Lexique collectif validé par la population amazighophone
«Amawal» (lexique), un ouvrage coordonné par Mouloud Mammeri publié en 1980, est le premier lexique en Tamazight à puiser dans toutes les variantes algériennes et qui a «pleinement (été) adopté» par la population amazighophone, affirme l'anthropologue Ali Sayad, un des étudiants formé par Mammeri.
Rencontré par l'APS en marge du colloque international sur Mouloud Mammeri, l'anthropologue Ali Sayad dit avoir participé, avec un groupe de quinze étudiants, à l'élaboration de ce lexique, à l'origine d'un «renouveau» de la langue amazigh. Ces étudiants engagés, se rencontraient chaque week-end au Centre algérien de recherche anthropologique, préhistorique et ethnographique (Crape) pour «comparer et rendre compte de leurs travaux» sur les définitions et termes inexistants dans le parler berbère, témoigne cet ancien disciple de Mammeri. Le projet est né après «l'arabisation du service de l'information de la chaine II de la radio» -seul média amazighophone de l'époque- permettant aux chercheurs de soumettre leurs travaux «directement aux auditeurs», assure-t-il. Avec d'autres étudiants comme Yacine Si Ahmed, Arezki Graïne, Ammar Zentar, ou encore Mohya, Ali Sayed avait travaillé dans les Aurès pour rassembler des «définitions et de nouveaux mots» dans la variante chaoui, pendant que d'autres condisciples travaillaient sur les variantes zénète, tamasheq ou chleuh (très répandu au Maroc), afin de les «expurger» des «emprunts» du Français et de l'Arabe. L'ancien étudiant de Mammeri cite également une grammaire du zénète du Gourara (variante du Tamazight, parlée dans le nord Sahara) qu'il avait «élaborée avec (son) mentor sur la base d'enregistrements sonores de la dernière berbérophone de Tamentit» (Adrar).
D'autres lexiques de Tamazight ont vu le jour ces vingt dernière années, mais restent, aux yeux de l'interlocuteur, des «commandes d'institutions et (des) travaux individuels» en majorité, renfermant «le plus souvent» un vocabulaire spécialisé, non utilisé dans le «langage courant» des individus. A propos de l'utilité de standardiser Tamazight, Ali Sayad, qui a également contribué à l'élaboration du «bulletin d'études berbères», a estimé que «seule la production littéraire, cinématographique et audiovisuelle peut aider à diffuser un parler et permettre à une langue de vivre» et ajoute, citant Mammeri, que «les berbérophones n'ont besoin de traducteurs pour se comprendre». Anthropologue par vocation Mouloud Mammeri est un chercheur de «formation classique», venu à l'anthropologie «par vocation», a dit Sayad qui rappelle que la première étude anthropologique sur la poésie Kabyle de Mammeri a été publiée dans "La Revue africaine" en 1956. Ali Sayed qui avait travaillé dans l'Ahaggar sur les traditions et les poésies populaires et l'organisation sociale de cette région durant des années, a tenu à évoquer les travaux de Mouloud Mammeri, au début des années 1970, sur la «nécessité d'adapter» certaines institutions, dont l'«Education», aux «particularités des populations touareg et à la langue locale». A cette même époque, rappelle-t-il encore, Mammeri avait également compris la nécessité d'élaborer un «lexique Français-Touareg», publié en 1967 avec Jean Mari Cortade, en complément du dictionnaire de Charles de Foucault jugé «non accessible» à ceux qui ne maîtrisaient pas le Tamasheq. Quant au travail de Mammeri dans le Gourara, Ali Sayad en retient les recherches qui ont servi de base à «L'Ahellil du Gourara», un ouvrage paru en 1984. Fruit de plusieurs années d'immersion dans les traditions de la population locale, ces recherches ont également conduit à des compléments linguistiques et à la découverte d'une autre forme de poésie, point de départ des travaux de Mammeri sur la culture, et qu'il considère comme «l'expression la plus authentique de l'homme». Un colloque international de trois jour s'est tenu à Alger, en commémoration du centenaire de naissance de Mouloud Mammeri. Une trentaine de chercheurs se sont penchés, à cette occasion, sur la vie et le parcours de l'anthropologue, linguiste et romancier parmi les plus brillants de sa génération.
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