C’est près de deux siècles après le déni d’humanité qui leur a été imposé de façon impitoyable et que l’histoire (ou les histoires) officielle(s) n’ont fait que perpétuer en les enfonçant dans l’oubli que « Les Algériennes du château d’Amboise» nous parlent enfin.
Elles (épouses, mère, belles-mères, belles-sœurs, domestiques…) qui, emmurées, souffrantes jusqu’à la folie et dépossédées du bien être de leurs très jeunes enfants nous expriment leur tragédie et leur douleur, grâce à un travail remarquable, courageux et sage d’une jeune auteure native d’Alger, Amel Chaouati.(1)
Ce livre simple et poignant, son auteure l’a bâti à partir d’un choc émotionnel qui l’a poussée à mieux entendre et faire de la lumière sur des voix dont les corps avaient disparu en exil, anonymes, souvent dans la fosse commune sans même être portées au registre des décès de l’état civil, loin de leur terre, de leur air et ciel d’Algérie devenue « partie intégrante de la France » selon la constitution de 1848 proclamée sous la République du drapeau tricolore de Lamartine accompagnée d’innombrables banquets et plantation d’arbres dits « de la liberté »…
Un récit pluriel
Je suis d’autant plus sensible à ce récit vivant d’histoire venant de France que je viens moi-même de publier à Alger « Anna Gréki, les mots d’amour, les mots de guerre», récit d’une voix poétique torturée et embastillée à la prison de Serkadji construite en 1856 sur les restes d’un fort ottoman aux abords de la Casbah d’Alger. Il est vrai que le récit d’Anna se situe un siècle après l’ignominie faite à Abdelkader et sa smala emprisonnés (après Toulon et Pau) quatre ans durant dans la localité d’Amboise. Mais quel qu’en soit le lieu, l’univers carcéral n’a pour seul principe que de briser la dignité et l’humanité de la personne. Comme le note Amel Chaouati, à Toulon, après une traversée de quatre jours et quatre nuits sur une mer déchaînée (qui rendit folles les femmes tout comme leurs enfants en bas âge) l’Emir, d’abord séparé de ses domestiques, est emprisonné au tout début de l’hiver 48 avec sa suite de 54 personnes au fort Lamalgue où ils sont entassés à plus de dix par pièce « sévèrement gardés par des militaires ». 40 autres personnes viendront s’ajouter aux cinquante premières en avril 1848…
Je suis d’autant plus sensible à ce récit vivant d’histoire venant de France que je viens moi-même de publier à Alger « Anna Gréki, les mots d’amour, les mots de guerre», récit d’une voix poétique torturée et embastillée à la prison de Serkadji construite en 1856 sur les restes d’un fort ottoman aux abords de la Casbah d’Alger. Il est vrai que le récit d’Anna se situe un siècle après l’ignominie faite à Abdelkader et sa smala emprisonnés (après Toulon et Pau) quatre ans durant dans la localité d’Amboise. Mais quel qu’en soit le lieu, l’univers carcéral n’a pour seul principe que de briser la dignité et l’humanité de la personne. Comme le note Amel Chaouati, à Toulon, après une traversée de quatre jours et quatre nuits sur une mer déchaînée (qui rendit folles les femmes tout comme leurs enfants en bas âge) l’Emir, d’abord séparé de ses domestiques, est emprisonné au tout début de l’hiver 48 avec sa suite de 54 personnes au fort Lamalgue où ils sont entassés à plus de dix par pièce « sévèrement gardés par des militaires ». 40 autres personnes viendront s’ajouter aux cinquante premières en avril 1848…
Au 21e siècle, à Toulon le fort Lamargue est définitivement
fermé… Mais sa mémoire ?....
Ainsi en 1958, à Serkadji, Anna est dans une cellule originairement prévue pour dix emprisonnées. Elles seront en fait 40 à s’y entasser sur des paillasses, avec le trou des WC inclus dans la cellule sans aucune forme d’isolation… Si je mentionne ce détail, c’est qu’Anna avait pour sœur Louisette Ighilahriz, qui sera elle-même transférée plus tard à Pau, où était passé l’Emir un siècle plus tôt. Amal Chaouati raconte, page 130, comment lors d’une de ses conférences à Alger elle rencontre la moudjahida Ighilahriz qui lui dit « combien il est important de raconter et écrire le rôle des Algériennes pendant la colonisation, oubliées, ignorées la plupart du temps ». Louisette à qui j’apprends qu’elle est longuement citée dans ce livre d’Amel Chaouati me répond que malgré l’âge et les béquilles elle va s’empresser d’aller l’acheter à la librairie Victor Hugo… Déminer la mémoire, aurait dit le poète Djamel Amrani, ami d’Anna Gréki, lui qui avait d’ailleurs ainsi intitulé un de ses recueils publié à l’ENAL en 1983 (« Déminer la mémoire ») où il écrivait ce court et étrange poème :
« Ici meurt l’arbre qui me dépossède comme un exil /Feuillages vastes de bourgeons. / Force irréductible /dans l’éclairage des cailloux. / Ma peau parasitée / avant l’apparence de la vie. / Guerre muette / au carrefour des partitions »…
Rapport d’un médecin militaire
Dépêché en urgence à Amboise, le docteur Alquier ausculte plus d’un an après leur emprisonnement toutes les femmes malgré leur résistance. Son rapport (page 104 et 105 du livre d’Amal Chaouati) est terrible.
« Les maladies que j’ai observées et dont j’ai pris note après examen de chacun des individus composant la population arabe sont les suivantes :
-scrofules et engorgement lymphatique chez les femmes et enfants ;
-rachitisme chez plusieurs de ces derniers ;
-névralgie diverse et hystérie chez plusieurs femmes ;
-rhumatismes musculaires et articulaires et quelques névralgies chez les hommes ;
-dartres et diverses irruptions cutanées chez le plus grand nombre, de tout âge, de tout sexe et de toute couleur ;
-plusieurs ophtalmies et deux cas de cataracte ;
-un sacro-hydroche ;
-un enfant ayant le pied bot ;
-une vaste tumeur, présumée hydatique dans la capacité de l’abdomen ;
-verrue épigastre chez une femme, fille de treize ans et demi.
Bon nombre de ces affections que je viens de souligner se sont développées depuis le mois de mai 1849 époque à laquelle j’avais été chargé de visiter les Arabes du château. En effet les engorgements scrofuleux se sont multipliés. Les rhumatismes surtout ont augmenté de nombre et presque tous les enfants nouveau-nés tendent au rachitisme. La santé générale de cette population a d’ailleurs notablement baissé ».
Telle est la vie de château !
Dépêché en urgence à Amboise, le docteur Alquier ausculte plus d’un an après leur emprisonnement toutes les femmes malgré leur résistance. Son rapport (page 104 et 105 du livre d’Amal Chaouati) est terrible.
« Les maladies que j’ai observées et dont j’ai pris note après examen de chacun des individus composant la population arabe sont les suivantes :
-scrofules et engorgement lymphatique chez les femmes et enfants ;
-rachitisme chez plusieurs de ces derniers ;
-névralgie diverse et hystérie chez plusieurs femmes ;
-rhumatismes musculaires et articulaires et quelques névralgies chez les hommes ;
-dartres et diverses irruptions cutanées chez le plus grand nombre, de tout âge, de tout sexe et de toute couleur ;
-plusieurs ophtalmies et deux cas de cataracte ;
-un sacro-hydroche ;
-un enfant ayant le pied bot ;
-une vaste tumeur, présumée hydatique dans la capacité de l’abdomen ;
-verrue épigastre chez une femme, fille de treize ans et demi.
Bon nombre de ces affections que je viens de souligner se sont développées depuis le mois de mai 1849 époque à laquelle j’avais été chargé de visiter les Arabes du château. En effet les engorgements scrofuleux se sont multipliés. Les rhumatismes surtout ont augmenté de nombre et presque tous les enfants nouveau-nés tendent au rachitisme. La santé générale de cette population a d’ailleurs notablement baissé ».
Telle est la vie de château !
Le château d’Amboise… aujourd’hui… restauré
Humaniser l’Histoire
« Ce matin je prends la route en direction d’Amboise. Là-bas, j’ai rendez-vous avec l’Histoire. Ma fille m’accompagne, je tiens particulièrement à sa présence. La veille, je lui ai expliqué avec des mots simples que notre promenade sera différente de celles que nous faisons habituellement. Elle m’a regardée avec curiosité. En guise de réponse, elle m’a adressé le plus beau sourire ».
Telles sont les premières phrases du premier chapitre ouvrant « Les Algériennes au château d’Amboise » d’Amel Chaouati…
En fait une des clés de la force et du charme de ce livre est dans cette démarche même de l’auteur, dans son écriture personnalisée croisée de façon intime aux flux vociférant de l’histoire apparemment lointaine... Chapitre après chapitre, ce parti pris consistant à donner à voir en même temps que le récit historique sa propre position d’auteure et la nature de son regard (ses émotions, le choc de ses lectures, sa peur, sa colère, ses rencontres solidaires inattendues en France même et sa détermination malgré bien des embuches à réaliser le projet du livre…) ne se dément pas. Comme elle le disait en substance dans une émission de la télévision où nous passions ensemble pour présenter nos livres (comme d’ailleurs en d’autres interviews dans la presse) : « ce travail en permettant de rendre la voix à ces femmes oubliées, voix qui m’assaillaient, ce travail m’a finalement apaisée… »
Il faut certainement d’abord lire ce petit livre pour pouvoir ensuite sereinement en discuter la démarche franche et simple.
Un sujet sur lequel il y a beaucoup à échanger, beaucoup à méditer tant il est la consécration heureuse d’une nouvelle manière d’écrire l’histoire, de la vivre et sereinement la partager.
« Ce matin je prends la route en direction d’Amboise. Là-bas, j’ai rendez-vous avec l’Histoire. Ma fille m’accompagne, je tiens particulièrement à sa présence. La veille, je lui ai expliqué avec des mots simples que notre promenade sera différente de celles que nous faisons habituellement. Elle m’a regardée avec curiosité. En guise de réponse, elle m’a adressé le plus beau sourire ».
Telles sont les premières phrases du premier chapitre ouvrant « Les Algériennes au château d’Amboise » d’Amel Chaouati…
En fait une des clés de la force et du charme de ce livre est dans cette démarche même de l’auteur, dans son écriture personnalisée croisée de façon intime aux flux vociférant de l’histoire apparemment lointaine... Chapitre après chapitre, ce parti pris consistant à donner à voir en même temps que le récit historique sa propre position d’auteure et la nature de son regard (ses émotions, le choc de ses lectures, sa peur, sa colère, ses rencontres solidaires inattendues en France même et sa détermination malgré bien des embuches à réaliser le projet du livre…) ne se dément pas. Comme elle le disait en substance dans une émission de la télévision où nous passions ensemble pour présenter nos livres (comme d’ailleurs en d’autres interviews dans la presse) : « ce travail en permettant de rendre la voix à ces femmes oubliées, voix qui m’assaillaient, ce travail m’a finalement apaisée… »
Il faut certainement d’abord lire ce petit livre pour pouvoir ensuite sereinement en discuter la démarche franche et simple.
Un sujet sur lequel il y a beaucoup à échanger, beaucoup à méditer tant il est la consécration heureuse d’une nouvelle manière d’écrire l’histoire, de la vivre et sereinement la partager.
Avec Amal Chaouati, auteure et psychologue à l’émission consacrée à voix de femmes dans l’histoire.
Écrit par Abderrahmane Djelfaoui
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