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11/10/2015

L’arabesque, la saveur de lavie

La saveur de la vie, les Arabes la goûtent en matérialisant leur passion du beau, dans les arts comme dans les lettres, partout où ils ont excellé dans ce domaine qu’on pourrait appeler « l’arabesque », c’est-à-dire le décor linéaire, les couleurs blasonnées, la musique modale, les phrases brèves et ramassées.

La calligraphie est un art majeur chez les Arabes, d’abord parce qu’elle permet d’écrire le texte du Coran. Elle peut avoir plusieurs supports : pierre, bois, porcelaine, métal, verre, cuivre, parchemin, papyrus ou papier. On en connaît plusieurs formes traditionnelles, mais les deux plus connues sont, jusqu’au XII° siècle au moins, le koufique (du nom de la ville de Koufa, en Irak), raide et anguleux, qui convient particulièrement à la pierre, à l’architecture, aux monnaies, et le naskhî, qui est la mode cursive, en honneur jusqu’à nos jours. Bien entendu, les exemples les plus anciens que l’on connaisse e l’écriture arabe sont des Corans sur parchemin, tels que, datés du 1er siècle avant l’Hégire (VII°siècle de notre ère), le Coran dit d’Ali , visible au Musée Pars de Chiraz , en Iran et qui remonterait à l’an VII de l’Hégire, et l’un des Corans dits d’Othman, provenant de Samarkand et conservé à Moscou ou à Leningrad. Le second prototype est une inscription lapidaire du calife Al Ma’mun gravée dans la Mosquée du Rocher, à Jérusalem. Le troisième, un fragment de papier, peut-être du X°siècle de notre ère, est conservé aujourd’hui à Vienne.

De l’art de vivre : la calligraphie, l’arabesque, les jardins et la musique

Les arabesques et l’essence de la calligraphie apparaissent en Occident, dans de célèbres œuvres d’art comme la peinture. Les lions de l’Alhambra, à Grenade, sont célèbres. Les peintures de la chapelle Palatine, à Palerme (Italie) représentent danseuses et musiciens : elles sont dues à des artistes musulmans, vers 1140. Le calife omeyade de Qasr al-Hair (Jordanie) n’avait, semble-t-il, pas d’objection à regarder un médaillon décoré d’un buste féminin, et même une grande statue de prince en costume persan. Les aventures des objets d’art sont incroyables : les verres émaillés de Damas et d’Alep, fabriqués en Syrie jusqu’à la fin qu’ « au XIV°siècle, ont té retrouvés aussi bien en Chine qu’en Cornouailles. Quant aux voiles de soie de Mossoul (en Irak), ils sont très prisés en Europe. Le « trésor » d’églises françaises ou espagnoles en contient quelques uns, parfois vénérés comme « saints suaires » du Christ, tel celui de l’abbaye périgourdine de Cadouin dont l’origine égyptienne et musulmane est établie par le nom, brodé en caractères coufiques, du Fatimide Al-Musta’lî. 
Le tapis a fait la gloire de l’Iran, mais il existe cent exemples, toujours vivants, où les tapis berbères, de haute laine, aux couleurs pures, sont rehaussés de dessins géométriques.
Reste enfin l’art des jardins qui a inspiré à Louis Massignon, en 1939, des réflexions pénétrantes :

« La conception musulmane du jardin nous frappe par sa constance, c’est essentiellement un lieu de rêverie qui transfère hors du monde…Dans notre jardin classique qui commence avec l’Empire romain, continue avec les Médicis et Louis XIV, le but est de dominer le monde d’un point de vue central : de grandes perspectives conduisent à l’horizon, de grands bassins d’eau reflètent le lointain….Au lieu de cela, dans le jardin musulman, la première chose qui importe, c’est une fermeture isolant du dehors, et, au lieu que l’intérêt soit à la périphérie, il siège au centre. Ce jardin se fait en prenant un morceau de terrain, en « vivifiant » un carré de désert où l’eau est amenée ; au-dedans d’un mur d’enceinte très haut, au dessus duquel la curiosité ne peut plus passer à l’intérieur, nous trouvons des quinconces d’arbres et de fleurs, qui se pressent de plus en plus à mesure que l’on va de la périphérie jusqu’au centre, et au centre, se trouve une fontaine jaillissante, le kiosque. Ce jardin, à l’inverse du jardin classique et du jardin paysager des Japonais, procure un délassement de la pensée, repliée sur elle-même. »

Selon Gaston Wiet (1971), « la décoration musulmane fut dirigée dans le sens de l’abstraction. Le goût général eut horreur du vide et se plut à chercher la répétition des motifs juxtaposés : l’art musulman rejoint ici la poésie et la musique arabe dans ce désir de systématisation ». Claude Debussy a composé des « arabesques », c’est-à-dire « le jeu libre des sonorités. » Il rappelait que « les primitifs, Palestrina, Orlando di Lasso etc.… se servirent de cette divine arabesque. On sait que la musique andalouse, le flamenco et son cante jondo doivent aux Arabes : ne dit-on pas, en Espagne, que, pour jouer vraiment de la guitare, il faut avoir los dodos fatales de la raza mora ? À Paris, la bibliothèque de l’Opéra conserve, de la main de Beethoven, la transcription musicale d’un chant de « Derviche tourneur ».

Alexis Chottin, dans son excellent Tableau de la Musique (1939), nous présente la musique dite « arabe », andalouse ou populaire, avec ses instruments à cordes (dont le principal est le luth_al-‘ud_avec le rebec et l’alto), ses instruments à vent, pour le plein air (petite flûte traversière, hautbois ou trompette, ou à percussion (tambourins oblongs ou plats, en bois ou en poterie_où les coups vibrants au centre alternent avec les coups mats sur les bords.

Les Européens goûtent généralement assez peu ces mélodies linéaires en arabesques, qui leur paraissent monotones et parfois discordantes. Il en est tout autrement de l’effet produit par l’effet produit par la musique berbère, comme le montre l’enthousiasme soulevé par les chants kabyles de Taos Amrouche. Au Maroc, le vieux fond berbère s’est tellement intégré à l’apport arabe qu’il n’est pas toujours facile de les distinguer.

L’arabesque, c’est aussi l’éloquence, l’art de la parole, toujours apprécié.

« Quand le temps le permet, un Arabe ne passe jamais la journée chez lui, il serait montré au doigt…Loin des femmes(…) il s’égare à plaisir dans de longues causeries. La parole est au plus âgé, au plus brave, au plus expérimenté. Les sujets sont variés parce qu’ils sont féconds. »

Par Vincent Monteil
« La civilisation et la culture arabes, La saveur de la vie, L’Arabesque », in Le monde arabe, Tradition et Renouveau, Lausanne, Édition des Trois Continents, Vilo, 1977, pp81-107-125-126

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