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7/05/2014

la Commune Mixte de la Mina (3)

Issus de la même tribu-mère, les Mérinides parurent dans les plaines du Maghreb en 1240 et mirent en déroute les Arabes Riah qui voulaient s’opposer à leur passage. Leur puissance devint formidable. Leur chef Othman le borgne, fils d’Abd el Hak, soumit à son autorité les Chouïa, Houara, Fechtata, Médiouna, Behloula et autres tribus du Maghreb central. Il leur imposa le « Kharadj » (sorte d’imposition foncière) en sus des impôts ordinaires.
En 1248, Yarmouracen, émir de la tribu des Abd el Oued, fonda à Tlemcen une nouvelle dynastie et étendit son autorité sur tout le pays, jusqu’à Mostaganem. Ainsi, par la chute des Almohades, les Abd el Ouadides et les Zianites se trouvaient maître de la partie du Maghreb central comprise entre Alger et la Moulouïa avec Tlemcen pour capitale.
Les derniers restes des Maghraoua, tant de Tripoli que du Maghreb, s’étaient réunis entre Ténès et l’embouchure du Chélif dans les montagnes des Béni Boussaïd. Dans les montagnes de la province d’Oran et dans les contrées maritimes ou montagneuses situées au Nord de Tlemcen, habitaient des fractions des Béni-Faten, resserrées à l’Est par les Arabes et au Sud par les Zenata, les Toudjines occupaient tout l’Ouarsenis et certains plateaux environnant ; les Abd el Oued et les Rached s’étaient fixés autour de Tlemcen avec les débris des anciennes tribus (Ouarnia, Ifren, etc.). La grande tribu Arabe des Zorba s’était disséminée ; le noyau le plus important, celui des Malek, occupait les plaines du Maghreb central, dans la partie entre Miliana et la Mina ; les Attaf étaient près de Miliana, les Soueïd et Dialem occupant les plaines du Chélif et de la Mina.
En 1271, les Arabes Zorba, les Béni Rached et les Maghraoua qui occupaient les plaines de la Mina et de Sirat répondirent à un appel que fit Yarmouracen de Tlemcen à ses tributaires ; c’était le dernier acte de solidarité que devraient montrer ses tribus avant leur démembrement.
Successivement le pays se trouva sous le joug du Mérinide Aboul Hassan, puis du Zianite Abou Saïd Othman c’est dire des Abd el Ouadides ; cela de 1351 à 1383. Pendant la longue période d’anarchie entre dynasties musulmanes d’Afrique du Nord et les régions de Mostaganem et de Tiaret eurent à subir les ravages de la guerre. Certaines villes mises en cendres ne se relevèrent plus ; d’autres comme Kalâa furent plusieurs fois rebâties sur des ruines encore fumantes.
En 1431, tout le Nord de l’Afrique reconnaissait la supériorité du souverain Hafside Abou Farés.
Les peuplades berbères et arabes qui occupèrent successivement le territoire qui nous intéresse furent :
a.       BERBERES
1.      Les Marita (branche des Béni Faten) et les Senhadja, tous berbères, sur les rives droite et gauche du Bas-Chélif.
2.      Les Koumia et les Médiouna (berbères) au Nord de Tlemcen.
3.      Les Maghraoua (Zénètes) dans la plaine du Chélif et alentours (Dahra).
4.      Les Ouamemnou (Zénètes) à l’Est de la Mina ; les Houmi (Zénètes) sur le plateau de Mostaganem et la plaine de Sirat.
5.      Les Haoudra (berbères) dans le massif des Béni Chougrane.

b.       ARABES
1.      Groupe arabe des Esk’ek’in : les Ouled Sebair qui s’éparpillèrent jusqu’à Tlemcen.
2.      Groupe arabe hilalien (qui se fondirent dans la masse) ; les Ouled Habra (plaines situées entre Oran et Mostaganem), Les Soueïd (qui s’étendirent jusqu’aux plaines de Sirat et de la Mina).

4.      Périodes Espagnole et Turque
Dès 1515, les Espagnols commençaient à parcourir la province d’Oran. Ils avaient adopté le système de la razzia et étaient renforcés dans leurs expéditions par des indigènes soumis antérieurement, dénommés « Moros de Paz ».
Cependant, à la fin de 1517, Aroudj ayant reçu à Ténès des renforts et de l’artillerie envoyés par son frère Kheïr Eddine, se dirigea vers l’Ouest emmenant avec lui un corps expéditionnaire composé de quinze à cinq cents arquebusiers et janissaires, Levantins ou Maures andalous ; ils s’augmentèrent d’ailleurs bientôt d’un certain nombre de volontaires indigènes. Il est probable que sa marche s’effectua dans un délai assez bref, sans quoi comment le Gouverneur d’Oran et de la Province de Tlemcen serait-il resté si longtemps sans intervenir ; passant par Kalâa, qu’on appelait alors la Kalâa des Béni-Rached et qui était une ville exclusivement berbère, il fut fort bien accueilli par les habitants de cette localité. C’était un poste fortifié par la nature et par la main des hommes ; Aroudj se décida à l’occuper pour assurer ses communications entre Alger et Oran, et enlever plus facilement aux Espagnols les ressources qu’ils tiraient de cette région. Ishac, frère des deux Barberousse y resta avec 300 soldats, tandis qu’Aroudj poursuivait sa route en avant. Le commerce de grains de Kalâa était considérable à cette époque ; les habitants de cette place reçurent l’ordre, sous peine de châtiment terrible, d’interrompre toute relation commerciale ou politique avec les chrétiens d’Oran. Le roi détrôné de Tlemcen, Abou Hammou III, réfugié à Fez, écrivait aux Espagnols en leur disant : « Vous voyez par vous-même la position critique où vous vous trouvez depuis qu’un usurpateur aidé de cette population parjure est venu me faire descendre du trône de mes pères, à peine les Turcs ont-ils planté leur étendard sur les remparts de mes capitales, que les vivres et les denrées que Kalâa vous fournissait ont cessé de vous parvenir. O vous ! Pourquoi ne point m’avoir secouru et aider à exterminer Aroudj Raïs ? Pourquoi ne m’avoir point envoyé de vos troupes pour me soutenir et de l’or pour assurer ma puissance sur hordes rebelles ? Votre position n’aurait-elle pas été à l’abri de toute avarie ? Je crois de mon devoir de vous en prévenir, réfléchissez aux conséquences terribles des ces évènements, réfléchissez, car avant peu, peut être, le moment en sera éloigné, et ces hommes envieux de toutes choses viendront vous attaquer dans vos plus forts retranchements ! » Ces paroles ne manquèrent pas d’atteindre le but que se produisait leur auteur. Les Espagnols furent ébranlés par ces insinuations du roi détrôné, et répondirent à sa missive dans les termes suivants : « Vous ne nous avez jamais demandé protection ni secours ; jamais aucune communication ne nous est parvenue de votre part. Si telle avait été votre intention et le caractère de vos démarches, certes nous n’aurions pas hésité à aider un allié tel que vous, le mal est fait, il faut s’efforcer d’y remédier ; nous vous offrons notre concours ; ce dont vous aurez besoin, vous l’aurez ; allez, volez devant l’ennemi, et l’exterminant, qu’il se repente d’avoir souillé vos États et osé braver votre puissance ; nous réitérons l’engagement que nous venons de prendre ; rien de ce que vous demanderez ne vous sera refusé. » Bou Hammou, satisfait de la réussite de son message écrivait aussitôt à ces alliés chrétiens : « Envoyez-moi une somme d’argent assez forte pour assurer une levée considérable de troupes ; avec elles, je reconquerrai mon royaume, et comme par le passé, je vous fournirai, en allié fidèle, tous les grains et vivres dont vous pourrez avoir besoin. » Charles Quint fit envoyer au prince musulman 7.000 ducats d’or et une légion composée de 1500 soldats ; mais par contre, il fit prendre en otage 60 enfants des principaux chefs arabes placés sous les ordres du roi de Tlemcen. Ce dernier, de son côté, avait réuni, avec les subsides espagnols, une armée de 15000 cavaliers indigènes. Il les conduisit à Oran et se joignit aux 1500 hommes d’infanterie mis à sa disposition par les chrétiens et commandés par Don Martin d’Argote, alors Colonel.
Le Commandant espagnol remit la ville à Bou-Hammou ; une garnison y fut installée pour maintenir son autorité, tandis que l’expédition espagnole se portait du côté de Tlemcen.

5.      Période Française  
Dès 1833, Mostaganem était occupé par nos troupes. Attaqué par Abdelkader, cette petite ville sut vaillamment se défendre et repousser les indigènes des tribus environnantes venues à la rescousse en voyant l’émir s’avancer vers la mer. Une période e calme relatif s’ensuivit dans toute la région et les populations arabes du pays eurent même une tendance marquée à vivre en état de paix. Déjà vers le mois ‘octobre 1883, Sidi Abdallah, chef de la tribu des Medjeher, avait manifestait ses intentions de vivre en bonne intelligence avec la garnison de Mostaganem. Il alla même jusqu’à fournir à la place quelques approvisionnements et des chevaux. L’émir étant intervenu là comme partout où ses coreligionnaires ne manifestaient à notre égard une hostilité marquée, quelques escarmouches malheureuse pour nus troupes, décidèrent le général Desmichels, commandant la place d’Oran, à signer le fameux traité du 26 février 1834 qui assimilait Abdelkader à un chef d’Etat. Les hostilités cessèrent, et notre habile ennemi en profita pour consolider sa puissance en écrasant celles des tribus qui avaient refusé de lui obéir.
Trois hommes seulement nous restèrent fidèles : Mustapha ben Ismaël, chef des Douaïr, ancien agha turc, Kaddour ben Morfi, chef des Bordjia et enfin Sidi el Aribi, chef des Ouled Sidi Abdallah.
Dès le 12 avril de la même année, Abdelkader était battu par Mustapha ben Ismaël ; sous les instigations du général Desmichels, l’émir, après avoir surpris et écrasé les Bordjia, se tourna vers le Chélif et infligea une sanglante défaite aux Ouled Sidi ben Abdallah.
Cependant, nos gouvernants n’avaient pas tardé à se ressaisir et à comprendre combien était néfaste pour nous le rôle politique que nous jouions avec Abdelkader. Après le désastre de la Macta qui put nous édifier sur les sentiments de l’émir à notre égard, le maréchal Clauzel se rendit lui-même à Oran (22 novembre 1835), pour prendre la direction des opérations militaires de la province. C’est alors qu’eut lieu l’expédition de Mascara. L’armée en repartit bientôt, se dirigeant sur Mostaganem, suivie d’une foule de juifs, descendit vers la plaine et le 12 décembre, bivouaqua à Mesra, chez les Medjaher. On tirailla quelque peu ce jour-là, mais le 12, l’armée arriva à Mostaganem.
Après avoir débloqué Tlemcen, le maréchal Clauzel décida d’utiliser encore les troupes dont il disposait pour recueillir la soumission des tribus établies sur l’Habra, la Mina et le Bas-Chélif.
Le 14 mars 1836, le général Perrégaux sortait une seconde fois d’Oran avec un bataillon du 11e de Ligne, un du 66e, un du 17e Léger, quelques escadrons de Chasseurs d’Afrique, trois pièces de campagne, trois de montagne et les cavaliers de Mustapha Ben Ismaël. Il alla d’abord camper à la fontaine de Goudiel. Le 15, il marcha sur la Macta, en passa par le vieil Arzeu et bivouaqua au-delà de la rivière. Le 16, il rejoignit le colonel Combes, commandant la garnison de Mostaganem, le bey Ibrahim el Mazary à qui il avait écrit de se mettre en marche. Cette jonction s’opéra dans un lieu appelé El Hassiane, dans le pays des Abid Cheraga. Le colonel Combes avait amené avec lui 700 hommes du 47e de ligne ; Ibrahim et El Mazary n’avaient que 150 fantassins et 50 cavaliers. Au moment où ce corps de troupes levait le camp pour se rendre dans la direction des Bordjia, il fut attaqué par une troupe ennemie recrutée parmi les Gharaba, les Hachem, les Hamian, les Abid Cheraga, les Béni-Chougrane et les Bordjia. Commandés par Si Ben Farah ben Jhatir, personnage important d’une tribu des Hachem, lieutenant redouté de l’émir, ces goums rôdaient depuis quelques jours dans la plaine de l’Habra. Mustapha, Ibrahim et El Mazary, soutenus par la cavalerie française et par toute la colonne qui la suivait, résistèrent au choc de l’ennemi, et le mirent facilement en déroute, le repoussant jusqu’au-delà de l’Habra après lui avoir fait perdre une quarantaine d’homme. Parmi les morts, on trouva le Caïd de Kalâa, Mohammed Ben Djelil et un porte drapeau ; deux drapeaux furent pris.
Le corps expéditionnaire alla coucher ce jour là sur la rive droite de l’Habra, en face de la position que le maréchal Clauzel avait occupée, le 3 décembre précédent, lors de sa marche sur Mascara. La razzia faite sur l’ennemi nous procura une assez grande quantité de bœufs, de moutons et une cinquantaine de chevaux. Le résultat de cette journée fut la soumission de la grande tribu des Bordjia.
Le 21 mars, le général Perrégaux traversa le gué de l’Habra avec ses troupes, et alla s’établir chez les Mader après avoir passé par Hassiane Ghomri.
Le 22 mars, Perrégaux eut avec le fils de feu Sidi el Aribi (Caïd de la tribu de ce nom) une entrevue qui lui assura la soumission de presque toute la vallée du Chélif. Dès ce moment son expédition fut une promenade pacifique au milieu des indigènes qui, séduits par ses manières affables, vinrent lui faire leurs protestations d’amitiés soit à Madar où le général campa le 23, soit sur l’Oued Hillil et sur la Mina où il arriva le 26. Les tribus de Sirat, l’Hillil et Bel-Hacel amenèrent des chevaux de soumission qui furent acceptés par Perrégaux. Ces populations devaient bientôt expier durement ces marques d’hommage, et nous eûmes en effet le tort de ne pas leur assurer par la suite une défense contre les attaques de l’émir prompt à se venger de telles défections.
Le général et ses troupes, précédés de fantasias joyeuses, suivis de nombreux goums campèrent successivement à Sidi Bel-Hacel, au Toumiat et au gué des Ouled Senoussi. Durant cette promenade triomphale, toutes les tribus de la rive gauche du Chélif et de la Mina se soumirent à nous. Perrégaux revint ensuite à Mostaganem d’où il gagna Alger. Il partit donc en laissant cette œuvre incomplète, cela à cause du nombre infime de troupes que la France accordait au pays pour se défendre. Aussi, jusqu’au malencontreux traité de la Tafna, les mêmes populations qui s’étaient soumises à Perrégaux, reprirent les armes contre nous à l’arrivée d’Abdelkader dans la région. Les hostilités recommencèrent à la fin de 1839.
C’est alors qu’eut le glorieux épisode de Mazagran. Les troupes arabes qui assiégèrent cette petite ville étaient commandées par Mustapha ben Tami, lieutenant de l’émir.
Il avait de Mascara un bataillon de réguliers avec deux bouches de feu et plusieurs cavaliers de la tribu des Hachem. Kaddour Ben Mokhfi, agha d’El-Bordj, lui conduisit ses Bordjia. Peu à peu les Goums de Medjaher, les cavaliers de l’Hillil et de la Mina, les Flittas, les Sbéah vinrent le rejoindre. La somme de tous les hommes armés et pour la plupart montés constituait une multitude impossible à évaluer approximativement, mais formidable à côté de la petite garnison de Zéphyrs qui gardait Mazagran.
Après l’épisode de Mazagran, le khalifa Ben Tami rentra à Mascara avec ses troupes régulières. Mais dans toutes les tribus, les marabouts prêchèrent la guerre sainte avec ardeur et préparèrent contre nous une agression qu’ils voulaient rendre formidable.
Bugeaud ayant fait concentrer les troupes considérables dans Mostaganem, y débarqua en personne le 15 mai 1841, accompagné du duc de Nemours. Trois jours après, le 18, le corps expéditionnaire organisé quittait Mostaganem. Il emportait tout un matériel de guerre, tant aux troupes de l’artillerie qu’à celle du génie. Chaque homme avait avec lui pour huit jours de vivres en réserve, chaque cheval de la cavalerie portait soixante kilogrammes de riz. De plus, un grand nombre de bêtes chargées de toutes sortes ; accompagnait les soldats. Cette lourde colonne qui avait à traverser un pays encore mal connu accomplit ce que l’on appelé « l’expédition de Tagdempt ». Le jour de son départ de Mostaganem, elle campa à Mesra (Aboukir) et le 19 à Sidi Mokdad[1] sur l’Hillil. Le 20, elle traversait la Mina et allait prendre position au confluent de cette rivière avec l’Oued-Khloug.
Après huit jours de marche nos troupes arrivaient devant Tagdempt. Elles détruisent ce poste fortifié où l’émir avait organisé tout un arsenal. Bugeaud revint ensuite à Mascara. Il y arriva le 30 et y laissa une garnison sous les ordres du colonel Tempoure. Au lieu d’effectuer son retour à Mostaganem par le chemin connu El-Bordj, la colonne coupa au plus court par les montagnes des Béni-Chougrane. Mais elle trouva lé défilé d’Akbat-Khedda plus pénible à traverser qu’elle ne pensait. Abdelkader avait en effet placé là ses meilleurs tireurs qui tirent des trouées dans les rangs de notre arrière-garde. L’armée coucha le 2 à Bouguirat où elle arriva sans que les arabes, découragés par l’insuccès de leurs attaques de la veille, eussent cherché à inquiété. Le 3 juin, le colonel et sa colonne étaient de retour à Mostaganem. Quatre jours plus-tard, Bugeaud se remettait en campagne, emmenant avec lui un énorme convoi d’approvisionnement. Il arriva à Mascara le 10 avoir suivi une direction qui le fît passer tout près de la petite ville de Kalâa que ses habitants avaient abandonnée. Il n’y eut que quelques coups de fusils tirés à l’arrière-garde. Le 25 juin, après être allé moissonner dans la plaine de l’Eghris, le corps expéditionnaire revint par El-Bordj à Mostaganem. Il y était de retour le 27, n’ayant eu qu’un engagement peu sérieux dans la partie montagneuse d’El-Bordj.
Avant de s’embarquer pour Alger, Il prescrivit au général de Lamoricière de conduire à Mascara un nouveau convoi pour reprendre la moisson. Le 5 juillet, la colonne était à Mascara, le 6, nos soldats reprenaient la faucille ; mais cette fois ils furent inquiétés dans leurs travaux par l’ennemi qu’ils durent repousser. La chaleur était alors très forte ; nos hommes exténués par la température et la fatigue des marches avaient besoins de repos. Le 15 juillet, Lamoricière donnait l’ordre de retour ; Abdelkader et trois de ses lieutenants ; Bou Hamedi, Ben Tami, Miloud Ben Arrach s’étaient réunis pour lui disputer la retraite. Après trois jours d’une fusillade nourrie de part et d’autre, la division arriva le 19 à Mostaganem ; elle avait eu 106 blessés et 13 morts : « Il ne faut pas se dissimuler, écrivait le gouverneur Bugeaud au maréchal Soult, que les Arabes ayant toujours attaqué et poursuivi notre colonne jusqu’à deux lieues de Mostaganem, comptèrent cela comme une victoire, bien qu’ils nous aient pas fait de prisonnier ni pris un seul cadavre… Abdelkader qui est le plus habile menteur du monde, publiera ce prétendu triomphe dans toute l’Algérie, et jusque dans le Maroc. »
A cette époque, les Medjaher, tribu alors fort populeuse, continuait à faire quelque commerce avec les Français de Mostaganem. Ils venaient à la ville pour y céder à des prix d’ailleurs assez élevés le bétail et les chevaux qu’ils y amenaient et qu’ils s’étaient procurés à très bon compte dans les douars de l’intérieur ; de leur côté, ils achetaient à nos négociant les produits de notre industrie qui pouvaient leur être utiles. Malgré tous ses efforts, l’émir pouvait créer des entraves à ce commerce, mais non le supprimer définitivement comme telle était son idée. D’ailleurs les Medjaher ne cherchaient pas rompre complètement avec Abdelkader et n’y avaient aucun intérêt, car cette situation mixte leur permettrait d’entrer en rapports avec les tribus entièrement soumises à l’émir. Cependant, ils en vinrent peu à peu à nous considérer comme leurs maitres. Une occasion de nous déclarer soumission pleine et entière se présenta à eux lorsqu’une petite troupe, sortie de Mostaganem, parvint à s’emparer d’un certain Ben Djelloul, ancien agha des Medjaher qu’Abdelkader avait destitué. Il s’était avancé jusqu’à proximité de la ville accompagné de quelques cavaliers ; quand l’eut fait prisonnier, il prétendit que ses intentions étaient absolument pacifiques rt qu’il n’était pas venu dans un autre but que de déclarer sa tribu sujette de la France. Malgré tous ses beaux discours, Ben Djelloul fut soupçonné, en raison de certaines indications fournies sur son compte, d’être venu par là avec l’idée d’espionner les indigènes de son territoire qui avaient des relations commerciales avec les Français, et cela pour se réhabiliter dans l’esprit de l’émir. On traita donc l’ancien agha, comme un prisonnier de guerre. Sa présence à Mostaganem y attira plusieurs notables des Medjaher qui protestèrent de l’honnêteté de ses intensions et proposèrent en même temps de payer sa rançon, ils avaient naturellement intérêt à prononcer des paroles propres à nous assurer de leur soumission et de celle de leur tribu.
Pour s’assurer du fait, le général Bugeaud qui venait d’arriver donna l’ordre de faire avancer quelques troupes jusqu’à Sour-kel-Mitou, espérant déterminer par cette manifestation les Medjeher, à affirmer définitivement les sentiments que leur prêtaient leurs émissaires. Dans la nuit du 4 au 5 juillet, le colonel Tompoure quittait Mostaganem et allait prendre position avec 1.600 hommes à l’endroit indiqué par le Gouverneur. Mais à peine au bivouac, au lieu des marques de soumission qu’il attendait, ce furent des coups de fusil qui l’accueillirent. Diverses tribus des environs, entre autres les Béni-Zeroual, étaient venues à la rescousse, et l’émir avait lui-même envoyé un escadron de Khiala, le colonel, attaqué de toue parts avec vigueur eut beaucoup de peine à soutenir le choc et à repousser les assaillants : « Le soir même quelques cheikh des Medjeher arrivèrent en secret jusqu’à lui, mais tout en lui laissant entrevoir pour l’avenir une soumission qui ne pouvait pas être immédiate, ils lui conseillèrent de décamper sans retard, parce qu’il aura le lendemain sur les bras tous les kabyles soulevés depuis Ténès jusqu’à Mostaganem. » Le colonel Tempoure crut sage de suivre cet avis ; il leva le camp sans bruit pendant et s’empressa de regagner la ville. C’était un triomphe pour l’émir qui en profita pour venir chez les Medjaher montrant de bonnes dispositions à notre égard ; il fit trancher quelques têtes de notables et confisquer les biens de la plupart d’entre eaux.
Cette attitude sévère rendit méfiants d’autres chefs de famille qui s’étaient favorables à notre politique. Du nombre de ces derniers, étaient Ben Carda, cheïkh des Amarnah, il craignait pour sa personnes et pour ses biens, parmi les quels, un superbe cheval auquel il tenait beaucoup mais que l’émir lui enviait ; aussi ce notable vint nous offrir sa soumission accompagné des siens. D’autres fractions des Medjaher ne tardèrent pas à l’imiter. Dès que Bugeaud eut connaissance de ces faits, il s’empressa de reprendre le chemin de Mostaganem afin d’y recevoir en personnes les hommages de ses nouveaux alliés. Il présumait voir s’avancer vers lui des cohortes de fringants cavaliers, mais ses illusions tombèrent en s’apercevant qu’il n’avait affaire, sauf de rares expressions, qu’à des misérables laboureurs revêtus de haillons. Il fallut les nourrir, leur fournir des subsistes et même des tentes pour s’abriter. Ces pauvres gens n’abandonnaient la cause d’Abdelkader que sur les instigations de leurs chefs, seuls en mauvaise intelligence avec l’émir. On se servit d’eux pour organiser une sorte de milice destinée à garder un bey de Mascara créé par la fantaisie du Gouverneur. Ce bey était un certain Hadj Mustapha Ould Othman, qui n’avait d’autres mérites que d’être le fils d’Othman, ex-bey d’Oran sous les Turcs, et petit-fils de Mohammed el Kébir. Lamoricière et Bugeaud voulaient l’opposer comme rival musulman à Abdelkader. Ceci se passait le 9 août 1841. Après quoi, le gouverneur reprit la route d’Alger.
A Alger, tout le monde s’entretenait des merveilleuses nouvelles parvenues de Mostaganem. Le brave colonel Tempoure, avec son imagination gasconne, prodiguait ses correspondances optimistes ; selon lui, toutes les tribus avaient les yeux tournés vers le bey récemment créé ; il citait les Flittas, les Béni-Zeroual, les Bordjia, les Cheurfa, les Medjaher ; partout, dans le pays situés sur le bas-Chélif, le Basse-Mina et environs, on s’attendait que la venue du bey pour lui faire acte de soumission. Le colonel écrivait lui-même à Bugeaud et lui disait : « Arrivez au plus-vite. Nous irons promener notre bey chez toutes les tribus de l’Est, et vous réaliserez, j’en suis sûr, ce que je vous disais il y a quelques jours, qu’il était téméraire de penser ; vous irez, de Mostaganem à Mascara, de soumissions en soumissions, en passant chez les Flittas, et vous ferez votre jonction avec le général Lamoricière au milieu de cette plaine d’Eghris, accompagné d’un goum d’arabes si puissant ; qu’il ne pourra rester aux fiers Hachem d’autre parti que la soumission.»
Le général Bugeaud s’était réservait la présentation officielle du nouveau bey aux populations de l’intérieur. Il fit embarquer le 23e de Ligne pour Mostaganem et y arrivait lui-même le 19 septembre accompagné d’un bataillon de zouaves.
Laissant le général Lamoricière préparait un convoi de ravitaillement pour Mascara, le gouverneur partait le 21 septembre à la tête de la fameuse colonne politique. Elle se composait de 7 bataillons d’infanterie, de 5 escadrons de chasseurs, 4 de spahis, et 2 sections d’artillerie de montagne. Avec lui venait le bey El Hadj Mustapha ould Othman accompagné de son frère Si Brahim, récemment promu Khalifa, et l’agha El Mezary. Le futur rival d’Abdelkader, devait pour fasciner les tribus arabes, déployer le luxe éclatant des anciens pachas. Il était entouré de drapeaux de soie brodée, d’une nouba à cheval et d’une garde de chaouchs. Le bataillon turc et la milice indigène complétaient tout cet attirail digne de paraitre au Châtelet.
Les résultats attendus par Bugeaud furent loin de répondre à son espoir. Pour donner aux cavaliers de la tribu des Medjaher le temps de venir rejoindre en foule la colonne en marche, on mit deux jours à traverser ce territoire qui avait environ huit heures de largeur ; à la fin de la seconde journée, on avait fini par recruter à peu près trois cents mécontents. Du 24 au 28, on campa au bivouac de Sidi Bel-Hacel et on attendit les évènements. Personne ne vint. Le gouverneur commença à douter de la bonne foi des promesses de soumission qui lui avaient été faites. Cela ressemblait fort peu aux acclamations qu’il avait augurées des populations venant saluer leur nouveau bey. Le 28, à onze heure du soir, l’armée passa la Mina, marcha durant 7 heures environ, et arriva à l’aube dans la région montagneuse où s’étaient retirés les Flittas et Ouled Sidi Yahia. Les habitants du Bas-Chélif et de la Mina se souvenaient que l’émir leur avait fait payer trop cher leur première soumission aux Français ; ils ne s’avançaient plus avec enthousiasme comme ils l’avaient pour le général Perrégaux en mars 1836. Bugeaud impatienté lança ses troupes sur les Sidi Yahia ; il y eut quelques tués, trois cents prisonniers et 2.000 têtes de bétail capturés. Après cette prise, qui était tout au plus un acte de brigandage, la colonne politique, n’avait plus raison d’être. Au lieu de soumission, elle ne trouvait que le vide ou l’hostilité. Le gouverneur revint donc à Mostaganem où venait de rentrer la colonne de ravitaillement que Lamoricière avait conduite à Mascara deux jours après le départ de Bugeaud. Après avoir versé 45.000 rations dans Mascara, cette colonne avait été légèrement harcelée au retour.
Le gouverneur céda ses troupes peu fatiguées à Lamoricière qui se préparait à conduire un nouveau convoi à Mascara. Avec les hommes de la deuxième division, Bugeaud forma une colonne qui ne reçu pas cette fois l’appellation de « politique », et, sous prétexte de retourner chez les Flittas, il commença par aller faire une tournée sur l’Oued Hillil pour faire des études archéologiques sur les ruines de « Ballene Prasidium ».
Le 4 octobre, Lamoricière était parti avec sa colonne de ravitaillement. Quand il arriva au lieu dit Hassiane-el-Ghomri, il apprit qu’Abdelkader se trouvait à Aïn-Kebira avec des forces considérables dans l’intention de lui disputer le passage. Quelques officiers étaient d’avis qu’il fallait saisir avec empressement l’occasion de combattre cet adversaire redoutable et jusque là insaisissable, sans trop se préoccuper du convoi qu’on pouvait facilement parquer et défendre avec quelques troupes pendant l’action. Mais la question du convoi embarrassait précisément le général qui préféra lui assurer une sécurité entière, en évitant de se laisser éblouir par l’espoir d’obtenir seul un succès éclatant, à quelques lieues de son général en chef. Il abandonna le premier chemin qu’il se proposait de suivre et oblique à gauche pour rejoindre la colonne du général. Ce dernier fit opérer la réunion des deux colonnes sur l’Oued Hillil, dans la nuit du 6 au 7. Mais on ne put alors compter sur une rencontre avec l’émir, car ce dernier, en apprenant nos nouvelles opérations, renonça à ses projets d’attaque.
Bugeaud modifia alors la composition des troupes, la moitié de l’infanterie et toute la cavalerie formèrent un autre corps dont le gouverneur, ayant le général Lamoricière immédiatement sous ses ordres, se réserva le commandement direct. Le 7 7 au soir, l’armée arriva à Aïn Kebira ; lancée à la poursuite d’Abdelkader, elle le rejoignit le 8 à El-Bordj. La cavalerie régulière de l’émir se battit avec la plus grande bravoure ; enfoncés trois fois, les réguliers revinrent trois fois à la charge, mais ils durent enfin nous céder le terrain. Le 9, le convoi de ravitaillement arrivait à Mascara.
Ce corps expéditionnaire rentra le 5 novembre à Mostaganem avec le général Bugeaud après une campagne chez les Hachem. Avant de partir pour Alger où il était de retour le 10, le gouverneur distribua les commandements de la province de l’Ouest, Le colonel Tempoure fut appelé à Oran, Bedeau (alors général) à Mostaganem et Mascara fut réservée au général Lamoricière. Ce dernier, eut ordre d’y établir sans retard le quartier général de la division avec 6.000 hommes à poste fixe. Il partit le 27 novembre de Mostaganem, emmenant avec lui huit bataillons, une batterie de montagne, et les spahis du lieutenant-colonel Yusuf, il était accompagné du Khalifa Si Brahim. Quant au bey, il continuait à résider à Mostaganem. Le 1ier décembre, Lamoricière arrivait à Mascara. Sa présence dans cette ville eut pour principal résultat d’éloigner un peu Mustapha ben Tami et de séparer d’Abdelkader les tribus situées entre Mascara, Mostaganem et Oran ; dès lors, ces dernières abandonnées à elles-mêmes, songèrent à se soumettre.
A ce moment, l’émir quitta sa position de Djediouïa et se dirigea sur Tlemcen, car à ce moment éclatait la révolte de Mohammed ben Abdallah. Le général Bedeau[2] quitta aussitôt Mostaganem, pour suivre l’exemple du colonel Tempoure qui était parti d’Oran pour appuyer le mouvement insurrectionnel. Quand il arriva à l’Habra, il suspendit sa marche un instant pour écouter les propositions de paix qui venaient lui apporter les Bordjia de la plaine. Tous offraient de se soumettre immédiatement ; quant à ceux de la montagne, ils hésitaient encore, ou paraissaient plutôt attendre qu’on se donnât la peine de les attaquer pour se rendre. On satisfit leur désir en leur envoyant quelques troupes qui n’eurent d’ailleurs pas à combattre ; la tribu entière fit sa soumission, à à condition que ses cavaliers prendraient rang, comme les Douaïr et Zmela à notre solde, parmi les spahis réguliers. En outre, les Bordjia sollicitèrent d’aller prendre possession provisoire du territoire de Mazagran, afin d’être moins en danger de supporter des représailles de la part des autres tribus, au cas où celles-ci ne voudraient pas suivre leur exemple. Le général satisfit à leurs désirs et renonça à continuer sa route vers Mohammed ben Abdallah. Il conduisit et installa lui-même les Bordjia dans les nouveaux campements. Peu après, les Béni-Chougran, ainsi que toutes les petites tribus de l’Est de l’Habra firent les mêmes propositions. Les Gharaba, ces Hadjoutes de la province d’Oran, suivirent bientôt leur exemple en s’adressant directement au général Bugeaud qui venait d’arrivait à Oran avec l’intention de marcher sur Tlemcen.
Ces soumissions successives assuraient pour l’avenir les communications entre Mostaganem et Mascara. Le général Bedeau en profita pour conduire dans cette dernière ville un grand convoi de ravitaillement.
Il partit le 25 janvier 1842, la seconde étape fut particulièrement pénible pour nos troupes. La pluie qui tombait depuis plusieurs jours avait transformé en torrents les ravines du pays, la plaine de Kerkacha, à El-Ghomri, où devait passer le convoi, était en partie submergée par l’Oued Makhlouf dont le barrage grossier avait été facilement démoli par les eaux accumulées ; le sol n’était plus qu’un vaste marécage où il était presque matériellement impossible d’avancer. Les hommes pataugeaient dans cette boue liquide, maculant leurs vêtements, leurs armes et leurs provisions ; les mulets qui s’enfonçaient jusqu’au poitrail s’abattaient à qui mieux ; c’était un désordre indescriptible, sous une pluie drue et incessante. Le convoi tout désorganisé n’avançait qu’avec une extrême lenteur, et les trainards étaient nombreux, la nuit arriva avec ces entrefaites et la marches n’en devint que plus difficile. Les juifs qui suivaient la colonne virent leurs ânes et leur pacotille engloutis dans ce cloaque. Un soldat avec une lanterne, allumée, guidait seul tout ce monde en se tenant auprès du général qui marchait en tête.
Enfin, vers 9 heurs ½ du soir, les plus vaillants arrivaient aux puits d’El-Ghomri. Peu à peu, les compagnies parvinrent à se former et le bivouac fut établi tant bien que mal. Les premières bêtes de somme déchargées furent utilisées pour aller au secours de ceux qui étaient restés enlisés dans la plaine. Cette malheureuse étape nous fit perdre un officier et vingt six hommes, la plupart d’une fièvre intense contractée dans les marécages où il avait fallu marcher.
La colonne entra le 28 à Mascara et fit son retour à Mostaganem sans incidents appréciables.
Les généraux d’Arbouville et Lamoricière firent au printemps de la même année, une petite expédition chez les Hachem Cheraga, Les Sdama et les Flittas qui avaient des velléités de s’agiter.
D’Arbouville seconda Bugeaud dans son entreprise consistant à relier militairement la province d’Alger à celle de l’Oran. Sidi Allal Moubarek et Ben Arach venaient d’attaquer Sidi El Arbi sur le Chélif et l’avaient repoussé vers la Mina. Le gouverneur profita de l’occasion. Parti de Mostaganem avec 5.000 hommes le 14 mai, il passait le 18 sur la rive droite du Chélif, mais ne put atteindre dans les contreforts du Dahra les Béni-Zeroual qu’il voulait châtier, le 25, il nommait le jeune Sidi el Aribi, Khalifa de la Mina et du Chélif.
Bugeaud remonta ensuite la vallée du Chélif et infligea une correction méritée à la remuante tribu des Sbéah. Le 30 au matin, la colonne faisait, au son du canon, sa jonction avec la division d’Alger partie de Blida.
Rentré à Mascara le 18 juin, Lamoricière se remit à la poursuite d’Abdelkader qui se déroba, alla camper chez les Flittas et menaça les tribus du Bas-Chélif qui avaient, reconnu notre autorité. Du 22 juin au 5 juillet, Lamoricière fit moissonner les champs des Flittas. Quant à l’émir, il chercha à attaquer les Bordjia ; mais il en fut empêché par un mouvement que firent sur l’Oued l’Hillil les troupes de la garnison de Mostaganem.
De retour de l’expédition du Chélif, le général d’Arbouville put à peine laisser quelques jours de repos à ses troupes. Le 18 août, il partait de Mostaganem pour opérer une tournée chez les Flittas. Il avait avec lui deux bataillons du 1ier de Ligne, deux bataillons de la légion étrangère, le 5e bataillon de Chasseurs, le bataillon Turc du bey, deux escadrons de Chasseurs d’Afrique, et le Goum fourni par Sidi el Aribi. Au début, tout alla bien. Le 22. La cavalerie et le bataillon Turc parvinrent à enlever trois mille têtes de bétail aux Ouled Sidi Yahia. Les Flittas qui ne tenaient pas à laisser emmener à Mostaganem leurs troupeaux après avoir vu leurs récoltes transportées à Mascara sortirent de leur fatalisme insouciant. Le 30 août, ils attaquèrent avec vigueur notre arrière-garde, et livrèrent à nos troupes, les 4 et 5 septembre, de violents combats dont l’issue ne fut pas à notre honneur. Obligé de se replier, et d’ailleurs ayant besoin de se ravitailler, le général d’Arbouville revint à Mostaganem le 7.Il y trouva Bugeaud qui lui reprocha sa conduite, et lui enjoint de se remettre immédiatement en campagne. Aussi retourna-t-il chez les Flittas le 16 septembre avec une colonne renforcée d’un bataillon du 15e Léger et deux escadrons de Spahis que dut lui céder Lamoricière. Pour faire passer sa mauvaise humeur, d’Arbouville ravagea le pays durant quarante jours. Informé par le Khalifa des Ouled Sidi Abdallah qui était menacé dans la vallée du Chélif, il se rabattit de son côté, en descendant la vallée de la Djediouïa au débouché de laquelle il eut le 25, un petit engagement de cavalerie contre les Sbéah qui avaient de nouveau pris parti pour l’émir. Il revint ensuite sur la Mina où s’étaient concentrées plusieurs fractions de tribus soumises. Il s’arrêta là quelques jours pour attendre les approvisionnements qu’il avait demandés à Mostaganem.
Pendant ce temps, l’émir voyant le général Lamoricière occupé ailleurs, et Arbouville arrêté, se jetait sur la petite ville d’El Bordj et l’incendiait pour punir de leur défection les Bordjia dont ce bourg pouvait être considéré alors comme capitale.
A la suite de cet évènement, l’épouvante se répondit parmi toutes les tribus soumises. Elles allèrent supplier le général Lamoricière de les secourir. Mais celui-ci commença par se lancer à la poursuite d’Abdelkader jusqu’à Tlemcen, puis battit l’émir dans un engagement près de l’Oued-Rhiou.
Le général Bugeaud, après avoir pacifié le pays des Béni-Ouragh, vint, le 22 décembre de la même année, visiter Bel-Hacel où on avait construit un pont de bois sur la Mina et élevé une redoute destinée à protéger cet ouvrage.
Tandis que la division d’Alger, sous les ordres de Changarnier, s’avançait dans le Dahra, le gouverneur reprenait le chemin de Mostaganem d’où il repartait pour Alger. Quant au général d’Arbouville, il fut bientôt remplacé par le général Gentil. Celui-ci débuta dans son commandement de Mostaganem en conduisant une nouvelle expédition chez les Flittas. Différentes fractions lui firent leur soumission, entre autres les Béni-Dergoun et les Amamra. Il était de retour le 28 décembre amenant avec lui un grand nombre de prisonniers et de troupeaux razziés. Mais l’émir reparaissait bientôt au milieu même des tribus qui avaient reconnu notre autorité. Après les Béni-Ouragh, les Flittas ne tardèrent pas à faire défection.
Le 9 janvier 1843, le général Gentil repartait. Avec deux cents chasseurs d’Afrique et les goums de Sidi el Aribi qui avaient pu seuls traversé le Chélif, il put débloquer Mazouna assiégée par les réguliers d’Abdelkader, il revint ensuite rapidement rejoindre son infanterie qu’il avait laissée sur la rive gauche du fleuve.
Le 6 mars, le colonel Géry était entrain de construire un pont de chevalets sur le Chélif, en amont du confluent de la Mina, quand les Béni-Zeroual vinrent l’attaquer. Le général Gentil parvint à soumettre une partie de cette tribu ; il revint ensuite sur le Chélif, le 21 mars, il se trouva chez les Ouled Khelouf, où le 32e de la Ligne, colonel en tête, enleva le marbout Sidi Lekhal, défendu par une bande de Cheurfa. C’est au mois de mai de la même année que notre fidèle ami, Mustapha ben Ismaël, venant de Tiaret, passa, avec son maghzen, à travers le pays des Flittas. Il se rendit à Oran, une bande de pillards ‘attaqua entre Mendez et Zemmora, et il tomba frappé d’une balle dans la poitrine. On fit l’hommage de sa tête à Abdelkader et son corps, que Kaddour ben Morfi racheta, enterré le 29 mai dans le cimetière musulman à Oran, en présence de toute la garnison rangée sous les armes. Le général de Bourjolly qui succéda au général Gentil, quitta Mostaganem le 5 juin et traversa le pays sud de cette ville pour se rendre au khamis des Béni-Ouragh (Ammi Moussa) d’où il ramena trois cents misérables familles maures qui craignaient, non sans raison, qu’Abdelkader n’usât envers elles de représailles pour les châtier de leur soumission à la France.
Le 3 juillet, Bourjolly reparaissait dans la plaine de la Mina pour corriger les Flittas intraitables. Il avait avec lui deux bataillons du 32e de Ligne, un des Chasseurs à pied, un de la légion étrangère, et enfin les Tirailleurs indigènes du commandant Bosquet, le 4, il emporta sur l’ennemi une brillante victoire à l’emplacement actuel du village de Zemmora. Il ne fut de retour à Mostaganem qu’un mois après, ayant parcouru en tout sens le pays des Flittas. Les mêmes opérations dirigées contre cette tribu recommencèrent du 31 août au 22 octobre de la même année, et du 8 avril au 23 mai 1844.
L’année 1844 se termina par la soumission de presque toutes les tribus situées au Sud de Mostaganem, jusqu’au Djebel Amour. Mais la guerre n’était pas encore terminée.
Après Abdelkader, ce fut Bou Maza, le fameux Moul-es-Sâa qui se chargea de nous créer des difficultés. Une nouvelle insurrection éclata, et les Flittas ne furent pas les derniers à répondre à l’appel du révolté du Dahra. Notre khalifa, Sidi el Aribi, se mit aussitôt en campagne avec tous ses goums. Le 12 avril 1845, le général Bourjolly partait de Mostaganem, emmenant le 9e bataillon de Chasseurs, deux bataillons du 32e de Ligne, une compagnie de la Légion étrangère, le bataillon de Tirailleurs indigènes, deux escadrons de Chasseurs d’Afrique, et deux obusiers de montagne. Il traversa les régions méridionales du Dahra, poussant jusqu’à Orléansville où il rejoignit les troupes de Saint-Arnaud. Il revint ensuite désarmer les Cheurfa, les Achacha, et toutes les tribus insurgées de l’Oued-Rhiou et de Tiaret. Il poussa jusqu’à El-oussakh pour poursuivre l’émir, revint à Tiaret, donna de nouveau la chasse à Bou-Maza, chez les Béni-Ouragh, et rentra à Mostaganem le 14 juillet, après soixante-trois jours d’absence.
Pendant ce temps, notre khalifa Sidi el Aribi, dont la smala avait été attaquée par Bou-Maza, avait réussi à infliger une sanglante défaite à notre ennemi qui laissa 400 morts, trente chevaux, sept prisonniers et deux drapeaux sur le champ de bataille. Ceci se passait chez les Béni-Zéroual.
Cependant l’insurrection faisait des progrès rapides. Bientôt elle s’étendait des Béni-Ouragh aux frontières du Maroc. La situation était grave. La colonne de Mostaganem reprit la campagne le 16 septembre 1845. Le 19, elle forçait le défilé de Tifour et alla s’établir à Ben attia, sur la Menasfa. Le général de Bourjolly avait mandé un bataillon de la Légion étrangère en garnison à Ammi-Moussa ; craignait l’attaque de ce renfort par les Flittas avant son arrivée à Ben atia, il quitta son camp le 20, accompagné de la cavalerie, du bataillon de Tirailleurs et d’un obusier de montagne. Il ne s’était pas trompé dans ses prévisions. Déjà les Flittas étaient aux prises avec le bataillon de la Légion et menaçaient de l’écraser. Le général se dégagea non sans peine, ayant dix-sept hommes tués ou blessés.
Entourés d’une foule d’indigènes aux dispositions peu favorables, de Bourjolly décida de se rapprocher de Bel-Hacel. Il commença à opérer son mouvement de retraite le 22 septembre. Aussitôt les Béni-Ouragh et les Flittas se précipitèrent sur notre arrière-garde composée de Chasseurs d’Orléans. Un combat corps à corps s’engagea et les Tirailleurs parvinrent difficilement à repousser l’ennemi et à dégager l’arrière-garde. La lutte reprit d’ailleurs un peu après plus acharnée que jamais et dura six heures après lesquelles la colonne put gagner Touiza chez les Béni-Dergoun. Le 23, elle y séjourna et ne leva le camp que le 24 pour se diriger sur Relizane. Pendant cette marche, des engagements très vifs eurent lieu à l’arrière-garde. Les insurgés essayèrent surtout de la séparer complètement du gros des troupes pour pouvoir l’anéantir ensuite. La colonne arriva enfin sur la Mina, toujours combattant, escortée par plus de 2.000 Flittas.
Le général dirigea tout de suite ses nombreux blessés sur Bel-Hacel avec les chasseurs d’Afrique comme escorte. Quant à l’infanterie, elle se retrancha près du barrage de la rivière[3]. Les Flittas usèrent alors d’un nouvel artifice. Ils mirent le feu aux chaumes et aux herbes desséchées de la plaine. Le vent développa rapidement l’incendie. Vers 6 heures du soir, les flammes léchaient nos retranchements d’avant-postes, et nos ennemis, masqués par la fumée, faisaient pleuvoir sur le camp une grêle de balles. Pour être près à toue éventualité, nos soldats abattirent les tentes, s’équipèrent comme pour un départ et chargeant les bêtes de somme. Cependant, des escouades de travailleurs énergiques parvinrent, après deux heures d’efforts, à se rendre maître du lieu, et à préserver le camp de l’incendie.
Pendant la nuit, la cavalerie revint de Bel-Hacel, apportant des vivres et des munitions.
Du 24 au 30septembre, la colonne séjourna à Relizane. Cependant, Bou Maza, accompagné de nombreux contingents de révoltés, s’était avancé vers le Chélif et avait pillé quelques douars de notre Khalifa Sidi el Aribi. Le général, en apprenant la nouvelle, se porta vers Bel Hacel. La cavalerie, ayant à sa tête le colonel Tartas, protégeait la droite de la colonne. Ayant passé à portée de Bou Maza, de Bourjolly, le fit charger par la cavalerie de Sidi el Aribi et les deux cents Chasseurs d’Afrique du colonel Tartas. L’ennemi fut bien vite dispersé ; on lui tua quelques hommes et on lui reprit le butin qu’il venait de faire. Le 15 octobre, tandis que le général attendait à Bel Hacel des renforts demandés, Bou Maza eut l’habilité de glisser jusque sous les murs de Mostaganem et d’enlever le troupeau de la garnison de Mostaganem. Il comptait sur le colonel Mellinet qui le poursuivit et dut d’ailleurs reculer devant le nombre des Arabes qui défendaient le butin.
Cependant, le colonel Géry qui commandait à Mascara, en apprenant la nouvelle de la prise d’armes des Flittas, s’était mis en marche pour aller aider le général de Bourjolly ; attaqué par les insurgés à Tliouanet, il les avait battus. Mais sachant que la révolte gagnait ses derrières, il dut revenir sur ses pas, et concentrer les détachements qu’il avait disséminés pour exécuter des travaux de routes. Il se dirigea ensuite sur Kalâa qu’il mit à sac pour la punir d’avoir pris les armes en faveur de Bou Maza, il alla également châtier les Khermanza pour le même motif et leur enleva trois de leurs marabouts fauteurs de désordre.
Le 28 octobre, la colonne d’Orléansville rejoignait celle de Mostaganem à Bel Hacel ; de Bourjolly reprenait immédiatement l’offensive et pénétrait cette fois en plein cœur de la région des Flittas.
Pélissier qui succéda au précédent fit, pendant l’année 1840 deux promenades militaires chez les Flittas, aux mois de juin et octobre, et sut rétablir l’ordre partout où il n’avait pas été observé jusqu’alors. La visite qu’il leur fit encore en mars et en avril 1847, s’effectua également sans aucun incident. La pacification du pays était définitivement faite. On peut considérer ici, l’histoire militaire de cette région comme terminée : cependant, un fait de guerre reste encore à signaler ; c’est la révolte des Flittas en 1864.
On était fort loin de penser à une nouvelle insurrection en Algérie ; aussi avait-on dégarni notre colonne d’une bonne partie de ses troupes pour les envoyer au Mexique. Cependant, dès 1863, certains bruits courraient au sujet de la création d’un royaume arabe sous la régence d’Abdelkader. Ces bruits, propagés par la malveillance, avaient trouvé non seulement des européens assez stupides pour les croire, mais encore des indigènes qui y ajoutaient une foi naïve mais dangereuse. Il arriva même que, certains d’entre eux à qui on avait enlevé des terrains pour la création du village de Bouguirat (à 24 kilomètres Sud de Mostaganem) crurent facilement à un bruit qui satisfait si bien leurs intérêts ; aussi envahirent-ils avec leurs troupeaux le territoire destiné à la colonisation ; ils n’en voulaient pas sortir disant que telle était la volonté de l’Empereur. Il y eut un léger conflit qui provoque 10 arrestations.
Après l’assassinat de Beauprêtre et l’insurrection du Sud de l’Oranie, la trahison et la défection des Flittas survinrent ; le cercle d’Ammi-Moussa se souleva et le Dahra devint menaçant. Le colonel Lapasset commandant alors la subdivision de Mostaganem, il réussit à former une petite colonne de 820 hommes pour aller surveiller les Flittas qui se préparaient ouvertement à la guerre sainte, imitant en cela la tribu des Harar qui s’était jointe au chef des insurgés, Si Mohammed. Le 8 mai, Lapasset était à Tiaret ; remplacé par le colonel Martineau, il reprit la route de Relizane. Sa marche fut interrompue par des combats avec Si Lazreg qui avait juré l’anéantissement de la petite colonne. Celle-ci, constamment harcelée par l’ennemi, dès sa sortie de Tiaret, arriva sur le soir chez les Anatra au bivouac de Mejnem el Caïla. A minuit, elle repartit et à 7 heures du matin, elle arrivait à Relizane (laissant derrière elle, le pays des Flittas en pleine insurrection). Là, les fermes étaient évacuées, les hommes sous les armes, les femmes et les enfants dans le fortin. Lapasset renvoya chacun chez soi, en répondant de la situation. Il partit ensuite (nuit du 15 au 16 mai) débloquer le bordj de Zemmora. Il se prépara ensuite à défendre Relizane. Le village était ouvert à tous les vents. On y organisa un système de maisons crénelées fournissant des feux croisés sous toutes les faces. On arma d’obusiers le fortin et quelques ouvrages qui avaient été élevés à la hâte. Jour et nuit, deux goums veillaient, l’un sur la route de Zemmora, l’autre chez les Hassasna. Ils avaient pour mission de donner l’alarme au cas où l’ennemi apparaitrait dans la plaine et de surveiller la conservation des communications électriques. Les villages sur la route de Mostaganem, furent munis de moyens de défenses. Malgré cette sécurité apparente, les juifs de Relizane et quelques européens abandonnèrent ce centre pour aller se réfugier à Mostaganem où on commençait à être inquiet de la tournure que prenaient les choses.
Des renforts venus d’Oran et les troupes envoyées de France et commandées par le général Roze arrivèrent bientôt à Relizane, le 29 mai, le colonel laissa la garde du village à un bataillon du 82e de Ligne et se remettait en campagne. Sa colonne était forte de 2.500 hommes. Il alla prendre position sur l’Oued-Rhiou.
Pendant ce temps, l’ennemi s’avançait. Le 30 mai, il vint camper, Si Lazreg en tête, à Ras el Anceur, près de Zemmora. Le lendemain, trois cents cavaliers venaient surprendre Relizane.
Les insurgés se présentèrent au sud de cette localité, mais, apercevant le bataillon du 82e de Ligne concentré sur le plateau auquel est adossé le village, ils passèrent la Mina. On tira quelques coups de canon du fortin, mais la troupe ne s’opposa pas à la marche des ennemis. Bientôt, toute la plaine de la Mina jusqu’à Clinchant, fut envahie. Les fermes isolées furent pillées et leurs habitants massacrés. Pour achever leur œuvre de destruction, les Flittas incendièrent les meules de paille et de fourrage et les récoltes sur pied.
Le général Roze avait quitté Mostaganem le 29 mai. Le 1er juin, tandis que les révoltés ravageaient la plaine et assassinaient nos colons, il arrivait tranquillement de Relizane. Il y séjourna le 2, le 5, il eut un engagement très vif avec les Flittas sur la Menasfa. La victoire fut pour lui et l’ennemi y perdit son chef Si-Lazreg.
Le colonel Lapasset revint à Relizane à la fin du mois de juin. Avec le général Deligny, il se rendit le 3 juillet au camp du général Roze où étaient réunies toutes les djemâas des Flittas. Après leur avoir reproché leur infâme trahison, il leur dicta les conditions de l’ « Aman ».
Cet apaisement ne fut pas de bonne durée. Si Lazreg étant mort, son successeur Abd-el-Aziz se rendit à Zemmora. Quand à Si Mohammed ould Hamza, il était en fuite. Mais les indigènes avaient peu foi au calme et ne laissaient pas de se montrer arrogants à Relizane et aux environs de Mostaganem.
Le 31 juillet, le colonel se retrouvait à Sidi Mohammed Ben-Aouda, le 3 août, à Si-Djilali-Ben-Amar, le 4 août à Aïn Medroussa ; il opéra ensuite dans les territoires du Sud d’Ammi-Moussa, jusqu’à Guedel (centre de l’Ouarsenis et Tiaret). Le 25 décembre 1864, tout était fini. La seconde colonne de Mostaganem fut dissoute. Formée le 30 juillet à Relizane, au moment où l’ennemi se disposait à pénétrer dans le Tell par le bassin de la Mina, elle empêcha, en se portant à Medroussa, la réalisation d’un projet qui eut étendu l’insurrection.
Le voyage de Napoléon III en Algérie suivit de près les insurrections de la province d’Oran. Le 20 mai 1865, il était à Mostaganem et le 24, il daignait honorer de sa visite le centre de Relizane. Nous tenons à reproduire ici le texte même de Pharaon, l’historiographe de l’Empereur (relatant les faits avec la partialité qu’il convenait à un courtisan), quitte à remettre ensuite les choses à leur point exact.
« Le lendemain, 21 mai, sa Majesté quittait Mostaganem à huit heures du matin pour aller visiter le centre agricole de Relizane qui fut créé le 24 juillet 1857, et qui, dans le court espace de huit années, s’est transformé en une petite ville florissante.
Sur tout le pourtour, sa Majesté fut alternativement acclamé par les colons dont les villages sont échelonnés sur la route, et par les Arabes qui étaient venus établir leurs douars sur le bord du chemin pour saluer. Une scène émouvante attendait l’Empereur aux portes de Relizane ; au moment où sa Majesté arrivait, sa voiture fut inopinément entourée par plus de 10.000 Arabes, qui se ruèrent jusque sous les roues de la calèche, et la séparèrent complètement de la suite et de l’escorte d’honneur. Une pareille scène ne peut se décrire ; toute cette population, hommes, femmes, vieillards, enfants, la tête nue en signe de soumission tendaient les bras vers l’Empereur, et de ces milliers de poitrines, sortait le même cri : Grâce !
Cette forte et puissante population arabe était courbée tout entière devant le souverain, et cette manifestation qui restera unique dans l’histoire avait un cachet grandiose que la plume ne saurait reproduire. Le premier moment de tumulte passé, Sa Majesté parvint non sans peine à savoir ce que voulaient ces vieillards à barbe blanche, ces femmes éplorées, ces enfants, ces robustes guerriers dans l’attitude de la soumission et de la prière.
C’étaient les membres de la confédération des Flittas, composée de 19 tribus, qui venaient implorer la grâce de leurs frères internés en Corse à la suite de la dernière insurrection. La scène était touchante. L’Empereur, entouré seulement de son Excellence le maréchal de Mac-Mahon, du général Fleury, et du général Deligny, se trouvait complètement isolé au milieu de cette population en pleurs ; dans leur langage pittoresque de l’Orient, les Arabes protestèrent de leur dévouement futur, s’offrant comme otages à la parole donnée.
L’Empereur, visiblement ému par cette scène de désolation, fit immédiatement appelait Sidi-el-Aribi, khalifa de cette puissante confédération, et tint un instant conseil au milieu du tumulte. Pendant tout le temps que sa Majesté mit à s’éclairer sur la part que ces tribus avaient prise à l’insurrection, Les Flittas manifestaient comme ils pouvaient par leurs cris, par leur attitude, par leurs gestes, leurs promesses d’éternelle soumission. Rien ne saurait décrire l’enthousiasme qui se manifesta, lorsque les paroles d’oubli et de pardon tombées des lèvres impériales leur furent transmises par leur chef Sidi-el-Aribi ; les Flittas éclatèrent en actions de grâces, les femmes déchiraient l’air de leurs ‘touil ouil’[4] aigus : c’était la débauche de la joie, le délire de l’enthousiasme, les uns se prosternaient le front contre la terre, les autres cherchaient à baiser les pans de vêtements de l’Empereur et des officiers généraux dont il était accompagné. Ce fut à grand peine que le piqueur de sa Majesté put ouvrir un passage à la voiture impériale qui fut obligée de traverser au petit pas la ville de Relizane.
Après avoir visité le barrage établi sur la Mina, dont les eaux ainsi retenues fertilisent vingt-cinq mille hectares de cultures industrielles, et s’être fait rendre un compte exact de l’état de la colonisation. Sa Majesté reprenait la route de Mostaganem, où elle arriva à 6 heures du soir, après avoir fourni une course de trente-quatre lieues dans sa journée.
Le soir, elle réunissait à sa table les autorités civiles, militaires et indigènes, et tandis que les habitants de Mostaganem faisaient éclater leur enthousiasme autour de la résidence impériale, des scènes touchantes se passaient sous les tentes des Flittas. Les familles arabes réunies exaltaient la générosité du Sultan, et le nom de Napoléon III volait de bouche en bouche au milieu des bénédictions de tous ; toute la nuit, les indigènes se visitèrent les uns les autres pour se féliciter de l’heureux évènement, et les seules victimes de cette joie universelles furent les moutons égorgés pour célébrer la magnanimité du souverain.
Le lendemain matin, à 10 heures, Sa Majesté Napoléon III s’embarquait pour Alger au milieu des acclamations de la population de Mostaganem, et les cris ‘Vive l’Empereur !’ qui sortaient des bouches européennes, avaient un écho dans tous les cœurs arabes. L’acte de la veille n’avait fait que grandir, et les indigènes avaient ajouté au nom de Napoléon III celui de ‘El Karim – Le Généreux ! »
Ce qui précède est la vérité travestie purement et simplement. Le chroniqueur de l’Empereur au lieu de passer les faits sous silence a cru devoir les transformer en leur donnant une tournure toute à l’honneur de son maître, dans l’espoir que la postérité, portée à croire facilement aux actes glorieux du temps passé, accueillerait ce récit avec la même foi que tant d’autres erreurs et mensonges historiques. En réalité, quand Napoléon III arriva à Relizane, il y trouva près de vingt mille indigènes hommes, femmes et enfants accourus à la suite des goums commandés par l’autorité militaire. On avait fait à ces derniers d’alléchantes promesses, probablement l’assurance d’une distribution de subsides ou de grains, s’ils criaient bien fort « Vive l’Empereur » et s’ils amenaient beaucoup de monde pour acclamer le souverain, Il y en avait, en outre, de nombreux  de parents et amis d’individus condamnés pendant les récentes insurrections, et comptaient demander la grâce des prisonniers. Enfin, il y avait la tourbe tumultueuse des curieux et des fauteurs de désordres, qui complétait le tout.
Des clameurs discordantes accueillirent Napoléon III à son arrivée. Toute cette foule de miséreux descendus de la montagne, venus d’un peu de tous les points du territoire des Flittas, se massait autour de la voiture impériale et de son escorte, les uns hurlant « Bibe l’Amprou ! Bibe l’Amprou ! »[5] D’autres criant des choses incompréhensibles dans leur langage rude, tous cherchant à se rapprocher de l’Empereur avec des intentions plus au moins honnêtes. En somme, les goums étaient insuffisants pour s’opposer à un coup de main, et rien n’empêche cette masse d’indigènes de faire prisonnier le souverain et de l’emmener dans les montagnes avec son État-major. Je me suis laissé dire par de vieux arabes que telle était bien l’intention de certains manifestants, et s’ils ne purent mettre leurs projets à exécution, c’est grâce à la présence d’esprit de l’entourage de l’empereur. La foule, en se bousculant menaçait de déborder la garde de cavaliers et d’envahir la calèche impériale. Pris de frayeur, Napoléon III fit signe à son trésorier particulier qui se trouvait derrière lui, dans une autre voiture, avec des cassettes contenant une somme assez forte. Aussitôt pièces d’argent et d’or tombèrent en pluie sur la cohue, jetées à pleine mains par le trésorier et un des généraux de la suite. Les Arabes se précipitèrent alors sur le sol pour y recueillir la précieuse aubaine, et c’est sans doute là que Pharaon a pris pour des prosternations humiliées. En fait d’acclamations, il n’y eut surtout que des cris incohérents et « l’attitude soumise » se traduisait par des gestes de sauvages, des gambades de gens satisfaits de se voir accorder une aumône par le chef de ceux qui leur avaient pris leurs troupeaux. Au lieu de s’arrêter à la halle aux grains, transformée en salle de réception, l’Empereur qui n’avait aucune envie de rester dans un lieu où les marques de sympathie s’affichaient avec un enthousiasme évidemment exagéré, ne se donna pas la peine de visiter ni barrage ni quoi que ce soit, il donna ordre de fouetter les chevaux et de s’enfuir à toute vitesse. Le soir, les douars alentours fêtèrent la venue de « l’Ambrou » avec ses écus et ses louis, les feux de méchoui éclairèrent la plaine en souvenir du passage d’un prince qui savait si généreusement distribuer les fonds de sa cassette secrète ; et, si un sentiment quelconque poussa les indigènes à se féliciter de la visite de l’Empereur, ce fut la reconnaissance du ventre !
Là se termine la chronique des évènements historiques qui eurent pour champ d’action le territoire de la commune mixte de la Mina et ses environs immédiats. Il nous reste à voir maintenant l’histoire de ses divisions administratives jusqu’aux plus récentes organisations de celle de chaque tribu en particulier.

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