Dans son livre qui vient de paraître, Houria Sadallah prend son lecteur par la main. Elle lui désigne une sorte de coffre où sont entreposés des trésors. La lecture réveille, jusqu’à la dernière page, une ineffable nostalgie et ouvre des portes qui se sont refermées sur un univers que chacun a envie de retrouver et que nul n’a hâte de quitter.
C’est le paradis de l’enfance d’où, comme Adam, ses descendants furent impitoyablement chassés. La fille n’a jamais mis les pieds à l’école. C’est au sein de l’association «Si Muh Umhand» entre 2004 et 2006 qu’elle a commencé à maîtriser l’écriture en tamazight. Vivant au milieu des siens dans un village de la région d’Ath Wagnoun, à une vingtaine de kilomètres au nord de Tizi-Ouzou, elle a pris le temps de recueillir, auprès des femmes, un pan de la tradition orale en voie de disparition. Désormais, l’enfant vit de moins en moins à la maison. Il prend le chemin de la crèche, se nourrit de dessins animés venus d’ailleurs; il se familiarise avec d’autres chants, d’autres mots. Il est fasciné par des jeux et gestes qui ont relégué dans la marge et rendu inutiles ceux qui ont traversé des siècles. L’auteur a ressuscité une Kabylie où l’enfant n’ouvrait pas les yeux sur les gadgets chinois et où les écrans étaient alors inexistants. Pour faire endormir, amuser ou soulager un bébé, les mères chantaient des berceuses dont les airs emplissent les têtes d’adultes. Qui a oublié les airs ou les formules qui accompagnaient les gestes maternels lors du balancement d’un berceau, les premiers pas d’un enfant et les soins apportés à un bébé souffrant ? Les chants sont tantôt joyeux, drôles tantôt tristes comme la vie des femmes. Les rites qui rythmaient la croissance de l’enfant venaient de loin, comme si elles perpétuaient les échos d’une civilisation immémoriale.
Certaines berceuses mises en musique par Idir, Menad, Meksa ou Malika Domrane sont très connues. On y retrouve d’ailleurs des fragments de ces poèmes à qui l’audiovisuel tente de redonner vie. Une entreprise difficile car le contexte qui a fait naître ces joyaux a cessé presque d’exister. L’auteur a happé des paroles et des devinettes qui ont la saveur du temps où dans la famille, des rites liés à la naissance, au premier jour de marché, aux jeux des garçons et fillettes, forment un univers très ordonné. On y découvre surtout la richesse d’une langue, des existences très liées aux rythmes de la nature, une variété de jeux qui portent des noms tombés presque dans l’oubli. Il s’agit peut-être de vieilleries que, partout dans le monde, le vent du progrès a balayées. La transmission ne passe plus par de savoureuses métaphores et des vers. Les rites qui rythmaient la croissance de l’enfant venaient de loin, comme si elles perpétuaient l’écho d’une civilisation immémoriale.
Le livre est sans prétention. C’est peut-être même une voix inaudible en ce temps de tintamarre. On le lit pourtant entouré de visages aimés et jamais oubliés. C’est là que réside avant tout sa magie
R. Hammoudi
«Amgud aleqqaq» Éditions l’Odyssée (178 pages-550 DA)
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