Pour le voyageur qui y déboule d’Oran, la ville de Frenda offre, dès la sortie de Aïn El Hadid, une vue superbe, imprenable ! Un panorama de carte postale ! Bien installée dans son «nid d’aigles», Frenda domine outrageusement les alentours…Carte postale.
La ville semble se prélasser tout en regardant, avec autant de fierté que de méfiance, dirait-on, les monts d’El Gaada. Car ces monts déclinent, malheureusement, de hauts faits historiques mais aussi de vils actes de sinistre mémoire. De ces maquis outrageusement boisés, au relief mystérieux et torturé, la mémoire retiendra des bribes d’histoires qui sont autant de pans de l’Histoire locale. C’est dans ces monts, en effet, que les moudjahidine ont descendu l’un des tout premiers «avions jaunes» de la France coloniale. Cet acte de haute facture militaire et de simple bravoure, sanctionné par le trophée «d’Ettayara Essefra » arraché, avec un humble fusil de chasse aux Faucons aériens de l’Hexagone, fait aujourd’hui encore la fierté locale. Et sa chronique post-coloniale.
Mais El Gaada, c’est aussi la mémoire qui crisse, refusant de revenir sur les lieux des crimes de la décennie rouge. Et aux terribles années de braise. C’est que bien des hommes, gens simples ou patriotes avérés, ont eu à souffrir, ici, des affres des hordes sauvages de l’AIS, du GIA et de leur sinistre symbole, Rambo. De son vrai nom Ould El Korichi, Rambo et ses tueurs avaient fait des razzias dans les villages environnants. Et parmi les hommes. Au point où l’imbécile imagination aidant, cet ex-para s’était imposé, pendant d’interminables et dures années, comme un chevalier de la Géhenne. Mais la justice immanente entrera en œuvre puisqu’il est, finalement, terrassé par un petit et brave soldat du contingent… L’histoire de la région retiendra, également, que c’est au pied de ces maquis que sont nés feu Larbi Belkheir, feu général Khellil (assassiné à Oran par les hordes du GIA), feu Colonel Touil (Ce même Hamou qui a giflé un général égyptien qui, lors de la guerre des sables, ordonna le retrait des troupes arabes alors que Tsahal était acculé), la femme de Zerhouni et tant d’autres… Bref, un nombre impressionnant d’étoiles mais qui, au-delà de leurs missions au service du pays, n’ont été d’aucune action de clientélisme ou de népotisme vis-à-vis de leur région… Mais passons. Et dépassons Aïn El Hadid vers Frenda.
- Dis-moi ton passé, je te dirais qui tu es …-
Pour débarquer à Frenda, le voyageur devra épouser, invariablement, les interminables couloirs tortueux de la route qui domine le marabout Sidi M’hamed Bekhelifa. Ici, à la porte de la ville, le paysage relève de la carte postale. La route serpente, en effet, entre une luxurieuse forêt de jeunes pins, en haut, et les balcons fleuris de Bekhelifa qui dominent la verdoyante plaine d’El Taht. Une plaine généreuse, avec son lac collinaire qui prend sa source de Chott Chergui, ses amples oliviers alignés en rangs d’oignons et ses carrés de pommiers, à la saveur rare et succulente...
Arrivé à Frenda, le voyageur est, cependant, déçu. Car il y découvre, tout platement, une ville grouillante, grise, quelconque. Une ville presque anonyme. Une bourgade comme il en existe tant en Algérie, avec ses gris carrés de béton en guise de cités d’habitat, avec ses rues crevées en guise d’artères, avec ses hommes fébriles en guise de travailleurs et ses anonymes journaliers courant derrière un morceau de pain qui semble insaisissable, avec ses femmes, en guise d’Hélènes, qui guettent et qui meurent à force d’avoir longtemps et vainement guetté, avec ces jeunes, en guise de cartes de vote, adossés à leurs rêves frelatés, ou déambulant entre un café au creux de la main et une cafette au bout de la rue…
Pourtant, cette ville, avant d’être l’une des plus anciennes sous-préfectures des Hauts-Plateaux et de Tiaret, est aussi une bourgade très antique puisqu’on la dit contemporaine de Rome et de Carthage. Elle est, également et surtout, un haut lieu de culture et de civilisation puisque ici est né et a y vécu toute son enfance (et une partie de son adolescence), Jacques Berque ; ici s’est, également, retiré, pendant quatre ans, à la fin du XIVe siècle, Ibn Khaldoun pour y écrire une bonne partie de ses « prolégomènes ». Ici, subsistent encore les fameux Djeddars, des mausolées royaux berbères de l’époque byzantine qui sont la preuve par 13 de la richesse civilisationnelle millénaire de la région. Et des preuves «vivantes» de la berbérité d’ «Ifren-dha ». Ici, se dressait la chapelle de Donatistes dont les vestiges demeurent encore à Sbiba et qui sont une autre preuve de la profondeur culturelle et de la tolérance spirituelle de ce pan entier mais ignoré de la géographie politique et économique algérienne. De toute cette épique histoire et de toute cette ample culture, il ne reste que des vestiges. De pitoyables vestiges, à l’image du bourg de Taoughazout, jadis forteresse de la tribu d'Ouled Arif (qalaâ des Béni Salama) et où les grottes creusées en appartement, qui avaient servi de domicile et de bureau à Ibn Khaldoun, ne se trouvent sur aucun guide touristique, dans aucun manuel scolaire. Ou encore à l’instar du vaste chapiteau, qui devait servir de musée pour perpétuer la mémoire et l’œuvre du savant maghrébin mais qui est abandonné aux intempéries à l’entrée du hameau. Idem pour les tombeaux des Djeddars qui ne sont plus qu’une étiquette mercantile pour vendre une vague eau de source. Ou encore - et encore - de l’histoire de l’enfant prodigue Jacques Berque dont la ville n’a retenu qu’une petite annexe de la Bibliothèque nationale, mais dont un don inestimable de manuscrits fait par la femme de l’historien, a été détourné par un vague chef de daïra en partance… Et encore, et encore….
- Des enfants pétris de….nostalgie et de regrets-
«A Frenda », se désolera un enfant de la ville qui a installé ses diplômes et son avenir à Alger, « les lieux mystiques ne manquent pas». Et comme pour enfoncer le couteau encore plus dans la plaie toujours béante de sa languissante nostalgie, il citera pêle-mêle Bâb El Kébir, « un quartier qui communique, à ceux qui y viennent en pèlerinage, une charge émotive et affective intense » ;
Ain El Kébira, lieu béni de son enfance où s'était établi Lala Zahoum Bent Sidi Cheikh (1810/1905) de la descendance du cheikh Bouamama et qui est «une merveilleuse source, qui a étanché la soif de bien des Frendéens» ; Ain Kbed, la fontaine magique aux vertus médicinales, à l’entrée de oued Fardja et que déclinent autant les contes que la légende ; La fontaine de Boumazoudj et son fameux bassin ; le saint tutélaire des lieux, Sidi Ahmed Bendaoud qui veille sur le tout Frenda et son Hammam qui prodigue la baraka ; Sidi Amar qui veille sur les Hawareths : «A chaque fois que je viens à Frenda, je vais toujours à hammam Sidi Ahmed Bendaoud et je fais un pèlerinage à Sidi Amar. Je me dis que c’est peut-être la dernière fois", dira Amar Djebbara, ex-DG des Douanes algériennes et illustre enfant de la ville. Malgré sa longue histoire et son riche patrimoine, Frenda en est encore, aujourd’hui, à tourner en rond à l’intérieur de sa vie carrée. Le nombre impressionnant de ses «étoiles », aujourd’hui, «éteintes», lui a, certes, occasionné une réelle proximité avec les cercles de décisions mais une proximité qui s’est révélée castratrice quant à son développement. Excepté la fierté d’avoir enfanté de la bonne graine, Frenda n’a rien tiré ni de son passé, ni de sa culture, ni des postes privilégiés de ses enfants. Et elle qui a de tout temps prétendu au rang de wilaya, elle en est encore à s’agripper aux hardes de Tiaret, misant son va-tout sur un hypothétique découpage administratif pour, peut-être, ou enfin, en finir avec un tutorat trop pesant, parce que frustrant. Alors, en attendant que l’Administration centrale revoie un peu mieux ses copies territoriales, Frenda continue de se tourner vers Oran, à 200 kilomètres , pour ses affaires, pour ses études, pour ses loisirs...même le parler de ses jeunes gens préfère l’accent et les subtilités du langage de Bled Sidi El Houari plutôt que celui de Bled Sidi Khaled, à une cinquantaine de kilomètres pourtant…
Par Amir Amar
Pour le voyageur qui y déboule d’Oran, la ville de Frenda offre, dès la sortie de Aïn El Hadid, une vue superbe, imprenable ! Un panorama de carte postale ! Bien installée dans son «nid d’aigles», Frenda domine outrageusement les alentours…Carte postale.
La ville semble se prélasser tout en regardant, avec autant de fierté que de méfiance, dirait-on, les monts d’El Gaada. Car ces monts déclinent, malheureusement, de hauts faits historiques mais aussi de vils actes de sinistre mémoire. De ces maquis outrageusement boisés, au relief mystérieux et torturé, la mémoire retiendra des bribes d’histoires qui sont autant de pans de l’Histoire locale. C’est dans ces monts, en effet, que les moudjahidine ont descendu l’un des tout premiers «avions jaunes» de la France coloniale. Cet acte de haute facture militaire et de simple bravoure, sanctionné par le trophée «d’Ettayara Essefra » arraché, avec un humble fusil de chasse aux Faucons aériens de l’Hexagone, fait aujourd’hui encore la fierté locale. Et sa chronique postcoloniale. Mais El Gaada, c’est aussi la mémoire qui crisse, refusant de revenir sur les lieux des crimes de la décennie rouge. Et aux terribles années de braise. C’est que bien des hommes, gens simples ou patriotes avérés, ont eu à souffrir, ici, des affres des hordes sauvages de l’AIS, du GIA et de leur sinistre symbole, Rambo. De son vrai nom Ould El Korichi, Rambo et ses tueurs avaient fait des razzias dans les villages environnants. Et parmi les hommes. Au point où l’imbécile imagination aidant, cet ex-para s’était imposé, pendant d’interminables et dures années, comme un chevalier de la Géhenne. Mais la justice immanente entrera en œuvre puisqu’il est, finalement, terrassé par un petit et brave soldat du contingent… L’histoire de la région retiendra, également, que c’est au pied de ces maquis que sont nés feu Larbi Belkheir, feu général Khellil (assassiné à Oran par les hordes du GIA), feu Colonel Touil (Ce même Hamou qui a giflé un général égyptien qui, lors de la guerre des sables, ordonna le retrait des troupes arabes alors que Tsahal était acculé), la femme de Zerhouni et tant d’autres… Bref, un nombre impressionnant d’étoiles mais qui, au-delà de leurs missions au service du pays, n’ont été d’aucune action de clientélisme ou de népotisme vis-à-vis de leur région… Mais passons. Et dépassons Aïn Kermes vers Frenda.
- Dis-moi ton passé, je te dirais qui tu es …-
Pour débarquer à Frenda, le voyageur devra épouser, invariablement, les interminables couloirs tortueux de la route qui domine le marabout Sidi M’hamed Bekhelifa. Ici, à la porte de la ville, le paysage relève de la carte postale. La route serpente, en effet, entre une luxurieuse forêt de jeunes pins, en haut, et les balcons fleuris de Bekhelifa qui dominent la verdoyante plaine d’El Taht. Une plaine généreuse, avec son lac collinaire qui prend sa source de Chott Chergui, ses amples oliviers alignés en rangs d’oignons et ses carrés de pommiers, à la saveur rare et succulente...
Arrivé à Frenda, le voyageur est, cependant, déçu. Car il y découvre, tout platement, une ville grouillante, grise, quelconque. Une ville presque anonyme. Une bourgade comme il en existe tant en Algérie, avec ses gris carrés de béton en guise de cités d’habitat, avec ses rues crevées en guise d’artères, avec ses hommes fébriles en guise de travailleurs et ses anonymes journaliers courant derrière un morceau de pain qui semble insaisissable, avec ses femmes, en guise d’Hélènes, qui guettent et qui meurent à force d’avoir longtemps et vainement guetté, avec ces jeunes, en guise de cartes de vote, adossés à leurs rêves frelatés, ou déambulant entre un café au creux de la main et une cafette au bout de la rue…
Pourtant, cette ville, avant d’être l’une des plus anciennes sous-préfectures des Hauts-Plateaux et de Tiaret, est aussi une bourgade très antique puisqu’on la dit contemporaine de Rome et de Carthage.
Elle est, également et surtout, un haut lieu de culture et de civilisation puisque ici est né et a y vécu toute son enfance (et une partie de son adolescence), Jacques Berque ; ici s’est, également, retiré, pendant quatre ans, à la fin du XIVe siècle, Ibn Khaldoun pour y écrire une bonne partie de ses « prolégomènes ». Ici, subsistent encore les fameux Djeddars, des mausolées royaux berbères de l’époque byzantine qui sont la preuve par 13 de la richesse civilisationnelle millénaire de la région.
Et des preuves «vivantes» de la berbérité d’ «Ifren-dha ». Ici, se dressait la chapelle de Donatistes dont les vestiges demeurent encore à Sbiba et qui sont une autre preuve de la profondeur culturelle et de la tolérance spirituelle de ce pan entier mais ignoré de la géographie politique et économique algérienne. De toute cette épique histoire et de toute cette ample culture, il ne reste que des vestiges. De pitoyables vestiges, à l’image du bourg de Taoughazout, jadis forteresse de la tribu d'Ouled Arif (qalaâ des Béni Salama) et où les grottes creusées en appartement, qui avaient servi de domicile et de bureau à Ibn Khaldoun, ne se trouvent sur aucun guide touristique, dans aucun manuel scolaire. Ou encore à l’instar du vaste chapiteau, qui devait servir de musée pour perpétuer la mémoire et l’œuvre du savant maghrébin mais qui est abandonné aux intempéries à l’entrée du hameau. Idem pour les tombeaux des Djeddars qui ne sont plus qu’une étiquette mercantile pour vendre une vague eau de source. Ou encore - et encore - de l’histoire de l’enfant prodigue Jacques Berque dont la ville n’a retenu qu’une petite annexe de la Bibliothèque nationale, mais dont un don inestimable de manuscrits fait par la femme de l’historien, a été détourné par un vague chef de daïra en partance… Et encore, et encore….
- Des enfants pétris de….nostalgie et de regrets-
«A Frenda », se désolera un enfant de la ville qui a installé ses diplômes et son avenir à Alger, « les lieux mystiques ne manquent pas». Et comme pour enfoncer le couteau encore plus dans la plaie toujours béante de sa languissante nostalgie, il citera pêle-mêle Bâb El Kébir, « un quartier qui communique, à ceux qui y viennent en pèlerinage, une charge émotive et affective intense » ; Ain El Kébira, lieu béni de son enfance où s'était établi Lala Zahoum Bent Sidi Cheikh (1810/1905) de la descendance du cheikh Bouamama et qui est «une merveilleuse source, qui a étanché la soif de bien des Frendéens» ; Ain Kbed, la fontaine magique aux vertus médicinales, à l’entrée de oued Fardja et que déclinent autant les contes que la légende ; La fontaine de Boumazoudj et son fameux bassin ; le saint tutélaire des lieux, Sidi Ahmed Bendaoud qui veille sur le tout Frenda et son Hammam qui prodigue la baraka ; Sidi Amar qui veille sur les Hawareths : «A chaque fois que je viens à Frenda, je vais toujours à hammam Sidi Ahmed Bendaoud et je fais un pèlerinage à Sidi Amar. Je me dis que c’est peut-être la dernière fois", dira Amar Djebbara, ex-DG des Douanes algériennes et illustre enfant de la ville. Malgré sa longue histoire et son riche patrimoine, Frenda en est encore, aujourd’hui, à tourner en rond à l’intérieur de sa vie carrée. Le nombre impressionnant de ses «étoiles », aujourd’hui, «éteintes», lui a, certes, occasionné une réelle proximité avec les cercles de décisions mais une proximité qui s’est révélée castratrice quant à son développement. Excepté la fierté d’avoir enfanté de la bonne graine, Frenda n’a rien tiré ni de son passé, ni de sa culture, ni des postes privilégiés de ses enfants. Et elle qui a de tout temps prétendu au rang de wilaya, elle en est encore à s’agripper aux hardes de Tiaret, misant son va-tout sur un hypothétique découpage administratif pour, peut-être, ou enfin, en finir avec un tutorat trop pesant, parce que frustrant. Alors, en attendant que l’Administration centrale revoie un peu mieux ses copies territoriales, Frenda continue de se tourner vers Oran, à 200 kilomètres , pour ses affaires, pour ses études, pour ses loisirs...même le parler de ses jeunes gens préfère l’accent et les subtilités du langage de Bled Sidi El Houari plutôt que celui de Bled Sidi Khaled, à une cinquantaine de kilomètres pourtant…
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