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7/22/2014

L’UGTA ET LE ROLE DE AISSAT IDIR

Par Benyoucef Benkhedda



I -  L’UGTA


Il a fallu  attendre 1956 pour que les travailleurs algériens puissent adhérer à un syndicat spécifiquement algérien.

A la veille du 24 février 1956, il existait en Algérie des syndicats groupés en unions affiliées à la centrale mère française, principalement l’UGSA-CGT (communiste), CGT-FO (socialo-maçonnique), CFDT (Confédération  française des travailleurs chrétiens), Cadres, SNI (syndicat national des instituteurs) etc.  L’UGSA-CGT regroupait en son sein le plus gros des travailleurs syndiqués, les Algériens fournissaient 70 à 80 % des effectifs.

Si l’UGTA est née le 24 février 1956, le principe de la création d’une Centrale syndicale algérienne remonte au Congrès du MTLD en 1953.  L’application de la décision du Congrès ne put voir le jour en raison de la scission du premier parti nationaliste d’Algérie qui apparut l’année même.

Il faut rappeler une décision essentielle en matière syndicale.  En effet, les dirigeants du PPA-MTLD comprirent rapidement que sans l’appui des travailleurs le parti nationaliste risquait de se priver d’une force essentielle au profit d’un parti concurrent le PCA.  C’est pourquoi le 1er Congrès du PPA-MTLD en 1953, reprit l’idée du Comité central et décida de créer une commission syndicale chargée de suivre toutes les questions intéressant le monde du travail.

L’activité de cette commission ne se limitait pas aux seuls travailleurs.  Dans un pays où le chômage sévissait à l’état endémique, le sort des travailleurs sans emploi devait retenir l’attention et l’intérêt de ceux chargés de défendre les plus déshérités.  C’est ainsi qu’à l’initiative de cette commission des comités de chômeurs furent mis sur pied, dans les grandes villes où ils étaient les plus nombreux.  Ils tinrent une réunion dans la capitale et désignèrent un président le frère Mohammed Fellous (El Harrach).  Réunis dans la capitale, les délégués désignés par ces comités vont donner naissance à la Fédération des chômeurs et élire à sa tête Mohammed Fellous.  Celui-ci sera un des premiers militants du FLN à Alger, très proche de Aïssat idir ; il connaîtra les maquis de l’Algérois, de la Kabylie et de l’Oranie.  Une action fut menée à travers le territoire en vue de faire connaître leur situation et contraindre l’administration  française à prendre en considération leurs revendications.

Aïssat Idir, membre du Comité central du PPA-MTLD fut chargé par la Direction du Parti de constituer cette commission et de prendre les contacts préalables avec nos voisins marocains et tunisiens[1].

La Commission syndicale comprenait :

-          Aïssat Idir, cadre aux ateliers de l’AIA de Maison Blanche,
-          Djermane Rabah, Secrétaire au syndicat des dockers d’Alger et à l’Union algérienne des dockers,
-          Ben Aïssa Attalah, Secrétaire au syndicat des hospitaliers et membre de l’Union algérienne des hospitaliers,
-          Bourouiba Boualem, Secrétaire à l’Union algérienne des syndicats de cheminots,
-          Charef Bachir, Secrétaire au syndicat des hospitaliers de Blida.
-          Oudjina Driss, permanent.

C’étaient tous des militants du PPA-MTLD.

Le rôle de la Commission prit rapidement de l’importance.  Pour la première fois l’activité des syndicalistes MTLD qui militaient à la CGT était coordonnée, des directives claires précisaient le rôle que leur imposait leur appartenance à un parti qui luttait pour l’indépendance de leur patrie.  (Le paradoxe était que ceux-ci servaient de troupe de choc aux dirigeants communistes européens dans leurs actions qui débouchaient le plus souvent sur la satisfaction des revendications intéressant les seuls Européens).

La Commission avait comme tribune L’Algérie Libre où la rubrique syndicale était assurée par Aïssat Idir.  Dès qu’il apprenait une nouvelle, un fait, Aïssat se mettait à rédiger un papier.  Polémiste consommé, s’appuyant sur des chiffres, des statistiques, des textes, il était rarement pris en défaut par ses  adversaires.

Les communistes, sentant le courant nationaliste se développer au sein des travailleurs algériens, abandonnèrent l’étiquette CGT pour l’UGSA (Union générale des syndicats algériens).  C’est en juin 1954 que le changement intervint à l’occasion de la tenue de la 5ème conférence des syndicats CGT d’Algérie du dernier congrès tenu avant sa dissolution par l’autorité coloniale.  Au cours des débats très animés, les ténors de la CGT mirent l’accent sur les différents courants qui agitaient leur organisation.  Les travailleurs d’origine européenne estimaient que leur union s’engageait trop loin dans son action en faveur des plus déshérités, c’est-à-dire les Algériens.  Les syndicalistes appartenant au parti nationaliste (PPA-MTLD) voulaient pour leur part aller plus vite et plus loin dans cette voie.

Pour André Ruiz, secrétaire général de la CGT, l’orientation suivie par l’Union était la plus sage.  Il devait se rendre compte, quelques mois plus tard… le 1er Novembre 1954, qu’il s’était trompé dans son analyse.  A vouloir ménager le chou et la chèvre, l’organisation qu’il dirigeait allait perdre l’un et l’autre.

A la suite des actions du 1er Novembre, pour endiguer le flot de démissions enregistrées parmi la clientèle européenne et suivant la ligne du PCA les communistes dénoncent «les attentats individuels» dans la presse syndicale et dans les tracts diffusés parmi les syndiqués.

Au printemps 1955, Moulay Merbah tente de créer une Centrale d’obédience messaliste.  Ex-membre du Comité central, il voulait en cela appliquer une décision du dernier Congrès du PPA-MTLD réuni en 1953, mais au profit exclusif du MNA issu de la scission du PPA-MTLD.  Sachant combien ce projet tenait à cœur aux travailleurs algériens, il s’appuya sur Laïd Kheffache, Mohammed Ramdani, Mohammed Sellali, traminots, Ahmed Djemaï hospitalier et quelques autres pour tâter le terrain dans la capitale en vue de la création d’une Centrale syndicale nationale.

Connaissant leur appartenance à la Commission syndicale du PPA-MTLD, les antennes du MNA  prennent contact avec Djermane, Ben Aïssa, Bourouiba et les mettent dans la confidence.

Ces derniers ont opté pour le FLN, comme leurs activités en ce printemps 1955 sont limitées, ils se retrouvent fréquemment pour étudier l’évolution de la situation politique et plus particulièrement le sort réservé aux travailleurs algériens.

Aïssat est chargé d’informer le Front vraisemblablement par le truchement de Hachemi Touati des prétentions des messalistes et demande des instructions.  Consigne donnée : maintenir le contact avec les représentants du MNA, assister aux réunions communes, faire traîner les choses en longueur.  Ce qui ne les empêche pas de faire avancer leur propre projet de lancement d’une Centrale syndicale.  Ayant tous des responsabilités syndicales à l’échelle algérienne, contrairement aux représentant du MNA, ils prennent contact avec les éléments nationaliste de leur connaissance.  Les villes de Constantine, Annaba, Skikda, Sétif, Blida,  Oran, etc. sont touchées.

La pression exercée par les messalistes, fin décembre 1955, se fait plus pressante.  Djermane, Ben Aïssa, Bourouiba acceptent d’accompagner Kheffache et Ramdani à Paris en vue de préparer l’affiliation de la future Centrale à la CISL (Confédération internationale des syndicats libres) qui groupe les travailleurs du «Monde libre».  Ils rencontrent un représentant de l’AFL-CIO américain auquel ils demandent un appui lorsque la candidature de la future Centrale sera déposée au siège de la CISL à Bruxelles.  Les Américains sont réticents, car les membres de la délégation de syndicalistes qu’ils reçoivent sont tous des militants CGT et pour eux, qui dit CGT dit communiste.

Avant de se rendre à Bruxelles la délégation est reçue par Moulay Merbah qui insiste sur l’urgence de créer la Centrale, estimant que trop de temps a été perdu.  Il décide de mettre à la disposition de la future organisation 6 millions de francs ainsi que tous les militants dont nous aurions besoin.  Les militants du Front (Djermane, Ben Aïssa, Bourouiba) prennent quant à eux rendez-vous avec le représentant du FLN.  Aïssat est mis au courant de la nature de la mission et des résultats enregistrés.

Après un voyage en voiture et un passage clandestin à la frontière franco-belge, la délégation se rend à Bruxelles au siège de la CISL.  Le contact est froid.  La CGT-FO elle-même affiliée à la CISL depuis sa création a tenté de réduire à néant l’objet de la mission.  L’étiquette communiste est sortie des tiroirs, le peu de représentativité est évoqué.  Finalement le secrétaire général Holden Block déclare : «Constituez d’abord une organisation et on discutera après !».

Au retour à Paris les parties concernées sont informées de la teneur des entretiens et des résultats enregistrés.

A Alger un compte rendu est remis à Aïssat Idir qui le transmet aux responsables du Front soulignant l’urgence de prendre une rapide décision, si l’on ne voulait pas être coiffés au poteau, les messalistes étant prêts à lancer la Centrale.

Les messalistes visaient à travers le regroupement des travailleurs algériens dans une organisation syndicale nationale, la possibilité de recruter et d’organiser l’ensemble des travailleurs émigrés dans une «Amicale».  Sous une couverture légale ils pouvaient disposer d’une marge de manœuvre et de pression importante qui aurait donné au MNA une autre envergure.

Ben Khedda assure la coordination entre Abane et Aïssat Idir pour les problèmes syndicaux et il pressait Abbane de donner le feu vert.  Celui-ci sous-estimait le syndicat, tout subjugué qu’il était par les problèmes de l’armement et de la lutte armée, jusqu’au jour où le MNA lance l’USTA le 16 février 1956.  C’est alors que Abbane entrevit le danger messaliste et s’avisa d’agir.

Une réunion groupa le 17 février, au domicile de Boualem Bourouiba, Aïsat Idir, Bourouiba, Abbane, Ben Khedda.  Bourouiba tira d’un fer à repasser un rapport qu’il gardait depuis la veille.  Drarini lui avait annoncé la visite de deux responsables du Front tout en lui demandant de préparer un écrit.  Ce furent Abane et Ben Khedda, conduits par Pierre Chaulet dans sa voiture qui repartit après les avoir déposés.  Ils passèrent la nuit en raison du couvre-feu    Il fut convenu :
-          De la dénomination de la Centrale syndicale «Union générale des travailleurs algériens»   UGTA ;
-          La décision de créer un journal fut retenue ;
-          L’adhésion à la CISL sera soumise aux représentants  de l’UGTA dès que possible ;
-          Il est demandé à la direction du Front d’informer les militants du FLN de la nature de la Centrale UGTA et d’encourager les travailleurs algériens à y adhérer en raison de la dualité avec l’USTA messaliste[2]
-          Le FLN versait un million, qui lui serait restitué peu après grâce aux cotisations des travailleurs.
-          Le Premier secrétaire sera Aïssat Idir.

Le secrétariat était collégial et Aïssat Idir en assurait la coordination.  La composition du secrétariat est publiée par ordre alphabétique à l’exception de Ali Yahia Madjid qui est co-opté après coup par les 4.

Une semaine après, chez Mourad Melaïne, où deux ans plus tôt s’était tenu le dernier Congrès du PPA-MTLD, Ben Khedda réunissait le premier secrétariat de l’UGTA groupant Aïssat Idir, Ben Aïssa Attalah, Bourouiba Boualem, Djermane Rabah.  Ce dernier propose Ali Yahia Madjid de la Caisse de sécurité sociale du port comme cinquième secrétaire, sa candidature est acceptée.

Il fut décidé que le secrétariat serait l’émanation de la Commission exécutive composée de 21 membres, elle-même élue par le Congrès.  Celui-ci composé d’une centaine de participants représentant plusieurs milliers de travailleurs de toute l’Algérie, se tint place Lavigerie à l’ex-siège de l’UDMA, le 24 février 1956.  Ce jour-là les statuts furent votés et déposés à la Préfecture d’Alger.

La Centrale créée, le recrutement bat son plein, l’audience de l’UGTA limitée d’abord à l’agglomération algéroise, s’étend rapidement à Blida, Boufarik, Sétif, Constantine, Annaba, Oran.  Les délégations des travailleurs de toute l’Algérie affluent place Lavigerie, réclament les statuts types, des cartes, des timbres et s’en retournent constituer leurs syndicats.

Il restait pour sortir de l’isolement, une reconnaissance à l’échelle internationale.  La même délégation du Front qui s’était déplacée en décembre 1955 en France et en Belgique reprend son bâton de pèlerin au courant de la première quinzaine d’avril 1956.  Elle prend contact à Paris avec le représentant de la Fédération de France du FLN Mohammed-Salah Louanchi et le responsable des Etudiants musulmans Mokrane Mohammed.  Le franchissement de la frontière franco-belge ne se fait pas sans problèmes, les trois délégués sont constamment filés par la police française, aussi bien à l’hôtel qu’au siège de la CISL.  Les représentants de la Centrale internationale savent quel travail a été accompli en deux mois, les dizaines de milliers de syndiqués, la création d’une centaine de syndicats, la parution d’un journal L’Ouvrier Algérien. L’audience recueillie par l’UGTA auprès des travailleurs ne fait pas l’ombre d’un doute.  La candidature déposée est acceptée, elle sera examinée et retenue lors de la réunion de la Commission Exécutive qui se tiendra en juillet 1956.

Rendez-vous est pris avec Mohammed-Salah Louanchi, début juin 1956 pour lancer au cours d’une conférence de presse à Paris, l’Amicale générale des Travailleurs Algériens en France (AGTA).  L’arrestation du premier secrétaire et de nombreux membres de la CE retardèrent la naissance de cette amicale.

A la tête de l’UGTA, Aïssat Idir avait pour mission le soutien au FLN tout en évitant avec ce dernier une collusion trop apparente.

Cette dernière précaution n’empêcha pas Robert Lacoste de procéder à la décapitation de l’UGTA.  La totalité du premier secrétariat est arrêtée ainsi qu’une partie du Bureau de la Commission exécutive.  Le deuxième secrétariat subit le même sort avec Mohammed Flici (instituteur) qui était à la tête de l’organisme et son adjoint Mustapha Ladjel (employé de la sécurité sociale).  Cinq secrétariats qui assurèrent la relève, furent arrêtés et le local de l’UGTA fermé d’abord, pour être ensuite occupé par l’armée française.

Le 30 juin1956 une charge de plastic explosa au siège de l’UGTA, Cercle Chérif Saâdane, Place Lavigerie.  De nombreux blessés dont deux seront amputés.  Trente militants sont arrêtés.  Les archives, des documents, de l’argent, un ronéo, une machine à écrire sont saisis.  Le local est occupé quelques jours après, les nouveaux responsables syndicaux s’installent au siège du MTLD, 2, Place de Chartres, Alger.

Durant le temps que dura son activité légale l’UGTA se distingua par son dynamisme.  Avec des moyens de fortune, un journal L’Ouvrier algérien réussit à sortir une douzaine de numéros dont la plupart furent saisis, ce qui n’empêchait nullement leur diffusion non seulement en Algérie, mais en France, en Allemagne et dans les pays voisins, en Tunisie et au Maroc.  Des actions patriotiques : le 1er mai, le 5 juillet, le 1er Novembre, des grèves réussies dans certaines corporations à la SOMEL, des élections du personnel chez les traminots[3].

C’est au cours des onze mois que dura l’activité légale de l’UGTA, c’est à dire du 24 février 1956 au 28 janvier 1957 que se situe l’événement important qui constitue un pas important vers l’Indépendance, l’admission de la Centrale nationale algérienne au sein d’une organisation syndicale internationale et qui plus est, située dans le camp occidental.  On a beaucoup épilogué sur les raisons d’un tel choix.  Situé dans son époque, ce choix s’expliquait par l’étiquette que les Français voulaient à tout prix nous épingler : «communiste».  Faute de preuves, ils s’ingénièrent à fabriquer de toutes pièces des liens, en pure perte d’ailleurs.  Sachant que la Fédération syndicale mondiale FSM ayant son siège à Prague et d’obédience communiste était favorable à l’indépendance de l’Algérie, l’adhésion de l’UGTA à cette centrale n’aurait rien apporté de nouveau, tandis que l’adhésion à la CISL introduisait l’UGTA dans le camp où se situait les pays adversaires de l’Indépendance de l’Algérie, pays possédant ou ayant possédé des colonies.  La France était représentée par Force-ouvrière (FO) organisation soutenant la candidature de l’USTA (d’obédience messaliste).  Par ailleurs au sein de la CISL nous retrouvions et l’UGTT et l’UMT et pouvions constituer une front maghrébin uni[4].

Dekkar Dahmoun, militant du Front de libération et responsable de la fédération des postiers UGTA, fut chargé par Alger de défendre le dossier de l’admission à la CISL.  A la tête d’une délégation comprenant Rahmoune, Dekkar venus d’Alger et Mouloud Gaïd parti de Tunis.  Elle se rendit à Bruxelles.  L’USTA (messaliste) poursuit le même objectif mais la minceur de son dossier fit rejeter sa candidature ; tandis que celle de l’UGTA est retenue au grand dam de la CGT/FO qui dévoilait ainsi les affinités et les alliances qui existaient entre les dirigeants du MNA et les responsables de la SFIO (la majorité des membres du gouvernement français).

Désormais, il ne se passait pas un congrès important dans le monde ouvrier européen, africain ou asiatique sans que l’UGTA soit présente, pose le problème de recouvrement de l’Indépendance de l’Algérie, dénonce le génocide perpétré par le colonialisme français.

En février 1957, alors qu’en Algérie l’UGTA était contrainte de plonger totalement dans la clandestinité, à Paris naissait l’Amicale générale des travailleurs algériens (AGTA).  Désormais nous pouvions, sous couvert d’une organisation légale regrouper les travailleurs émigrés, faire connaître leurs problèmes, dénoncer la répression dont ils étaient victimes, les aider à contribuer efficacement à la lutte de libération engagée par le pays tout entier.

L’UGTA, après la grève des huit jours et l’arrestation de la plupart de ses cadres, dut renoncer à une activité légale sur le territoire national.  Elle entreprit une activité internationale où elle affirma son rôle de Centrale nationale des travailleurs algériens, indépendante de toute centrale française

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