Huit années se sont déjà écoulées depuis que nous a quittés Chérif Kheddam après des décennies, au cours desquelles il n’a cessé d’enrichir la chanson kabyle, avec des innovations, au sens le plus noble du terme. Chérif Kheddam est le genre d’artiste qui ne se « répète » guère dans la même société. Certains jeunes artistes en herbe, ont tenté vainement bien sûr, de se lancer sur ses traces en adoptant son style musical qui est un mélange harmonieux entre le folklore kabyle traditionnel, la musique orientale et la touche universelle.
Une école inimitable
Chérif Kheddam reste donc une école certes, mais qu’on ne peut pas imiter quand bien même on serait son fan le plus invétéré. Sur le plan musical d’abord : Chérif Kheddam a, dès sa première chanson, fait prendre un nouveau virage à la chanson kabyle qui était auparavant plus penchée sur le style folklorique et sur le genre en vogue à l’époque, le chaâbi. Chérif Kheddam, tout en conférant l’univers bien ancré et le cachet kabyle à ses mélodies, a réussi à donner un nouveau souffle à cette chanson qui allait virer vers plus d’universalité. Pour ce faire, Chérif Kheddam n’a pas opté pour la facilité en adoptant la chansonnette. Il est allé encore plus loin. Il a enrichi la chanson kabyle avec une orchestration inédite et variée qui lui manquait tant. Puis, il a mis un terme à la monotonie qui pouvait à la longue lasser le mélomane. A l’époque, et comme tous les connaisseurs ne l’ignorent pas, la chanson kabyle avait une spécificité : tous les artistes kabyles ou presque accordaient beaucoup plus d’importance aux poèmes qu’à la musique. La mission de Chérif Kheddam s’avérait difficile. Il fallait donc impérativement maintenir le verbe aussi haut que ne l’avaient hissé tous ses pairs à l’instar de Slimane Azem et Cheikh El Hasnaoui.
Une musique bouleversante
Tout en mettant le cap donc sur l’aspect musical, Chérif Kheddam a réussi avec brio à ne pas négliger le côté poétique. Il a écrit des poèmes de haute facture tout au long de sa carrière. Il a même exploré, avec maîtrise, des thèmes pour la première fois. Dans certains cas, il a traité certains sujets sous des angles inexplorés jusque-là. L’un des exemples les plus édifiants est son chef-d’œuvre « A lemri ». Cette chanson résume, à elle seule, ce qu’est Chérif Kheddam. Une musique bouleversante où l’on devine aisément les efforts incommensurables déployés par Chérif Kheddam avant de lui apporter son point final. Puis, il y a cette manière de chanter l’amour en faisant appel au miroir, ce témoin tant envié et jalousé à la place duquel l’amoureux aurait tant aimé être en permanence. C’est d’ailleurs cette chanson, et plus particulièrement son texte, qui a tant envoûté un certain Tahar Djaout qui ne s’était pas privé d’en parler dans un article resté dans les annales à une époque où les verbes aimer et chanter avaient encore un sens très différent de celui que les générations d’aujourd’hui lui connaissent.
Le poème, une remarquable invitation
A l’époque, voir sa bien-aimée, ne serait-ce que pendant une fraction de seconde, était déjà un exploit et un haut fait d’armes en matière de sentiments. C’est pourquoi, le chanteur dit envier ce miroir qui peut « la » voir plusieurs fois par jour et longuement de surcroît. L’idée de ce poème est, à elle seule, une remarquable innovation. On regrette toutefois qu’un poème comme « A lemri » et bien d’autres, écrits et chantés par Chérif Kheddam, ne sont pas transmis, à leur juste valeur, aux nouvelles générations. Certes, les chansons de Chérif Kheddam sont souvent reprises, notamment par des chorales lors de différentes festivités culturelles et commémoratives. Mais on retrouve, dans bien des cas, les mêmes textes, deux ou trois tout au plus dont le mythique «Ledzayer nchallah atsehlou » ou encore « Achehal d avrid» … Huit années déjà sont passées depuis son décès qui avait plongé le monde artistique dans un deuil profond car Chérif Kheddam était aussi une personne pétrie de bonté et de qualités humaines, de l’avis de tous les artistes l’ayant connu de près.
Se remettre à écouter ses chansons à l’occasion de ce huitième anniversaire de sa disparition est le meilleur réflexe que tout un chacun pourrait avoir aujourd’hui. Et commencer par « A lemri » ne pourrait qu’ouvrir son appétit et nous inciter à aller plus loin. Bonne écoute.
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