sol naturel est cachée par le tumulus ; on songe à une disposition analogue dans les Djedars A, C et E dont la partie centrale, normalement consacrée à la sépulture, est précisément constituée par ce noyau carré. Si comme il est suggéré ici, les sépultures des monuments A, C et E se trouvaient dans ou sous le noyau central, à quoi servaient les chambres réparties autour de ce noyau central ? On y voit volontiers l’aboutissement ultime des « chapelles » qui, sans relation directe avec la sépulture, pénètrent dans la masse de certains tumulus ou bazinas* (cf Djorf Torba*) et servaient au culte funéraire peut-être même de lieu d’incubation* ce qui justifierait la présence de banquettes. Ces « chapelles » ont des plans et des formes diverses. Celles digitées, munies de diverticules, des bazinas rectangulaires de Taouz, dans le Tafilalet, semblent être les prototypes des galeries et chambres des djedars. Ces dispositifs cultuels atteignent leur plein développement dans le Djedar F de Ternaten où le système de galeries et de chambres constitue un double déambulatoire autour des deux chambres centrales qui servirent certainement de sépultures. Il est cependant une disposition architecturale qui va à l’encontre de la fonction cultuelle des structures internes, c’est l’existence d’un édicule à l’est des Djedars A, B et J, dans lequel F. Kadra voit une chambre destinée précisément au rite de l’incubation mais on peut tout aussi bien penser à un local destiné soit à l’exposition du mort soit à des cérémonies liées au culte funéraire.

Chronologie des Djedars

13Pour dater les djedars on disposait traditionnellement de plusieurs éléments : le style des décorations, l’épigraphie et l’âge des pierres utilisées en remploi. Le comptage du C 14 est venu, plus récemment, compléter ces données. L’examen des modes de construction montre que les trois djedars du Djebel Lakhdar sont plus anciens que ceux du Djebel Araoui (du moins le Djedar F qui est le mieux connu). Dans cette nécropole le remploi de matériaux, tirés d’agglomérations romaines voisines sans doute déjà ruinées, est systématique, alors que cette pratique est inconnue au Djebel Lakhdar.
14Sur la façade du Djedar A était située dans l’axe de la galerie une dédicace, malheureusement mutilée et d’interprétation désespérée. Le peu qui en subsiste laisse deviner le titre d’EGREGIV(S) en ligne 2 et de DVC(I) en ligne 5 suivi, un peu plus loin, de la mention PROVINCIA. Ces données éparses incitent à penser que ce monument avait été construit pour un personnage qui, comme Nubel ou Firmus et ses frères, avait exercé, en plus de ses fonctions tribales, des commandements romains importants. Les croix pattées gravées en relief à droite de l’entrée du monument cultuel du Djédar B et sur la façade septentrionale du Djedar A nous font penser que, comme les autres princes maures contemporains, les occupants de ces monuments étaient de religion chrétienne. Une inscription, totalement illisible était gravée sur la façade orientale du Djedar C, mais un fragment de bois conservé dans le mortier a été soumis à l’analyse du C 14 et accuse un âge de 1630 ± 60 ans, soit 320 après J.-C. Un autre fragment de bois, provenant du cercueil du Djedar B est vieux de 1450 ans (410 après J.-C).
15C’est d’une période encore plus récente que datent le Djedar F et sans doute les autres monuments mal connus du Djebel Araoui. Le personnage nimbé de l’une des chambres funéraires, l’abondance des pierres de remploi portant des symboles chrétiens et surtout les nombreuses inscriptions, municipales ou funéraires, réutilisées dans la construction de ce monument permettent de proposer la première moitié du vie siècle comme la période la plus ancienne de la construction de ce monument. Les épitaphes datées, trouvées à l’intérieur de ce djedar, s’échelonnent, en effet, de 433 à 490.

Parentés et origines des Djedars

16Par leur structure, leur aspect général, les aménagements extérieurs, les djedars sont des monuments paléoberbères dont les origines remontent à la Protohistoire. Ils se distinguent cependant des grands mausolées royaux préromains de Numidie (Médracen*) et de Maurétanie (Tombeau de la Chrétienne*) par leur élévation moindre et leur plan carré, disposition à peu près inconnue dans le Tell alors qu’elle caractérise les monuments du Sahara occidental, du Tafilalet et de la Hamada du Guir en particulier. Dans l’ensemble les djedars évoquent des traditions plus sahariennes que telliennes. Leur situation même, à la limite du Tell et au voisinage du limes romain incite à rechercher dans les régions méridionales l’origine de la famille qui les fit édifier en restant fidèle, malgré sa conversion au christianisme, aux traditions funéraires paléoberbères. En revanche, les nombreuses marques dites de tâcheron, et qui sont celles des entreprises chargées du transport et de la construction, évoquent indubitablement la province romaine et les régions septentrionales du Maghreb. F. Kadra a minutieusement recensé ces noms gravés sur les blocs ; on y lit, en plusieurs exemplaires Ballenis, Acoraiu, Ami, Cillia, Cilloa, Zarutum, Bannopus (ou Bannorus), Istilani. Plusieurs furent écrits de droite à gauche, comme le punique et le libyque horizontal. On retrouve dans cette courte liste des formes nettement africaines qui invitent à certains rapprochements ; ainsi Ballenis évoque à la fois, Ballene Praesidium* (L’Hilil) et le nom d’un chef mazique de l’Ouarsenis : Bellen ; Acoraiu évoque le Mons Anchorarius* que l’on identifie soit à l’Ouarsenis soit au Dahra. Plus curieux, est le rapprochement que suggère la marque CILLA que l’on retrouve semble-t-il sur un bloc (sous la forme ILLA) de l’oppidum de Sidi Medjahed, éperon formé par un méandre de la Tafna, à 12 km au sud de Marnia, soit à quelque 160 km à l’ouest des djedars. Ce rapprochement serait trop risqué si le nom bien lisible de TERNATEN, gravé à la pointe sur le crépi du même oppidum, ne venait renforcer les liens entre les deux sites qui paraissent contemporains à en juger par la paléographie, les éléments décoratifs chrétiens et le mode de construction faisant largement appel au mortier de chaux. Les comparaisons entre les deux sites sont telles qu’on peut se poser la question de savoir si le « petit fortin » carré de 7,50 m de côté, reconnu par E. Janier sur une hauteur voisine de Sidi Medjahed, n’est pas, en fait, un monument funéraire du type des djedars.
Djedar F ; chrisme et rosace en remploi à l’entrée de la galerie. Photo F. Kadra
Djedar F ; chrisme et rosace en remploi à l’entrée de la galerie. Photo F. Kadra
 

Les Djedars et les royaumes berbéro-romains des ve et vie siècles

17Pour qui fut édifié cette imposante série de monuments funéraires ? Avant de répondre il importe de signaler la durée de construction et la longue fréquentation des djedars. Comme il a été dit ci-dessus, les éléments chronologiques au Djebel Lakhdar permettent d’attribuer au ive siècle et au début du Ve les monuments A et B, tandis que le grand djedar de Ternaten (Djebel Araoui) leur est postérieur de plus d’un siècle. Les autres monuments, dont certains (Djedars C et J) sont aussi imposants attestent de la durée de la dynastie ou du moins du clan qui, au cours du dernier siècle de la domination romaine et pendant l’époque vandale, imposa son autorité sur la région. Quelle était l’étendue de ce territoire que d’aucuns, depuis C. Courtois, appellent le Royaume des Djedars, ou encore Royaume de Tiaret ?
18Deux thèses s’affrontent : le point de vue fractionniste de C. Courtois qui tendait à multiplier les « royaumes berbères » au cours du vie et viie siècles ; c’est ainsi qu’en Maurétanie Césarienne, le « Royaume d’Altava » documenté par la célèbre inscription du roi Masuna serait distinct du « Royaume des Djedars », tandis qu’aux confins de la Numidie et de la Maurétanie se serait constitué le Royaume du Hodna sous l’autorité de Vartaïa (Ortaïas chez Procope). Au nord, en Petite Kablie, naissait la puissance des Ukutamani (futurs Ketama du Haut Moyen Age) dont un roi laissa une importante dédicace proclamant sa foi chrétienne. Quant à laudas, maître de l’Aurès, son intention était bien évidemment de contrôler toute la Numidie.
19L’autre thèse, que nous soutenons, tend à montrer que le cadre provincial-romain subsista dans cette « Afrique oubliée » et que les royaumes romano-berbères se constituèrent à partir du ve siècle en respectant plus ou moins les anciennes limites entre les provinces. On serait assez porté à penser que les Djedars furent construits pour une ou deux dynasties (celle du Djebel Lakhdar, la plus ancienne, et celle de Ternaten, au Djebel Araoui) qui, vraisemblablement originaires du sud du limes régnèrent sur l’ensemble de l’ancienne Maurétanie césarienne et peut-être même sur la partie orientale de la Maurétanie tingitane tant sont fortes, à l’époque, les rapprochements culturels et politiques, voire les liens personnels entre les villes de Maurétanie césarienne occidentale et la région de Volubilis. Il n’est pas possible d’affirmer que Masuna ait été, après 508, l’un des constructeurs des djedars mais il semble bien avoir eu pour successeur, direct ou indirect, le roi Mastinas (ou Mastigas) dont Procope dit qu’il contrôlait, vers 535-539, la Maurétanie seconde ; de lui « dépendaient et étaient tributaires tous les secteurs de la région, à l’exception de la cité de Césarée (où)... les Romains ne sont pas en mesure d’y aller par voie de terre car dans cette région vivent les Maures » (La Guerre contre les Vandales, II, XXX, 30. Traduction D. Roques). Trente années plus tard le roi des Maures (et des Romains de Maurétanie) est un certain Garmul dont Jean de Biclar dit qu’il est un souverain très puissant qui vainquit successivement le Préfet d’Afrique Théodore (569), le magister militum Thevestinos et en 571, un autre magister militum, Amalis. Garmul est battu et tué en 579. C’est à lui ou à l’un de ces successeurs que l’on peut attribuer le Djedar F qui paraît être le plus ancien du Djebel Araoui, ce qui laisse entendre que la dynastie subsista jusqu’au viie siècle et eut à subir le choc de la conquête arabe.

Bibliographie

Procope, La Guerre contre les Vandales, trad. D Roques, Paris, les Belles Lettres, 1990.
Jean de Biclar, in Chroni. Minor, édit. Mommsen, p. 213.
Ibn Khaldoun, Histoire des Berbères, trad. de Slane, 2e édition, Paris, 1927, t. II, p. 540.
Longperrier A de, « Les tumulus du Djebel el Akhdar dans la province d’Oran », Rev. archéol, t. I, 1845, p. 565-572.
Cdt Bernard, « Les Djeddars de la haute Mina ». Rev. afr., T. I, 1856-1857, p. 50-52.
La Blanchère R. de, « Voyage d’études en Maurétanie césarienne ». Archiv. des Missions, IIIe série, t. 10, 1883, 78-80 et 418-427.
Diehl Ch., L’Afrique byzantine, Paris, 1896.
Gsell S., Monuments antiques de l’Algérie, Paris, Challamel, 1901, t. II, p. 418-425.
Meunie J. et Allain Ch., « Quelques gravures et monuments funéraires de l’extrêmee Sud-est marocain », Hespéris, t. 42, 1956, p. 51-86.
Cadenat P., « Vestiges paléochrétiens dans la région de Tiaret ». Libyca, Archéol. Epigr., t. 5, 1957, p. 77-103.
Marion J., « L’éperon fortifié de Sidi Medjahed (Oranie) », Libyca, Archéol, Epigr., t. 7, 1959, p. 27-41.
Camps G., Aux origines de la Berbérie, Monuments et rites funéraires protohistoriques, Paris, A.M.G., 1961, p. 215 et (bibliographie exhaustive) 590-591.
Id., « Les monuments à déambulatoire dans l’Afrique du Nord antéislamique ». Atti del 1° Congr. inter. di Studi nord-africani, Cagliari, 1965, p. 37-43.
Id., « Les tumulus à chapelle du Sahara protohistorique ». Trav. du LAPEMO, 1979.
Id., « Rex Gentium Maurorum et Romanorum. Recherches sur les royaumes de Maurétanie des vieet viie siècles ». Ant. afr, t. 20, 1984, p. 183-218.
Kadra F. Les Djedars, monuments funéraires berbères de la région de Frenda (wilaya de Tiaret). Alger, 1993.
Les Djedars et les royaumes berbéro-romains des ve et vie siècles
17Pour qui fut édifié cette imposante série de monuments funéraires ? Avant de répondre il importe de signaler la durée de construction et la longue fréquentation des djedars. Comme il a été dit ci-dessus, les éléments chronologiques au Djebel Lakhdar permettent d’attribuer au ive siècle et au début du Ve les monuments A et B, tandis que le grand djedar de Ternaten (Djebel Araoui) leur est postérieur de plus d’un siècle. Les autres monuments, dont certains (Djedars C et J) sont aussi imposants attestent de la durée de la dynastie ou du moins du clan qui, au cours du dernier siècle de la domination romaine et pendant l’époque vandale, imposa son autorité sur la région. Quelle était l’étendue de ce territoire que d’aucuns, depuis C. Courtois, appellent le Royaume des Djedars, ou encore Royaume de Tiaret ?
18Deux thèses s’affrontent : le point de vue fractionniste de C. Courtois qui tendait à multiplier les « royaumes berbères » au cours du vie et viie siècles ; c’est ainsi qu’en Maurétanie Césarienne, le « Royaume d’Altava » documenté par la célèbre inscription du roi Masuna serait distinct du « Royaume des Djedars », tandis qu’aux confins de la Numidie et de la Maurétanie se serait constitué le Royaume du Hodna sous l’autorité de Vartaïa (Ortaïas chez Procope). Au nord, en Petite Kablie, naissait la puissance des Ukutamani (futurs Ketama du Haut Moyen Age) dont un roi laissa une importante dédicace proclamant sa foi chrétienne. Quant à laudas, maître de l’Aurès, son intention était bien évidemment de contrôler toute la Numidie.
19L’autre thèse, que nous soutenons, tend à montrer que le cadre provincial-romain subsista dans cette « Afrique oubliée » et que les royaumes romano-berbères se constituèrent à partir du ve siècle en respectant plus ou moins les anciennes limites entre les provinces. On serait assez porté à penser que les Djedars furent construits pour une ou deux dynasties (celle du Djebel Lakhdar, la plus ancienne, et celle de Ternaten, au Djebel Araoui) qui, vraisemblablement originaires du sud du limes régnèrent sur l’ensemble de l’ancienne Maurétanie césarienne et peut-être même sur la partie orientale de la Maurétanie tingitane tant sont fortes, à l’époque, les rapprochements culturels et politiques, voire les liens personnels entre les villes de Maurétanie césarienne occidentale et la région de Volubilis. Il n’est pas possible d’affirmer que Masuna ait été, après 508, l’un des constructeurs des djedars mais il semble bien avoir eu pour successeur, direct ou indirect, le roi Mastinas (ou Mastigas) dont Procope dit qu’il contrôlait, vers 535-539, la Maurétanie seconde ; de lui « dépendaient et étaient tributaires tous les secteurs de la région, à l’exception de la cité de Césarée (où)... les Romains ne sont pas en mesure d’y aller par voie de terre car dans cette région vivent les Maures » (La Guerre contre les Vandales, II, XXX, 30. Traduction D. Roques). Trente années plus tard le roi des Maures (et des Romains de Maurétanie) est un certain Garmul dont Jean de Biclar dit qu’il est un souverain très puissant qui vainquit successivement le Préfet d’Afrique Théodore (569), le magister militum Thevestinos et en 571, un autre magister militum, Amalis. Garmul est battu et tué en 579. C’est à lui ou à l’un de ces successeurs que l’on peut attribuer le Djedar F qui paraît être le plus ancien du Djebel Araoui, ce qui laisse entendre que la dynastie subsista jusqu’au viie siècle et eut à subir le choc de la conquête arabe.

Bibliographie

Procope, La Guerre contre les Vandales, trad. D Roques, Paris, les Belles Lettres, 1990.
Jean de Biclar, in Chroni. Minor, édit. Mommsen, p. 213.
Ibn Khaldoun, Histoire des Berbères, trad. de Slane, 2e édition, Paris, 1927, t. II, p. 540.
Longperrier A de, « Les tumulus du Djebel el Akhdar dans la province d’Oran », Rev. archéol, t. I, 1845, p. 565-572.
Cdt Bernard, « Les Djeddars de la haute Mina ». Rev. afr., T. I, 1856-1857, p. 50-52.
La Blanchère R. de, « Voyage d’études en Maurétanie césarienne ». Archiv. des Missions, IIIe série, t. 10, 1883, 78-80 et 418-427.
Diehl Ch., L’Afrique byzantine, Paris, 1896.
Gsell S., Monuments antiques de l’Algérie, Paris, Challamel, 1901, t. II, p. 418-425.
Meunie J. et Allain Ch., « Quelques gravures et monuments funéraires de l’extrêmee Sud-est marocain », Hespéris, t. 42, 1956, p. 51-86.
Cadenat P., « Vestiges paléochrétiens dans la région de Tiaret ». Libyca, Archéol. Epigr., t. 5, 1957, p. 77-103.
Marion J., « L’éperon fortifié de Sidi Medjahed (Oranie) », Libyca, Archéol, Epigr., t. 7, 1959, p. 27-41.
Camps G., Aux origines de la Berbérie, Monuments et rites funéraires protohistoriques, Paris, A.M.G., 1961, p. 215 et (bibliographie exhaustive) 590-591.
Id., « Les monuments à déambulatoire dans l’Afrique du Nord antéislamique ». Atti del 1° Congr. inter. di Studi nord-africani, Cagliari, 1965, p. 37-43.
Id., « Les tumulus à chapelle du Sahara protohistorique ». Trav. du LAPEMO, 1979.
Id., « Rex Gentium Maurorum et Romanorum. Recherches sur les royaumes de Maurétanie des vieet viie siècles ». Ant. afr, t. 20, 1984, p. 183-218.
Kadra F. Les Djedars, monuments funéraires berbères de la région de Frenda (wilaya de Tiaret). Alger, 1993.

Djohala dir el kef

Nom donné aux populations païennes, distinctes des Romains, à qui on attribue en particulier la construction des monuments en pierres sèches du Maghreb. Les Djohala sont parfois confondus avec les Beni Sfao et au Sahara central, en pays touareg, les monuments en pierres sèches (adebni*/idebnan) sont considérés comme les tombeaux des Isabaten* ou des constructions des Ijobbaren qui gravaient aussi des figures rupestres sur la « roche molle ».
2Les Djohala sont parfois concurrencés par les Ghoul (en pays arabophone) ou Waγsen (Kabylie) mais ceux-ci sont plutôt en relation avec des grottes profondes ou des sommets de forme particulière (« Serdj el-Ghoul » : la selle de l’ogre, dans les Babors), toutefois des allées couvertes sont considérées, en Kabylie (Aït Garet), comme les demeures du Waγsen, alors qu’à Aït Raouna, ces mêmes monuments sont attribués aux Romains, ce qui est exceptionnel.
3Les Djohala étant païens on n’a eu aucun scrupule à piller leurs tombes malgré la répugnance que manifestent généralement les populations rurales à l’égard de ces monuments qui inspirent, par ailleurs, de nombreuses légendes. Les Djohala étaient en général accusés de tous les vices imaginables. Dans les Monts des Maadid, ce sont des êtres incestueux qui furent punis par Dieu qui les couvrit de pierres et de sable. Dans le Dra (Sud marocain) on explique que les tumulus servaient d’abris à ces païens qui y emmagasinaient leurs vivres ; on leur attribue aussi la construction des plus vieilles tiγremt aujourd’hui ruinées. En Kabylie, une curieuse légende rapportée au milieu du xixe siècle par le capitaine Devaux, explique la forme des tumulus : les Djohala habitaient des maisons circulaires (alors que la maison kabyle est toujours rectangulaire) dont le toit conique était soutenu par un pilier central ; lorsque le chef de famille sentait la mort venir, il sciait le bas du poteau et se couchait, puis d’un coup de pied il renversait le poteau et se laissait enfouir sous les décombres, faisant ainsi un tombeau de la maison dans laquelle il avait passé sa vie.
4Dans l’Aurès, les Chaouïa savent qu’il y eut autrefois dans leur pays, des habitants différents d’eux-mêmes, ce sont ces Djohala qui construisirent les monuments mégalithiques du type « chouchet »* ; ils sont souvent considérés comme des géants en raison de la taille de certaines pierres utilisées dans ces constructions, qui se distinguent des ruines romaines.
5Les Djedars*, grands mausolées de la région de Frenda (Algérie occidentale, wylaïa de Tiaret) sont attribués aux Djohala dont on aurait retrouvé les squelettes.

Bibliographie

Devaux Cap., Les Kabyles du Djerdjera ou Etudes sur la Grande Kabylie, Paris, 1859, p. 203.
de Boysson Col., « Les tombeaux mégalithiques de Madid », Rec. des Not. et Mém. de la Soc. archéol. de Constantine, t. XIII, 1869, p. 621-636.
Martinet L., « Ruines découvertes par le rabbin Mardocchée dans le Sud du Maroc », Rev. d’Anthropologie, 1878, p. 176.
de Puigaudeau O. et Senones M., « Vestiges préislamiques dans la région d’Assa (Basse vallée du Draâ) », Journ. de la Soc. des Africanistes, t. XXII, 1952, p. 7-15.
Camps G. Aux origines de la Berbérie. Monuments et rites funéraires protohistoriques, Paris, 1961, p. 12.
Laffitte R. C’était l’Algérie, Castille, 1994.

Pour citer cet article

Référence papier

C. Agabi, « Djohala », Encyclopédie berbère, 16 | Djalut – Dougga, Aix-en-Provence, Edisud, 1995, p. 2476-2477

Référence électronique

C. Agabi, « Djohala », in Encyclopédie berbère, 16 | Djalut – Dougga [En ligne], mis en ligne le 01 juin 2011, consulté le 12 mai 2013. URL : http://encyclopedieberbere.revues.org/2196

Le gisement préhistorique tiaret


Le gisement préhistorique (P. Cadenat)
1« La station doit son nom à la proximité de ruines romaines dans lesquelles on s’accorde aujourd’hui à voir celles de Columnata, important centre, résidence d’un “praepositus” sur le limes du iiie siècle » (S. Gsell, Atlas archéologique, Feuille 22, Ammi-Moussa, n° 127 (non 129), Additions. L’identification de Columnata avec Bourbaki (feuille 23, n° 27) a été abandonnée, cf. B.S.G.A.O., Cinquantenaire, 1928 (S. Gsell, p. 25, n° 1 ; E. Albertini, p. 34-35).
2Le gisement préhistorique est situé sur le territoire de la commune de Sidi-Hosni, 1 500 mètres environ au S.S.E. du village du même nom (ex Waldeck-Rousseau), Wilaya de Tiaret.
3C’est un vaste abri sous roche démantelé au pied d’une belle falaise de grès helvétien (« grès de Tiaret »). Une importante source, l’Aïn Zeflah, coule à faible distance. Bien protégé des intempéries, l’habitat largement ouvert au N.N.E. offrait à ses occupants une vue étendue sur la vallée du Tiguiguest et les contreforts sud de l’Ouarsenis.
4La station classée monument historique par arrêté du 18 novembre 1952 a été découverte en 1937 et fouillée de 1937 à 1939, puis de 1954 à 1962 par P. Cadenat. C. Brahimi y a poursuivi des recherches dans la partie ibéromaurusienne en 1969.
5Les premiers travaux (1937-1962) ont permis de distinguer dans le dépôt archéologique, dont l’épaisseur peut en certains points dépasser deux mètres, quatre niveaux typologiquement différents, localement séparés par des lits d’éboulis stériles.
6Ce sont, en remontant de bas en haut :
- un Ibéromaurusien caractérisé,
- une industrie ultra microlithique de transition que G. Camps (VIe Congr. panafric. de Préhistoire, Dakar, 1967) a proposé de nommer « Columnatien »*,
- un faciès régional du Capsien supérieur,
-enfin un Néolithique de tradition capsienne.
7De multiples causes de perturbation (éboulements, infiltrations, ruissellement, inhumations, etc.) ont rendu délicate et longtemps incertaine la distinction des différents niveaux. Cependant la réalité de cette séquence, stratigraphiquement mise en évidence en 1961, et son exactitude ont été pleinement confirmées par le C 14.
8Les dates obtenues sont :
- pour le Néolithique : 3300 et 3900 av. J.-C.
- pour le Capsien supérieur : 4390, 4850 et 4900 av. J.-C.
- pour le Columnatien : 5350, 6190 et 6330 av. J.-C.
- pour l’Ibéromaurusien évolué : 8850 av. J.-C. (fouilles C. Brahimi) Chacune de ces industries a livré un riche matériel lithique et osseux accompagné de nombreux autres documents, objets de parure notamment, ainsi que d’une faune abondante.
9L’Ibéromaurusien est, comme partout, caractérisé par un pourcentage écrasant de lamelles à bord abattu, la rareté des grattoirs, des coches et des burins, l’absence totale de pièces géométriques autres que les segments et par une industrie osseuse encore assez grossière. La faune est composée en majorité d’animaux de grande taille avec dominance des herbivores : grand bœuf (Bos primigenius), un équidé (Equus mauritanicus), antilope bubale (Alcelaphus bubalis).
10Le Columnatien peut se définir comme une industrie microlithique et même hypermicrolithique avec un pourcentage élevé de pièces minuscules, microlamelles à bord abattu et microsegments – d’une étonnante finesse à quoi s’ajoutent le foisonnement des microburins eux aussi souvent très petits, la fréquence des petits burins d’angle sur troncature retouchée et – caractère négatif de la plus haute importance – l’absence de trapèzes de type capsien. Parmi un outillage osseux varié et de bonne facture, les tranchets à biseau oblique tiennent la première place. La faune de grands mammifères est en régression, l’Equus mauritanicus a pratiquement disparu de l’alimentation mais, en contre partie, on constate une forte consommation de petites espèces, de poissons, de crabes et d’escargots. Ceux-ci cependant sont moins recherchés qu’à l’époque suivante.
11Le faciès tiarétien du Capsien supérieur se distingue nettement par la présence d’instruments nouveaux tels que scalènes-perçoirs, pointes d’Aïn Kéda, pointes de Columnata, l’apparition de géométriques classiques (triangles et trapèzes), la nette raréfaction des microburins, des petits burins et du micro-outillage qui faisait l’originalité de l’industrie précédente. L’os poli a pris un grand développement : on trouve beaucoup moins de tranchets mais bien davantage de poinçons et alénes portant parfois des séries de petites incisions. On doit noter tout particulièrement la présence de corps de faucilles, le nombre et la variété des objets de parure (éléments de colliers et pendeloques en coquillages marins, test d’œuf d’autruche, os, etc.), la trouvaille de coquilles terrestres (Leucochroa candidissima) gravées et parfois perforées, enfin, le trait le plus remarquable, l’utilisation d’ossements humains.
12Au Néolithique, l’industrie lithique de tradition capsienne est largement pourvue de lames et lamelles à coches ou denticulées. Les pointes de flèches à pédoncule et ailerons ainsi que d’autres armatures bifaces dénotent une influence saharienne tandis que la poterie à fond conique bien décorée se rapproche de la céramique de la côte oranaise. L’os poli est devenu rare. Il y a quelques fragments de coquille d’œuf d’autruche gravés ; des éléments de plaque dermique de tortue sont utilisés comme ornement.
13L’étude et la comparaison des différents matériels recueillis permettent de suivre au cours des millénaires une lente évolution à la fois économique et culturelle que traduisent les modifications et perfectionnements apportés à l’outillage, les changements profonds dans le régime alimentaire, les pratiques funéraires et même, dans un domaine plus futile, les variations de la parure. A aucun moment il n’y a eu, semble-t-il, transformation brutale et radicale.
Tranchets en os à biseau oblique de Columnata (Dessin Y. Assié) « Faucille » à manche en os du Capsien supérieur de Columnata (Dessin J. Tixier)

14Mais Columnata offre aussi à un autre point de vue un intérêt considérable. C’est en effet l’une des trois plus importantes nécropoles préhistoriques actuellement connues en Afrique du Nord. Bien qu’il reste beaucoup à fouiller, de nombreux restes humains appartenant à quarante-huit adultes et soixante-huit enfants – pour la plupart des « Columnatiens » – ont été mis au jour par P. Cadenat et ont été étudiés par M.-C. Chamla. Certains restes humains étaient surmontés de véritables monuments funéraires parfois signalés par des sortes de stèles frustes.
15Tous les sujets, à l’exception de deux hommes néolithiques, se rattachent à la race de Mechta-Afalou, mais présentent par rapport au type ibéromaurusien plus ancien des signes d’évolution et de gracilisation.
16Ces hommes dont la moyenne de vie n’aurait pas dépassé 21-22 ans et chez qui sévissait une effroyable mortalité infantile, pratiquaient la mutilation dentaire étendue souvent aux huit incisives.
17Il semble qu’ils aient mené une existence relativement paisible. Plusieurs observations tendraient à le prouver et les quelques cas – d’ailleurs remarquables – de traumatologie seraient imputables à de simples accidents.
18Par sa stratigraphie, la richesse de son matériel de toute nature, la station de Columnata constitue comme on a pu le dire, un gisement clé pour l’étude d’abord de la capsianisation, puis de la néolithisation d’une partie du Maghreb.
La nécropole de Columnata (G. Camps)
19Le gisement de Columnata devait apporter les plus riches enseignements dans l’étude des pratiques funéraires épipaléolithiques. En effet, dans la nécropole où il n’est pas toujours facile de faire le partage entre les sépultures ibéromaurusiennes et celles plus récentes appartenant au Columnatien, P. Cadenat (1957) eut la surprise de reconnaître, en cours de fouilles, des aménagements d’une architecture simple signalant certaines sépultures. Ainsi les restes humains inventoriés H 25 qui sont d’âge ibéromaurusien étaient placés sous une pierre de forme particulière, fusiforme, légèrement déprimée dans sa partie centrale. A 0,50 m à l’est, des pierres irrégulières mais agencées intentionnellement constituaient une sorte de pavement rectangulaire, d’un mètre de longueur et large de 0,50 m. Aucune industrie ni restes osseux ne furent découverts sous ce pavement qu’il est tentant d’associer à la sépulture voisine.
20Le cas de H 26 mérite également d’être signalé bien que les quatre pierres disposées au-dessus de la tombe ne forment qu’un simple repère ; les restes humains correspondent à des parties d’un corps dépecé ou désarticulé. On y dénombra un bras gauche complet, un sacrum attenant au coxal gauche et la partie supérieure du fémur, le tout en connexion naturelle ; il en était de même pour un pied complet attenant aux parties distales du tibia et du péroné. Ces éléments ont donc été inhumés alors que des ligaments maintenaient encore les os en connexion.
21Les hommes ibéromaurusiens, à Columnata comme à Rachgoun* et La Mouillah*, prenaient donc un soin particulier non seulement des cadavres mais des restes décharnés que la cohésion du clan continuait à personnaliser.
22Plus intéressante encore est la sépulture H 27, ibéromaurusienne également ; au-dessus des ossements humains avaient été accumulées des pierres, le tout était couronné par un enchevêtrement de cornes du Grand Bœuf (Bos primigenius). Comme dans le cas précédent ce n’est pas un corps entier mais des quartiers et des membres disloqués que contient cette sépulture.
23A Taforalt*, J. Roche aurait découvert des agencements tout à fait comparables où les cornes de mouflon remplaçaient celles de bœuf. La même pratique a été reconnue chez les Tardenoisiens de Téviec et de Hoédic en Bretagne, mais là, les bois de cerfs sont d’âge plus récent.
24Plus récent aussi est, à Columnata même, le monument de H 15 qui serait columnatien mais répond manifestement à la même tradition : des pierres empilées sur 2 ou 3 rangées forment un socle circulaire de 0,80 m environ de diamètre, un cippe rudimentaire constitué d’un bloc de grès de 0,78 m de hauteur avait été placée verticalement sur ce socle.
25Le soin apporté à ces différentes pratiques funéraires mérite toute notre attention, on peut affirmer l’existence de telles pratiques et reconnaître, par gisement, certaines traditions.
Les hommes épipaléolithiques (M.-C. Chamla)
26La découverte de la nécropole de Columnata (Algérie occidentale) qui contenait un niveau épipaléolithique de transition, présente un double intérêt. Pour les préhistoriens, une portée archéologique exceptionnelle pour l’étude du passage de l’Épipaléolithique au Néolithique. Pour les paléontologues, l’étude des restes humains qui y ont été découverts a montré que, parallèlement à l’évolution de l’industrie, les Hommes de Columnata tout en étant incontestablement rattachés au type de Mechta-Afalou, présentent des caractéristiques d’évolution et de gracilisation que justifie leur ancienneté moins grande que celle des vrais Ibéromaurusiens.
27Sur un total de 116 sujets, 48 adultes et 68 enfants et adolescents ont été dénombrés. Une mortalité précoce des premiers a été notée, sans différenciation sexuelle particulière. Chez les seconds, la mortalité infantile (jusqu’à un an) était très élevée et comparable à celle qui a été reconnue dans le gisement ibéromaurusien de Taforalt (Maroc).
28Les caractères crâniens des Hommes de Columnata sont dans leurs grandes lignes ceux des Hommes ibéromaurusiens du type de Mechta-Afalou, définis essentiellement par une robustesse générale, une forte épaisseur des parois crâniennes, une vaste capacité cérébrale, de grandes dimensions, une tendance à la mésocéphalie, des arcades sus-orbitaires saillantes et réunies en un bourrelet médian, une face large et basse, une mandibule de grandes dimensions mais non massive, au corps très divergent avec projection latérale des gonions, un menton accusé, une denture d’un gabarit supérieur à celui des Blancs actuels et atteinte de lésions pathologiques nombreuses, une mutilation alvéolo-dentaire consistant en l’ablation des incisives. Leur stature était assez élevée, leurs jambes et leurs avant-bras de longueur moyenne, leurs épaules et leur bassin moyennement larges. Le dimorphisme sexuel était en outre accentué.
29La comparaison entre les Hommes de Columnata et d’autres Hommes ibéromaurusiens plus anciens du type de Mechta-Afalou provenant essentiellement des gisements d’Afalou et Taforalt révèle néanmoins des différences nombreuses portant à la fois sur les dimensions et la morphologie crâniennes et corporelles ainsi que sur des faits d’ordre pathologique et ethnographique. Ce sont principalement chez les Hommes de Columnata une moindre robustesse générale, des dimensions du crâne et des os longs moins élevées, une tendance plus marquée à la méso-brachycéphalie, des reliefs osseux moins développés, une denture moins volumineuse, caractéristiques qui dénotent une gracilisation par rapport aux restes ibéromaurusiens plus anciens. En outre, l’usure des dents moins précoce et moins intense, la moindre gravité des lésions carieuses, pourraient indiquer des modifications dans l’articulé dentaire ou dans le mode d’alimentation. Enfin l’extension aux deux maxillaires et aux huit incisives de la mutilation dentaire chez les Hommes de Columnata indiquerait des contacts avec leur contemporains capsiens de l’est de l’Algérie chez qui ce mode d’avulsion était couramment pratiqué.
Homme n° 10 de la nécropole de Columnata (Photo A. Bozon)
Homme n° 10 de la nécropole de Columnata (Photo A. Bozon)

Homme n° 22 de la nécropole de Columnata (Photo A. Bozon)
Homme n° 22 de la nécropole de Columnata (Photo A. Bozon)
30La comparaison des caractères morphologiques entre les hommes des trois gisements montre que l’unicité du type de Mechta-Afalou était loin d’être parfaite. Ces constatations indiquent la probabilité d’une évolution indépendante de petits groupes d’Hommes ibéromaurusiens à partir d’un type originel commun, à laquelle s’ajoute une évolution diachronique vers la gracilisation pour quelques-uns d’entre eux. Des constations analogues ont été faites sur d’autres hommes de ce type « mechtoïde atténué » qui présentent aussi de signes de gracilisation et d’évolution. Cependant ces mechtoïdes ne semblent pas pouvoir être considérés comme formant un type homogène. Certains de leurs traits souvent fort différents montrent qu’ils ont dû évoluer indépendamment.
31Cette atténuation des traits dans la série de Columnata ne paraît pas due à un mélange avec d’autres éléments raciaux moins robustes que le type de Mechta-Afalou. Les hommes de type protoméditerranéen qui vivaient à la même époque et qui ont été recueillis dans les gisements capsiens d’Afrique du Nord ont une morphologie très différente, en outre leurs dimensions crâniennes et leur volume dentaire sont plus élevés que ceux des Hommes de Columnata.
32Avec la série de Columnata on a un exemple typique d’un processus de microévolution sur place – gracilisation alliée à une brachycéphalisation – d’un type morphologique dont les caractères sont suffisamment spécifiques pour que l’hypothèse d’un changement par substitution d’éléments étrangers ne puisse être retenue.
33Des restes fragmentaires ont été découverts également à Columnata dans un niveau supérieur néolithique. Ils appartiennent à un homme de type différent de l’ensemble de la série et qui semble s’apparenter au type protoméditerranéen des gisements capsiens.
Paléopathologie (J. Dastugue)
34Les pièces pathologiques du gisement épipaléolithique de Columnata ne sont pas très nombreuses mais certaines sont d’un intérêt très grand. Toutes les rubriques étiologiques ne sont pas représentées et, en particulier, on ne relève aucune séquelle de maladie inflammatoire ou de néoplasie.
Maladies Congénitales et de Croissance
35Un seul sujet présente une affection congénitale qui frappe son rachis en deux points :
- A l’étage cervical existe un « bloc » bivertébral unissant C.5 et C.6. Le caractère congénital est attesté par la conservation de la morphologie de chaque vertèbre ainsi que par sa position normale sans bascule ni déviation. Quelques productions ostéophytiques des vertèbres sus et sous-jacentes traduisent une spondylose légère consécutive à la malformation.
- A l’extrémité inférieure, il y a fusion de la première pièce coccygienne avec la pointe du sacrum.
Traumatismes
Fractures
36Elles sont rares puisqu’on n’en relève que cinq sur quarante-huit sujets adultes, aucune sur les soixante-huit enfants ou adolescents. Trois cas sont à la fois banaux et bénins : une fracture de deux côtes adjacentes, consolidée ; un enfoncement léger de la tête radiale ; une fracture de la phalangette du gros orteil. Par contre, deux sujets avaient une atteinte grave :
- Le premier cas est une fracture du crâne de peu d’étendue, située dans la fosse temporale gauche. L’existence d’une berge en biseau et d’une zone soulevée fait penser à une blessure par un agent tranchant. Un petit bourgeonnement sur un bord de l’orifice signe au moins un début de réparation.
- Le deuxième cas est une véritable dislocation du bassin probablement consécutive à un écrasement vertical du sujet. L’éclatement du cotyle gauche a expulsé la tête fémorale et le sacrum, télescopé longitudinalement, est réduit au tiers de sa hauteur normale. Il existe en outre des lésions de la colonne lombaire. L’ensemble des traits de fracture est consolidé et la tête fémorale expulsée s’est même soudée au sourcil cotyloidien. L’existence de ces cas témoigne de la survie du sujet (une femme) malgré l’importance de la fracture et les lésions associées. En effet, on peut, par l’état du sacrum, être certain d’une totale paralysie du plexus sacré, donc des deux membres inférieurs. Un pied a d’ailleurs pu être reconstitué et s’est révélé déformé. En outre, il y avait obligatoirement des troubles sphinctériens et presque certainement des lésions trophiques (escarres). La survie de la blessée dans de pareilles conditions suppose une assistance totale de la part de son entourage.
Autres blessures
37Il y en a une seule. C’est une blessure par pointe de silex fichée sur la face antérieure de l’apophyse costoïde de la première vertèbre lombaire, à gauche. L’absence de réaction ostéo-périostique semble indiquer une mort rapide de la victime. D’ailleurs, l’orientation de la pointe montre que l’arme (y compris la hampe) a dû traverser obliquement le flanc gauche et y provoquer les lésions péritonéo-viscérales et vasculaires d’une gravité telle que toute survie a dû être impossible.
Lamelle en silex (armature de flèche) fichée dans l’apophyse d’une vertèbre dorsale de la femme H 33 de Columnata (Photo G. Camps)
Lamelle en silex (armature de flèche) fichée dans l’apophyse d’une vertèbre dorsale de la femme H 33 de Columnata (Photo G. Camps)
Autres affections
38L’absence d’arthropathies chroniques et la rareté des lésions spondylosiques distingue nettement Columnata du gisement épipaléolithique de Taforalt (Maroc oriental) et traduit probablement un mode de vie moins sédentaire. Un seul sujet présente des stigmates de spondylose lombaire sérieux ; encore s’agit-il de celui qui est atteint de soudures congénitales.
39Par ailleurs, il faut noter l’existence de deux « hallux valgus », affection non exceptionnelle chez les Préhistoriques.
Les os humains transformés (H. Camps-Fabrer)
40L’utilisation d’ossements humains et leur transformation en outils ou objets cultuels est une pratique qui paraît naître au Capsien et au Columnatien. Cette pratique subsista quelques temps au Néolithique mais resta limitée, semble-t-il au seul Néolithique de tradition capsienne.
41La région de Tiaret a livré, à Columnata, plusieurs documents intéressants, mais ils appartiennent non pas au Capsien supérieur, plus tardif ici, mais au Columnatien qui est contemporain des phases inférieure et moyenne du Capsien supérieur des régions orientales. Il s’agit d’une mandibule humaine dont les branches montantes ont été sciées et polies, un humérus, un radius et un cubitus sciés, appartenant au même sujet. De l’humérus et du cubitus il ne reste que les extrémités voisines du coude : on avait donc prélevé sur ces os les diaphyses dans l’intention manifeste de les débiter pour en faire des instruments. C’est précisément la diaphyse, sciée aux deux extrémités, qui subsiste du radius. Le même gisement livra également une pendeloque prélevée dans un pariétal humain.
Os humains transformés de Columnata : radius, cubitus et humérus sciés et pendeloque découpée dans un os crânien (Photo M. Bovis et P. Cadenat)
Os humains transformés de Columnata : radius, cubitus et humérus sciés et pendeloque découpée dans un os crânien (Photo M. Bovis et P. Cadenat)
Mandibule humaine sciée de Columnata (Photo M. Bovis)
Mandibule humaine sciée de Columnata (Photo M. Bovis)

42De ces différents ossements transformés par les Capsiens ou les Columnatiens, nous devons faire deux lots. Le premier ne nous retiendra guère : les os longs du membre antérieur ou du membre inférieur ont été traités comme des os d’animaux. Quand ils étaient sectionnés comme à Columnata, les diaphyses étaient conservées en raison de leur rectitude qui permettait la fabrication d’outils longs et robustes. La même qualité explique le choix d’un péroné pour tailler un poignard dont la pointe fut aménagée au dépens de la partie distale (Mechta el-Arbi). Dans ces cas l’os humain est donc traité comme une matière première animale, mais il est vraisemblable que le choix d’os humain était également guidé par des soucis d’efficience magique.
43L’autre série est constituée d’os crâniens. La pièce la plus intéressante est le crâne-trophée de Faïd Souar* qui comporte la face avec la mandibule et le tiers antérieur de la boîte crânienne qui a été sciée au niveau des bosses pariétales. L’occlusion de la mandibule et des maxillaires était assurée soit par un simple lien soit par un revêtement plus complexe de poix, de cire ou d’argile si les os servaient de support à un visage modelé. Cette pratique est connue en Syrie et Palestine. Les crânes plâtrés du Néolithique précéramique de Jéricho et de Tell Ramad datent des VIIe et VIe millénaires, et sont donc contemporains des crânes découpés capsiens. La mandibule sciée de Columnata pouvait appartenir à un montage semblable à celui de Faïd Souar II.
La céramique néolithique (H. Camps-Fabrer)
44La partie supérieure du gisement a livré des tessons céramiques dont certains portent des décors. Mais leurs dimensions relativement restreintes ne permettent pas de définir les formes de cette céramique. En revanche, l’examen très minutieux des zones de fracture a permis à G. Aumassip d’étudier les dégraissants et de reconnaître l’usage prépondérant du quartz (80 %). Viennent ensuite le calcaire (50 %) et la chamotte (25 %) qui apparaît sous forme d’amas microbréchiques sans solution de continuité avec leur entourage ; la couleur, parfois identique de la chamotte avec celle du reste de la pâte rend encore plus difficile la reconnaissance de ce dégraissant qui est souvent passé inaperçu.
45Les rebords et les fonds coniques, généralement bien conservés, parce que moins vulnérables, en raison de leur plus forte épaisseur sont comparables à ceux du littoral oranais ; toutefois, les surfaces sont généralement plus soignées, comme l’atteste le polissage de certains tessons qui n’est pas sans rappeler les techniques de la céramique néolithique saharienne.
46Mais, plus riches encore d’enseignement, apparaissent l’analyse des décors et l’étude de leur composition qui permettent de reconnaître quelques influences méridionales qui ne font pas oublier les grandes affinités de cette céramique avec celle du littoral oranais (Néolithique méditerranéen).
47Si l’on compare les décors de Columnata à ceux du Néolithique oranais, on peut faire les constatations suivantes :
1. Les bourrelets décorés de coups d’estèques ou d’impressions diverses (demi-cercles et lunules surtout) sont plus nombreux et doivent être mis en relation avec la plus grande rareté des éléments de préhension.
2. Les incisions sont moins fréquentes et remplacées par des cannelures et surtout des coups d’estèques, courts, atteignant rarement 1 cm de longueur.
3. Les motifs impressionnés sont plus nombreux et variés : chevrons incomplets constitués de coups d’estèques différemment inclinés, quadrillages plus serrés que sur le littoral, impressions allongées légèrement plus renflées au centre peut-être obtenues avec un instrument en os ou en bois de section ovale, un sillon d’impression exécuté à l’aide d’une baguette quadrangulaire, ponctuations et impressions de tige creuse déjà connus sur le littoral. En revanche, quatre tessons sont décorés à l’aide d’un peigne ; ce qui atteste une influence méridionale indéniable lorsqu’on évoque l’usage généralisé du peigne au Sahara et qui apparaît déjà dans toute la zone occidentale du Néolithique de tradition capsienne, alors qu’il est inconnu sur le littoral oranais. Quoique n’appartenant pas au gisement de Columnata, un motif obtenu par impression pivotante, d’origine méridionale ou cardiale, est à signaler dans le gisement de la Vigne Serrerò (région de Tiaret).
48Ainsi, l’enrichissement des décors impressionnés qui prévalent sur les décors incisés, la bonne qualité de la pâte et l’apparition de certains motifs ignorés dans le Tell permettent de déceler des influences sahariennes.
Tessons néolithiques de Columnata (Photo A. Bozom)
Tessons néolithiques de Columnata (Photo A. Bozom)

49Mais le fond conique des vases et la composition des motifs permettent, en revanche, de rattacher la céramique de Columnata à celle du littoral oranais : on y retrouve la même localisation des décors dans la partie supérieure de la poterie, la même répartition des motifs en bandes, galons qui ceinturent la panse, la même disposition des quadrillages et – ce qui est moins banal – la tendance à l’élaboration de motifs verticaux de triangles et de chevrons emboîtés faits de la jonction de cannelures et de hachures.
50La céramique de Columnata issue d’un jeu complexe d’influences venues du Nord et des régions méridionales s’explique par la position géographique de cette région charnière du Tell méridional.
La hache de bronze (P. Cadenat)
51Une très belle pièce a été recueillie en novembre 1956, à proximité des ruines de Columnata. Un labour profond l’avait remontée à la surface d’un champ que limite le ravineau appelé Chobet Zeflah (carte au 1/ 50 000e feuille 187, Waldeck-Rousseau, x = 393,2-y = 240,8).
52C’est une hache de petite dimension, plate, subtrapézoïdale à tranchant élargi et légèrement arrondi. Elle est revêtue d’une patine vert brun foncé avec des boursouflures dues à son long séjour dans la terre. Mais il ne semble pas que l’altération ait attaqué le métal en profondeur.
53Au moment de sa découverte elle pesait 98 grammes et mesurait :. longueur absolue 103 mm, largeur au tranchant 48 mm, au talon 22 mm, épaisseur maximum 5 mm. D’après l’analyse chimique l’alliage contient :
cuivre.................91,80 %
étain.................. 7,60 %
fer.................... 0,10 %
antimoine.............. 0,02 %
pertes et indosés......... 0,48 %
54La teneur en étain la rapproche de bijoux trouvés dans la nécropole de Gastel*. Par sa forme elle est identique à la hache de Kharrouba près de Mostaganem mais elle ne peut être comparée aux quatre autres haches précédemment connues en Algérie, soit que ces dernières appartiennent à un autre type (St Eugène, Musée d’Alger), soit qu’elles n’aient pas été décrites ou qu’elles soient perdues (Cherchel, Lamoricière). En revanche elle est presque identique à celle trouvée à Kharrouba (Mostaganem) actuellement au Musée de Figeac. Elle s’apparente aussi à deux haches du Maroc (Oued Akrech et Musée de Tétouan), mais sa forme est plus harmonieuse.
Hache de bronze de Columnata
Hache de bronze de Columnata

55Une origine ibérique paraît la plus vraisemblable : elle se rattache en effet à la phase ancienne de la civilisation d’El Argar.
56Ce document exceptionnel et d’autres non moins rares trouvés aux environs de Tiaret, notamment une pointe à la « Vigne Serrerò », un poinçon à la « Vigne Boubay », témoignent de l’existence d’un Age du Bronze au Maghreb central.