Il se nommait Abou Abdellah Mohammed ben Omar el-Houari. Nul, dit-on, ne voyagea autant que lui; en effet, il visita l'Occident et l'Orient, alla sur mer et sur terre et partout où ses pas le menèrent, ce fut pour « solliciter d'Allah l'entrée dans l'Océan de son unité infinie» ! Pour un initié «être soufi c'est s'unir spirituellement à Dieu et tenter de parvenir à la perfection en délivrant l'âme des chaînes corporelles !» A l'instar des êtres d'exception, «sa réputation de savant comme ses mérites propres justifient amplement la grande vénération attachée à sa mémoire».
Selon cheikh Ibn Safouâne « - Le cheikh des cheikhs, modèle de constance et de fermeté sidi Mohammed ben Omar ben Okacha ben Sayed en-Nas El Maghraoui, surnommé el-Houari, etc. à en croire certains, serait originaire de Qalâat el Houara, dans la région de Mascara, pas loin de l'Hillil au cœur du pays des Beni Rached (d'où serait également issu le célèbre saint sidi Ahmed Ben Youssef el-Meliani 1433 - 1524)»
Il fit ses premières études à Fès sous la direction de Mouça el-Abdoucy (*) et d'el-Qabbab (**).
(*)- Abou Amran Mouça el-Abdoucy el-Façy fut un illustre professeur; muphti de Fès et porte-enseigne de la jurisprudence de son siècle, il mourut le 12 juin 1371.
(**)- Le docteur Abou el-Qacim ben Abderrahim el-Qabbab était un vertueux juriste; il écrivit un fameux commentaire sur l'ouvrage Qawa'id el-Islam du Qadi Ayyad ; il mourut à Fès en 1375.
La vingtaine à peine entamée, el-Houari se rendit ensuite à Bougie, ville dont il garda un impérissable souvenir; là il étudia chez les deux grands cheikhs : Ahmed ben Driss el Bedjaoui et Abderrahman el- Ouaghlicy.
(*) -Ahmed ben Driss el Bedjaoui mourut à Bougie en décembre 1358 ; on lui doit un commentaire célèbre sur le précis d'Ibn el-Hadjeb.
Sur la route de l'Orient, il s'arrêta en Egypte, le temps de suivre les leçons données par des disciples du grand maître Abou el Hassan Ali el-Qarafi (Celui-ci fut élève du cheikh Izz-Eddine Abdeslam. ; il mourut au Caire en 1304)
Après avoir accompli son pèlerinage rituel, s'étant acquitté de ses devoirs religieux, il demeura à La Mecque et à Medine, jusqu'à son départ pour Jérusalem; ensuite, il se rendit en Syrie. Dans tous les pays qu'il visita Sidi el-Houari chercha à fréquenter les savants, à assister aux cours des maîtres réputés pour leur savoir et la notoriété de leurs œuvres. Dans les zaouïas et les mosquées, les écoles religieuses et les universités on le vit assidu, passer des heures-et parfois des nuits entières-à recevoir des cheikhs (ou piliers de la chariaâ et de la sunna) la lumière de la Connaissance; les bibliothèques l'attiraient comme le miel, les abeilles. A Damas, il participa, semble-t-il, à des «samaâ», ces sortes d'assemblées restreintes où des maîtres de la pensée soufie présentaient leurs derniers écrits devant un aréopage de savants choisis !
«Lorsqu'il revint au pays pour finir de se fixer à Oran, il se voua entièrement à l'étude des sciences et à la pratique de la sainteté !» Il se rendait utile à tous ceux qui eurent le bonheur de l'approcher. «Sidi el Houari fut considéré comme le chef des mystiques ; ne dit-on pas à son propos qu'il était le cheikh des cheikhs, la langue de la vérité, le chef de ses émules, le sage de son époque ?»
D'entre ses adeptes les plus célèbres citons son disciple, le docte imam et grand poète sidi Brahim ben Mohammed ben Ali el-Lenty et-Tazy - qui fut, de surcroît, son suppléant à Oran (nous donnerons plus loin un résumé sur sa vie et ses œuvres).
Son ami le plus proche n'était autre que l'immense savant et grand saint Sidi Lahcen ben Makhlouf Aberkan (nègre en berbère) (*)
(*) - Le professeur Sidi Lahcen, un géant débonnaire de plus de deux mètres fut un symbole vivant de piété, de douceur et de générosité; nul ne peut se vanter de l'avoir dépassé en savoir et en science; il enseigna, entre autres, à La Mecque, puis Bougie et Tlemcen, à un nombre considérable d'illustres grands hommes parmi lesquels l'inégalable cheikh Mohammed Benyoucef es-Sanouci; il vécut centenaire ! (Lorsqu'il voulut rendre hommage à son ami Sidi el-Houari, il alla un jour à pied, des portes de Tlemcen jusqu'à Oran - et les pieds nus !)
Sidi el-Houari était crédité, affirme-t-on, de nombreuses karama qu'Allah dans son immense miséricorde lui avait accordées. Son serviteur Sidi Bekhti fut souvent témoin des faveurs que Dieu lui avait octroyées!
La biographie de Sidi el-Houari se trouve également contenue dans le célèbre ouvrage de Mohammed ben Saâd, intitulé: «Rawdat en-Nesrin
» et consacré aux quatre saints : sidi el-Houari, sidi Brahim Tazi, sidi Lahcen ben Makhlouf Aberkan et sidi Lahcen el-Ghomary.(*)
(*) - Mohammed ben Ahmed Ben Abou el Fadl Bensaïd, plus connu sous le nom de sidi Saâd, naquit à Tlemcen dont il devint l'un des plus grands savants. Ce docte lettré est l'auteur de (1)- L'astre resplendissant touchant les vertus des amis de Dieu (2)- Prière adressée à Dieu pour qu'Il bénisse le Prophète (3) Rawdat en-Nesrin ou: Le parterre des jonquilles, etc. (ouvrage cité plus haut)
Un poème composé en son honneur par un poète espagnol (Mohammed el-Arabi el Gharnati) commence ainsi:
- Quand tu iras à Tlemcen dis à son Prince Ibn Saâd
- Ta science est supérieure à toute science
- Et ta gloire est supérieure à toute gloire.
Il fut l'élève d'Ibn el-Abbes, d'el Hafidh et-Tenessy et de l'Imam Mohammed .Sanouci ; il mourut en 1496 au Caire. Un derb situé à Tlemcen face à l'ancienne bibliothèque royale de la Grande Mosquée (devenue Mahakma sous le régime colonial) Derb Sidi Saâd où se trouve son sanctuaire actuellement en réfection!
Précisons en outre que sidi el Houari fut l'auteur d'un ouvrage (destiné à l'origine aux enfants, d'après Sid Ali Tallouti) constitué de deux parties soit: La négligence, es-Sehou, et l'Avertissement, et-Tenbîh! Ce livre, «dans lequel il certifie que les prières faites auprès du tombeau de Sidi Boumédiène Choaïb sont exaucées», eut un retentissement notable dans les milieux soufis, en particulier, et lettrés, en général !
Nous lisons dans el-Boustan, page 154, dernier paragraphe ce qui suit: «-(d'après, el-Mellaly, disciple d'es-Sanouci..) Le cheikh Brahim Tazi était un lecteur assidu (de ce livre)
il le lisait chaque jour... J'ai lu écrites de sa main les paroles suivantes: «sidi Mohammed El Houari garantit à tous ceux qui liront assidûment (son livre) qu'ils auront toujours de quoi manger, boire et se vêtir ; il leur promet, en outre, le bonheur dans ce monde et dans l'autre. C'est ce qu'il dit expressément dans l'avertissement où il proclame l'excellence de son livre. Nous avons aussi entendu dire cela à sidi Brahim Tazi. Nous avons vu celui-ci lire des yeux le «Sehou», d'un bout à l'autre, plusieurs fois par jour; il faisait cette pieuse lecture pour s'attirer les bénédictions qui y sont attachées.»
A partir «du moment où sidi el-Houari vint se fixer à Oran il se voua essentiellement à l'étude des sciences divines, à la pratique du bien et à l'exercice de la perfection dans sa conduite, ce fut ainsi qu'il se rendit utile à tous ceux qui avaient eu le bonheur de le solliciter ou de l'approcher. Certains historiographes affirment qu'au plan de la sainteté nul ne peut lui être comparé.»
Par ailleurs, «vers la fin de sa vie la plupart de ses discours, de ses conférences ou de ses leçons contenaient l'annonce de la «Rahma», la miséricorde et de la clémence infinies de Dieu»
Il dénonçait l'injustice, défendait les victimes innocentes; il lui arrivait même grâce à sa karama de punir les brigands et les détrousseurs de voyageurs, comme ce fut le cas du grand scélérat Othman ben Mouça, lequel mourut sous d'atroces souffrances pour avoir volé et maltraité un proche protégé de sidi el-Houari.
«- Dans la mémoire populaire il est dit que ce vénérable saint fut un guide pour ses contemporains et un prêcheur chargé de répandre la grâce de Dieu. Il ne cessait jamais d'appeler les créatures dans la voie mohammedienne!»
Dans une étude publiée par une revue spécialisée, une sociologue écrit «- Aujourd'hui ceux qui se rendent au sanctuaire de sidi Mohammed el-Houari sont convaincus que l'état de perfection atteint de son vivant par ce saint vénéré partout, le rend inaltérable d'une part, et d'autre part imperméable aux changements à travers le temps. Ne représente-t-il pas une sorte d'archétype auquel on peut se reporter pour évaluer les conduites sociales à tenir en tout temps et en tout lieu ?»
Assurément sidi el-Houari «avait acquis un immense savoir à partir de diverses sources : sciences religieuses ou profanes, enseignements ésotériques appelés également connaissances cachées
A l'évidence, il sut tirer avantage surtout d'une longue pratique de la vie humaine; la sienne d'abord - n'oublions pas qu'il avait souffert dans sa chair à la suite de la mort de son fils (*)
(*) Quoique dramatique cet évènement était inscrit, somme toute, dans le registre de la Volonté Divine devant laquelle notre saint homme, sidi el-Houari, ne pouvait que se soumettre !
Ensuite, il accumula une riche expériences des gens: pauvres hères, ou rois et princes, savants ou dévots de tous pays, venus lui confier leurs problèmes, solliciter sa clairvoyance et sa sagesse. Ainsi, depuis des siècles sidi el-Houari était devenu une sorte d'homme charnière entre passé et présent, entre monde divin et monde humain. »
Le Docteur Imam cheikh Mohammed ben Youcef Sanouci Tilimçani a rapporté à travers ses écrits des témoignages hautement significatifs relatifs à la grandeur de sidi el-Houari, lesquels restent autant de références irremplaçables pour les chercheurs. Cet immense savant, auteur des impérissables suites d'el-aqîda (ou article de la foi), alors qu'il se trouvait à el-Qalâa Houara en visite au distingué maître sidi Soulimane ben Iça, entendit ce dernier lui raconter ceci: «- J'avais adressé à sidi el-Houari une missive par l'intermédiaire d'un envoyé; puis, craignant que celui-ci ne puisse retenir les termes exacts de la réponse du cheikh, je m'empressais d'aller le rejoindre à Oran. J'arrivais à l'instant même où mon messager remettait ma lettre à sidi el-Houari. De surprise, l'homme en me voyant surgir à l'improviste, laissa choir mon message par terre. Alors cheikh Mohammed el-Houari entreprit, sans même jeter un œil sur mon pli, de répondre ligne après ligne dans l'ordre des phrases que j'avais écrites à toutes les questions posées. Mieux encore ! il répondit «mentalement» aux autres questions que je n'avais pas encore formulées ! J'en fus si stupéfié que le cheikh, remarquant mon émoi, m'invita à écrire un poème sur cet événement !
Un autre exemple illustrant la baraka de sidi el-Houari fut relaté par cheikh es-Sanouci : « - Lors de mon passage à Ouencheris, dans la demeure de sidi Abdelhamid el-Asnouny (*) ce dernier m'avait appris ce qui suit:
(*) - « Le cheikh, le saint, le savant accompli, celui qui sous le rapport de la générosité et de la compassion pour les malheureux, était une insigne merveille de la puissance divine, sidi Abdelhamid el-Asnouny, avait été l'un des amis les plus intimes du cheikh sidi Lahcen ben Mekhlouf Aberkan !
« - J'étais en compagnie de sidi el-Houari, à Oran, dit-il, lorsque quelqu'un vint solliciter le cheikh sur une question scientifique litigieuse. Cheilh el-Houari lui répondit que seul Cheikh Ben Merzouk «lequel n'avait pas d'enfants» pouvait donner des éléments de réponse à son interrogation ! J'en fus abasourdi, ajouta Cheilh el-Asnouny, d'autant que je savais pertinemment que sidi Merzouk possédait deux fils !
A Tlemcen, je rencontrais sidi Lahcen Aberkan auquel je narrais dans le détail cette entrevue dont je fus témoin et surtout l'affirmation saugrenue de notre respectable ami sidi el-Houari ! Ensuite je me dirigeais vers la mosquée ; sur mon chemin, je tombais par hasard sur le cheikh ben Merzouk en personne ! Celui-ci me scruta, puis devenant mon trouble, et comme s'il venait de lire dans mes pensées, demanda : « - raconte-moi, me dit-il, ce qu'avait recommandé cheikh el-Hoauri à la personne venue le solliciter ! - je lui rapportais mot pour mot les paroles de sidi Mohammed el-Houari. Plus tard, nous apprîmes que cheikh ben Merzouk perdit dans le même temps ses deux enfants ! »
S'il nous fallait encore une autre preuve des prémonitions surnaturelles dont jouissait sidi el-Houari, interrogeons l'Histoire : lorsque le bruit courut que le maître hafside de Tunis, Abou Faris, au sommet de sa puissance - et pour entrer dans la gloire - s'apprêtait à menacer la capitale du Maghreb central Tlemcen, le roi zianide Ahmed le Sage, se rendit à la mosquée d'Agadir afin de consulter le grand savant sidi Lahcen Aberkan (*)
(*) A cette époque, rappelons-le, les rois ainsi que tous ceux qui, à quelque titre que ce soit, assumaient de très hautes charges dans la conduite des affaires de l'Etat, faisaient appel à la clairvoyance, au savoir et à l'intelligence des savants ainsi que des saints amis d'Allah, chaque fois que la situation du pays le commandait !
Après avoir écouté avec déférence son sultan, sidi Lahcen lui suggéra d'adresser, dans une missive scellée, à sidi el-Houari, l'analyse des événements et les dispositions que le sultan Ahmed allait prendre.
Sidi Bakhti (*) le serviteur du cheikh, fut chargé d'exécuter cette délicate mission
(*) Le noble khedim - et en même temps disciple de sidi el- Houari - sidi Bekhti est enterré près de Remchi. Son tombeau est très fréquenté.
Sidi el-Houari invita ensuite sidi Bekhti à présenter au roi Ahmed le Sage la réponse suivante : « - Qu'il ne verra jamais le sultan Abou Fares de Tunis et que ce dernier n'arrivera jamais à Tlemcen ! »
Nous savons que le maître de Tunis mourut dans les montagnes de l'Ouarsenis, sans qu'il ait été malade auparavant et que son armée s'en retourna précipitamment d'où elle était venue !
Sidi Mohammed el-Houari mourut à Oran le 12 septembre 1439 sous le règne du célèbre roi zianide Abou el-Abbes Ahmed dit le Sage, fils de Abou Hammou Moussa II lequel dura trente-deux ans, soit de 1430 à 1462.
La kheloua de sidi Mohammed el-Houari se trouve chez les Douaïr à Berkèche, près de Aïn el Arbâa pas loin de Aïn Témouchent !
La ziara que l'on fait au sanctuaire de sidi el-Houari suit un rituel propre que l'on doit à tous les grands saints du Maghreb musulman ; bien évidemment les femmes, gardiennes de la tradition ancestrale, ne négligent ni henné, ni encens, ni bougies. Au demeurant, lorsque les visites sont exclusivement féminines, une chorale animée et comme sublimée entonne, dans une harmonie parfaite, la litanie des Dikr, des oraisons ainsi que les récitations des sourates du Coran !
«Aujourd'hui, la ziara est une démarche individuelle librement choisie et constitue, tout autant que les dons et les aumônes chargés de symboles, un acte particulier liant le visiteur au saint vénéré !
«- Pour autant que l'on puisse dire, si le Dharih de sidi Mohammed el-Houari attire aujourd'hui beaucoup de monde c'est d'abord qu'il est avant tout un lieu de mémoire où on commémore le passé et dans le même temps un lieu de construction du présent
« - Il est établi que le saint tutélaire sidi el-Houari, à l'exemple des saints reconnus et vénérés, constitue un repère vers lequel on se dirige chaque fois que les cadres sociaux dans lesquels on évolue sont déstabilisés ! A tout prendre, ces êtres d'exception ne représentent-ils pas un ancrage où notre passé est fortement arrimé et vers lequel nous nous tournons pour mieux construire notre avenir ?»