Djedar, ou mieux Djidar, désigne, en arabe, une construction, un mur. Pour les archéologues du Maghreb, les Djedars sont des mausolées de la région de Frenda (wilaya de Tiaret, Algérie) de plan carré et à couronnement pyramidal qui s’élèvent sur deux collines, le Djebel Lakhdar au nord et le Djebel Araoui au sud. La première de ces nécropoles compte trois mausolées, traditionnellement désignés, depuis R. de la Blanchère, par les lettres A, B et C. Les mausolées du Djebel Araoui sont au nombre de dix : ce sont les Djedars D à M. Ces précisions ont été rendues nécessaires à la suite des confusions introduites par S. Gsell qui, dans Les Monuments antiques de l’Algérie, ne décrit que deux djedars du Djebel Lakhdar (qu’il appelle Dj. Hadjar) les mausolées A et B et un seul du Djebel Laraoui, à Ternaten, le plus grand de tous, qu’il désigne à tort sous la lettre C, alors qu’il s’agit du monument F de la nomenclature de R. de la Blanchère.
2Ces monuments attribués à l’Antiquité tardive n’ont guère retenu l’attention malgré leur aspect grandiose. Seul, parmi les auteurs arabes, Ibn er-Rakik, un chroniqueur du xe siècle, cité par Ibn Khaldoun (Histoire des Berbères, 1, p. 234 et 11, p. 540), mentionne trois de ces monuments en dos d’âne de la région de Tiaret qui, suivant une inscription lue au sultan fatimite El Mansour, auraient été élevés par « Soleïman le Sederghos » pour commémorer une victoire remportée sur des rebelles. Il est difficile de ne pas reconnaître sous ce nom et ce titre le Stratège Solomon, lieutenant puis successeur de Bélisaire lors de la reconquête byzantine de l’Afrique. Mais il est impossible d’attribuer les monuments du Djebel Lakhdar à cette époque (cf infra).
3C’est à R. de La Blanchère que l’on doit les descriptions les plus complètes de ces monuments découverts en 1842 par le Cdt Bernard ; après l’analyse de S. Gsell qui reprend les plans de Mac Carthy et de La Blanchère, il faut attendre les importants travaux de F. Kadra en 1968-1969, pour obtenir une documentation et une étude fondées sur des fouilles régulières. Celles-ci portèrent sur les monuments du Djebel Lakhdar.
Les Djedars du Djebel Lakhdar
4F. Kadra commença par dégager le Djedar A qui se révéla le plus important en raison des éléments architecturaux constituant un ensemble cultuel du plus haut intérêt. Ce monument domine la plaine de 100 m environ ; son soubassement, qui est un carré imparfait, mesure selon les faces de 34,30 m à 34, 80 m de longueur. Les murs de façade sont constitués de huit lits de pierre de taille soigneusement assisées ayant de 1 à 1,50 m de long. Ces façades s’élèvent de 3,20 m à 3,85 m au-dessus du sol. Le couronnement pyramidal était constitué de gradins de plaques calcaires qui cachaient un noyau de moellons liés par un mortier de chaux. La hauteur totale atteignait 17 m.
5F. Kadra mit au jour une enceinte limitant une vaste cour de plus de 50 m de côté qui avait été en partie remblayée. Sur la face est, cette enceinte délimite un podium sur lequel s’élève un petit monument cultuel possédant une étroite porte à glissière dans laquelle était mue une roue de pierre qui a été conservée. Le long de la façade orientale du Djedar, en face de cet édicule, était disposée une rangée de six auges de pierre, sans doute destinées à des libations ou des offrandes. Comme dans le Médracen, l’entrée du monument était cachée dans les degrés de la façade est. Un couloir conduisait à une galerie en U qui enserrait un noyau central sauf à l’ouest. A chacun des angles de la galerie étaient aménagées deux chambres contiguës. Les encastrements des linteaux et des pieds-droits rappellent davantage des montages de menuiserie que des dispositifs architecturaux
6Contrairement à ce que pensait S. Gsell, la décoration du Djedar A est entièrement originale. Il ne fut trouvé aucun bloc de remploi dans ce mausolée, contrairement à ceux de Ternaten et c’est par erreur qu’il attribue à ce monument une inscription en remploi datée de 486. Les linteaux sculptés des portes intérieures portent un décor géométrique bien connu dans les basiliques et édifices chrétiens. Ce décor est à base de défoncements à section triangulaire, de chevrons, de rosaces à six pétales, d’étoiles, autant de motifs qui évoquent, eux aussi, le travail du bois et qui se retrouvent, incisés, sur les épi-taphes d’Altava et même de Volubilis. A ce décor géométrique s’ajoute un décor figuratif en relief découvert par F. Kadra. A l’exception d’une colombe qui orne le linteau de l’une des chambres intérieures, les figures animales n’apparaissent que sur le revêtement du soubassement du djedar et sur la face extérieure de la grande enceinte de l’area funéraire. Ces figures sont en relief plat ; ce sont des colombes affrontées de part et d’autre d’un calice, un oiseau à longue queue (colombe* ou paon) devant un bassin, deux chevaux rendus d’une manière très maladroite, un bovin, une antilope bubale, un félin. Trois scènes où figurent des personnages retiennent particulièrement l’attention. C’est en premier lieu un gisant nu représenté naïvement. La seconde, située sur la façade méridionale de l’enceinte, représente une chasse à l’autruche menée par un cavalier figuré de face alors que la monture et l’oiseau sont en profil absolu, un chien, qui précède deux chasseurs à pied, complète la scène. Plus intéressante par son symbolisme, la dernière scène représente un personnage vu de face entre deux figurations animales, à sa gauche un cheval qu’il tient par la bride, à sa droite un félin dont il semble se protéger à l’aide d’un petit bouclier rond. Nettement plus grand que les animaux, figuré de face dans une nudité héroïque, alors que le cheval et le félin sont représentés de profil, l’homme apparaît comme un « maître des animaux ». Dans ces trois scènes le personnage représenté ne peut être que le prince défunt pour qui fut élevé le monument.
7F. Kadra a montré que le Djedar A, malgré ses structures intérieures complexes, fut construit autour d’un « noyau » lui aussi de plan carré. Le même programme de construction explique la structure du Djedar C ; celui-ci présente également un système de galerie et de chambres qui enserrent, sans l’entourer complètement, un noyau central carré. Le Djedar C a les mêmes dimensions que le monument A, la longueur moyenne des façades est de 34,60 m ; la longueur des blocs oscille entre 1 m et 1,40 m. Le soubassement possède le même nombre de lits mais ne possède aucun décor. Le Djedar C est beaucoup plus bas que le monument A, le couronnement est réduit à quelques degrés et le faible volume des déblais accumulés au pied du soubassement indique que le couronnement pyramidal était, dès l’origine, de faible hauteur, reproduisant plus fidèlement que les autres monuments le schéma habituel de la bazina* à degrés de plan carré. F. Kadra pense plutôt que le djedar dépourvu de monument cultuel, demeura inachevé. On ne partage pas cette opinion quand on remarque que ce monument reçut une dédicace qui fut, comme celle du Djedar A, placée sur la face est, dans l’axe de la galerie d’accès. Cette inscription est malheureusement illisible, mais il serait surprenant qu’un monument funéraire inachevé ait néanmoins reçu l’épitaphe de la personne à qui il était destiné.
8Le Djedar B est le plus petit du Dj. Lakhdar ; ses façades mesurent chacune 11,55 m et le soubassement atteint, avec ses 6 assises, 2, 75 m de hauteur. Le couronnement pyramidal est entièrement détruit. Comme sur les deux autres monuments, les degrés étaient constitués de plaques calcaires soigneusement dressées. Le Djedar B ne possède pas le système complexe de galeries et de chambres enserrant le noyau central, comme dans les deux autres djedars du Dj. Lakhdar. A vrai dire, le monument est réduit à ce noyau central qui recouvrait une fosse funéraire ; celle-ci fut fouillée par le Dr Roffo qui malheureusement ne publia jamais les résultats de cette fouille. Les travaux de dégagement de F. Kadra ont permis de reconnaître que la fosse dont les côtés étaient limités par des dalles plantées de chant, avait renfermé un cercueil en bois.
Les Djedars du Djebel Araoui ou de Ternaten
9La nécropole de Ternaten, au sommet du Djebel Araoui, compte une dizaine de monuments, en grande partie ruinés, sauf le plus grand, le djedar F appelé localement Ternaten et aussi le « keskes » en raison de sa forme en pain de sucre qui est celle du récipient en vannerie qui sert à faire cuire à la vapeur la semoule du couscous. Son aspect arrondi est dû à l’érosion et aux glissements qui affectèrent un couronnement pyramidal identique à celui des autres djedars. Malheureusement, ce vaste monument ne fit l’objet que de descriptions à différentes époques depuis le milieu du siècle dernier ; s’il fut sondé par des chercheurs de trésor, aucune fouille archéologique n’y fut jamais entreprise.
10Le Djedar F a, comme tous les djedars, un soubassement carré. Il mesure 46 m de côté (sauf à l’Est où la façade n’a que 45,70 m de longueur) et 2,50 m de hauteur. Le couronnement était constitué d’une masse de dalles et de moellons liés au mortier de chaux recouverts de gradins de 0,20 m de haut ; on peut, selon F. Kadra, estimer à 16 m environ l’élévation du couronnement terminé par un pyramidion et à 18, 50 m la hauteur totale du djedar. Ce monument présente les aménagements intérieurs les plus complexes et les plus achevés. Deux galeries concentriques, de plan carré, qui réunissent respectivement un chapelet de douze et de six chambres, constituent un double déambulatoire qui permet de circuler autour de deux chambres centrales dont la fonction sépulcrale ne fait pas de doute. Une galerie axiale qui s’ouvre au milieu de la façade est du soubassement, au niveau du sol naturel, traverse d’est en ouest le système du double déambulatoire, pour atteindre directement les deux chambres funéraires au centre du mausolée. Ces chambres voûtées ont une hauteur de 4 m, les voûtes en plein cintre prennent naissance à partir de 1,95 m, alors que les couloirs qui réunissent les chambres du déambulatoire ne dépassent pas une hauteur de 1,25 m. A l’inverse de ce qui a été observé au Djebal Lakhdar, les pierres de remploi sont très nombreuses dans le Djedar F, inscriptions, voussoirs, encastrements de porte et blocs divers décorés de motifs chrétiens permettent de fixer un terminus a quo (Cf. infra), mais une décoration originale de grand intérêt, sous forme de fresque, subsiste dans les deux chambres centrales. R de La Blanchère avait déjà décrit sommairement ces peintures qu’il comparait avec les œuvres les plus récentes des catacombes romaines. F. Kadra a pu encore discerner parmi les débris de peinture, de couleur bleu et rouge, un personnage vu de face dont la tête est nimbée ; il est revêtu d’une tunique blanche et porte un manteau sur les épaules. La main droite tient une crosse. D’après R. de La Blanchère on aurait encore distingué, peu avant son exploration, le cheval sur lequel ce personnage était monté. Toujours selon ce même auteur une autre scène aurait représenté deux personnages assis qui paraissaient converser, à l’arrière-plan apparaissaient les traces d’un paysage.
11Les autres djedars de Ternaten présentent les mêmes caractères mais sont tous plus petits que le monument F. Le Djedar D avait 16 m de côté, son couronnement pyramidal a été en grande partie détruit par des pillards à la recherche de trésors ; des alignements de murs sont décelables autour du monument. Le Djedar E, plus petit, possédait des aménagements intérieurs comparables aux djedars A et C du Djebel Lakhdar. On y reconnaît le noyau central enserré par une galerie. Le Djedar G mesure 25 mètres de côté et possède un monument cultuel devant la face est. Les Djedars H et I sont, le premier, complètement arasé, le second, réduit à l’état d’un tumulus dont l’amoncellement des matériaux cache toute structure, il en est de même pour les monuments K, L et M. Le Djedar J est un peu mieux conservé bien que le couronnement pyramidal ait en grande partie disparu ; dans le soubassement des structures complexes, peu discernables, déterminent des cellules triangulaires. Ce djedar est, par ses dimensions (les côtés mesurent en moyenne 30 m), le second de la nécropole du Djebel Araoui. Le monument disposait d’une annexe cutuelle à l’est et d’une enceinte faite d’un mur à double parement.
12Personne ne met en doute que les djedars soient des monuments funéraires, vraisemblablement des mausolées d’une ou plusieurs familles princières de l’Antiquité tardive, contemporaines de la domination vandale. La multiplicité des chambres intérieures dans les Djedars A (huit chambres), D (5 chambres), F (16 chambres rectangulaires et 4 cellules carrées) et E (structure intérieure semblable à A) a fait penser que ces monuments importants ne servait pas de sépulture unique. F. Kadra défend l’hypothèse de sépultures collectives et pense que toutes ou la plupart des chambres, au moins dans les Djedars A et C, avaient reçu des sépultures. Elle en voit pour preuve les traces, dans plusieurs chambres, de banquettes en briques qui auraient servi de lits funéraires. En admettant que ces banquettes aient effectivement eu cette fonction, on peut trouver étrange que dans un monument aussi soigneusement construit, on ait utilisé de simples briques, grossières, pour édifier sommairement ces banquettes élevées au rang de lits funéraires. Quand on examine attentivement la structure interne des Djedars A, C et E, on remarque que les galeries et chambres enserrent un noyau central de plan carré qui fut indubitablement la partie primitive de la construction. Or, dans le Djedar B dont le « noyau primitif » constitue la totalité du monument, la fosse sépulcrale creusée dans le sol naturel est cachée par le tumulus ; on songe à une disposition analogue dans les Djedars A, C et E dont la partie centrale, normalement consacrée à la sépulture, est précisément constituée par ce noyau carré. Si comme il est suggéré ici, les sépultures des monuments A, C et E se trouvaient dans ou sous le noyau central, à quoi servaient les chambres réparties autour de ce noyau central ? On y voit volontiers l’aboutissement ultime des « chapelles » qui, sans relation directe avec la sépulture, pénètrent dans la masse de certains tumulus ou bazinas* (cf Djorf Torba*) et servaient au culte funéraire peut-être même de lieu d’incubation* ce qui justifierait la présence de banquettes. Ces « chapelles » ont des plans et des formes diverses. Celles digitées, munies de diverticules, des bazinas rectangulaires de Taouz, dans le Tafilalet, semblent être les prototypes des galeries et chambres des djedars. Ces dispositifs cultuels atteignent leur plein développement dans le Djedar F de Ternaten où le système de galeries et de chambres constitue un double déambulatoire autour des deux chambres centrales qui servirent certainement de sépultures. Il est cependant une disposition architecturale qui va à l’encontre de la fonction cultuelle des structures internes, c’est l’existence d’un édicule à l’est des Djedars A, B et J, dans lequel F. Kadra voit une chambre destinée précisément au rite de l’incubation mais on peut tout aussi bien penser à un local destiné soit à l’exposition du mort soit à des cérémonies liées au culte funéraire.
Chronologie des Djedars
13Pour dater les djedars on disposait traditionnellement de plusieurs éléments : le style des décorations, l’épigraphie et l’âge des pierres utilisées en remploi. Le comptage du C 14 est venu, plus récemment, compléter ces données. L’examen des modes de construction montre que les trois djedars du Djebel Lakhdar sont plus anciens que ceux du Djebel Araoui (du moins le Djedar F qui est le mieux connu). Dans cette nécropole le remploi de matériaux, tirés d’agglomérations romaines voisines sans doute déjà ruinées, est systématique, alors que cette pratique est inconnue au Djebel Lakhdar.
14Sur la façade du Djedar A était située dans l’axe de la galerie une dédicace, malheureusement mutilée et d’interprétation désespérée. Le peu qui en subsiste laisse deviner le titre d’EGREGIV(S) en ligne 2 et de DVC(I) en ligne 5 suivi, un peu plus loin, de la mention PROVINCIA. Ces données éparses incitent à penser que ce monument avait été construit pour un personnage qui, comme Nubel ou Firmus et ses frères, avait exercé, en plus de ses fonctions tribales, des commandements romains importants. Les croix pattées gravées en relief à droite de l’entrée du monument cultuel du Djédar B et sur la façade septentrionale du Djedar A nous font penser que, comme les autres princes maures contemporains, les occupants de ces monuments étaient de religion chrétienne. Une inscription, totalement illisible était gravée sur la façade orientale du Djedar C, mais un fragment de bois conservé dans le mortier a été soumis à l’analyse du C 14 et accuse un âge de 1630 ± 60 ans, soit 320 après J.-C. Un autre fragment de bois, provenant du cercueil du Djedar B est vieux de 1450 ans (410 après J.-C).
15C’est d’une période encore plus récente que datent le Djedar F et sans doute les autres monuments mal connus du Djebel Araoui. Le personnage nimbé de l’une des chambres funéraires, l’abondance des pierres de remploi portant des symboles chrétiens et surtout les nombreuses inscriptions, municipales ou funéraires, réutilisées dans la construction de ce monument permettent de proposer la première moitié du vie siècle comme la période la plus ancienne de la construction de ce monument. Les épitaphes datées, trouvées à l’intérieur de ce djedar, s’échelonnent, en effet, de 433 à 490.
Parentés et origines des Djedars
16Par leur structure, leur aspect général, les aménagements extérieurs, les djedars sont des monuments paléoberbères dont les origines remontent à la Protohistoire. Ils se distinguent cependant des grands mausolées royaux préromains de Numidie (Médracen*) et de Maurétanie (Tombeau de la Chrétienne*) par leur élévation moindre et leur plan carré, disposition à peu près inconnue dans le Tell alors qu’elle caractérise les monuments du Sahara occidental, du Tafilalet et de la Hamada du Guir en particulier. Dans l’ensemble les djedars évoquent des traditions plus sahariennes que telliennes. Leur situation même, à la limite du Tell et au voisinage du limes romain incite à rechercher dans les régions méridionales l’origine de la famille qui les fit édifier en restant fidèle, malgré sa conversion au christianisme, aux traditions funéraires paléoberbères. En revanche, les nombreuses marques dites de tâcheron, et qui sont celles des entreprises chargées du transport et de la construction, évoquent indubitablement la province romaine et les régions septentrionales du Maghreb. F. Kadra a minutieusement recensé ces noms gravés sur les blocs ; on y lit, en plusieurs exemplaires Ballenis, Acoraiu, Ami, Cillia, Cilloa, Zarutum, Bannopus (ou Bannorus), Istilani. Plusieurs furent écrits de droite à gauche, comme le punique et le libyque horizontal. On retrouve dans cette courte liste des formes nettement africaines qui invitent à certains rapprochements ; ainsi Ballenis évoque à la fois, Ballene Praesidium* (L’Hilil) et le nom d’un chef mazique de l’Ouarsenis : Bellen ; Acoraiu évoque le Mons Anchorarius* que l’on identifie soit à l’Ouarsenis soit au Dahra. Plus curieux, est le rapprochement que suggère la marque CILLA que l’on retrouve semble-t-il sur un bloc (sous la forme ILLA) de l’oppidum de Sidi Medjahed, éperon formé par un méandre de la Tafna, à 12 km au sud de Marnia, soit à quelque 160 km à l’ouest des djedars. Ce rapprochement serait trop risqué si le nom bien lisible de TERNATEN, gravé à la pointe sur le crépi du même oppidum, ne venait renforcer les liens entre les deux sites qui paraissent contemporains à en juger par la paléographie, les éléments décoratifs chrétiens et le mode de construction faisant largement appel au mortier de chaux. Les comparaisons entre les deux sites sont telles qu’on peut se poser la question de savoir si le « petit fortin » carré de 7,50 m de côté, reconnu par E. Janier sur une hauteur voisine de Sidi Medjahed, n’est pas, en fait, un monument funéraire du type des djedars.
Les Djedars et les royaumes berbéro-romains des ve et vie siècles
17Pour qui fut édifié cette imposante série de monuments funéraires ? Avant de répondre il importe de signaler la durée de construction et la longue fréquentation des djedars. Comme il a été dit ci-dessus, les éléments chronologiques au Djebel Lakhdar permettent d’attribuer au ive siècle et au début du Ve les monuments A et B, tandis que le grand djedar de Ternaten (Djebel Araoui) leur est postérieur de plus d’un siècle. Les autres monuments, dont certains (Djedars C et J) sont aussi imposants attestent de la durée de la dynastie ou du moins du clan qui, au cours du dernier siècle de la domination romaine et pendant l’époque vandale, imposa son autorité sur la région. Quelle était l’étendue de ce territoire que d’aucuns, depuis C. Courtois, appellent le Royaume des Djedars, ou encore Royaume de Tiaret ?
18Deux thèses s’affrontent : le point de vue fractionniste de C. Courtois qui tendait à multiplier les « royaumes berbères » au cours du vie et viie siècles ; c’est ainsi qu’en Maurétanie Césarienne, le « Royaume d’Altava » documenté par la célèbre inscription du roi Masuna serait distinct du « Royaume des Djedars », tandis qu’aux confins de la Numidie et de la Maurétanie se serait constitué le Royaume du Hodna sous l’autorité de Vartaïa (Ortaïas chez Procope). Au nord, en Petite Kablie, naissait la puissance des Ukutamani (futurs Ketama du Haut Moyen Age) dont un roi laissa une importante dédicace proclamant sa foi chrétienne. Quant à laudas, maître de l’Aurès, son intention était bien évidemment de contrôler toute la Numidie.
19L’autre thèse, que nous soutenons, tend à montrer que le cadre provincial-romain subsista dans cette « Afrique oubliée » et que les royaumes romano-berbères se constituèrent à partir du ve siècle en respectant plus ou moins les anciennes limites entre les provinces. On serait assez porté à penser que les Djedars furent construits pour une ou deux dynasties (celle du Djebel Lakhdar, la plus ancienne, et celle de Ternaten, au Djebel Araoui) qui, vraisemblablement originaires du sud du limes régnèrent sur l’ensemble de l’ancienne Maurétanie césarienne et peut-être même sur la partie orientale de la Maurétanie tingitane tant sont fortes, à l’époque, les rapprochements culturels et politiques, voire les liens personnels entre les villes de Maurétanie césarienne occidentale et la région de Volubilis. Il n’est pas possible d’affirmer que Masuna ait été, après 508, l’un des constructeurs des djedars mais il semble bien avoir eu pour successeur, direct ou indirect, le roi Mastinas (ou Mastigas) dont Procope dit qu’il contrôlait, vers 535-539, la Maurétanie seconde ; de lui « dépendaient et étaient tributaires tous les secteurs de la région, à l’exception de la cité de Césarée (où)... les Romains ne sont pas en mesure d’y aller par voie de terre car dans cette région vivent les Maures » (La Guerre contre les Vandales, II, XXX, 30. Traduction D. Roques). Trente années plus tard le roi des Maures (et des Romains de Maurétanie) est un certain Garmul dont Jean de Biclar dit qu’il est un souverain très puissant qui vainquit successivement le Préfet d’Afrique Théodore (569), le magister militum Thevestinos et en 571, un autre magister militum, Amalis. Garmul est battu et tué en 579. C’est à lui ou à l’un de ces successeurs que l’on peut attribuer le Djedar F qui paraît être le plus ancien du Djebel Araoui, ce qui laisse entendre que la dynastie subsista jusqu’au viie siècle et eut à subir le choc de la conquête arabe.
Bibliographie
Procope, La Guerre contre les Vandales, trad. D Roques, Paris, les Belles Lettres, 1990.
Jean de Biclar, in Chroni. Minor, édit. Mommsen, p. 213.
Ibn Khaldoun, Histoire des Berbères, trad. de Slane, 2e édition, Paris, 1927, t. II, p. 540.
Longperrier A de, « Les tumulus du Djebel el Akhdar dans la province d’Oran », Rev. archéol, t. I, 1845, p. 565-572.
Cdt Bernard, « Les Djeddars de la haute Mina ». Rev. afr., T. I, 1856-1857, p. 50-52.
La Blanchère R. de, « Voyage d’études en Maurétanie césarienne ». Archiv. des Missions, IIIe série, t. 10, 1883, 78-80 et 418-427.
Diehl Ch., L’Afrique byzantine, Paris, 1896.
Gsell S., Monuments antiques de l’Algérie, Paris, Challamel, 1901, t. II, p. 418-425.
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Cadenat P., « Vestiges paléochrétiens dans la région de Tiaret ». Libyca, Archéol. Epigr., t. 5, 1957, p. 77-103.
Marion J., « L’éperon fortifié de Sidi Medjahed (Oranie) », Libyca, Archéol, Epigr., t. 7, 1959, p. 27-41.
Camps G., Aux origines de la Berbérie, Monuments et rites funéraires protohistoriques, Paris, A.M.G., 1961, p. 215 et (bibliographie exhaustive) 590-591.
Id., « Les monuments à déambulatoire dans l’Afrique du Nord antéislamique ». Atti del 1° Congr. inter. di Studi nord-africani, Cagliari, 1965, p. 37-43.
Id., « Les tumulus à chapelle du Sahara protohistorique ». Trav. du LAPEMO, 1979.
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Kadra F. Les Djedars, monuments funéraires berbères de la région de Frenda (wilaya de Tiaret). Alger, 1993.
Les Djedars et les royaumes berbéro-romains des ve et vie siècles
17Pour qui fut édifié cette imposante série de monuments funéraires ? Avant de répondre il importe de signaler la durée de construction et la longue fréquentation des djedars. Comme il a été dit ci-dessus, les éléments chronologiques au Djebel Lakhdar permettent d’attribuer au ive siècle et au début du Ve les monuments A et B, tandis que le grand djedar de Ternaten (Djebel Araoui) leur est postérieur de plus d’un siècle. Les autres monuments, dont certains (Djedars C et J) sont aussi imposants attestent de la durée de la dynastie ou du moins du clan qui, au cours du dernier siècle de la domination romaine et pendant l’époque vandale, imposa son autorité sur la région. Quelle était l’étendue de ce territoire que d’aucuns, depuis C. Courtois, appellent le Royaume des Djedars, ou encore Royaume de Tiaret ?
18Deux thèses s’affrontent : le point de vue fractionniste de C. Courtois qui tendait à multiplier les « royaumes berbères » au cours du vie et viie siècles ; c’est ainsi qu’en Maurétanie Césarienne, le « Royaume d’Altava » documenté par la célèbre inscription du roi Masuna serait distinct du « Royaume des Djedars », tandis qu’aux confins de la Numidie et de la Maurétanie se serait constitué le Royaume du Hodna sous l’autorité de Vartaïa (Ortaïas chez Procope). Au nord, en Petite Kablie, naissait la puissance des Ukutamani (futurs Ketama du Haut Moyen Age) dont un roi laissa une importante dédicace proclamant sa foi chrétienne. Quant à laudas, maître de l’Aurès, son intention était bien évidemment de contrôler toute la Numidie.
19L’autre thèse, que nous soutenons, tend à montrer que le cadre provincial-romain subsista dans cette « Afrique oubliée » et que les royaumes romano-berbères se constituèrent à partir du ve siècle en respectant plus ou moins les anciennes limites entre les provinces. On serait assez porté à penser que les Djedars furent construits pour une ou deux dynasties (celle du Djebel Lakhdar, la plus ancienne, et celle de Ternaten, au Djebel Araoui) qui, vraisemblablement originaires du sud du limes régnèrent sur l’ensemble de l’ancienne Maurétanie césarienne et peut-être même sur la partie orientale de la Maurétanie tingitane tant sont fortes, à l’époque, les rapprochements culturels et politiques, voire les liens personnels entre les villes de Maurétanie césarienne occidentale et la région de Volubilis. Il n’est pas possible d’affirmer que Masuna ait été, après 508, l’un des constructeurs des djedars mais il semble bien avoir eu pour successeur, direct ou indirect, le roi Mastinas (ou Mastigas) dont Procope dit qu’il contrôlait, vers 535-539, la Maurétanie seconde ; de lui « dépendaient et étaient tributaires tous les secteurs de la région, à l’exception de la cité de Césarée (où)... les Romains ne sont pas en mesure d’y aller par voie de terre car dans cette région vivent les Maures » (La Guerre contre les Vandales, II, XXX, 30. Traduction D. Roques). Trente années plus tard le roi des Maures (et des Romains de Maurétanie) est un certain Garmul dont Jean de Biclar dit qu’il est un souverain très puissant qui vainquit successivement le Préfet d’Afrique Théodore (569), le magister militum Thevestinos et en 571, un autre magister militum, Amalis. Garmul est battu et tué en 579. C’est à lui ou à l’un de ces successeurs que l’on peut attribuer le Djedar F qui paraît être le plus ancien du Djebel Araoui, ce qui laisse entendre que la dynastie subsista jusqu’au viie siècle et eut à subir le choc de la conquête arabe.
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