Les Archives en Afrique, un patrimoine culturel de l’Humanité
Dans le cadre du colloque Foccart qui se tient les 26 et 27 mars à Paris, « Le Monde Afrique » publie un dossier consacré au mystérieux conseiller et aux archives en Afrique. Tribune de l’ancien directeur des archives du Sénégal, Saliou Mbaye.
Les archives permettent d’entrevoir le passé et d’écrire l’avenir. Elles sont une plongée dans l’histoire des sociétés, des peuples et des Etats.
Les archives en Afrique sont à l’heure actuelle un enjeu primordial de la bonne gouvernance, de la démocratie et du développement.
Car l’archive, c’est, entre autres, le savoir de l’Etat sur l’Etat, le savoir des peuples sur eux-mêmes. Nos sociétés et nos Etats africains ne peuvent donc se développer sans une parfaite connaissance de leur propre histoire.
Les archives permettent d’entrevoir le passé et d’écrire l’avenir. Elles sont une plongée dans l’histoire des sociétés, des peuples et des Etats.
Le patrimoine archivistique, en Afrique de l’Ouest par exemple, n’est pas cantonné aux papiers jaunis des administrations coloniales. Il s’agit d’un patrimoine produit et reçu certes par les administrations coloniales et celles de l’indépendance ; mais, il faut y ajouter l’ensemble des archives privées, les copies d’archives des anciennes puissances coloniales, les archives orales collectées et conservées, les objets et matériaux produits par les sociétés ouest-africaines et, enfin les manuscrits en arabe ou en ajami (caractères arabes pour transcrire des langues africaines : poular, soninké, haoussa…). Les sources orales et l’extraordinaire vitalité de nos sociétés de l’oralité ainsi que les nouvelles technologies de l’information et de la communication, participent également de ce patrimoine culturel et archivistique, que l’Afrique a en partage avec l’humanité.
Dakar, la « Holly Mecca » des archives en Afrique de l’ouest
Au début des années 2000, les Africains ont décidé de se prendre en charge. L’Afrique comptait sur elle-même. Elle a institué le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad), qui entendait utiliser des financements privés pour mettre en place des programmes de développement.
Dans les priorités du Nepad figuraient, en effet, la maîtrise des nouvelles technologies de l’information et de la communication et le développement des capacités de gestion des archives.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Des efforts ont été certes consentis. Mais la grande majorité des pays souffrent encore aujourd’hui d’un déficit dans la prise en charge rationnelle de leurs archives.
Les archives à Dakar, la « Holly Mecca » des archives en Afrique de l’Ouest, comme disait mon regretté collègue J. Enwere du Nigeria, « sont inscrites dans le registre mémoire du monde (depuis 2000) et ont été classées patrimoine mondial documentaire » par l’Unesco.
Le fonds d’archives de l’AOF, conservé à Dakar, constitue également une exception, que nous nous plaisons aujourd’hui au Sénégal à ranger parmi « les exceptions sénégalaises ».
Contrairement, en effet, aux archives de l’Indochine, de Madagascar, de l’AEF, ou de l’Algérie qui, au nom du principe de souveraineté, se retrouvent aujourd’hui aux Archives nationales d’outre-mer (ANOM) à Aix-en-Provence, les archives de l’AOF sont restées à Dakar.
Ce fonds constitue indéniablement un « patrimoine commun ». Cela signifie que « physiquement le fonds est conservé intact dans l’un des pays concernés, où il est intégré dans le patrimoine archivistique national, avec toutes les responsabilités en matière de sécurité et de traitement que cela implique pour l’Etat qui agit en propriétaire de ce patrimoine ».
Une numérisation totale protégerait et sauverait cette « mémoire partagée » entre la France et l’Afrique.
Depuis 1961, les archives sont microfilmées. Mais, une grande partie de ces microfilms s’est détériorée et l’opération de microfilmage connaît depuis une dizaine d’années un essoufflement, que l’on espère passager. Dans les années 2000, plusieurs pays ont fait l’effort de faire microfilmer tout ou partie des archives relatives à l’histoire de leur pays conservées dans le fonds AOF.
Il s’agit de la Guinée, de la Mauritanie, du Niger, du Burkina Faso, du Mali et de la Côte d’Ivoire.
Mais en fait, pour bien faire, il aurait fallu que l’intégralité du fonds fît l’objet d’une numérisation et qu’ainsi chacune des parties pût y accéder librement et sur son sol. Une numérisation totale protégerait et sauverait cette « mémoire partagée » entre la France et l’Afrique. La réduction de la fracture technologique commence aussi avec cette numérisation totale.
Archives de l’AOF, sources de l’histoire de l’Afrique
Bien qu’elles soient filles des institutions coloniales, les archives de l’AOF constituent incontestablement des sources de l’histoire de l’Afrique. Bien sûr, elles avaient été regroupées pour illustrer la geste coloniale.
Mais elles servent les Africains et les spécialistes de l’histoire de l’Afrique qui les décryptent comme de véritables sources de l’histoire de l’Afrique. Ainsi, au nom des principes de territorialité (elles ont été pour l’essentiel produites en Afrique) et de pertinence (elles sont dans leur large majorité consacrées aux Africains), elles appartiennent au patrimoine de l’Afrique et les Africains les considèrent comme tel. Ils ont bien raison.
Au moment des indépendances, des efforts ont été consentis par les gouvernements pour doter les pays de services d’archives. L’enjeu est le développement de la nation et les archives sont regardées et entretenues comme un outil au service du développement.
D’ailleurs, la plupart des services d’archives sont rattachés, soit à la présidence de la République (Burkina Faso), soit à la primature (Sénégal, Madagascar, etc.), soit au ministère de l’intérieur (Côte d’Ivoire).
Ce faisant, les autorités veulent, en effet, présenter les archives comme un service interministériel capable de fournir des informations rétrospectives dont a besoin toute administration dynamique.
L’évolution de la démocratie, de la question de la bonne gouvernance et des exigences de la nouvelle citoyenneté demandent plus de transparence et davantage d’accès à l’information administrative.
Si des locaux ont été aménagés ça et là pour abriter les archives, la crise pétrolière des années 1970 et l’irruption du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale dans l’économie de nos pays avec leurs programmes d’ajustement structurel ont freiné l’enthousiasme des années 1960.
Il a fallu attendre les années 1990-2000 pour qu’une politique de construction de bâtiments reprenne.
C’est le cas au Bénin, au Mali, au Niger et au Ghana, où des bâtiments autonomes sont construits pour les archives. La Guinée et le Cap-Vert ont réhabilité de vieux bâtiments.
Mais curieusement, le Sénégal, qui a un projet de construction depuis 1972, reste cloué sur la ligne de départ.
Et pourtant, le projet a connu un début de réalisation, mais l’alternance politique survenue le 19 mars 2000 y a mis fin. Cependant, on note depuis 2012, (avènement de la deuxième alternance politique) des frémissements qui suscitent beaucoup d’espoir au sein de la communauté nationale des archivistes.
L’évolution de la démocratie, de la question de la bonne gouvernance et des exigences de la nouvelle citoyenneté demandent plus de transparence dans les actes du gouvernement et davantage d’accès à l’information administrative.
Les gouvernements des pays africains doivent donner à leurs concitoyens un libre accès à l’information administrative et légiférer sur la protection des renseignements personnels. Autres obstacles, seuls quelques pays, comme le Sénégal, disposent de législations adéquates caractérisées par plusieurs lois portant notamment sur les archives (2006) et sur la protection des données personnelles (2008).
Il faut souhaiter que de telles lois soient adoptées dans un avenir proche dans l’Afrique entière donnant ainsi aux Etats du continent l’opportunité de figurer au rang des pays du monde où l’archive compte.
Lemonde.fr
Dans le cadre du colloque Foccart qui se tient les 26 et 27 mars à Paris, « Le Monde Afrique » publie un dossier consacré au mystérieux conseiller et aux archives en Afrique. Tribune de l’ancien directeur des archives du Sénégal, Saliou Mbaye.
Les archives permettent d’entrevoir le passé et d’écrire l’avenir. Elles sont une plongée dans l’histoire des sociétés, des peuples et des Etats.
Les archives en Afrique sont à l’heure actuelle un enjeu primordial de la bonne gouvernance, de la démocratie et du développement.
Car l’archive, c’est, entre autres, le savoir de l’Etat sur l’Etat, le savoir des peuples sur eux-mêmes. Nos sociétés et nos Etats africains ne peuvent donc se développer sans une parfaite connaissance de leur propre histoire.
Les archives permettent d’entrevoir le passé et d’écrire l’avenir. Elles sont une plongée dans l’histoire des sociétés, des peuples et des Etats.
Le patrimoine archivistique, en Afrique de l’Ouest par exemple, n’est pas cantonné aux papiers jaunis des administrations coloniales. Il s’agit d’un patrimoine produit et reçu certes par les administrations coloniales et celles de l’indépendance ; mais, il faut y ajouter l’ensemble des archives privées, les copies d’archives des anciennes puissances coloniales, les archives orales collectées et conservées, les objets et matériaux produits par les sociétés ouest-africaines et, enfin les manuscrits en arabe ou en ajami (caractères arabes pour transcrire des langues africaines : poular, soninké, haoussa…). Les sources orales et l’extraordinaire vitalité de nos sociétés de l’oralité ainsi que les nouvelles technologies de l’information et de la communication, participent également de ce patrimoine culturel et archivistique, que l’Afrique a en partage avec l’humanité.
Dakar, la « Holly Mecca » des archives en Afrique de l’ouest
Au début des années 2000, les Africains ont décidé de se prendre en charge. L’Afrique comptait sur elle-même. Elle a institué le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad), qui entendait utiliser des financements privés pour mettre en place des programmes de développement.
Dans les priorités du Nepad figuraient, en effet, la maîtrise des nouvelles technologies de l’information et de la communication et le développement des capacités de gestion des archives.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Des efforts ont été certes consentis. Mais la grande majorité des pays souffrent encore aujourd’hui d’un déficit dans la prise en charge rationnelle de leurs archives.
Les archives à Dakar, la « Holly Mecca » des archives en Afrique de l’Ouest, comme disait mon regretté collègue J. Enwere du Nigeria, « sont inscrites dans le registre mémoire du monde (depuis 2000) et ont été classées patrimoine mondial documentaire » par l’Unesco.
Le fonds d’archives de l’AOF, conservé à Dakar, constitue également une exception, que nous nous plaisons aujourd’hui au Sénégal à ranger parmi « les exceptions sénégalaises ».
Contrairement, en effet, aux archives de l’Indochine, de Madagascar, de l’AEF, ou de l’Algérie qui, au nom du principe de souveraineté, se retrouvent aujourd’hui aux Archives nationales d’outre-mer (ANOM) à Aix-en-Provence, les archives de l’AOF sont restées à Dakar.
Ce fonds constitue indéniablement un « patrimoine commun ». Cela signifie que « physiquement le fonds est conservé intact dans l’un des pays concernés, où il est intégré dans le patrimoine archivistique national, avec toutes les responsabilités en matière de sécurité et de traitement que cela implique pour l’Etat qui agit en propriétaire de ce patrimoine ».
Une numérisation totale protégerait et sauverait cette « mémoire partagée » entre la France et l’Afrique.
Depuis 1961, les archives sont microfilmées. Mais, une grande partie de ces microfilms s’est détériorée et l’opération de microfilmage connaît depuis une dizaine d’années un essoufflement, que l’on espère passager. Dans les années 2000, plusieurs pays ont fait l’effort de faire microfilmer tout ou partie des archives relatives à l’histoire de leur pays conservées dans le fonds AOF.
Il s’agit de la Guinée, de la Mauritanie, du Niger, du Burkina Faso, du Mali et de la Côte d’Ivoire.
Mais en fait, pour bien faire, il aurait fallu que l’intégralité du fonds fît l’objet d’une numérisation et qu’ainsi chacune des parties pût y accéder librement et sur son sol. Une numérisation totale protégerait et sauverait cette « mémoire partagée » entre la France et l’Afrique. La réduction de la fracture technologique commence aussi avec cette numérisation totale.
Archives de l’AOF, sources de l’histoire de l’Afrique
Bien qu’elles soient filles des institutions coloniales, les archives de l’AOF constituent incontestablement des sources de l’histoire de l’Afrique. Bien sûr, elles avaient été regroupées pour illustrer la geste coloniale.
Mais elles servent les Africains et les spécialistes de l’histoire de l’Afrique qui les décryptent comme de véritables sources de l’histoire de l’Afrique. Ainsi, au nom des principes de territorialité (elles ont été pour l’essentiel produites en Afrique) et de pertinence (elles sont dans leur large majorité consacrées aux Africains), elles appartiennent au patrimoine de l’Afrique et les Africains les considèrent comme tel. Ils ont bien raison.
Au moment des indépendances, des efforts ont été consentis par les gouvernements pour doter les pays de services d’archives. L’enjeu est le développement de la nation et les archives sont regardées et entretenues comme un outil au service du développement.
D’ailleurs, la plupart des services d’archives sont rattachés, soit à la présidence de la République (Burkina Faso), soit à la primature (Sénégal, Madagascar, etc.), soit au ministère de l’intérieur (Côte d’Ivoire).
Ce faisant, les autorités veulent, en effet, présenter les archives comme un service interministériel capable de fournir des informations rétrospectives dont a besoin toute administration dynamique.
L’évolution de la démocratie, de la question de la bonne gouvernance et des exigences de la nouvelle citoyenneté demandent plus de transparence et davantage d’accès à l’information administrative.
Si des locaux ont été aménagés ça et là pour abriter les archives, la crise pétrolière des années 1970 et l’irruption du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale dans l’économie de nos pays avec leurs programmes d’ajustement structurel ont freiné l’enthousiasme des années 1960.
Il a fallu attendre les années 1990-2000 pour qu’une politique de construction de bâtiments reprenne.
C’est le cas au Bénin, au Mali, au Niger et au Ghana, où des bâtiments autonomes sont construits pour les archives. La Guinée et le Cap-Vert ont réhabilité de vieux bâtiments.
Mais curieusement, le Sénégal, qui a un projet de construction depuis 1972, reste cloué sur la ligne de départ.
Et pourtant, le projet a connu un début de réalisation, mais l’alternance politique survenue le 19 mars 2000 y a mis fin. Cependant, on note depuis 2012, (avènement de la deuxième alternance politique) des frémissements qui suscitent beaucoup d’espoir au sein de la communauté nationale des archivistes.
L’évolution de la démocratie, de la question de la bonne gouvernance et des exigences de la nouvelle citoyenneté demandent plus de transparence dans les actes du gouvernement et davantage d’accès à l’information administrative.
Les gouvernements des pays africains doivent donner à leurs concitoyens un libre accès à l’information administrative et légiférer sur la protection des renseignements personnels. Autres obstacles, seuls quelques pays, comme le Sénégal, disposent de législations adéquates caractérisées par plusieurs lois portant notamment sur les archives (2006) et sur la protection des données personnelles (2008).
Il faut souhaiter que de telles lois soient adoptées dans un avenir proche dans l’Afrique entière donnant ainsi aux Etats du continent l’opportunité de figurer au rang des pays du monde où l’archive compte.
Lemonde.fr
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