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11/05/2019

« Littérature algérienne, Itinéraire d’un lecteur » aux éditions El Kalima : Charles Bonn, un chapitre des études littéraires en Algérie


Edité par El Kalima sous le titre « Littérature algérienne, Itinéraire d’un lecteur », c’est le mode classique de questions-réponses qu’a choisi l’universitaire Amel Maafa pour tirer de Charles Bonn le concentré de son expérience algérienne, qu’il a raconté non seulement avec la précision du détail mais surtout avec passion malgré l’effet du temps.
Arrivé en Algérie au lendemain d’une année 1968, historique pour la France, voire au-delà, Charles Bonn ne savait pas, pouvons-nous, comprendre à travers son témoignages, qu’il était destiné à une expérience inoubliable dans l’antique Cirta.
« Le hasard d’une nomination à l’université de Constantine, en 1969, alors que je ne connaissais rien, ni de l’Algérie ni de sa littérature, a finalement fait de moi, en toute modestie, l’un des premiers découvreurs de cette littérature algérienne de langue française, à laquelle j’ai ensuite consacré l’essentiel de mes activités de chercheur », avoue Charles Bonn dans l’introduction de l’ouvrage. 
« Cette rencontre à travers la littérature avec un pays que je ne connaissais pas a fait de moi l’homme comme le chercheur que je suis devenu, tant mes positions politiques que ma théorisation du littéraire, en constante évolution, en ont été profondément marquées », reconnaît encore Bonn, aujourd’hui, consacré comme l’un des spécialistes de la littérature algérienne d’expression française.

La découverte avec «le Polygone étoilé» de Kateb YacineDans ses réponses aux questions d’Amel Maafa, Charles Bonn révéla que la littérature algérienne était une découverte pour lui. « Il a fallu que je sois nommé par hasard au tout début de ma carrière d’enseignant, en 1969, à l’université de Constantine, poste que je n’avais pas demandé mais qui me séduisait bien, pour me permettre de découvrir l’existence même de cette littérature, totalement absente alors, et pour longtemps encore, de l’enseignement littéraire en France », confesse le chercheur. Charles Bonn retrace dans ce sens son premier contact avec une œuvre d’un auteur algérien. C’était avec  « le Polygone étoilé » de Kateb Yacine, paru en 1966.
« Le jour même de mon arrivée, je poussais la porte, rue Abane-Ramdane, de la plus belle librairie de la ville – devenue depuis épicerie- et j’y découvris bien en évidence le livre d’un auteur inconnu, paru depuis peu, « le Polygone étoilé » de Kateb Yacine », raconte-t-il. A la lecture du roman, l’universitaire fut vite saisi par un sentiment d’ « étrangeté » qu’il aborda dans le présent ouvrage.
« Je le lus et fus saisi d’un fort sentiment d’étrangeté ; je sentais confusément que c’était un grand texte et en même temps, je n’y comprenais rien ! », souligne-t-il non sans admettre un sentiment d’embarras. « Le professeur de français sûr de lui que j’étais en fut profondément vexé ! C’est l’inattendu de cette vexation qui devait décider de toute mon évolution ultérieure de chercheur et d’enseignant», confesse le chercheur.
Autrement dit, la vexation ressentie à la lecture du roman aura été fortement déterminante sur l’itinéraire de Charles Bonn et l’intérêt qu’il portera sur la littérature algérienne pour en devenir un spécialiste.

Mohammed Dib ou la rencontre la plus importante Dans le quatrième chapitre du livre, Charles Bonn raconte ses rencontres avec des écrivains. Il a avoué à ce propos que sa rencontre avec Mohammed Dib « fut la plus importante », dans le sens où elle eut « une influence énorme autant personnelle que professionnelle », au moment ou Bonn traversait une crise intime. 
« Et quinze ans après sa mort (Dib est décédé en 2003), il reste celui dont j’admire le plus l’œuvre trop peu connue, dont la portée dépasse infiniment la localisation maghrébine qu’une critique, parfois paresseuse, lui a trop souvent accolée», souligne l’auteur de « la Littérature algérienne de langue française et ses lectures », paru en 1974. En plus de cette relation très personnelle, Bonn affirme l’existence d’une relation « très pudique » avec Mohammed Dib. « Je n’ai presque jamais osé lui poser des questions trop intimes sur lui, contrairement à ce que faisait sans vergogne avec tous les écrivains quelqu’un comme Jean Déjeux, à qui je dois, cependant, les réponses à ces questions qui m’ont été particulièrement utiles, par exemple, pour mon approche des roman dits « nordiques » de Mohammed Dib », écrit-il.
Charles Bonn souligne dans l’ouvrage ne pas avoir rencontré très souvent Mohammed Dib « à cause de cette pudeur » qui participait à la qualité des relations entretenue avec lui. « En tout cas, je me souviens fort bien de ma fierté lorsque je suis venu lui apporter le numéro de la revue Littérature et contacts de culture, que j’avais rassemblé en hommage à son œuvre. J’avais l’impression quasi-filiale de lui rendre un peu ce qu’il m’avait donné », note Charles Bonn.
Relancé dans le jeu de question-réponse sur l’œuvre de Kateb Yacine, qui a joué un rôle essentiel dans sa « théorisation du littéraire » particulièrement (mais pas seulement) en période de décolonisation, une théorisation qui lui permit en particulier la relation entre l’œuvre littéraire et l’histoire. Le chercheur raconta également sa première rencontre avec l’auteur de  « Nedjma » qu’il invita pour parler à ses étudiants à l’université de Constantine.
« Si le contact avec les étudiants fut excellent, le repas qui suivit à l’hôtel Cirta, où il était logé, fut mouvementé. 
On y servit, en effet, du vin sans problème aux coopérants français comme moi, mais pas à Kateb Yacine, qui entra de ce fait dans une colère homérique et nous fit quitter bruyamment le restaurant pour aller épancher ensuite notre soif (surtout la sienne)… », se souvient Charles Bonn.
Ce dernier est revenu dans l’ouvrage sur sa relation avec Rachid Boudjedra qui « fut néanmoins plus compliquée, comme le personnage même de cet écrivain, que j’ai grandement contribué à faire connaître, comme je l’ai fait aussi pour Nabil Farès, avec qui des malentendus comparables ont vu le jour tant la relation entre un écrivain de cette génération et son critique est souvent difficile ». Pour Charles Bonn, il y a une différence de génération entre Boudjedra et Farès, d’un côté, et Dib et Kateb, d’un autre côté, dans le sens où ces deux derniers « avaient moins besoin de leurs critiques pour être connus que les deux plus jeunes ». 
Quelle appréciation porte-t-il sur l’œuvre de Boudjedra ? « Au fil des années, depuis la rupture qu’avait introduite en 1969 « La Répudiation » dans l’écriture maghrébine francophone, l’œuvre de Rachid Boudjedra n’a cessé de se développer, avec constance et une régularité du rythme de publication qui en impose », observe l’universitaire. Mais, ajoutera-t-il, « cette œuvre, confrontée à des situations politiques successives différentes, porte aussi nécessairement la trace de ces évolutions historiques dans le cadre desquelles elle s’inscrit». 
Dans un autre sous-chapitre dédié à Nabil Farès, et dont l’essentiel a été écrit pour un recueil d’hommage, sous la direction de Beïda Chikhi, d’Ali Chibani et de Karima Lazali, raconte avoir été « séduit » dès 1970 par le roman « Yahia, pas de chance ».
« Parce que j’y découvrais déjà particulièrement dans la scène sublime du « diner où s’échangeaient les mondes » cette obsession mienne de l’accès à la parole pour dire tous les indicibles que le réel, souvent violent, nous tend comme des défis», raconte Bonn.

Plutôt un geste de rassurement qu’un besoin narcissiqueDans la postface, la parole a été donnée à Naget Khadda, professeur de langue et littérature françaises, à la retraite, qui est de la même génération que Charles Bonn. Elle a expliqué d’emblée qu’en racontant son parcours, Charles Bonn est loin d’avoir cédé à un besoin narcissique. « J’y vois, pour ma part, plutôt un geste de rassurement, une façon de surmonter l’angoisse qui s’empare de nous, universitaires, quand arrive le temps de la retraite et que, délestés des exigences des programmes, du carcan des horaires de cours et du poids des corrections des copies, nous nous sentons absolument libres et nous lançons – comme pour rattraper on ne sait quel temps perdu – dans une activité frénétique et, somme toute, jouissive, en répondant à des sollicitations tous azimuts », écrit-elle.
Avec Amel Maafa, Charles Bonn tresse des aspects quasi intimistes de son autobiographie et un compte-rendu parfois désenchantant des ses combats d’enseignant-chercheur, note Naget Khadda.
Charles Bonn – « Littérature algérienne, itinéraire d’un lecteur », entretien avec Amel Maafa – Editions El Kalima disponible au Sila 2019

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