L’Algérie a connu plusieurs invasions depuis l’Antiquité. L’influence des occupants sur la langue des autochtones n’a pas été la même. Quel a été l’apport de chacun de ces groupes de population sur la toponymie locale ?
Il est clair que le peuple amazigh a eu affaire à beaucoup de peuples : Phéniciens, Romains, Arabes, Français. Il y en a eu d’autres, à l’instar des Vandales, des Espagnols, mais les contacts les plus importants ont été avec les premiers, dont la présence a duré quelques siècles. Les Phéniciens s’étaient installés à Carthage et dans des comptoirs le long de la côte.
Carthage, Kart Hadasht (ville neuve) sera supplanté par le terme Tunis qui vient de Taouinest, qui veut dire «forme circulaire de la rade». Tunis a la même origine étymologique que la ville côtière de Ténès. Les Phéniciens n’ont pas voulu pénétrer à l’intérieur des terres.
Et les seuls points de contact de ces commerçants-marins étaient des points de mouillage : les Rus (cap), d’où Rusgunia (cap, plat) et Rusicade, qui signifie «le cap à partir duquel on avait une belle vue», qui donnera par la suite Skikda. Signalons que pour cette dernière ville, le géographe arabe El Bakri a utilisé le terme local berbère : Tassikda.
La population, en s’arabisant, a perdu le sens premier et le mot est devenu Skikda. Pour Jijel, les Phéniciens, qui utilisaient le bois de cèdre de leur pays natal en Orient, avaient trouvé ce bois, appelé localement Igelgel, dans toute cette partie du pays, qui s’étend des contreforts du Djurdjura jusqu’aux Babors.
Après les Phéniciens, il y a eu les Romains dont la présence a duré plus longtemps…
Les Romains ont occupé le territoire, mais cette occupation était plus militaire et administrative. Mais, comme pour les Phéniciens, le toponyme romain ne s’est pas maintenu. Il n’y a pas beaucoup de traces, excepté des mots comme «villa» et «regia» qui désignaient les villes de garnisons.
Et une fois l’empire romain disparu, tous ces termes ont disparu aussi. Les Romains ont, ceci dit, déformé les termes amazighs tels que Timgad devenu Timgadi, et qui vient du terme berbère Tamgout.
Qu’en est-il de l’arabisation ?
La seule et unique ville construite par les Arabes est Kairouan, en Tunisie. Donc, là encore, la trace de l’envahisseur n’est guère importante dans la toponymie berbère. Sauf que les populations, en s’arabisant, arabisent les mots utilisés par leurs ancêtres. Les exemples foisonnent. Souf, c’est «assif» (rivière) en chaoui. En s’arabisant, la population utilise le mot local et y colle son équivalent arabe, ce qui a donné des toponymes-pléonasmes tels que comme Oued Souf, Bir Ghbalou (puits), Ighil, Draâ, etc. C’est une «arabisation mot-à-mot». Cette situation est variable d’une région à une autre, suivant le degré d’arabisation des populations berbères. Dans l’Oranie, par exemple, où la population a été largement arabisée, plus de 60% des toponymes sont amazighs.
Qu’en est-il maintenant des Français qui ont imposé une colonisation de peuplement ?
Les Français, c’est clair, ont occupé le pays et ont construit des villes, qui étaient souvent le pendant des villes arabes. Ils ont donné des noms d’hommes de sciences, de militaires, de religieux aux lieux. Ils ont également déformé les noms typiquement algériens, notamment amazighs. Exemple : Tala Umelil donnera Télemly (rue Krim Belkacem à Alger, ndlr). Le mot Tagarins, l’emplacement actuel de l’hôtel El Aurassi, vient du berbère «thigrine» (pente douce plantée de céréales). Ben Aknoun, par contre, était appelé avant la venue des Français Tizi Ouzeboudj. Le premier cadastre de la ville d’Alger fait en 1905 permet de voir l’origine berbère des noms des lieux.
Les Français, qui ont changé ces noms ou en ont inventé d’autres, ont-ils voulu imposer par ces modifications leur présence, dépersonnaliser l’Algérien, ou avaient-ils d’autres objectifs ?
Entre autres, les Français avaient pour but de casser la mémoire des autochtones en créant par exemple ce «couloir arabisé» pour séparer la Kabylie des Aurès. Déplacer des populations, renommer les lieux : tout était bon pour faire oublier aux populations leur origine berbère. Avec l’état civil, les Français ont fait appel à des auxiliaires non-amazighophones. Les bureaux arabes, mis en place par l’empereur Napoléon III, allaient dans ce sens.
Après l’indépendance du pays, les autorités ont pris la décision d’«algérianiser» les toponymes. Quel en a été le résultat ?
Les autorités ont confondu unité du peuple et unicité. La clé du problème est là. En décidant qu’il n’y avait que le vecteur arabophone qui pouvait unifier, le pouvoir a provoqué des réactions fortes, comme le mouvement berbère. L’unité vraie, c’est l’union dans la diversité. Les autorités, en voulant tout changer avec ce qu’ils ont appelé pompeusement «taârib el mouhit» (arabisation de l’environnement), ont voulu imposer la norme arabe. Skikda a ainsi donné Soukaykida, etc.
Les autorités ont confondu unité du peuple et unicité. La clé du problème est là. En décidant qu’il n’y avait que le vecteur arabophone qui pouvait unifier, le pouvoir a provoqué des réactions fortes, comme le mouvement berbère. L’unité vraie, c’est l’union dans la diversité. Les autorités, en voulant tout changer avec ce qu’ils ont appelé pompeusement «taârib el mouhit» (arabisation de l’environnement), ont voulu imposer la norme arabe. Skikda a ainsi donné Soukaykida, etc.
Comment revenir aux vrais toponymes ?
Les gens ne savent pas que dans les textes, il est stipulé que c’est la population qui arrête le nom de sa localité à travers les assemblées communales. La sensibilisation de la population à Beni Yenni a permis de revenir au vocable du cru, qui est Aït Yenni. Il faudrait sensibiliser les populations, qui sont souvent résignées et ne veulent pas affronter une administration tatillonne.
Elles ne savent pas que des textes leur permettent de discuter et de voter le toponyme local qui doit être adopté. Elles ne doivent pas subir la toponymie officielle ; elles doivent proposer et c’est à l’administration de suivre. Le travail de toutes les bonnes volontés doit être continu. Un colloque sur la toponymie, comme celui organisé par le HCA à Jijel, devrait se tenir tous les deux ou trois ans pour évaluer le travail fait.
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