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12/24/2015

La Rouleuse de couscous à Tiaret


Ma Halima», bientôt nonagénaire, est rouleuse de couscous depuis quarante années. Au début, pour cette première épouse d’un quidam disparu depuis plus de trente ans, «rouler le couscous» était une tâche ménagère comme les autres.

Etre femme signifiait alors qu’il fallait se lever le matin, préparer la galette de pain, traire les vaches, préparer le café en usant du brasero pour raviver le feu du «kanoun», passer au métier à tisser pour finir la djellaba, l’épais tapis, non sans se plier en quatre pour être aux aguets à la moindre alerte de son «rugueux époux».
Aujourd’hui, «Ma Halima» continue de rouler le couscous mais du bon, «pas celui de mauvaise qualité que certaines femmes nous fourguent à prix élevé», dira Saim, ancien épicier de quartier et rare commerçant qui continue de faire l’effort d’acheter du local pour, à la fois, valoriser le produit du terroir et accéder aux désidératas de certains de ses clients. «Acheter du couscous fait à la maison n’est pas une sinécure», dira notre commerçant qui évoque «des cas de tromperies». «Dénicher la bonne femme qui vous livre du couscous bien roulé et surtout bien séché, c’est rare», concède-t-il. Les prix varient de 100 à 130 dinars le kilogramme. Pour «Ma Halima» qui réside dans une vieille masure, un «haouch» en plein cœur de la ville de Tiaret, mettre la main à la pate en dépit de son âge avancé, c’est subvenir à ses besoins élémentaires. «Ça demande du temps, de la patience mais aussi de la passion non sans une complicité totale avec mes clientes, pas nombreuses, mais fidèles et pleines d’attentions. Ce métier, si l’on ose le qualificatif, m’a permis, outre les achats ordinaires, d’accomplir une «omra» aux lieux saints de l’Islam. Je remercie Dieu ! Sans mon labeur, nous n’aurions pas pu survivre décemment, moi et la seconde épouse de mon défunt époux, car sans rente aucune.
Ce ne sont pas les clientes qui manquent d’ailleurs, je ne peux pas satisfaire toutes les commandes. Rouler du bon couscous, c’est avoir de la bonne semoule, de la farine, des terrines, beaucoup d’ustensiles en osier et de la place pour le séchage qui dure plusieurs jours. Avec le temps, je me suis habituée bien que le poids de l’âge se fait sentir. Mon unique fille s’est mariée depuis voilà quinze ans et le métier risque de connaitre un coup d’arrêt, et ce malgré le fait que quelques familles tiennent encore à la tradition. Aujourd’hui les femmes sont fainéantes. Elles préfèrent le prêt à manger», soupire encore Ma Halima. «Les filles d’aujourd’hui excellent plutôt dans la fabrication de gâteaux et de pâtisseries dans les centres de formation mais peu d’entre-elles apprennent les rudiments du compter sur soi. Là réside la différence», conclut cette vielle femme, elle-même, relique d’une espèce en voie de disparition.                         
Fawzi Amellal
EL WATAN

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