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7/22/2014

Cheikh Mohamed El Bachir El Ibrahimi et la Révolution

Nadjib Achour
Successeur du Cheikh Ibn Badis à la tête de l’Association des Oulémas, le Cheikh Bachir El Ibrahimi incarna avant tout la fidélité à l’héritage et à l’idéal badisien. Il poursuivit l’œuvre du défunt et sous son égide, les Oulémas initièrent une seconde révolution islahiste qui se matérialisa par la multiplication des médersas, la fondation de l’Institut Ibn Badis et le foisonnement d’une vie culturelle de langue arabe qui n’était jusque là que balbutiante. Le Cheikh Ibrahimi s’il fut l’homme de la continuité n’en fut pas moins celui du changement ; beaucoup plus porté que son prédécesseur sur la chose politique, il fit de la doctrine islahiste, une véritable idéologie nationaliste dont les soubassements organiques, l’Islam et l’arabisme,  constituèrent ce fameux levain nécessaire à la renaissance du peuple algérien et à son combat pour l’indépendance.
L’année 1951 fut un tournant, le Cheikh El Ibrahimi partit pour l’Orient arabe,  multiplia les voyages où il popularisa et fit connaître le combat que menait depuis sa fondation, l’Association des Oulémas. Installé au Caire, devenu suite à la révolution des Officiers libres de Juillet 1952, la capitale d’un monde arabe  en pleine effervescence ; le Cheikh El Ibrahimi y côtoya de nombreux cadres des  mouvements  nationalistes  arabes et  fréquenta aussi les principaux dirigeants des Frères-Musulmans.
Lorsque  cet article du Cheikh El Ibrahimi fut publié dans la revue égyptienne  El Hillal le 1er janvier 1957, l’Algérie était alors en pleine révolution. Les Oulémas qui au début de l’année 1956 avaient rallié officiellement le FLN, faisaient désormais partie intégrante des structures organisationnelles du mouvement révolutionnaire et ce à tous les échelons. Le Cheikh El Ibrahimi,  en dépit des manœuvres du pouvoir nassérien qui tenta de le marginaliser en raison d’une proximité ostentatoire avec le mouvement des Frères-Musulmans alors violement réprimés, continua à mener ses activités d’habile propagandiste visant à soutenir l’Algérie combattante.
Le Cheikh El Ibrahimi rompit très tôt le silence de l’Association des Oulémas, il rédigea le 15 novembre 1954 avec le Cheikh Foudil El Ourtilani «  un appel au peuple Algérien combattant »[1]. Fin 1954, il s illustra lors d’une réunion organisée le 22 décembre au siège de l’Association de la Jeunesse Musulmane avec pour thématique l’Algérie en révolte[2].  Il accusa la France « de ployer la population musulmane d’Algérie sous un joug de misère, de maladie, d’ignorance, de haine, et de tortures »[3], puis il dénonça les tentatives de christianisation du peuple algérien par le biais de missionnaires fanatiques[4]. Il exalta « la sainte lutte de l’Algérie arabe »  et déclara que «  la révolte ne s’arrose pas avec de l’eau, mais avec du sang ; son fruit c’est la liberté »[5].

Intervenant régulièrement sur les ondes de la « Voix des Arabes » (Sawt El Arab), le Cheikh El Ibrahimi au courant de l’année 1955,  louait déjà le combat des Moudjahidines du FLN  en ces termes :
« Cette révolte sublime déclenchée en Algérie contre l’abject colonialisme français, cet impérialisme qui est le plus ignominieux et le plus odieux des impérialismes existant sur la face du globe ; cette injure jetée à la face du monde. Cet impérialisme a sucé le sang de l’Algérie, il a dépouillé ce pays, lui a coupé les ailes et a réduit à l’esclavage ses enfants. Ceux-ci fatigués d’employés dans leur lutte des méthodes pacifiques : la logique que l’impérialisme ne comprend pas, le bon sens qu’il ne connait pas ; acculés à la dernière extrémité  ils se sont soulevés, bravant la mort pour pouvoir enfin vivre et opposant la foi inébranlable à la force matérielle. Ils se sont soulevés pour lutter à un contre mille […] Les Algériens ont eu  recours en définitive à l’épée, cet arbitre juste et impartial. Ils ont commencé à agir au début de cette année ; cette activité ne peut que s’accroître de jour en jour et l’année prochaine connaîtra une plus grande intensité. Ils établiront une fois pour toute que l’Algérie est une partie intégrante de la patrie arabe et non une province française »[6].
Ce fut d’ailleurs, l’essentiel du propos qu’il développa dans cet article, traduit par les services de l’armée française[7], et dont la finalité était de restituer dans sa plénitude, la place de l’Association des Oulémas dans le combat contre le colonialisme français. Le Cheikh El Ibrahimi rappela la doxa sur laquelle reposait le système colonial qui privait l’Algérien de l’exercice de sa religion et de sa langue, et la lutte ne fut finalement possible que grâce à cette réappropriation de sa culture arabo-islamique et de son histoire par la jeunesse algérienne dans les écoles même des Oulémas. Le Cheikh El Ibrahimi préconisait un arabisme de combat  dont la finalité ne pouvait être qu’unitaire scellant définitivement  les destinées du Maghreb et du Machreq. Cette perspective unitaire demeurait la seule option  pour ainsi mettre en déroute les manœuvres du colonialisme français au Maghreb.


[1] « Nida ila cha3b el djeza’iri el moudjahid » in Fi Qalbi El Ma’arakat, Dar El Houma, Alger, 2007
[2] FR CAOM 93/4257. Rapport du SLNA du Gouvernement Général de l’Algérie. Bulletin mensuel des questions islamiques daté de janvier 1955.
[3] FR CAOM 93/4257. Rapport du SLNA du Gouvernement Général de l’Algérie. Bulletin mensuel des questions islamiques daté de janvier 1955.
[4] FR CAOM 93/4257. Rapport du SLNA du Gouvernement Général de l’Algérie. Bulletin mensuel des questions islamiques daté de janvier 1955.
[5] Il exalta « la sainte lutte de l’Algérie arabe »  et déclara que «  la révolte ne s’arrose
[6] FR CAOM 93/4257. Allocution du Cheikh El Ibrahimi  « Les réalisations du monde musulman en un an »  à la radio « La Voix des Arabes » le 22 mai 1955 à 18h45.
[7] FR CAOM 93/4257.  Note de renseignement de l’Etat-major 2ème bureau, corps d’armée de Constantine, 10ème région militaire daté du 2 mai 1957.

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