L’historique du cercle de Tiaret ne saurait se renfermer exactement dans les limites de ses frontières actuelles. Ces dernières déterminées par le périmètre des tribus qui le composent actuelleinert sont conventionnelles et subordonnées à des décisions administratives qui peuvent les modifier au gré de nécessités éventuelles. C’est ainsi qu’il y a 11 ans, la commune indigène de Tiaret comportait dans son périmètre l’Aghalik du Tell, dont les onze tribus ont servi à constituer la commune mixte civile de Tiaret.
Il nous parait donc logique, pour celte étude, d’étendre à la région géographique proprement dite l’examen des principaux faits historiques dont elle a été le théâtre.
Le Sersou et les massifs montagneux qui le bornent au Sud et au Nord, font partie du Maghreb central dont l’Ouarensenis est le point culminant. Cette région très montagneuse dans sa partie Nord, est coupée par de profondes vallées, arrosées par de nombreux oueds et se prête admirablement à toutes les cultures. Elle ofîre dans sa partie Sud de vastes pâturages pour l’élevage d’innombrables troupeaux.
Il n’est donc pas étonnant que cette contrée privilégiée ait été constamment l’objet des convoitises des diirérents peuples qui tour à tour se disputèrent la possession de l’Afrique du Nord.
Les silex taillés que l’on trouve un peu partout et notamment à Bénia du Nador démontrent la présence de l’homme aux temps préhistoriques. Les dolmens, les menhirs, les pierres dites « de sacrifice » témoignent de l’existence d’une race possédant un certain degré de civilisation au moment où les Romains vinrent s’emparer du pays. Ces derniers occupèrent cette contrée et y élevèrent de nombreux ouvrages défensils dont la ville de Tiaret, probablement Tingartia fut le principal boulevard.
A l’origine ce ne fut qu’une redoute de 70 à 80 mètres de longueur sur 50 à 60 de largeur, flanquée de bastions carrés aux angles et aux portes. Puis, l’ occupation devenant plus certaine, la ville se développa au fur et à mesure de la mise en valeur des campagnes avoisinantes au point qu’une 2ème enceinte,se greffant sur la première devint nécessaire pour abriter les défenseurs de Tlngarlia (?). II est probable que c’est vers cette époque que fut édifiée la forteresse de Bénia, située au fond d’une riche vallée du djebel Nador et dont l’objectif était de garder le pays et la voie romaine du Sud, qui se dirigeait de l’Ouest à l’Est, par les stations militaires de Numérus Syrorum(Lalla-Marnia), Pomaria (Tlemcen), Altava (Lamoricièrej, Cahors-Brencorum (Tagremaret), Bénia, Téniet-el-Hàad, etc., etc.(*).
La forteresse de Bénia avait 32 à 35 mètres de côté. Le mur d’enceinte, construit en grand appareil se terminait par une corniche fort simple, deux bastions carrés en défendaient l’entrée. Au Nord de la ligne qui va de Bénia à Téniet-el-Hàad, s’élevaient de nombreuses « Latifundia», grandes exploitations rurales, ainsi que le démontrent les nombreuses ruines que l’on rencontre encore de nos jours dans le Sersou. la vallée de l’oued Tiguiguest et les Oulad Lakred. En ce qui concerne plus spécialement le territoire de la commune indigène, aucun doute ne saurait s’élever sur sa prospérité au moment de l’occupation romaine. M. de la Blanchère, dans son voyage d’étude donne l’énumération suivante des ruines qu’il a pu visiter : AïN DzARIT, frontière des Beni-Leut, fontaine et ville.
AïN-EL Kbour (la source dos tombeaux) au Sud du djebel Ladjdar
AïN-MouTER, près de l’oued Tafi-aoua, au Sud de Ternaten; ileux ruines.
Kherbet-bent-Sarah, grandi» ville.
Ras fedj-Illah, dans le bassin supérieur île la Mina. El-Abiar,
— Aïn-Melakou,
— El OuLAnsi, dans l’ Ouest du Sersou. Beloulit, grandes ruines fort étendues au Sud des précédentes. El-Kherba, dans le voisinage du djeliel Sidi-Maliet El-Farciia,
— Aïn-Metiienan,
— Tamordjan, prés d’Aïn-Sougueur. Trézel
Remilia, deux villages à l’entrée du Nador par le col Mairmela.
Bénia, forteresse romaine et une autre plus petite dans la même vallée
Bou-Tchicha, sur la dernière pente Sud de la montagne de ce nom ,dans la vallée inférieure du Nador. Cheghaia au débouché du massif vers !e Sud, etc….
Aucune de ces ruines n’a été sérieusement fouillée. Elles renferment probablement des inscriptions qui pourraient être (les plus utiles à l’histoire de l’occupation romaine, mais pour se livrer à des recherches sérieuses et fructueuses, il faudrait posséder l’argent et le temps nécessaires pour un tel travail. Seul l’Etat peut l’entreprendre et en attendant qu’il s’y décide, on ne doit attendre que du hasard seul, la découverte de documents épigraphiques de quelque importance.
Un fait se dégage de cette abondance de ruines ; c’est que la colonisation romaine, plus étendue que la noire, s’était avancée vers le Sud du Sersou, avait escaladé les massifs montagneux du Nador et ne s’était arrêtée que devant les steppes des chotts. Cette colonisation et la civilisation qui en était la conséquence disparurent devant l’invasion vandale, et la région de Tiaret, comme le reste de l’Afrique du Nord, fut l’apanage des barbares venus de la Sarmatie (428-.533).
Ce fut la sanglante victoire de Tricamara qui ouvrit aux Grecs byzantins les portes de l’Ifrikia. Le roi Gélimer vaincu, dut s’enfuir devant les Grecs. Il fut poursuivi sans trêve ni relâche, pendant plus de 5 jours, par Jean l’Arménien qui fut tué fortuitement par un de ses officiers ivre. Cette mort suspendit momentanément la poursuite, et le roi vandale put atteindre le mont Pappua, dans le Nador (*). Les Grecs l’y suivirent, le cernèrent et l’obligèrent à se rendre.
Après avoir complété leur victoire par la prise de Césarée et de Ceuta, ils organisèrent le pays conquis, et c’est probablement à cette époque que, reprenant les traditions romaines, ils élevèrent la 3ème enceinte fortifiée qui défendait Tiaret.
L’occupation byzantine fut de courte durée (de 533 à 678).
Pendant cette période troublée, les persécutions religieuses reprirent avec plus de violence que jamais ; les exigences du fisc, les excursions des soldats mutinés contre leurs chefs, les révoltes des berbères, amenèrent progressivement la ruine et la désolation dans le Sersou et les pays avoisinants. La domination grecque, si éphémère, devait nécessairement s’écrouler devant le premier envahisseur qui se présenterait.
Okba, le célèbre conquérant, après avoir défait les Bysantins dans l’Est et fondé Cairouan, s’avança vers Tiaret. Tous les Berbères de la région, alliés aux Grecs, l’attendaient sous les murs de la ville. La bataille fut acharné et se termina par la défaite des Byzantins qui furent obligés d’évacuer la ville, pendant qu’Okba poursuivait ses conquêtes jusqu’à l’Océan Atlantique). (673 deJ.-C.)
Les Berbères qui avaient apporté le secours de leurs armes aux Grecs byzantins de Tiaret contre Okba-lbn-Nafé, appartenaient sans doute à la race des Maghraoua et des Beni- Ifren(*).
Les Romains, au moment de leur domination, leur avaient imposé la religion chrétienne et un certain degré d’obéissance ; ils payaient l’impôt aux époques fixes et prenaient part à leurs expéditions militaires ; quant aux autres obligations, dit Ibn-Kaldoun, ils y montraient une résistance très vive.
Après la défaite de Tiaret, les Berbères, obligés de se réfugier dans les montagnes, furent remplacés dans le cercle militaire de Tiaret par une fraction des Louata, les Beni- Toudjin. Ces derniers, d’origine berbère, avaient dès l’invasion arabe, abjuré la religion catholique et s’étaient mis au service des Arabes envahisseurs. Pour les récompenser des services rendus à la cause musulmanne, un gouverneur arabe de Cairouan les autorisa à habiter le Sersou (*), et naturellement les montagnes du Nador. Pendant près d’un siècle, ils furent fidèles à leurs suzerains ; mais en 761, quand Abdeirahmann Ibn-Rostein fonda Tagdempt comme capitale des Kharedjistes Eibadistes, ils s’empressèrent, comme la plupart dos Berbères, d’adhérer au schime nouveau, prêché par leur puissant et redoutable voisin. Nous les voyons ensuite prendre part à toutes les guerres religieuses ou de race qui ensanglantèrent le Maghreb central à cette époque. En 947, ils apportent le concours de leurs armes à Hamid-Ibn-Yesel, gouverneur de Tiaret, qui s’était révolté contre le3ème calife Fatemide « El-Mansour ». Ce dernier étouffa la révolte, obligea son adversaire à fuir en Espagne et, tournant ses armes contre les Louata, les vainquit et les refoula dans le désert.
C’est pendant cette expédition qu’il constata la présence des djedar sur les contreforts du djebel Ladjdar et que lui fut donnée l’interprétation d’une inscription relative à une expédition de Salomon, général de Justinien contre les Berbères révoltés .
Les djedar sont au nombre de 9 et sont situés sur le territoire des Khelafa sur la limite de la commune indigène de Tiaret. Ce sont des constructions massives ayant la forme de prismes quadrangulaires surmontés d’une pyramide tronquée; vus de de loin, les djedar rappellent le Madracen et le Tombeau de la Chrétienne, mais paraissent en être de mauvaises copies. Leur forme est moins correcte et leurs dimensions plus modestes. Le plus grand a 45 mètres de coté et 34 mètres de hauteur.
- M. de la Blanchère et d’autres savants les ont visités et ont cherché à déterminer l’origine de ces monuments et leur affectation. M. Dastugne, capitaine du bureau arabe de Tiaret aurait retrouvé un fragment de l’inscription relatée par Ibn- Kaldoun et sur lequel il ne restait plus que les deux mots : Salomo et Stratégos (*).
Cette découverte semblerait justifier l’opinion de M. le Cat, qui admet la version d’Ibn-Kaldoun alors que M de la Blanchère conjecture que les djedar « sont les tombeaux d’une dynastie « indigène catholique, puissante dans la Mauritanie césarienne, « vers le V et YI siècle »(*). Quoiqu’il en soit, les Louata furent expulsés du territoire qui leur avait concédé. Ibn Kaldoun dans son histoire des Berbères donne une deuxième version de leur abandon du territoire de Tiaret.
» Les Louata Beni-Toudjin avaient pour voisin à Mindas ( (Mendez), une tribu Zenatienne appelée les Heni-Oudjedidjen. « La vallée de Minas (la Mina) et Tehert (Tiaret) séparaient les deux peuples. Une guerre éclata entre eux à cause d’une « Femme des Oudjedidjen qui avait épousé un des Louata. Comme ceux-ci lui reprochèrent sa pauvreté, elle écrivit à sa famille pour se plaindre d’eux. Les Oudjedidjen qui eurent alors pour chef un nommé Einan, se concertèrent ensemble et demandèrent l’appui des Zenata qui vivaient derrière eux; ils reçurent un corps de renfort que leur expédia Yala ibn-Mohammed et Ifrein, pendant que d’un autre côté, ils virent arriver à leur secours la tribu de Matmata commandée par l’émir Garana. Alors ils marchèrent tous contre les Louata et, après plusieurs conflits dans un desquels Eiman perdit la vie (*), ils expulsèrent leurs adversaires de la partie occidentale du Seresson et les rejetèrent dans la montagne située au midi de Teliert et qui s’appelle Gueriguera jusqu’à ce jour. Les Louata y trouvèrent « une peuplade Maghraouïène, qui, au mépris des devoirs de l’hospitalité, rassembla ses forces et finit par les chasser du territoire qui leur restait encore, du côté de l’Orient, à Mont Yaoud. Par suite de ces revers ils allèrent se fixer sur la Montagne appelée Derrag (Téniet el-Hàad)d’où ils étendirent leurs établissements vers l’intérieur du Tell et jusqu’à la montagne qui domine la ville de Mitidja (Blidah)(*). »
La fuite des Beni-Toudjin eut lieu en 947; la tribu Maghraouïème qui avait complété l’oeuvre du Kalif fatemide Mansour en leur refusant l’hospitalité fut, elle-même, chassée du territoire du cercle de Tiaret par Bologguin qui avait reçu d’El- Moëz, dernier sultan fatemide de l’Ifrikia, l’ordre de détruire la puissance des Zenata dans tout le Maghreb. En 971, 24 ans après la fuite des Beni-Toudjin, les Maghraouas s’enfuyaient vers le Maroc, où, après avoir été rejoints ils furent taillés en pièce et dispersés (*).
Mais El Moëz ne devait pas conserver pendant longtemps sa souveraineté sur cette région. Ayant répudié la souveraineté des Fatémides et fait proclamer dans ses états la suprématie du kalife de Bagdad, le gouvernement fatémide se vengea de lui en lançant contre l’Afrique septentrionale une horde d’arabes nomades qui se répandit dans toutes les parties de ce pays en y portant le ravage et la dévastation (1054) (*)
Les arabes envahisseurs formaient quatre grandes tribus, toutes issues de Hilial-Ibn Amer, savoir: Zogliba, Hiah, El-Athbedj et Corra(*).
Ce fut diverses fractions de la première de ces tribus, les Souëid Beni-Yazid, les Beni-Ahmer, les Sahari, les Chaouïa, les Beni-Lent et les Akertna qui vinrent occuper le territoire actuel de Tiaret et chasser les derniers Berbères qui l’occupaient.
Depuis leur entrée en Afrique, ils avaient lutté contre la puissance des Zenata et donné de nombreuses preuves de fidélité et de dévouement aux adversaires des Berbères. Addonnés depuis longtemps à la vie nomade, le territoire du cercle de Tiaret leur parut propice pour une occupation définitive. Leur chef Ouenzemmar obtint d’Abou-Eïman, qui venait de s’emparer de Tleincen (1331-1332), l’autorisation de s’installer dans le Sersou et dans le pays habité précédemment par les Toudjin. Quelques années après Ouenzemmar renonça au commandement pour se retirer sur les bords de la Moulouya où il se rendit célèbre par son ardente dévotion. Il fut remplacé comme chef des tribus nomades par ses frères Abou Bekr et Mohammed (*).
Pendant que Ouenzemmar se faisait remarquer par sa sainteté sur les bords de la Moulouya, un chef Edrissite, Khaled ben Abdeikrin, après avoir étudié le coran à Tlemcen, venait habiter le djebel Amour, dans une grotte dite Terf-Sidi-Okba; puis, après s’être distingué de ses contemporains par sa foi religieuse, il alla s’installer dans le Sersou avec ses serviteurs. Ce furent ses descendants qui constituèrent plus tard les Oulad Sidi-Khaled et servirent de souche à l’ensemble de la confédération des Harrar(*).
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(*) Géographie comparée de pariie de la Mauritanie césarienne par le commandant Demaegh,
(*) D’aprés une inscriplion rupestre déchiffrée par M. Papier, le mont Pappua de Procope serait un des sommets du Nador, et non l’Edough près de Bone. ainsi qu’on l’a cru, jusqu’à la découverte de l’inscription. — Histoire de l’Algérie, par E. Cat, tome 1, page l’25.
(*) M. de la Blanchére n’admet pas que les Grecs byzantins aient poussé leur domination jusqu’à Tiaret. Nous pensons que les textes arabes sont suffisamment formels pour croire à cette ocupation. En-Noveiri, Ibn-EI-Atbin, Ibn-Kaldoun, sont unanimes sur ce point. Les deux premiers citent textuellement les Grecs comme chefs de la région du Sersou. Ces chefs devaient même être très puissants, puisque d’après En-Novelri, Okba, sentant le péril où se trouvait son armée par suite de l’importance des forces qui lui étaient opposées, crut devoir haranguer ses troupes avant d’engager la bataille. Il n’en eut pas été de même s’il n’avait eu devant lui qu’un rassemblement d’anciens colons romains mal armés et sans cohésion. Il est cependant utile de faire remarquer que le terme « Nador » est fréquemment employé par les indigènes, et que plusieurs montagnes de l’Algérie portent ce nom.
(*) Ibn-Kaldoun,tome 1 I, pafce ^Sî.
(*) lbn-l\aldoun, tome I, page liiH.
(*) Iljn-Kaldoun, tome I, pages ’234, Si et lui.
(*) lbn-l\aldoun, tome I, page liiH.
(*) Iljn-Kaldoun, tome I, pages ’234, Si et lui.
(*) « Je suis Soleiman le Serdéghos, les habitants de cette ville s’étant « révoltés, le roi m’envoya contre eux et Dieu m’ayant permis de les « vaincre, j’ai fait élever ce monument pour éterniser mon souvenir ». Ibn-Ivaldoun, tome I, page 241.
(*) Géographie comparée du commandant Demaeght, p 80.
(*) Dans sa discussion sur les djedar, M. de la Blanchère, cite l’opinion de MM. Desjardins, Deloche et Bavet qui trouvent que l’ornementation des Djedar. ressemble beaucoup à l’art barbare des bords du Danube. Si à l’appui de cette ressemblance; on admet comme exacte l’identification du Nador avec le mont Pappua où se réfugia Gélimer, où est autorisé à penser que les djedar sont très probablement les sépultures des rois Vandales.
(1) Enan fut tué près de Mellakou, actuellement Palat, l’un des centres de la commune mixte de Tiaret.
(2) Ibn-Kaldoun, tome I, p 235.
(.*) IBn-Kaldoun. tome III, p. 265
(*) Introduction à Ibn-Khaldoun, tome I, p. 24.
(*) Ibn Khaldoun, tome I, p.38
(*) Ibn-Khadoun, tome I, p.100.
(*) La Kouba où fut enterré l’ancêtre des Oulad Sidi-Khaaled se trouve à Taourzout au Sud de Frendah
(*) Ibn Khaldoun, tome I, p.38
(*) Ibn-Khadoun, tome I, p.100.
(*) La Kouba où fut enterré l’ancêtre des Oulad Sidi-Khaaled se trouve à Taourzout au Sud de Frendah
Source Société de géographie et d’archéologie de la province d’Oran fondé en 1878
Bulletin TOME XXII- — 1902
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