Apulée est un auteur du IIe siècle après Jésus-Christ, originaire d'Afrique, un des premiers exemples d'une carrière littéraire entièrement faite en dehors de Rome. C'est un esprit brillant, universel, bien dans la ligne du mouvement de la Seconde Sophistique. Né vers 125, d'une famille riche de Madaure (en Numidie, dans l'actuelle Algérie), il fit d'abord ses études à Carthage, où il apprit l'éloquence latine, avant d'aller chercher à Athènes un enseignement philosophique supérieur, de voyager beaucoup, puis de retourner en Afrique. Carthage deviendra sa résidence habituelle et où il y mourra après 170. C'était un personnage singulier et attachant, qui avait les yeux grands ouverts et s'intéressait à tout, aux sciences, à la philosophie, à la religion, à la magie aussi. Comme l'écrit P. Grimal, il «se fit initier à tous les cultes, plus ou moins secrets, qui abondaient alors dans l'Orient méditerranéen : mystères d'Éleusis, de Mithra, d'Isis, culte des Cabires à Samothrace, et mille autres encore, d'une moindre célébrité. Il espérait y trouver "le secret des choses"». Quant à la magie, elle n'occupe pas seulement une grande place dans les Métamorphoses; on connaît l'histoire du procès qui lui fut intenté par les parents de la femme, beaucoup plus âgée que lui, qu'il avait épousée à Oea en Tripolitaine. Fâchés se voir l'héritage leur échapper, ceux-ci l'accusèrent devant les tribunaux d'avoir envoûté leur parente pour qu'elle accepte de l'épouser. Apulée s'en sortit par un plaidoyer habile et spirituel, l'Apologie ou le De Magia, qui est pour ainsi dire le seul exemple conservé d'un discours judiciaire de l'Empire. Apulée était aussi un conférencier à succès, capable de parler en grec comme en latin. Nous ne possédons plus ces discours d'apparat, exception faite d'un mince anthologie (les Florides) où sont rassemblés 23 morceaux de longueur très inégale. Il avait écrit bien d'autres choses encore : des poèmes, des traductions, des traités techniques aujourd'hui perdus (sur les arbres, la médecine, l'astronomie...), et qui n'étaient peut-être que de simples compilations ou des résumés. Nous possédons par contre, sous son nom, plusieurs traités philosophiques. D'abord une brillante conférence, de haute vulgarisation si l'on peut dire, le De deo Socratis, qui constitue en fait l'exposé le plus approfondi que l'antiquité nous ait laissé sur la démonologie. Ensuite, le De Platone et eius dogmate libri II, une sorte de résumé scolaire et assez terne de la doctrine de Platon; en réalité c'est du Platon revu et corrigé par des siècles d'évolution du Platonisme. Enfin le De mundo, qui s'inspire de la théorie péripatéticienne de l'univers et qui n'est rien d'autre qu'une adaptation en latin d'un traité grec anonyme sur le même sujet. Mais son oeuvre majeure est indiscutablement les Métamorphoses ou L'Âne d'or, en onze livres. C'est le récit, fait à la première personne, d'un certain Lucius, un jeune homme curieux de tout, qui, s'étant frotté de trop près à la magie, se voit transformé en âne. Sous cette forme, il va connaître toute une série d'aventures, entrant en contact successivement avec des brigands, des esclaves fugitifs, des prêtres de la déesse syrienne, un meunier, un maraîcher, un soldat, deux frères esclaves (un pâtissier et un cuisinier), puis leur maître. Comme c'est l'âne qui raconte et qu'il a conservé son sens aigu de l'observation et son esprit critique d'homme, il nous donne à voir par l'intérieur les activités et les préoccupations de tous ces milieux très différents qu'il a fréquentés. L'ensemble nous fournit un remarquable tableau de la vie quotidienne au IIe siècle de l'Empire. Tout cela, au fil de plusieurs livre, car la transformation en âne s'est produite au livre III et c'est au dernier livre seulement que Lucius retrouve sa forme humaine, ce qui ne sera d'ailleurs possible que grâce à l'intervention bienfaisante de la déesse Isis. En réalité, sur l'histoire principale, celle des aventures de Lucius comme homme ou comme âne, sont rattachés par des procédés variés, parfois fort artificiels, une foule d'autres récits de longueur variable. Le plus long d'entre eux est le Conte d'Amour et de Psyché; c'est une vieille servante qui, dans la caverne des brigands, le raconte à Charité, une jeune fille que ces mêmes brigands viennent d'enlever. Sur ce plan, les Métamorphoses apparaissent aussi comme un recueil de nouvelles. Mais l'oeuvre est beaucoup plus riche. Divers éléments montrent en effet qu'on ne peut se borner à la lire au premier degré. Il y a d'abord le Conte d'Amour et de Psyché, qui occupe le centre même du récit : Psyché, on le sait, est le nom grec de l'âme, et elle est amoureuse d'Éros, l'un des grands «démons» platoniciens. Il y a ensuite le livre d'Isis, dont la tonalité religieuse, tranche profondément sur la noirceur, la violence et le sadisme lourdement présents dans ce qui précède. Il y a aussi de nombreux autres indices disséminés au fil des chapitres et impossibles à détailler ici. Il faut cependant dire que les interprètes modernes ne sont pas parvenus à s'entendre sur la signification profonde du récit. Si Apulée a voulu transmettre à ses lecteurs un «message», on n'est pas certain de l'avoir découvert. Mais il reste qu'Apulée, au fil des pages, se laisse guider par son imagination, sa fantaisie, son amour du merveilleux, son goût des histoires, et que les modernes auraient bien tort en le lisant de bouder leur propre plaisir. L'oeuvre d'Apulée est éditée et traduite en français dans la "Collection des Universités de France" : •Apologie. Florides, par P. Vallette, 1924 (plusieurs rééditions) •Métamorphoses, 3 vol., par P. Vallette et D. S. Robertson, 1940-1945 (plusieurs rééditions) •Opuscules philosophiques et Fragments, par J. Beaujeu, 1973.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire