Homme d’Etat, chef de guerre, théologien et philologue, l’Emir Abdelkader s’est éteint le 26 mai 1883 en Syrie à l’âge de 77 ans. Né le 6 mai 1808, pour certains alors que d’autres lui avancent la date du 6 septembre de la même année, à El-Guettana non loin de Mascara, il était homme politique et chef militaire à la fois. Deux années après l’entrée des troupes françaises en Algérie, Abdelkader Ben Mahieddine lancera ses troupes à l’assaut des garnisons ennemies qui prenaient forme le long de la côte devenant ainsi le premier homme politique algérien à se soulever contre l’envahisseur.
Il s’illustrera par une résistance farouche aux envahisseurs qu’il combattra durant quinze longues années (1832-1847). La lutte implacable qu’il mènera aura un impact sur les visées expansionnistes des Français qui durent étudier de très près leurs visées. Ce théologien musulman de rite soufi, une branche qui prône une absolue modération religieuse, était écrivain, poète, philosophe, philologue et même par la suite…journaliste.
Dans un but évident, la France le « considérait » comme un « ami » afin de le discréditer aux yeux de ses concitoyens. On le surnommait « le Jugurtha moderne » par rapport à ses origines berbères. En effet, il est issu d’une famille des Aït-Ifrane, des Zénètes établis dans la région du Rif, nord du Maroc. Il était le troisième fils de Sidi Mahieddine, un érudit soufi et auteur du célèbre manuscrit « Kitab Irchad El Muridine ». Sa mère, Zohra, était une femme très cultivée. Elle était la fille du Cheikh Sidi Boudouma qui dirigeait l’illustre Zaouïa de Hammam Bou Hadjar à l’ouest du pays.
Enfant, déjà doué :
Enfant très doué, il lisait et écrivait en langue arabe avec une aisance qui sortait du commun. Il sera d’ailleurs autorisé, précoce qu’il était, à commenter le Coran ainsi que ses traditions prophétiques et ce dès l’âge de 12 ans. Deux années plus tard il sera promu « hafiz », un titre honorifique dont ne pouvaient bénéficier que ceux qui connaissaient les soixante versets coraniques. A huit ans, il avait accompagné son père au pèlerinage à La Mecque.
De retour, il poursuivra ses études religieuses chez son oncle paternel, Ahmed Bilhar. Ses compétences morales n’avaient pas d’égales et pour preuves : alors qu’il était en captivité dans les geôles françaises, il citait les philosophes grecs et les écrits publiés par Ibn Khaldoun tels que ceux du manuscrit « « Mukadima » sans pour autant les avoir à proximité.
Il était également un féru des écrivains et poètes mythologues, entre autres Platon, Aristote et même Pythagore. Il s’intéressait à tous les ouvrages. Il était passionné par l’histoire ancienne et moderne ainsi que par la philosophie, la philologie(1), l’astronomie, la géographie et même les ouvrages traitant de la médecine.
A la suite d’un second voyage effectué en 1820 à La Mecque et Médine, soit dix ans avant l’entrée des forces françaises, en compagnie de pèlerins et de son père sur le « Castor », un brick de commerce du capitaine français Jovas, il passa par Alexandrie. Au cours de son séjour en Egypte, il sera fasciné par les changements que Méhémet Ali avait opérés au sein de son armée, les Janissaires ainsi que par la parfaite organisation de l’administration des Etats conquis par l’empire Ottoman.
Ceci lui permettra de prendre en considération ce constat qu’il appliquera plus tard face aux colonisateurs français. Il pensait que ce modèle lui permettra de ne pas dépendre des Ottomans, les colonisateurs du moment.
A son retour, une rumeur circulera au sein de la population algérienne annonçant qu’Abdelkader deviendra un jour le Sultan de tous les Arabes.
Ceci lui vaudra de l’estime et une méfiance des Deys. Des dizaines de personnes se rapprochaient chaque jour au douar des « Hachem », passant des journées entières à prier et à psalmodier.
Une révolte généralisée se déclenchera. DeOn offrait des dons composés de grains, d’or, d’argent, d’armes et de bétail. Devant cette renommée qui ne cessait de prendre de l’ampleur et craignant pour leur autorité, les responsables ottomans qui régnaient en maîtres à Oran, le gouverneur de cette ville, Hassan Bey prononcera la peine de mort contre le père d’Abdelkader espérant ainsi réduire l’influence que son neveu commençait à exercer sur les foules. Cette condamnation arrivait au moment même de l’entrée des troupes françaises en 1830. Mahieddine prêchera alors la guerre sainte contre les chrétiens dans le but de reconquérir la ville d’Oran.s milliers de musulmans répondirent à son appel et assiégèrent Oran. Incapable d’opposer une quelconque résistance, le gouverneur qui était en fuite, demanda l’asile à celui qu’il avait condamné à mort. Celui-ci refusera catégoriquement de lui pardonner le poussant à se rendre aux troupes françaises. Mahieddine attaquera la garnison turque de Mascara. Victorieux, il massacrera les rescapés. Avec son fils Abdelkader, il tentera une attaque contre la ville d’Oran en vain.
Les premiers pouvoirs :
Le courage dont avait fait preuve le fils du chef émerveillera les guerriers. Les balles qui sifflaient ne l’avaient pas atteint. Rougi par le sang des siens, le burnous d’Abdelkader sera conservé comme une relique. Les Algériens croiront à la baraka.
La chute des deux principales villes d’Algérie, Alger et Oran, allait sonner la fin de l’empire Ottoman dans cette province. Ayant recouvré un semblant de liberté, les tribus n’étaient néanmoins pas unies. Ces dernières commenceront à défier l’autorité établie difficilement par le père d’Abdelkader, de celui qu’on prénommera plus tard l’émir Abdelkader. Le Bey de Mostaganem, Ibrahim, capitulera à son tour devant l’armada guerrière française. Ceci engendrera l’éveil des populations locales qui s’uniront enfin. Le 21 novembre 1832 une réunion regroupant toutes les tribus se tiendra à Ersebia dans la plaine de Ghris. Elles décideront d’élire Mahieddine chef de l’Oranie. Ce dernier refusera cette offre. Il affirmera que le marabout Sidi El Atrach était plus digne et qu’il fallait donc le désigner.
La réunion sera différée pour le lendemain. Coup de théâtre ! Alors que les chefs de tribu s’apprêtaient à avaliser la désignation du marabout, ce dernier lancera en direction de l’assistance : « Cette nuit le célèbre marabout Mahi Abdelkader m’est apparu. Il m’a dit que le seul homme connu pour ses vertus, son courage et son intelligence digne de commander les croyants est le troisième fils de Mahieddine c’est-à-dire Abdelkader ».
Mahieddine interviendra à son tour en disant : « J’ai entendu les même paroles que Sidi El Atrach et ai reçu les mêmes ordres. Je mourrai une année après la proclamation de mon fils Abdelkader à la tête de notre région. Telle est la prophétie de mon aïeul ».
Le titre de Sultan sera octroyé à Abdelkader :
Modeste qu’il était, il proposera celui d’Emir lors de cette assemblée. Investi de tous les pouvoirs, le recevra comme il est de coutume, un burnous violet. Il présenta un programme en précisant qu’il mènera une lutte farouche et sans merci contre les occupants. Il préconisera la guerre sainte contre les infidèles qui venaient de souiller la terre sacrée du pays qui les a vus naître.
La bataille de la Macta(2) qui s’est soldée par la défaite de l’armée française et de ses supplétifs a encouragé les moudjahidine à redoubler d’efforts en vue de libérer la région. Une force militaire sera créée juste après cette victoire gagnée de haute lutte par des hommes aguerris mais manquant d’entraînement.
Face à la puissante infanterie des ennemis, l’émir Abdelkader songera à lui opposer un corps de cavalerie composée de 400 hommes qu’il formera à cet effet. Ce corps possède de nombreux atouts sur le champ de bataille. Lors d’un combat, la cavalerie peut attaquer, poursuivre l’ennemi ou éviter la confrontation lorsque la situation devient dangereuse pour ses hommes. Afin de faire face à la guerre, il imposera des impôts aux commerçants. Il pourra ainsi réaliser des points de vente en vivres, en armes et en munitions. Sur le terrain, les hommes de l’émir Abdelkader s’opposeront au général Louis Alexis Desmichels (3) le gouverneur de la province d’Oran qui est lui-même indépendant du général en chef. Au mois de mai 1833, l’armée française remportera des victoires notables. Le général Desmichels s’emparera de Mostaganem. Informé par ses antennes qui surveillaient les Algériens résidant dans les régions occupées, il dénoncera les musulmans qui s’approvisionnaient en denrées alimentaires auprès des commerçants français.
Le chef d’Arzew, qui venait de se mettre sous l’autorité coloniale, sera enlevé. Conduit à Mascara, il sera condamné à mort et exécuté. Au mois d’octobre 1833, les troupes de l’émir Abdelkader attaquèrent les 1 800 soldats ennemis servant d’escorte de la commission d’Afrique. L’émir et ses hommes subiront une défaite à Aïn Beïda.
La même année, le père de l’émir Abdelkader mourra comme il l’avait annoncé lors de la désignation en tant que sultan de son fils par les tribus. L’émir Abdelkader se retira de Mascara. A la tête d’une puissante armée, il reviendra assiéger cette ville. La tribu des rharaba qui lui était acquise encerclera la ville d’Oran. Celle des Hachem cernera Mostaganem.
Couper toute communication était devenu une priorité pour les assaillants algériens. Les marchés français ne seront pas approvisionnés. Devant cette défaite monumentale, les tribus qui étaient auparavant soumises à la France s’en détachèrent et changèrent de camp. Profitant de la nouvelle donne, l’émir Abdelkader procéda par des enlèvements. Quatre soldats français seront faits prisonniers.
Le cinquième, qui voulait résister, sera abattu devant ses compagnons. Humilié, le général écrira à l’émir Abdelkader l’enjoignant de libérer « immédiatement » les prisonniers. Il recevra un refus et sera même mis au défi de les libérer.
Une autorité grandissante :
En 1834, l’émir Abdelkader signera le fameux traité Desmichels du nom du général qu’il combattait sans cesse. Le traité de la Tafna (5) suivra en 1837. L’émir Abdelkader procédera à l’installation d’une véritable administration. Il unira les populations qu’il gouverna dans le but de se défaire du joug français.
Le recouvrement territorial sera achevé dès l’automne 1839. Les Français prendront Alger, Oran et une partie du Constantinois. Conduits par l’émir Abdelkader, les Algériens auront droit aux 2/3 du territoire de l’Algérie du nord. Son « pays » s’étalera de Bougie (qui deviendra Béjaïa après l’Indépendance) à Tlemcen et d’Aïn El Mahdi à Ténès.
Il établira des villes-forteresses et fera des villes côtières des avant-postes qui serviront de protection aux villes de l’intérieur. Afin de contrôler le versant Sud qui conduit vers le Sahara, des citadelles seront édifiées le long du Tell et des plaines avoisinantes. L’émir Abdelkader assoira son autorité sur ces villes durant quelques années seulement. En 1841/1842, l’émir Abdelkader perdra des villes.
Contacté, il refusera de se soumettre aux Français arguant dans un courrier transmis au général Desmichels que la religion le lui interdisait. Toutefois, il les informera que si une paix lui était proposée, il ne la récusera point. Il décida d’accepter cette offre et désigna Mouloud Ben Atrach et le Caïd Ouled Mahmoud pour engager les pourparlers. Il demandera de garder Mostaganem. Face au refus, il s’installera à Arzew où il établira son autorité. Le traité signé stipulera la mise en liberté des prisonniers des deux camps, la liberté de commerce. Le 24 février 1864, le traité sera signé.
Affaiblie, l’autorité de l’émir Abdelkader sera remise en cause par des tribus qui l’avaient pourtant soutenu et qui s’adonnaient à des pillages. L’Agha Benaouda Mazari, chef de la tribu des Zmalas et Mustapha Ben Ismaïl qui était un chef des douars, estimaient tout deux qu’il ne méritait pas de les commander et qu’il n’était qu’un simple usurpateur. Une importante tribu nomade, les Béni Amar, dirigée par l’agha Kadour Ben Morsly refusera de payer les impôts et se rangea du côté des contestataires. L’émir Abdelkader sentant un danger imminent mobilisa ses troupes et attaqua les villes qui risquaient de pencher vers la rébellion. L’arrêt des hostilités avec la France amoindrira ses capacités de défense. Il prônera la surprise.
Il établira son camp à l’orée de la forêt de Zétoul non loin du territoire conquis par les rebelles. Ce camp sera investi durant la nuit. Défait, il prendra le chemin de Mascara avec ses troupes qui fuyaient l’avancée des forces ennemies. Les Français interviendront et soutiendront l’émir Abdelkader qui reprendra le terrain perdu.
Le maître des lieux Benaouda Mazari, Kadour El Morsly et Mustapha Ben Ismaïl adresseront dès le début de leur insurrection un message aux généraux Louis Desmichels et Théophile Voirol les assurant de leur totale soumission et de leur décision de mettre un terme aux activités de l’émir Abdelkader.
Leur engagement ne sera toutefois pas pris au sérieux. L’Etat français ne pouvait pas faire confiance à des traîtres fussent-ils Algériens pro-Français. Ils soutiendront, contre toute attente, l’émir Abdelkader qu’ils respectaient malgré ses démêlées avec les colonisateurs. Celui-ci, fort du soutien de la France, reprendra l’initiative. Il prendra progressivement possession du terrain perdu.
Après avoir vaincu ses ennemis, il deviendra le maître incontesté d’un vaste territoire qui s’étalait de l’actuel ville de Chlef jusqu’à la frontière marocaine. S’inspirant des idées du Pacha d’Egypte, il refusera alors que des musulmans traitent directement avec les chrétiens.
Il acceptera néanmoins de dialoguer en vue d’imposer ses propres idées. Il demandera aux Français de ne pas se rendre à Tlemcen car ses habitants, qu’ils soient musulmans ou juifs, n’aimaient pas les étrangers. Il préconisera l’abandon oriental à condition qu’il élargisse son occupation aux régions intérieures du Centre et du Constantinois.
Il voulait constituer un Etat Maure dans les Hauts-Plateaux aux portes du Sahara. Il ajoutera, dans un message qu’il enverra aux généraux français, que si la province d’Oran avait retrouvé sa quiétude, le Constantinois deviendra la proie d’un soulèvement généralisé d’après les informations reçues. Il ira jusqu’à conseiller l’armée française de s’abstenir de toute attaque des nouveaux insurgés et de lui laisser remplir cette mission.
Le général Théophile Voirol craignant une ruse, rejeta cette proposition. Voulant prendre les devants de la révolte qui couvait, le frère de l’émir Abdelkader, Sidi Mustapha, ancien Caïd des Flittas (6), un musulman rigoriste se souleva. Il qualifiera l’émir Abdelkader de « vendu ». Les troupes françaises et les hommes de l’émir Abdelkader conjugueront leurs efforts et, circonstance aidant, décimeront les rebelles. Au Centre un autre ennemi tentera lui aussi un soulèvement. Dirigés par Hadj Moussa, cette insurrection occupera la région allant de Médéa à Miliana. L’émir Abdelkader mènera contre lui un combat implacable et mettra en déroute ses troupes.
En violation avec les accords conclus, l’émir Abdelkader traversa l’oued Chéliff. Les Français le laisseront et lui témoigneront même de la gratitude pour les avoir aidés à débarrasser le pays d’un groupe extrémiste qui menait la guerre sainte contre les «infidèles français ».
La France l’aidera à rétablir son autorité. Le Comte d’Erion de la région du Chéliff désignera alors un officier d’état-major pour prendre attache avec l’émir Abdelkader afin de lui expliquer les initiatives que compte prendre l’Etat français et des changements décidés par les autorités coloniales dont le général Desmichels sera victime. Son remplacement par un « faucon », le général Trezel précipitera les hostilités entre les Algériens et les Français. Deux puissantes tribus, les Douairs (sud-ouest d’Oran) et les Zmala (sud Oranie) prendront fait et cause pour la France. Mécontent, le Comte d’Erlon refusa de cautionner les mesures prises par les généraux français. Ceci provoquera des dissensions au sein des colonisateurs. Profitant de cette aubaine, l’émir Abdelkader attaquera les tribus qui s’étaient soumises au diktat français. Ces dernières lancèrent un appel à l’aide en direction des autorités françaises. Le général Trezel lèvera une armée composée de 2000 hommes. Partie d’Oran, cette armée livrera le 26 juin 1835 une effroyable bataille aux troupes de l’émir Abdelkader. Plus de 800 soldats français dont 15 étaient officiers seront tués. Après cette cuisante défaite, un autre officier le maréchal Bertrand Clauzel attaquera Mascara avec une compagnie estimée à plus de 11000 soldats. Le Duc d’Orléans se distinguera lors de cette expédition punitive. Les troupes de l’Emir seront battues à Abra, Idbar, Tafna et Sig. Elles cesseront les combats et abandonneront l’émir Abdelkader et ses proches. Loin de se décourager, il s’emploiera à trouver d’autres partisans afin de continuer la lutte.
Il se rapprochera sans crainte des tribus qui l’avaient pourtant combattu. Celles-ci décidèrent de reprendre la lutte sous sa bannière. Alors que ses hommes qui se trouvaient à l’est du pays continuaient toujours le combat, la France enverra de nouvelles troupes dans la région constantinoise dégarnissant l’ouest du pays et créant un vide.
Le moment sera propice pour l’émir Abdelkader qui reprendra à nouveau le combat en Oranie. Il apprendra que le général Bugeaud s’apprêtait à envoyer des troupes vers l’ouest du pays. Ce général français rencontrera des obstacles lors de son déplacement. Devant les difficultés, il se résignera enfin à proposer à l’émir Abdelkader la signature d’un nouveau traité qui prendra le nom de « Traité de la Tafna » qui sera avalisé le 30 mai 1837. . La bataille de la Macta :
Le 28 juin 1935, une grande bataille mettra aux prises les hommes de l’émir Abdelkader aux troupes françaises au défilé de la Macta. A la tête de 2500 soldats, le général Trezel se dirigeait vers Mascara. Le bilan était lourd du côté français. Deux cent-soixante-deux militaires français seront tués. Ce corps expéditionnaire était constitué de deux bataillons de la Légion étrangère et était composé de Polonais (4ème) et d’Italiens (5èm).
Louis Alexis Desmichels : Général français, il est né à Digne (dans le département des Alpes-de-Haute-Provence) le 15 mars 1779 et mourut le 7 juin 1845 à Paris.
Il s’illustrera par une résistance farouche aux envahisseurs qu’il combattra durant quinze longues années (1832-1847). La lutte implacable qu’il mènera aura un impact sur les visées expansionnistes des Français qui durent étudier de très près leurs visées. Ce théologien musulman de rite soufi, une branche qui prône une absolue modération religieuse, était écrivain, poète, philosophe, philologue et même par la suite…journaliste.
Dans un but évident, la France le « considérait » comme un « ami » afin de le discréditer aux yeux de ses concitoyens. On le surnommait « le Jugurtha moderne » par rapport à ses origines berbères. En effet, il est issu d’une famille des Aït-Ifrane, des Zénètes établis dans la région du Rif, nord du Maroc. Il était le troisième fils de Sidi Mahieddine, un érudit soufi et auteur du célèbre manuscrit « Kitab Irchad El Muridine ». Sa mère, Zohra, était une femme très cultivée. Elle était la fille du Cheikh Sidi Boudouma qui dirigeait l’illustre Zaouïa de Hammam Bou Hadjar à l’ouest du pays.
Enfant, déjà doué :
Enfant très doué, il lisait et écrivait en langue arabe avec une aisance qui sortait du commun. Il sera d’ailleurs autorisé, précoce qu’il était, à commenter le Coran ainsi que ses traditions prophétiques et ce dès l’âge de 12 ans. Deux années plus tard il sera promu « hafiz », un titre honorifique dont ne pouvaient bénéficier que ceux qui connaissaient les soixante versets coraniques. A huit ans, il avait accompagné son père au pèlerinage à La Mecque.
De retour, il poursuivra ses études religieuses chez son oncle paternel, Ahmed Bilhar. Ses compétences morales n’avaient pas d’égales et pour preuves : alors qu’il était en captivité dans les geôles françaises, il citait les philosophes grecs et les écrits publiés par Ibn Khaldoun tels que ceux du manuscrit « « Mukadima » sans pour autant les avoir à proximité.
Il était également un féru des écrivains et poètes mythologues, entre autres Platon, Aristote et même Pythagore. Il s’intéressait à tous les ouvrages. Il était passionné par l’histoire ancienne et moderne ainsi que par la philosophie, la philologie(1), l’astronomie, la géographie et même les ouvrages traitant de la médecine.
A la suite d’un second voyage effectué en 1820 à La Mecque et Médine, soit dix ans avant l’entrée des forces françaises, en compagnie de pèlerins et de son père sur le « Castor », un brick de commerce du capitaine français Jovas, il passa par Alexandrie. Au cours de son séjour en Egypte, il sera fasciné par les changements que Méhémet Ali avait opérés au sein de son armée, les Janissaires ainsi que par la parfaite organisation de l’administration des Etats conquis par l’empire Ottoman.
Ceci lui permettra de prendre en considération ce constat qu’il appliquera plus tard face aux colonisateurs français. Il pensait que ce modèle lui permettra de ne pas dépendre des Ottomans, les colonisateurs du moment.
A son retour, une rumeur circulera au sein de la population algérienne annonçant qu’Abdelkader deviendra un jour le Sultan de tous les Arabes.
Ceci lui vaudra de l’estime et une méfiance des Deys. Des dizaines de personnes se rapprochaient chaque jour au douar des « Hachem », passant des journées entières à prier et à psalmodier.
Une révolte généralisée se déclenchera. DeOn offrait des dons composés de grains, d’or, d’argent, d’armes et de bétail. Devant cette renommée qui ne cessait de prendre de l’ampleur et craignant pour leur autorité, les responsables ottomans qui régnaient en maîtres à Oran, le gouverneur de cette ville, Hassan Bey prononcera la peine de mort contre le père d’Abdelkader espérant ainsi réduire l’influence que son neveu commençait à exercer sur les foules. Cette condamnation arrivait au moment même de l’entrée des troupes françaises en 1830. Mahieddine prêchera alors la guerre sainte contre les chrétiens dans le but de reconquérir la ville d’Oran.s milliers de musulmans répondirent à son appel et assiégèrent Oran. Incapable d’opposer une quelconque résistance, le gouverneur qui était en fuite, demanda l’asile à celui qu’il avait condamné à mort. Celui-ci refusera catégoriquement de lui pardonner le poussant à se rendre aux troupes françaises. Mahieddine attaquera la garnison turque de Mascara. Victorieux, il massacrera les rescapés. Avec son fils Abdelkader, il tentera une attaque contre la ville d’Oran en vain.
Les premiers pouvoirs :
Le courage dont avait fait preuve le fils du chef émerveillera les guerriers. Les balles qui sifflaient ne l’avaient pas atteint. Rougi par le sang des siens, le burnous d’Abdelkader sera conservé comme une relique. Les Algériens croiront à la baraka.
La chute des deux principales villes d’Algérie, Alger et Oran, allait sonner la fin de l’empire Ottoman dans cette province. Ayant recouvré un semblant de liberté, les tribus n’étaient néanmoins pas unies. Ces dernières commenceront à défier l’autorité établie difficilement par le père d’Abdelkader, de celui qu’on prénommera plus tard l’émir Abdelkader. Le Bey de Mostaganem, Ibrahim, capitulera à son tour devant l’armada guerrière française. Ceci engendrera l’éveil des populations locales qui s’uniront enfin. Le 21 novembre 1832 une réunion regroupant toutes les tribus se tiendra à Ersebia dans la plaine de Ghris. Elles décideront d’élire Mahieddine chef de l’Oranie. Ce dernier refusera cette offre. Il affirmera que le marabout Sidi El Atrach était plus digne et qu’il fallait donc le désigner.
La réunion sera différée pour le lendemain. Coup de théâtre ! Alors que les chefs de tribu s’apprêtaient à avaliser la désignation du marabout, ce dernier lancera en direction de l’assistance : « Cette nuit le célèbre marabout Mahi Abdelkader m’est apparu. Il m’a dit que le seul homme connu pour ses vertus, son courage et son intelligence digne de commander les croyants est le troisième fils de Mahieddine c’est-à-dire Abdelkader ».
Mahieddine interviendra à son tour en disant : « J’ai entendu les même paroles que Sidi El Atrach et ai reçu les mêmes ordres. Je mourrai une année après la proclamation de mon fils Abdelkader à la tête de notre région. Telle est la prophétie de mon aïeul ».
Le titre de Sultan sera octroyé à Abdelkader :
Modeste qu’il était, il proposera celui d’Emir lors de cette assemblée. Investi de tous les pouvoirs, le recevra comme il est de coutume, un burnous violet. Il présenta un programme en précisant qu’il mènera une lutte farouche et sans merci contre les occupants. Il préconisera la guerre sainte contre les infidèles qui venaient de souiller la terre sacrée du pays qui les a vus naître.
La bataille de la Macta(2) qui s’est soldée par la défaite de l’armée française et de ses supplétifs a encouragé les moudjahidine à redoubler d’efforts en vue de libérer la région. Une force militaire sera créée juste après cette victoire gagnée de haute lutte par des hommes aguerris mais manquant d’entraînement.
Face à la puissante infanterie des ennemis, l’émir Abdelkader songera à lui opposer un corps de cavalerie composée de 400 hommes qu’il formera à cet effet. Ce corps possède de nombreux atouts sur le champ de bataille. Lors d’un combat, la cavalerie peut attaquer, poursuivre l’ennemi ou éviter la confrontation lorsque la situation devient dangereuse pour ses hommes. Afin de faire face à la guerre, il imposera des impôts aux commerçants. Il pourra ainsi réaliser des points de vente en vivres, en armes et en munitions. Sur le terrain, les hommes de l’émir Abdelkader s’opposeront au général Louis Alexis Desmichels (3) le gouverneur de la province d’Oran qui est lui-même indépendant du général en chef. Au mois de mai 1833, l’armée française remportera des victoires notables. Le général Desmichels s’emparera de Mostaganem. Informé par ses antennes qui surveillaient les Algériens résidant dans les régions occupées, il dénoncera les musulmans qui s’approvisionnaient en denrées alimentaires auprès des commerçants français.
Le chef d’Arzew, qui venait de se mettre sous l’autorité coloniale, sera enlevé. Conduit à Mascara, il sera condamné à mort et exécuté. Au mois d’octobre 1833, les troupes de l’émir Abdelkader attaquèrent les 1 800 soldats ennemis servant d’escorte de la commission d’Afrique. L’émir et ses hommes subiront une défaite à Aïn Beïda.
La même année, le père de l’émir Abdelkader mourra comme il l’avait annoncé lors de la désignation en tant que sultan de son fils par les tribus. L’émir Abdelkader se retira de Mascara. A la tête d’une puissante armée, il reviendra assiéger cette ville. La tribu des rharaba qui lui était acquise encerclera la ville d’Oran. Celle des Hachem cernera Mostaganem.
Couper toute communication était devenu une priorité pour les assaillants algériens. Les marchés français ne seront pas approvisionnés. Devant cette défaite monumentale, les tribus qui étaient auparavant soumises à la France s’en détachèrent et changèrent de camp. Profitant de la nouvelle donne, l’émir Abdelkader procéda par des enlèvements. Quatre soldats français seront faits prisonniers.
Le cinquième, qui voulait résister, sera abattu devant ses compagnons. Humilié, le général écrira à l’émir Abdelkader l’enjoignant de libérer « immédiatement » les prisonniers. Il recevra un refus et sera même mis au défi de les libérer.
Une autorité grandissante :
En 1834, l’émir Abdelkader signera le fameux traité Desmichels du nom du général qu’il combattait sans cesse. Le traité de la Tafna (5) suivra en 1837. L’émir Abdelkader procédera à l’installation d’une véritable administration. Il unira les populations qu’il gouverna dans le but de se défaire du joug français.
Le recouvrement territorial sera achevé dès l’automne 1839. Les Français prendront Alger, Oran et une partie du Constantinois. Conduits par l’émir Abdelkader, les Algériens auront droit aux 2/3 du territoire de l’Algérie du nord. Son « pays » s’étalera de Bougie (qui deviendra Béjaïa après l’Indépendance) à Tlemcen et d’Aïn El Mahdi à Ténès.
Il établira des villes-forteresses et fera des villes côtières des avant-postes qui serviront de protection aux villes de l’intérieur. Afin de contrôler le versant Sud qui conduit vers le Sahara, des citadelles seront édifiées le long du Tell et des plaines avoisinantes. L’émir Abdelkader assoira son autorité sur ces villes durant quelques années seulement. En 1841/1842, l’émir Abdelkader perdra des villes.
Contacté, il refusera de se soumettre aux Français arguant dans un courrier transmis au général Desmichels que la religion le lui interdisait. Toutefois, il les informera que si une paix lui était proposée, il ne la récusera point. Il décida d’accepter cette offre et désigna Mouloud Ben Atrach et le Caïd Ouled Mahmoud pour engager les pourparlers. Il demandera de garder Mostaganem. Face au refus, il s’installera à Arzew où il établira son autorité. Le traité signé stipulera la mise en liberté des prisonniers des deux camps, la liberté de commerce. Le 24 février 1864, le traité sera signé.
Affaiblie, l’autorité de l’émir Abdelkader sera remise en cause par des tribus qui l’avaient pourtant soutenu et qui s’adonnaient à des pillages. L’Agha Benaouda Mazari, chef de la tribu des Zmalas et Mustapha Ben Ismaïl qui était un chef des douars, estimaient tout deux qu’il ne méritait pas de les commander et qu’il n’était qu’un simple usurpateur. Une importante tribu nomade, les Béni Amar, dirigée par l’agha Kadour Ben Morsly refusera de payer les impôts et se rangea du côté des contestataires. L’émir Abdelkader sentant un danger imminent mobilisa ses troupes et attaqua les villes qui risquaient de pencher vers la rébellion. L’arrêt des hostilités avec la France amoindrira ses capacités de défense. Il prônera la surprise.
Il établira son camp à l’orée de la forêt de Zétoul non loin du territoire conquis par les rebelles. Ce camp sera investi durant la nuit. Défait, il prendra le chemin de Mascara avec ses troupes qui fuyaient l’avancée des forces ennemies. Les Français interviendront et soutiendront l’émir Abdelkader qui reprendra le terrain perdu.
Le maître des lieux Benaouda Mazari, Kadour El Morsly et Mustapha Ben Ismaïl adresseront dès le début de leur insurrection un message aux généraux Louis Desmichels et Théophile Voirol les assurant de leur totale soumission et de leur décision de mettre un terme aux activités de l’émir Abdelkader.
Leur engagement ne sera toutefois pas pris au sérieux. L’Etat français ne pouvait pas faire confiance à des traîtres fussent-ils Algériens pro-Français. Ils soutiendront, contre toute attente, l’émir Abdelkader qu’ils respectaient malgré ses démêlées avec les colonisateurs. Celui-ci, fort du soutien de la France, reprendra l’initiative. Il prendra progressivement possession du terrain perdu.
Après avoir vaincu ses ennemis, il deviendra le maître incontesté d’un vaste territoire qui s’étalait de l’actuel ville de Chlef jusqu’à la frontière marocaine. S’inspirant des idées du Pacha d’Egypte, il refusera alors que des musulmans traitent directement avec les chrétiens.
Il acceptera néanmoins de dialoguer en vue d’imposer ses propres idées. Il demandera aux Français de ne pas se rendre à Tlemcen car ses habitants, qu’ils soient musulmans ou juifs, n’aimaient pas les étrangers. Il préconisera l’abandon oriental à condition qu’il élargisse son occupation aux régions intérieures du Centre et du Constantinois.
Il voulait constituer un Etat Maure dans les Hauts-Plateaux aux portes du Sahara. Il ajoutera, dans un message qu’il enverra aux généraux français, que si la province d’Oran avait retrouvé sa quiétude, le Constantinois deviendra la proie d’un soulèvement généralisé d’après les informations reçues. Il ira jusqu’à conseiller l’armée française de s’abstenir de toute attaque des nouveaux insurgés et de lui laisser remplir cette mission.
Le général Théophile Voirol craignant une ruse, rejeta cette proposition. Voulant prendre les devants de la révolte qui couvait, le frère de l’émir Abdelkader, Sidi Mustapha, ancien Caïd des Flittas (6), un musulman rigoriste se souleva. Il qualifiera l’émir Abdelkader de « vendu ». Les troupes françaises et les hommes de l’émir Abdelkader conjugueront leurs efforts et, circonstance aidant, décimeront les rebelles. Au Centre un autre ennemi tentera lui aussi un soulèvement. Dirigés par Hadj Moussa, cette insurrection occupera la région allant de Médéa à Miliana. L’émir Abdelkader mènera contre lui un combat implacable et mettra en déroute ses troupes.
En violation avec les accords conclus, l’émir Abdelkader traversa l’oued Chéliff. Les Français le laisseront et lui témoigneront même de la gratitude pour les avoir aidés à débarrasser le pays d’un groupe extrémiste qui menait la guerre sainte contre les «infidèles français ».
La France l’aidera à rétablir son autorité. Le Comte d’Erion de la région du Chéliff désignera alors un officier d’état-major pour prendre attache avec l’émir Abdelkader afin de lui expliquer les initiatives que compte prendre l’Etat français et des changements décidés par les autorités coloniales dont le général Desmichels sera victime. Son remplacement par un « faucon », le général Trezel précipitera les hostilités entre les Algériens et les Français. Deux puissantes tribus, les Douairs (sud-ouest d’Oran) et les Zmala (sud Oranie) prendront fait et cause pour la France. Mécontent, le Comte d’Erlon refusa de cautionner les mesures prises par les généraux français. Ceci provoquera des dissensions au sein des colonisateurs. Profitant de cette aubaine, l’émir Abdelkader attaquera les tribus qui s’étaient soumises au diktat français. Ces dernières lancèrent un appel à l’aide en direction des autorités françaises. Le général Trezel lèvera une armée composée de 2000 hommes. Partie d’Oran, cette armée livrera le 26 juin 1835 une effroyable bataille aux troupes de l’émir Abdelkader. Plus de 800 soldats français dont 15 étaient officiers seront tués. Après cette cuisante défaite, un autre officier le maréchal Bertrand Clauzel attaquera Mascara avec une compagnie estimée à plus de 11000 soldats. Le Duc d’Orléans se distinguera lors de cette expédition punitive. Les troupes de l’Emir seront battues à Abra, Idbar, Tafna et Sig. Elles cesseront les combats et abandonneront l’émir Abdelkader et ses proches. Loin de se décourager, il s’emploiera à trouver d’autres partisans afin de continuer la lutte.
Il se rapprochera sans crainte des tribus qui l’avaient pourtant combattu. Celles-ci décidèrent de reprendre la lutte sous sa bannière. Alors que ses hommes qui se trouvaient à l’est du pays continuaient toujours le combat, la France enverra de nouvelles troupes dans la région constantinoise dégarnissant l’ouest du pays et créant un vide.
Le moment sera propice pour l’émir Abdelkader qui reprendra à nouveau le combat en Oranie. Il apprendra que le général Bugeaud s’apprêtait à envoyer des troupes vers l’ouest du pays. Ce général français rencontrera des obstacles lors de son déplacement. Devant les difficultés, il se résignera enfin à proposer à l’émir Abdelkader la signature d’un nouveau traité qui prendra le nom de « Traité de la Tafna » qui sera avalisé le 30 mai 1837. . La bataille de la Macta :
Le 28 juin 1935, une grande bataille mettra aux prises les hommes de l’émir Abdelkader aux troupes françaises au défilé de la Macta. A la tête de 2500 soldats, le général Trezel se dirigeait vers Mascara. Le bilan était lourd du côté français. Deux cent-soixante-deux militaires français seront tués. Ce corps expéditionnaire était constitué de deux bataillons de la Légion étrangère et était composé de Polonais (4ème) et d’Italiens (5èm).
Louis Alexis Desmichels : Général français, il est né à Digne (dans le département des Alpes-de-Haute-Provence) le 15 mars 1779 et mourut le 7 juin 1845 à Paris.
Traité Demichels : A l’issue de ce traité, la France reconnaîtra à l’émir Abdelkader son autorité sur l’Ouest algérien.
Traité de la Tafna (30 mai 1837)
Article 1 : L’ Émir reconnait la souveraineté de la France
Article 2 : La France se réserve, dans la province d’Oran, Mostaganem, Mazagran, et leurs territoires, Oran , Arzew, et un territoire, limité comme suit : A l’est par la rivière Macta, et les marais dont elle sort ; au sud, par une ligne partant des marais précités, passant par les rives Sud du lac, et se prolongeant jusqu’à l’oued Maleh dans la direction de Sidi Saïd ; et de cette rivière jusqu’à la mer, appartiendra aux Français. Dans la province d’Alger, Alger, le Sahel, la plaine de la Mitidja – limitée à l’est par l’oued Khadra, en aval, au sud par la crête de la première chaîne du petit Atlas, jusqu’à la Chiffa, jusqu’au saillant de Mazafran, et de là, par une ligne directe jusqu’à la mer, y compris Coleah et son territoire – seront français.
Article 3 : L’ Émir aura l’administration de la province d’Oran, de celle du Titteri, et de cette partie de la province d’Alger qui n’est pas comprise, à l’est, à l’intérieur des limites indiquées par l’article 2. Il ne pourra pénétrer dans aucune autre partie de la régence.
Article 4 : L’ Émir n’aura aucune autorité sur les Musulmans qui désirent résider sur le territoire réservé à la France ; mais ceux-ci seront libres d’aller résider sur le territoire sous l’administration de l’ Émir ; de la même façon, les habitants vivant sous l’administration de l’ Émir pourront s’établir sur le territoire français.
Article 5 : Les Arabes habitant sur le territoire français jouiront du libre exercice de leur religion. Ils pourront construire des mosquées, et accomplir leurs devoirs religieux en tous points, sous l’autorité de leurs chefs spirituels.
Article 6 : L’ Émir livrera à l’armée française 30 000 mesures de blé, 30 000 mesures d’orge et 5 000 bœufs.
Article 7 : L’ Émir aura la faculté d’acheter en France, la poudre, le souffre, et les armes qu’il demandera.
Article 8 : Les Koulouglis désirant rester à Tlemcen, ou ailleurs, y auront la libre possession de leurs propriétés, et seront traités comme des citoyens. Ceux qui désirent se retirer dans le territoire français, pourront vendre ou louer librement leurs propriétés.
Article 9 : La France cède à l’ Émir, Rachgoun, Tlemcen, sa citadelle, et tous les canons qui s’y trouvaient primitivement. L’ Émir s’engage à convoyer jusqu’à Oran tous les bagages, ainsi que les munitions de guerre, appartenant à la garnison de Tlemcen.
Article 10 : Le commerce sera libre entre les Arabes et les Français. Ils pourront réciproquement aller s’établir sur chacun de leurs territoires.
Traité de la Tafna (30 mai 1837)
Article 1 : L’ Émir reconnait la souveraineté de la France
Article 2 : La France se réserve, dans la province d’Oran, Mostaganem, Mazagran, et leurs territoires, Oran , Arzew, et un territoire, limité comme suit : A l’est par la rivière Macta, et les marais dont elle sort ; au sud, par une ligne partant des marais précités, passant par les rives Sud du lac, et se prolongeant jusqu’à l’oued Maleh dans la direction de Sidi Saïd ; et de cette rivière jusqu’à la mer, appartiendra aux Français. Dans la province d’Alger, Alger, le Sahel, la plaine de la Mitidja – limitée à l’est par l’oued Khadra, en aval, au sud par la crête de la première chaîne du petit Atlas, jusqu’à la Chiffa, jusqu’au saillant de Mazafran, et de là, par une ligne directe jusqu’à la mer, y compris Coleah et son territoire – seront français.
Article 3 : L’ Émir aura l’administration de la province d’Oran, de celle du Titteri, et de cette partie de la province d’Alger qui n’est pas comprise, à l’est, à l’intérieur des limites indiquées par l’article 2. Il ne pourra pénétrer dans aucune autre partie de la régence.
Article 4 : L’ Émir n’aura aucune autorité sur les Musulmans qui désirent résider sur le territoire réservé à la France ; mais ceux-ci seront libres d’aller résider sur le territoire sous l’administration de l’ Émir ; de la même façon, les habitants vivant sous l’administration de l’ Émir pourront s’établir sur le territoire français.
Article 5 : Les Arabes habitant sur le territoire français jouiront du libre exercice de leur religion. Ils pourront construire des mosquées, et accomplir leurs devoirs religieux en tous points, sous l’autorité de leurs chefs spirituels.
Article 6 : L’ Émir livrera à l’armée française 30 000 mesures de blé, 30 000 mesures d’orge et 5 000 bœufs.
Article 7 : L’ Émir aura la faculté d’acheter en France, la poudre, le souffre, et les armes qu’il demandera.
Article 8 : Les Koulouglis désirant rester à Tlemcen, ou ailleurs, y auront la libre possession de leurs propriétés, et seront traités comme des citoyens. Ceux qui désirent se retirer dans le territoire français, pourront vendre ou louer librement leurs propriétés.
Article 9 : La France cède à l’ Émir, Rachgoun, Tlemcen, sa citadelle, et tous les canons qui s’y trouvaient primitivement. L’ Émir s’engage à convoyer jusqu’à Oran tous les bagages, ainsi que les munitions de guerre, appartenant à la garnison de Tlemcen.
Article 10 : Le commerce sera libre entre les Arabes et les Français. Ils pourront réciproquement aller s’établir sur chacun de leurs territoires.
Article 11 : Les Français seront respectés parmi les Arabes, comme les Arabes parmi les Français. Les fermes et les propriétés que les Français ont acquises, ou pourront acquérir, sur le territoire arabe, leur seront garanties : ils en jouiront librement, et l’ Émir s’engage à les indemniser pour tous les dommages que les Arabes pourront leur causer.
Article 12 : Les criminels, sur les deux territoires, seront réciproquement livrés.
Article 12 : Les criminels, sur les deux territoires, seront réciproquement livrés.
Article 13 : L’ Émir s’engage à ne remettre aucun point de la côte à aucune puissance étrangère, quelle qu’elle soit, sans l’autorisation de la France.
Article 14 : Le commerce de la Régence ne passera que par les ports français.
Article 14 : Le commerce de la Régence ne passera que par les ports français.
Article 15 : La France maintiendra des agents auprès de l’ Émir et dans les villes sous sa juridiction, pour servir d’intermédiaires aux sujets français, dans tous les différends commerciaux qu’ils pourront avoir avec les Arabes. L’ Émir aura le même privilège dans les villes et ports français.
La Tafna, le 30 mai 1837,
Le Lieutenant-Général commandant à Oran
(Le sceau de l’Emir sous le texte arabe,
Le sceau du général Bugeaud sous le texte français).
Les Flittas
Installée au nord Mascara au XIe siècle, la puissante tribu des Flittas est d’origine saoudienne. (Voir notre édition n° 276 du mercredi 22 mai 2013, article intitulé « Sur les traces de l’émir Abdelkader », et annonçant l’organisation d’une journée par l’Agence algérienne pour le rayonnement culturel (Aarc)le 26 mai à Dar Abdelatif (Alger).
Du traité de la Tafna à la trahison française ;
Le traité de la Tafna donnait à l’émir Abdelkader, excepté la province de Constantine, l’ancienne Régence d’Alger. Traité d’égal, on lui reconnaissait sa souveraineté et même une certaine indépendance vis-à-vis du colonisateur. Néanmoins, ce traité n’avait aucune garantie.
En effet la convention signée par les deux parties s’inspirait du caractère religieux et moral. Après avoir ratifié cet accord, le général Bugeaud demanda à voir l’émir Abdelkader. Il lui fixera la date et l’endroit de l’entrevue. Il proposera un rendez-vous non loin de l’endroit où fut signé le traité, à quelques kilomètres de Tafna.
Le général Bugeaud y sera, comme convenu, à 9h00 après avoir reçu l’accord de son ex-ennemi. Il sera accompagné de pièces de montagne, de dix escadrons de cavalerie et de six bataillons d’infanterie. L’émir Abdelkader tardera bien évidement à venir à l’heure. L’orgueil l’en empêchera.
L’après-midi, on annoncera enfin au général Bugeaud que le chef algérien était en route mais qu’il était malade. Quelques heures, on apercevra l’émir Abdelkader avec son escorte.
L’émir qui n’était pas malade se méfiait des Français. Les Français commençaient eux aussi à douter de la bonne foi de l’émir. Le chef de la tribu des Oulanahs dira au général : « N’ayez crainte ». Le général sentit son amour propre atteint par cette phrase répondit : « Je n’ai pas peur. J’ai l’habitude de vous avoir en face de moi dans d’autres circonstances. Je suis tout simplement déçu qu’on me fasse attendre aussi longtemps ». Entouré de deux cents éléments qu’il précédait de quelques pas, l’émir Abdelkader arriva à hauteur du général Bugeaud.
Il descendit de cheval. Une accolade entre ces deux chefs de guerre ôtera alors toute suspicion. A la question concernant sa santé, le général répondit qu’il se portait bien. L’émir Abdelkader, dans le but de le narguer, lui rétorquera : « Moi aussi je vais très bien mon général ». L’entretien portera sur l’engagement signé par les deux parties. Ceci apportera des éclaircissements précis sur les points d’achoppement qui minaient le traité de la Tafna.
Il fallait soulever les désaccords. Cet entretien permettra à l’émir Abdelkader d’avoir une vue sur les responsabilités des généraux français. Le rétablissement des relations commerciales entre les villes achoppera sur une revendication de l’émir Abdelkader qui demanda la restitution de la ville de Tlemcen. Il ajoutera que les relations commerciales pourront alors prendre effet dans un délai de quinze jours au minimum. Excédé par l’arrogance de l’émir, le général Bugeaud lui répondra : « En les privant des bienfaits commerciaux tu lèseras tes compatriotes. Nous sommes en mesure de résilier cette clause relative aux échanges commerciaux et nous retourner vers la côte ».
Echec de l’entretien entre algériens et français
Les Algériens et les Français se séparèrent. L’échec de cet entretien était, au vu des revendications des deux camps, latent dès le départ. Le général Bugeaud écrira au Comte Molé, président du conseil après l’unique entretien qu’il avait eu avec l’émir Abdelkader : «Cet homme est un génie.L’histoire doit le placer à côté de Jugurtha. Il ressemble curieusement au portrait que nous les chrétiens avons donné au Christ.» La France reconnaissait, en effet, que l’émir Abdelkader prenne sous son autorité l’ensemble du beylik de l’Ouest, excepté les villes d’Oran, d’Arzew, de Mostaganem et de Mazafran. Il lui sera reconnu une autorité totale sur le beylik du Titteri et sur une partie de la province d’Alger hormis Alger, Blida et les plaines de la Mitidja et du Sahel algérois. En un mot, l’émir Abdelkader bénéficiera de deux tiers de l’Algérie du nord. Il s’efforcera de bâtir un Etat indépendant sur la base de critères religieux. Il nommera des khalifa pour administrer les provinces. Mohammed Ben Allel sera nommé khalif dans les territoires de l’Algérois.
L’expédition « portes de fer » est lancée par l’armée française le 25 octobre 1839 dans le but d’empêcher toute liaison avec les troupes de l’émir Abdelkader. Ce dernier, mis dans l’embarras et devant le fait accompli, appela à l’aide le sultan du Maroc. Il voulait annexer la région s’étalant entre Tafna et Oujda ainsi que le Constantinois.
Il nommera même un khalif. En violation des accords de la Tafna, l’expédition « portes de fer » en Kabylie sera dénoncée par les Algériens.
Une embuscade meurtrière dirigée par l’émir Abdelkader se soldera par beaucoup de victimes. Il perdra quelques jours plus tard les villes de Cherchell, Miliana et d’autres. En 1842, le général Bugeaud sera nommé gouverneur général de l’Algérie. Il apportera des changements dans les tactiques de guerre jusque-là menées. Il forma des troupes régulières composées de Zouaves et de Spahis et des corps irréguliers constitués de «goumiers ».
L’ Émir Abdelkader déplacera 30000 personnes
Des attaques de grande envergure seront menées par les troupes françaises. Devant cette déferlante, l’émir Abdelkader déplacera sa smala, une capitale ambulante de 30 000 personnes, vers le sud, plus exactement sur les Hauts-Plateaux. Le 16 mai 1843, l’émir Abdelkader subira un grave revers.
Sa smala sera prise d’assaut dans la région de Boghar par le Duc d’Aumale. Son khalifa, Mohammed Ben Allel, tué le 11 novembre, l’affaiblira davantage. Face à ces défaites, il tentera de ressembler le reste de ses troupes sous un groupe qu’il nommera « déîra ». Il appellera à nouveau le sultan du Maroc à la rescousse. Le 14 août 1844, les troupes marocaines seront à leur tour défaites non loin d’Oujda à la bataille de l’Isly du nom d’un oued frontière naturelle séparant l’Algérie et le Maroc au nord. Un traité sera signé entre les belligérants le 10 septembre 1844. Il stipulera que l’émir Abdelkader sera mis hors-la-loi dans les deux colonies françaises.
Les autorités françaises ne pouvaient pas oublier l’embuscade tendue à Sidi Brahim le 23 septembre 1845 et qui s’était soldée par la mort du colonel Montagnac et de la plupart des 450 soldats qui l’accompagnaient. Les tribus des Hauts-Plateaux commencèrent à se soumettre à la fin de l’année 1845. Informé, l’émir et les troupes qui lui étaient restées fidèles se lanceront dans la répression des Ouled Naïl dirigés par le goumier Si Chérif Ben Lahrech que l’émir avait lui-même nommé khalif. L’émir Abdelkader, ne voulant en aucun cas se soumettre au joug français, se rendra en Kabylie afin de nouer une alliance commune contre la France. Peine perdue !
Des combats meurtriers l’opposeront aux ennemis :
Les tribus kabyles qui étaient méfiantes et qui n’avaient pas compris les desseins de l’émir Abdelkader refusèrent de s’y impliquer préférant combattre l’ennemi seules. Poursuivi par les militaires français, l’émir Abdelkader se rendra dans la région de Djelfa. Des combats meurtriers l’opposeront aux soldats ennemis à Aïn Kahla, Zenina et le long de l’oued Boukahil.
L’émir Abdelkader, qui refusait de se rendre au sultan du Maroc, se rapprochera des principaux officiers et des fonctionnaires de la cour de Fès. Un ex-brigadier qui s’était échappé de la déîra et qui dirigeait le 2ème Régiment de chasseurs d’Afrique informera le général que l’émir s’apprêtait à aller au sud du pays. Le 21 décembre 1847, les troupes de l’émir Abdelkader cantonnées au Maroc, traversèrent l’oued Kiss. Leur entrée sur le territoire de l’ex-Régence ne passera pas inaperçue. Le général Lamoricière envoya immédiatement deux détachements de vingt spahis.
Habillés en burnous blancs, ces derniers étaient commandés par les lieutenants Bou Karouias et Brahim. Abdelkader, chargera des hommes afin d’obtenir auprès de ses ennemis l’amane (assurance). Le général Lamoricière accepta. Il lui donna son propre sabre en guise de confiance. L’émir Abdelkader proposera sa reddition à condition que les autorités coloniales le transfèrent à Alexandrie (Egypte) ou à Saint-Jean-D’acre. Il recevra le consentement de l’officier français.
Le 23 décembre 1847 un rendez-vous sera fixé entre les deux hommes sous un arbre (cet arbre existe de nos jours et porte même une plaque) à 5 km de Sidi Brahim. Le lendemain, l’émir Abdelkader sera reçu par les généraux Lamoricière et Cavaignac ainsi que par le colonel Montauban au lieu-dit « Saint Sidi-Brahim ». Il sera immédiatement emmené à Nemours (Ghazaouat).
L’accord ratifié par le Duc d’Aumale
Il sera présenté devant le Duc d’Aumale qui ratifiera l’accord. On annoncera à l’émir qu’il sera embarqué en direction d’Oran avec toute sa famille. Avant de quitter le prince, l’émir Abdelkader lui donna un cheval de soumission pour consacrer sa vassalité et sa reddition comme le voulait la coutume.
Il insistera auprès des vainqueurs pour qu’il quitte la ville d’Oran. On mettra à sa disposition une frégate à vapeur, « l’Asmodée ». Il acceptera sans coup férir. La frégate quittera Oran avec 97 membres de sa famille qui était composée de 61 hommes, 21 femmes et 15 enfants. Il y avait parmi eux ses trois femmes.
Le 29 décembre 1847, la frégate arrimera à Toulon. Débarqué au Lazaret de Saint Mandrier, l’émir Abdelkader et sa famille seront ensuite transférés au fort Lamalgue toujours à Toulon.
Alors qu’il était dans la diligence qui le conduisait de Sète vers Pau, l’émir Abdelkader questionnera longuement l’escorte. Il leur dira : « Pourquoi les Français veulent-ils occuper mon pays fait de sable et de rocher alors qu’ils possèdent des plaines, des vergers, des fleuves en abondance ? ».
Il passera la nuit dans le château de Pau. Il ne sortira pas, refusant même la promenade qu’on lui avait proposée. Curieux, les gardes lui demandèrent pourquoi il ne voulait pas sortir et prendre de l’air. Furieux, il répliquera avec cette phrase lourde de sens : «Un Arabe en deuil ne quitte jamais sa tente. Je suis en deuil et je ne quitterai pas ma chambre». L’émir Abdelkader ne refusera néanmoins pas les visiteurs qui affluaient de partout.
Il n’arrêtait pas de leur rappeler que la France n’avait pas tenu sa parole. Le 3 novembre 1848 il quittera Pau en direction d’Amboise. Avant de sortir, il déclarera aux présents venus nombreux, qu’il laissait à Pau un morceau de son cœur. L’émir sera emprisonné durant cinq longues années.
Elu le 10 décembre 1848 à la présidence, Louis Napoléon Bonaparte proposera de le libérer. En janvier 1849, alors qu’il était avec le maréchal Bugeaud à la faveur d’une réunion tenue au palais de Saint Cloud, il rencontrera une vive opposition à sa proposition concernant la libération de l’émir Abdelkader. Outre son ministre de la Guerre, la chambre avait fait connaître son opposition demandant le maintien en prison du « rebelle » algérien.
Libéré le 16 octobre 1852, l’émir Abdelkader acceptera d’être exilé en Syrie. Il prêtera serment de ne plus provoquer des hostilités en Algérie et ce au mois de décembre de la même année. En 1855, il se rendit à Bursa, une ville située au nord-ouest de l’Anatolie, en Turquie qu’il quittera à la suite d’un puissant séisme qui avait pratiquement détruit cette ville. Il s’installera d’abord à Istanbul et sera autorisé à aller à Damas en Syrie.
Conflit entre musulmans et chrétiens à Damas
Il enseignera la théologie à la mosquée des Omeyyades à Damas. Il créera même une grande bibliothèque dans sa résidence qu’il fera visiter aux nombreux visiteurs qui venaient chaque jour lui manifester leur soutien. Le 9 juillet 1860, une guerre civile éclata au Mont-Liban. Elle se propagera et atteindra Damas. Ce conflit mettra aux prises les musulmans et les chrétiens. Des sunnites fanatisés assassineront plus de 5000 chrétiens.
Ahmed Pacha, le gouverneur ottoman de la ville, se rendra complice de ce massacre par son inaction. Il sera dénoncé par les musulmans même qui ne s’inscrivaient pas dans la logique intégriste de certains de leurs compatriotes. Face à ce laxisme, l’émir Abdelkader réagira. Il protègera, au péril de sa vie, la communauté chrétienne de Damas. Il sauvera plus de 12 000 chrétiens. Les Algériens qui habitaient le quartier de Salhieh se constitueront en milice. Ils interviendront et participeront à la guerre civile en se portant garants des chrétiens qui s’étaient réfugiés dans leurs quartiers.
Des dizaines de fanatiques musulmans seront tués par les Algériens de Damas (1). Les Européens, entre autres, la cité du Vatican, l’empire de Russie témoigneront leur gratitude à l’émir Abdelkader et ses hommes pour avoir sauvé et protégé les chrétiens. Le roi de Prusse lui fera don d’une paire de pistolets en guise de gratitude. En 1869, l’émir Abdelkader sera invité aux festivités ayant marqué l’inauguration du canal de Suez (2). Invité d’honneur, on l’installera à côté de l’impératrice Eugénie (3). Il mourra à Damas le 26 mai 1883. Incinéré, ses cendres seront récupérées en 1965. Elles seront inhumées dans le Carré des martyrs du cimetière El-Alia d’Alger. L’ Émir Abdelkader aurait souhaité être enterré à Damas. Sa volonté ne sera donc pas respectée.
Victime d’une grotesque falsification :
Enfin l’émir Abdelkader a été victime d’une grotesque falsification. La correspondance qu’il avait adressée aux autorités faisait état de son désir de signer un armistice et qu’il était prêt à avoir un rendez-vous avec le général Bugeaud afin de ratifier les clauses y afférentes.
Le général Bugeaud dans son rapport avait mentionné ce rendez-vous. Ses supérieurs remplaceront le « rendez-vous » par « il s’est rendu ». Ceci entachera cette époque de l’histoire algérienne.
En effet, en acceptant de dialoguer et de signer un armistice avec les Français, l’émir Abdelkader venait de sauver la vie à ses 1200 hommes pris en étau par 155 000 Marocains et 125 000 soldats français.
1)- Après son départ d’exil pour Damas, l’émir Abdelkader sera suivi par des milliers d’Algériens qui voulaient être à ses cotés. Au nombre de 2000 personnes, ces Algériens ont vu leur effectif s’agrandir. Aujourd’hui, ils sont appelés « Algériens » et ne possèdent pas la nationalité syrienne.
Ils vivent toujours dans le quartier de Salhieh, à Damas.
La Tafna, le 30 mai 1837,
Le Lieutenant-Général commandant à Oran
(Le sceau de l’Emir sous le texte arabe,
Le sceau du général Bugeaud sous le texte français).
Les Flittas
Installée au nord Mascara au XIe siècle, la puissante tribu des Flittas est d’origine saoudienne. (Voir notre édition n° 276 du mercredi 22 mai 2013, article intitulé « Sur les traces de l’émir Abdelkader », et annonçant l’organisation d’une journée par l’Agence algérienne pour le rayonnement culturel (Aarc)le 26 mai à Dar Abdelatif (Alger).
Du traité de la Tafna à la trahison française ;
Le traité de la Tafna donnait à l’émir Abdelkader, excepté la province de Constantine, l’ancienne Régence d’Alger. Traité d’égal, on lui reconnaissait sa souveraineté et même une certaine indépendance vis-à-vis du colonisateur. Néanmoins, ce traité n’avait aucune garantie.
En effet la convention signée par les deux parties s’inspirait du caractère religieux et moral. Après avoir ratifié cet accord, le général Bugeaud demanda à voir l’émir Abdelkader. Il lui fixera la date et l’endroit de l’entrevue. Il proposera un rendez-vous non loin de l’endroit où fut signé le traité, à quelques kilomètres de Tafna.
Le général Bugeaud y sera, comme convenu, à 9h00 après avoir reçu l’accord de son ex-ennemi. Il sera accompagné de pièces de montagne, de dix escadrons de cavalerie et de six bataillons d’infanterie. L’émir Abdelkader tardera bien évidement à venir à l’heure. L’orgueil l’en empêchera.
L’après-midi, on annoncera enfin au général Bugeaud que le chef algérien était en route mais qu’il était malade. Quelques heures, on apercevra l’émir Abdelkader avec son escorte.
L’émir qui n’était pas malade se méfiait des Français. Les Français commençaient eux aussi à douter de la bonne foi de l’émir. Le chef de la tribu des Oulanahs dira au général : « N’ayez crainte ». Le général sentit son amour propre atteint par cette phrase répondit : « Je n’ai pas peur. J’ai l’habitude de vous avoir en face de moi dans d’autres circonstances. Je suis tout simplement déçu qu’on me fasse attendre aussi longtemps ». Entouré de deux cents éléments qu’il précédait de quelques pas, l’émir Abdelkader arriva à hauteur du général Bugeaud.
Il descendit de cheval. Une accolade entre ces deux chefs de guerre ôtera alors toute suspicion. A la question concernant sa santé, le général répondit qu’il se portait bien. L’émir Abdelkader, dans le but de le narguer, lui rétorquera : « Moi aussi je vais très bien mon général ». L’entretien portera sur l’engagement signé par les deux parties. Ceci apportera des éclaircissements précis sur les points d’achoppement qui minaient le traité de la Tafna.
Il fallait soulever les désaccords. Cet entretien permettra à l’émir Abdelkader d’avoir une vue sur les responsabilités des généraux français. Le rétablissement des relations commerciales entre les villes achoppera sur une revendication de l’émir Abdelkader qui demanda la restitution de la ville de Tlemcen. Il ajoutera que les relations commerciales pourront alors prendre effet dans un délai de quinze jours au minimum. Excédé par l’arrogance de l’émir, le général Bugeaud lui répondra : « En les privant des bienfaits commerciaux tu lèseras tes compatriotes. Nous sommes en mesure de résilier cette clause relative aux échanges commerciaux et nous retourner vers la côte ».
Echec de l’entretien entre algériens et français
Les Algériens et les Français se séparèrent. L’échec de cet entretien était, au vu des revendications des deux camps, latent dès le départ. Le général Bugeaud écrira au Comte Molé, président du conseil après l’unique entretien qu’il avait eu avec l’émir Abdelkader : «Cet homme est un génie.L’histoire doit le placer à côté de Jugurtha. Il ressemble curieusement au portrait que nous les chrétiens avons donné au Christ.» La France reconnaissait, en effet, que l’émir Abdelkader prenne sous son autorité l’ensemble du beylik de l’Ouest, excepté les villes d’Oran, d’Arzew, de Mostaganem et de Mazafran. Il lui sera reconnu une autorité totale sur le beylik du Titteri et sur une partie de la province d’Alger hormis Alger, Blida et les plaines de la Mitidja et du Sahel algérois. En un mot, l’émir Abdelkader bénéficiera de deux tiers de l’Algérie du nord. Il s’efforcera de bâtir un Etat indépendant sur la base de critères religieux. Il nommera des khalifa pour administrer les provinces. Mohammed Ben Allel sera nommé khalif dans les territoires de l’Algérois.
L’expédition « portes de fer » est lancée par l’armée française le 25 octobre 1839 dans le but d’empêcher toute liaison avec les troupes de l’émir Abdelkader. Ce dernier, mis dans l’embarras et devant le fait accompli, appela à l’aide le sultan du Maroc. Il voulait annexer la région s’étalant entre Tafna et Oujda ainsi que le Constantinois.
Il nommera même un khalif. En violation des accords de la Tafna, l’expédition « portes de fer » en Kabylie sera dénoncée par les Algériens.
Une embuscade meurtrière dirigée par l’émir Abdelkader se soldera par beaucoup de victimes. Il perdra quelques jours plus tard les villes de Cherchell, Miliana et d’autres. En 1842, le général Bugeaud sera nommé gouverneur général de l’Algérie. Il apportera des changements dans les tactiques de guerre jusque-là menées. Il forma des troupes régulières composées de Zouaves et de Spahis et des corps irréguliers constitués de «goumiers ».
L’ Émir Abdelkader déplacera 30000 personnes
Des attaques de grande envergure seront menées par les troupes françaises. Devant cette déferlante, l’émir Abdelkader déplacera sa smala, une capitale ambulante de 30 000 personnes, vers le sud, plus exactement sur les Hauts-Plateaux. Le 16 mai 1843, l’émir Abdelkader subira un grave revers.
Sa smala sera prise d’assaut dans la région de Boghar par le Duc d’Aumale. Son khalifa, Mohammed Ben Allel, tué le 11 novembre, l’affaiblira davantage. Face à ces défaites, il tentera de ressembler le reste de ses troupes sous un groupe qu’il nommera « déîra ». Il appellera à nouveau le sultan du Maroc à la rescousse. Le 14 août 1844, les troupes marocaines seront à leur tour défaites non loin d’Oujda à la bataille de l’Isly du nom d’un oued frontière naturelle séparant l’Algérie et le Maroc au nord. Un traité sera signé entre les belligérants le 10 septembre 1844. Il stipulera que l’émir Abdelkader sera mis hors-la-loi dans les deux colonies françaises.
Les autorités françaises ne pouvaient pas oublier l’embuscade tendue à Sidi Brahim le 23 septembre 1845 et qui s’était soldée par la mort du colonel Montagnac et de la plupart des 450 soldats qui l’accompagnaient. Les tribus des Hauts-Plateaux commencèrent à se soumettre à la fin de l’année 1845. Informé, l’émir et les troupes qui lui étaient restées fidèles se lanceront dans la répression des Ouled Naïl dirigés par le goumier Si Chérif Ben Lahrech que l’émir avait lui-même nommé khalif. L’émir Abdelkader, ne voulant en aucun cas se soumettre au joug français, se rendra en Kabylie afin de nouer une alliance commune contre la France. Peine perdue !
Des combats meurtriers l’opposeront aux ennemis :
Les tribus kabyles qui étaient méfiantes et qui n’avaient pas compris les desseins de l’émir Abdelkader refusèrent de s’y impliquer préférant combattre l’ennemi seules. Poursuivi par les militaires français, l’émir Abdelkader se rendra dans la région de Djelfa. Des combats meurtriers l’opposeront aux soldats ennemis à Aïn Kahla, Zenina et le long de l’oued Boukahil.
L’émir Abdelkader, qui refusait de se rendre au sultan du Maroc, se rapprochera des principaux officiers et des fonctionnaires de la cour de Fès. Un ex-brigadier qui s’était échappé de la déîra et qui dirigeait le 2ème Régiment de chasseurs d’Afrique informera le général que l’émir s’apprêtait à aller au sud du pays. Le 21 décembre 1847, les troupes de l’émir Abdelkader cantonnées au Maroc, traversèrent l’oued Kiss. Leur entrée sur le territoire de l’ex-Régence ne passera pas inaperçue. Le général Lamoricière envoya immédiatement deux détachements de vingt spahis.
Habillés en burnous blancs, ces derniers étaient commandés par les lieutenants Bou Karouias et Brahim. Abdelkader, chargera des hommes afin d’obtenir auprès de ses ennemis l’amane (assurance). Le général Lamoricière accepta. Il lui donna son propre sabre en guise de confiance. L’émir Abdelkader proposera sa reddition à condition que les autorités coloniales le transfèrent à Alexandrie (Egypte) ou à Saint-Jean-D’acre. Il recevra le consentement de l’officier français.
Le 23 décembre 1847 un rendez-vous sera fixé entre les deux hommes sous un arbre (cet arbre existe de nos jours et porte même une plaque) à 5 km de Sidi Brahim. Le lendemain, l’émir Abdelkader sera reçu par les généraux Lamoricière et Cavaignac ainsi que par le colonel Montauban au lieu-dit « Saint Sidi-Brahim ». Il sera immédiatement emmené à Nemours (Ghazaouat).
L’accord ratifié par le Duc d’Aumale
Il sera présenté devant le Duc d’Aumale qui ratifiera l’accord. On annoncera à l’émir qu’il sera embarqué en direction d’Oran avec toute sa famille. Avant de quitter le prince, l’émir Abdelkader lui donna un cheval de soumission pour consacrer sa vassalité et sa reddition comme le voulait la coutume.
Il insistera auprès des vainqueurs pour qu’il quitte la ville d’Oran. On mettra à sa disposition une frégate à vapeur, « l’Asmodée ». Il acceptera sans coup férir. La frégate quittera Oran avec 97 membres de sa famille qui était composée de 61 hommes, 21 femmes et 15 enfants. Il y avait parmi eux ses trois femmes.
Le 29 décembre 1847, la frégate arrimera à Toulon. Débarqué au Lazaret de Saint Mandrier, l’émir Abdelkader et sa famille seront ensuite transférés au fort Lamalgue toujours à Toulon.
Alors qu’il était dans la diligence qui le conduisait de Sète vers Pau, l’émir Abdelkader questionnera longuement l’escorte. Il leur dira : « Pourquoi les Français veulent-ils occuper mon pays fait de sable et de rocher alors qu’ils possèdent des plaines, des vergers, des fleuves en abondance ? ».
Il passera la nuit dans le château de Pau. Il ne sortira pas, refusant même la promenade qu’on lui avait proposée. Curieux, les gardes lui demandèrent pourquoi il ne voulait pas sortir et prendre de l’air. Furieux, il répliquera avec cette phrase lourde de sens : «Un Arabe en deuil ne quitte jamais sa tente. Je suis en deuil et je ne quitterai pas ma chambre». L’émir Abdelkader ne refusera néanmoins pas les visiteurs qui affluaient de partout.
Il n’arrêtait pas de leur rappeler que la France n’avait pas tenu sa parole. Le 3 novembre 1848 il quittera Pau en direction d’Amboise. Avant de sortir, il déclarera aux présents venus nombreux, qu’il laissait à Pau un morceau de son cœur. L’émir sera emprisonné durant cinq longues années.
Elu le 10 décembre 1848 à la présidence, Louis Napoléon Bonaparte proposera de le libérer. En janvier 1849, alors qu’il était avec le maréchal Bugeaud à la faveur d’une réunion tenue au palais de Saint Cloud, il rencontrera une vive opposition à sa proposition concernant la libération de l’émir Abdelkader. Outre son ministre de la Guerre, la chambre avait fait connaître son opposition demandant le maintien en prison du « rebelle » algérien.
Libéré le 16 octobre 1852, l’émir Abdelkader acceptera d’être exilé en Syrie. Il prêtera serment de ne plus provoquer des hostilités en Algérie et ce au mois de décembre de la même année. En 1855, il se rendit à Bursa, une ville située au nord-ouest de l’Anatolie, en Turquie qu’il quittera à la suite d’un puissant séisme qui avait pratiquement détruit cette ville. Il s’installera d’abord à Istanbul et sera autorisé à aller à Damas en Syrie.
Conflit entre musulmans et chrétiens à Damas
Il enseignera la théologie à la mosquée des Omeyyades à Damas. Il créera même une grande bibliothèque dans sa résidence qu’il fera visiter aux nombreux visiteurs qui venaient chaque jour lui manifester leur soutien. Le 9 juillet 1860, une guerre civile éclata au Mont-Liban. Elle se propagera et atteindra Damas. Ce conflit mettra aux prises les musulmans et les chrétiens. Des sunnites fanatisés assassineront plus de 5000 chrétiens.
Ahmed Pacha, le gouverneur ottoman de la ville, se rendra complice de ce massacre par son inaction. Il sera dénoncé par les musulmans même qui ne s’inscrivaient pas dans la logique intégriste de certains de leurs compatriotes. Face à ce laxisme, l’émir Abdelkader réagira. Il protègera, au péril de sa vie, la communauté chrétienne de Damas. Il sauvera plus de 12 000 chrétiens. Les Algériens qui habitaient le quartier de Salhieh se constitueront en milice. Ils interviendront et participeront à la guerre civile en se portant garants des chrétiens qui s’étaient réfugiés dans leurs quartiers.
Des dizaines de fanatiques musulmans seront tués par les Algériens de Damas (1). Les Européens, entre autres, la cité du Vatican, l’empire de Russie témoigneront leur gratitude à l’émir Abdelkader et ses hommes pour avoir sauvé et protégé les chrétiens. Le roi de Prusse lui fera don d’une paire de pistolets en guise de gratitude. En 1869, l’émir Abdelkader sera invité aux festivités ayant marqué l’inauguration du canal de Suez (2). Invité d’honneur, on l’installera à côté de l’impératrice Eugénie (3). Il mourra à Damas le 26 mai 1883. Incinéré, ses cendres seront récupérées en 1965. Elles seront inhumées dans le Carré des martyrs du cimetière El-Alia d’Alger. L’ Émir Abdelkader aurait souhaité être enterré à Damas. Sa volonté ne sera donc pas respectée.
Victime d’une grotesque falsification :
Enfin l’émir Abdelkader a été victime d’une grotesque falsification. La correspondance qu’il avait adressée aux autorités faisait état de son désir de signer un armistice et qu’il était prêt à avoir un rendez-vous avec le général Bugeaud afin de ratifier les clauses y afférentes.
Le général Bugeaud dans son rapport avait mentionné ce rendez-vous. Ses supérieurs remplaceront le « rendez-vous » par « il s’est rendu ». Ceci entachera cette époque de l’histoire algérienne.
En effet, en acceptant de dialoguer et de signer un armistice avec les Français, l’émir Abdelkader venait de sauver la vie à ses 1200 hommes pris en étau par 155 000 Marocains et 125 000 soldats français.
1)- Après son départ d’exil pour Damas, l’émir Abdelkader sera suivi par des milliers d’Algériens qui voulaient être à ses cotés. Au nombre de 2000 personnes, ces Algériens ont vu leur effectif s’agrandir. Aujourd’hui, ils sont appelés « Algériens » et ne possèdent pas la nationalité syrienne.
Ils vivent toujours dans le quartier de Salhieh, à Damas.
2)- Réalisé le 17 novembre 1869 par la Compagnie de Ferdinand de Lesseps, le Canal de Suez a été inauguré en présence de l’impératrice Eugénie et de l’Empereur d’Autriche, François-Joseph. Long de 162 kilomètres et large de 54 mètres, il a une profondeur de 8 mètres. Cet ouvrage permet de relier la mer Rouge à la mer Méditerranée d’une part et d’avoir un accès vers l’océan Pacifique, d’autre part.
3)- Présente lors de l’inauguration du canal de Suez, Impératrice Eugénie est l’épouse de Napoléon III.
3)- Présente lors de l’inauguration du canal de Suez, Impératrice Eugénie est l’épouse de Napoléon III.
Rachid YAHOU
Photo réelle de l’Emir ABDEL KADER , qui est à l’origine en noir et blanc. Coloriée par Si Omar EL ANKAOUI.