L’histoire de la résistance du arch d’Ath Mellikeche (wilaya de Béjaïa) à la colonisation française regorge de récits où se confondent faits historiques et légendes. Le passage de Cherif Boubeghla dans la région vers le milieu du XIXe siècle n’y échappe pas. La mémoire collective dans ces villages altiers célèbre jusqu’à nos jours les hauts faits d’armes de ces premiers résistants à l’occupant.
L’histoire de la résistance des Ath Mellikeche pourrait commencer comme une BD d’Astérix : alors que toute la Kabylie était occupée par le colonisateur français, seule résistait encore et toujours une tribu d’irréductibles Kabyles. Sans potion magique et avec des armes souvent rudimentaires. Un jour ils eurent leur Astérix. Plutôt une sorte d’Obélix. Un homme venu de l’Ouest, qui ne parlait pas kabyle et qui portait un nom bien étrange : Boubeghla. L’homme à la mule. Ce sobriquet, il l’avait hérité de ses débuts dans la résistance alors qu’il était lieutenant de Boumaâza. L’homme à la chèvre. En fait, l’homme à la mule avait un fougueux cheval nommé Derouiche. Et pour rester toujours dans le registre animal, disons qu’aussitôt arrivé chez les Ath Mellikeche, il se sentit comme un poisson dans l’eau.
Il trouvait là des hommes à qui parler. Des hommes qui sacralisaient avant toute chose l’odeur de la poudre et le goût de la liberté. Nous sommes partis sur les traces de cette figure historique dont plus personne ne parle aujourd’hui. Agouni Gouroiz, un nom qui claque comme deux coups de feu, est le chef-lieu de commune d’Ath Mellikeche. Petite discussion dans un café. Quelques fellahs parlent de puits et d’irrigations. Les paysans partis nous interrogeons un groupe de jeunes pour savoir s’ils ont entendu parler de Boubeghla. Loin de susciter l’incrédulité à laquelle nous nous attendions, la réponse fuse : «Boubeghla ? Bien sûr qu’on le connaît. Il a combattu les Français et il est mort ici. L’endroit où il est mort porte encore son nom : Assif n’Vouveghla.» Du doigt, ils nous montrent ce fameux ravin où il est censé avoir trépassé.
Une tribu farouchement indépendante
Dda Velaïd Ath Athmane, du village de Iagachen, est l’une des mémoires vivantes de la tribu des Ath Mellikeche qui compte près d’une vingtaine de villages. Cette tribu, farouchement indépendante, est la dernière à avoir été soumise par les Français lors de la conquête de la Kabylie en 1849. D’après Ibn Khaldoun, leurs ancêtres seraient venus de la Mitidja. Ils auraient aidé à l’édification d’Alger avec les Beni Mezghena avant de venir s’installer définitivement sur le versant sud du Djurdjura entre 800 et 1000 m d’altitude tout au long de la limite des grosses neiges. Chassés par les tribus hilaliennes des Beni Maâkil et des Beni Solaym, ils se seraient établis en premier lieu à Ighzer Ouguentour, le Ravin du pont, avant d’essaimer alentour. D’après Dda Velaïd, ils se sont installés à Taourirt et seraient rentrés en conflit avec leurs voisins immédiats, les Ath Aghbalou et les Illoulen. Le mot Mellikeche lui-même dériverait de «tamlikecht» qui veut dire en berbère la multitude ou de «tamoulkecht» qui désignerait une fourmilière. Les Ath Mellikeche ont vécu libres et indépendants. «Ils n’ont reconnu ni les Turcs ni les Français», dit Dda Velaïd.
A l’arrivée des Français, ce sont eux qui ont opposé la plus vive résistance à leur avancée. Il serait fastidieux d’énumérer ici tous leurs faits d’armes, mais disons, au passage, qu’à la bataille d’Icherriden, un fort bataillon des Ath Mellikeche prit part. Aujourd’hui encore, un important ossuaire existe toujours à Ath Ouamar. C’est là que seraient enterrés ceux qui ont péri et ils sont très nombreux, au cours de cette mémorable bataille conduite par Lalla Fadhma n’Soumeur. Toujours prêts à faire le coup de feu, les Ath Mellikeche ont accueilli avec bienveillance tous les insurgés à bras ouverts, à tel point que le territoire de cette tribu est devenu la terre promise de tous les chérifs. Par chérifs on entendait les hommes qui, passant de village en village et d’une tribu à l’autre, levaient l’étendard de la révolte en prétendant être «moul saâ». Le messie que tout le monde attendait et qui allait jeter les infidèles à la mer. Et des mouls saâ, il y en eut. Tous, sans exception, sont passés chez les fougueux Ath Mellikeche. Bou Aoud, l’homme au cheval, Bou Hmar, l’homme à l’âne, Bou Hmara, l’homme à l’ânesse et Boubeghla, l’homme à la mule.
Bouhmara est passé chez les Ath Mellikeche qui lui ont offert une maison, mais sa carrière de chérif fut brève. Fait prisonnier, il fut exécuté et décapité sur la place du marché à Tizi Ouzou en 1854. Boubeghla, par contre, a fait des Ath Mellikeche son quartier général et son port d’attache. Cet ancien taleb et guérisseur a fait son apparition à Sour El Ghozlane. Lorsqu’il a commencé à être traqué pour ses activités subversives, il s’est réfugié à la Qalaâ des Ath Abbès chez les Ath Haroun avant de passer chez les Ath Mellikeche qui lui ont offert «l’anaya», la traditionnelle protection kabyle des étrangers. Aujourd’hui encore, il existe un endroit à Ath Mellikeche, pas loin de Tablazt, qui s’appelle Azrou n’Chrif. Le Rocher du chérif. Une petite retraite où il aimait se reposer. Dda Velaïd rapporte : «Boubeghla était trop corpulent pour un cheval. C’est pour cela qu’il lui fallait une mule.»
Récits transmis de génération en génération
Selon Dda Velaïd, après s’être échappé de prison, Boubeghla est arrivé à Vouni, non loin de la Qalaâ n’ath Abbès pour prêcher le djihad. Les Français ont alors demandé aux Ath Mokrane, seigneurs et maîtres de la Medjana, de l’expulser sinon tous leurs marchés seraient fermés. Les Ath Mellikeche l’ont alors contacté. « Boubeghla a été accueilli à Asqif n’Sidi El Mouffok et une grande fête a été donnée en son honneur», précise Dda Velaïd.
Prétendant être moul sâa, Boubeghla commença par désigner son état-major. Hand Ousolla de Iagachen, Ali Ath Oudia de Taghallat, El Hadj Daha de Tihakatine et El Hadj Mhidine d’Aguentour. Mohand Saïd Amellikech, le prince des poètes, était son secrétaire particulier. Boubeghla entreprit ensuite d’organiser la résistance avec les Illoulen Oumalou, les Ath Idjeur et les Ath Mellikeche. Le 6 mars 1851 eut lieu la première attaque contre l’Azib du bachagha Ben Ali Cherif. Boubeghla combattait à cheval et était armé d’un fusil à deux coups, de deux pistolets, d’un sabre et d’un tromblon. Intrépide et courageux, il s’attaquait aussi bien aux colonnes françaises qu’aux tribus qui avaient fait leur soumission. L’essentiel de son périmètre d’action comprenait le massif du Djurdjura, la vallée de la Soummam et les contreforts des Bibans. Comme dans un mauvais western, sa tête fut mise à prix. Une récompense de 100 douros a été offerte à quiconque la rapporterait. Sa tête, c’est le caïd Lakhdar de Tazmalt qui l’a rapportée. Le 16 décembre 1854.
Deux versions existent sur sa mort. La première est qu’il fut surpris et tué par le caïd Lakhdar El Mokrani, alors que son cheval était embourbé dans la vallée de l’oued Sahel – Assif Aâbbès. La deuxième est qu’il fut trahi par des gens en qui il avait entière confiance, qui l’ont tué et déposé dans un bourbier. Le caïd n’eut alors qu’à organiser un simulacre d’accrochage. La deuxième version fut à l’époque corroborée par sa deuxième femme, Yamina n’Hamou Ou Vaâli de Tazaïart, village d’Ighil Ali.
La version locale de la mort de Boubeghla est un peu plus imagée. La voici telle que nous l’avons recueillie auprès d’un fin connaisseur de la région. Un jour, tout en haut de la montagne, deux bouviers gardaient leurs bestiaux tout en promenant leurs regards sur les terres riches de la vallée. «Si j’avais ces terres», dit l’un, j’aurais fait ceci et cela.» «Tu rêves !», répond son compagnon. «On ne sait jamais», renchérit celui qui rêvait à voix haute. Sur ces entrefaites vint à passer Boubeghla et sa garde rapprochée de cavaliers. Les deux bergers les invitent alors à partager leur petite collation. Probablement, un morceau de galette, quelques figues sèches et un «agouglou», fromage frais fait avec du lait dans lequel on verse quelques gouttes de sève de figuier ou d’artichaut sauvage. Au cours de la discussion, l’un des bergers interroge le chérif sur le secret de son invulnérabilité aux balles.
Il faut savoir que Boubeghla avait en effet, entre autres mythes, cette réputation. Le chérif se trahit alors en ouvrant son vêtement pour montrer l’armure en argent qu’il portait sur lui et qui le prémunissait contre les balles, en bronze à l’époque.
Le renseignement, qui valait son pesant d’or, n’était pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Celui qui rêvait de posséder des terres dans la vallée vit là un moyen de concrétiser ses chimères, puisqu’il alla aussitôt monnayer son secret auprès du chef de la garnison de Tazmalt, un certain colonel Marmier.
L’histoire dit que Boubeghla périt à Tablazt le 16 décembre 1854. La légende raconte que le rêveur devint un gros propriétaire terrien. Il faudra attendre l’année 1857 pour voir les Ath Mellikeche signer l’armistice avec les Français. A la condition qu’aucun Français ne pose son pied sur leur territoire. «Nous n’avons besoin ni de vos gendarmes ni de vos écoles», dirent-ils aux représentants français. Dda Velaïd raconte encore qu’à l’appel au djihad lancé par le bachagha Mokrani en 1871, les Ath Mellikeche, réunis en assemblée générale à Agouni Gouroiz, firent cette réponse très diplomatique : «Nous ne fermons pas la porte du djihad. Celui qui veut participer à titre personnel est libre, mais nous n’allons pas obliger les gens à entrer en guerre.» Ils venaient de signifier aux Mokrani qu’ils leur tenaient rigueur de leur refus de se joindre à la guerre qu’ils menaient aux côtés de Boubeghla 20 ans auparavant.
Aujourd’hui à Ath Mellikeche, aucune plaque ou monument ne rappelle l’épopée de Boubeghla et de ses compagnons qui sont tombés les armes à la main lors de très nombreuses batailles contre les troupes de Randon, Bugeaud et autres Mac Mahon. Boubeghla a été oublié.
Selon l’historien Mahfoud Kheddache, sa tête, conservée dans du formol, serait toujours dans un musée parisien.
L’histoire de la résistance des Ath Mellikeche pourrait commencer comme une BD d’Astérix : alors que toute la Kabylie était occupée par le colonisateur français, seule résistait encore et toujours une tribu d’irréductibles Kabyles. Sans potion magique et avec des armes souvent rudimentaires. Un jour ils eurent leur Astérix. Plutôt une sorte d’Obélix. Un homme venu de l’Ouest, qui ne parlait pas kabyle et qui portait un nom bien étrange : Boubeghla. L’homme à la mule. Ce sobriquet, il l’avait hérité de ses débuts dans la résistance alors qu’il était lieutenant de Boumaâza. L’homme à la chèvre. En fait, l’homme à la mule avait un fougueux cheval nommé Derouiche. Et pour rester toujours dans le registre animal, disons qu’aussitôt arrivé chez les Ath Mellikeche, il se sentit comme un poisson dans l’eau.
Il trouvait là des hommes à qui parler. Des hommes qui sacralisaient avant toute chose l’odeur de la poudre et le goût de la liberté. Nous sommes partis sur les traces de cette figure historique dont plus personne ne parle aujourd’hui. Agouni Gouroiz, un nom qui claque comme deux coups de feu, est le chef-lieu de commune d’Ath Mellikeche. Petite discussion dans un café. Quelques fellahs parlent de puits et d’irrigations. Les paysans partis nous interrogeons un groupe de jeunes pour savoir s’ils ont entendu parler de Boubeghla. Loin de susciter l’incrédulité à laquelle nous nous attendions, la réponse fuse : «Boubeghla ? Bien sûr qu’on le connaît. Il a combattu les Français et il est mort ici. L’endroit où il est mort porte encore son nom : Assif n’Vouveghla.» Du doigt, ils nous montrent ce fameux ravin où il est censé avoir trépassé.
Une tribu farouchement indépendante
Dda Velaïd Ath Athmane, du village de Iagachen, est l’une des mémoires vivantes de la tribu des Ath Mellikeche qui compte près d’une vingtaine de villages. Cette tribu, farouchement indépendante, est la dernière à avoir été soumise par les Français lors de la conquête de la Kabylie en 1849. D’après Ibn Khaldoun, leurs ancêtres seraient venus de la Mitidja. Ils auraient aidé à l’édification d’Alger avec les Beni Mezghena avant de venir s’installer définitivement sur le versant sud du Djurdjura entre 800 et 1000 m d’altitude tout au long de la limite des grosses neiges. Chassés par les tribus hilaliennes des Beni Maâkil et des Beni Solaym, ils se seraient établis en premier lieu à Ighzer Ouguentour, le Ravin du pont, avant d’essaimer alentour. D’après Dda Velaïd, ils se sont installés à Taourirt et seraient rentrés en conflit avec leurs voisins immédiats, les Ath Aghbalou et les Illoulen. Le mot Mellikeche lui-même dériverait de «tamlikecht» qui veut dire en berbère la multitude ou de «tamoulkecht» qui désignerait une fourmilière. Les Ath Mellikeche ont vécu libres et indépendants. «Ils n’ont reconnu ni les Turcs ni les Français», dit Dda Velaïd.
A l’arrivée des Français, ce sont eux qui ont opposé la plus vive résistance à leur avancée. Il serait fastidieux d’énumérer ici tous leurs faits d’armes, mais disons, au passage, qu’à la bataille d’Icherriden, un fort bataillon des Ath Mellikeche prit part. Aujourd’hui encore, un important ossuaire existe toujours à Ath Ouamar. C’est là que seraient enterrés ceux qui ont péri et ils sont très nombreux, au cours de cette mémorable bataille conduite par Lalla Fadhma n’Soumeur. Toujours prêts à faire le coup de feu, les Ath Mellikeche ont accueilli avec bienveillance tous les insurgés à bras ouverts, à tel point que le territoire de cette tribu est devenu la terre promise de tous les chérifs. Par chérifs on entendait les hommes qui, passant de village en village et d’une tribu à l’autre, levaient l’étendard de la révolte en prétendant être «moul saâ». Le messie que tout le monde attendait et qui allait jeter les infidèles à la mer. Et des mouls saâ, il y en eut. Tous, sans exception, sont passés chez les fougueux Ath Mellikeche. Bou Aoud, l’homme au cheval, Bou Hmar, l’homme à l’âne, Bou Hmara, l’homme à l’ânesse et Boubeghla, l’homme à la mule.
Bouhmara est passé chez les Ath Mellikeche qui lui ont offert une maison, mais sa carrière de chérif fut brève. Fait prisonnier, il fut exécuté et décapité sur la place du marché à Tizi Ouzou en 1854. Boubeghla, par contre, a fait des Ath Mellikeche son quartier général et son port d’attache. Cet ancien taleb et guérisseur a fait son apparition à Sour El Ghozlane. Lorsqu’il a commencé à être traqué pour ses activités subversives, il s’est réfugié à la Qalaâ des Ath Abbès chez les Ath Haroun avant de passer chez les Ath Mellikeche qui lui ont offert «l’anaya», la traditionnelle protection kabyle des étrangers. Aujourd’hui encore, il existe un endroit à Ath Mellikeche, pas loin de Tablazt, qui s’appelle Azrou n’Chrif. Le Rocher du chérif. Une petite retraite où il aimait se reposer. Dda Velaïd rapporte : «Boubeghla était trop corpulent pour un cheval. C’est pour cela qu’il lui fallait une mule.»
Récits transmis de génération en génération
Selon Dda Velaïd, après s’être échappé de prison, Boubeghla est arrivé à Vouni, non loin de la Qalaâ n’ath Abbès pour prêcher le djihad. Les Français ont alors demandé aux Ath Mokrane, seigneurs et maîtres de la Medjana, de l’expulser sinon tous leurs marchés seraient fermés. Les Ath Mellikeche l’ont alors contacté. « Boubeghla a été accueilli à Asqif n’Sidi El Mouffok et une grande fête a été donnée en son honneur», précise Dda Velaïd.
Prétendant être moul sâa, Boubeghla commença par désigner son état-major. Hand Ousolla de Iagachen, Ali Ath Oudia de Taghallat, El Hadj Daha de Tihakatine et El Hadj Mhidine d’Aguentour. Mohand Saïd Amellikech, le prince des poètes, était son secrétaire particulier. Boubeghla entreprit ensuite d’organiser la résistance avec les Illoulen Oumalou, les Ath Idjeur et les Ath Mellikeche. Le 6 mars 1851 eut lieu la première attaque contre l’Azib du bachagha Ben Ali Cherif. Boubeghla combattait à cheval et était armé d’un fusil à deux coups, de deux pistolets, d’un sabre et d’un tromblon. Intrépide et courageux, il s’attaquait aussi bien aux colonnes françaises qu’aux tribus qui avaient fait leur soumission. L’essentiel de son périmètre d’action comprenait le massif du Djurdjura, la vallée de la Soummam et les contreforts des Bibans. Comme dans un mauvais western, sa tête fut mise à prix. Une récompense de 100 douros a été offerte à quiconque la rapporterait. Sa tête, c’est le caïd Lakhdar de Tazmalt qui l’a rapportée. Le 16 décembre 1854.
Deux versions existent sur sa mort. La première est qu’il fut surpris et tué par le caïd Lakhdar El Mokrani, alors que son cheval était embourbé dans la vallée de l’oued Sahel – Assif Aâbbès. La deuxième est qu’il fut trahi par des gens en qui il avait entière confiance, qui l’ont tué et déposé dans un bourbier. Le caïd n’eut alors qu’à organiser un simulacre d’accrochage. La deuxième version fut à l’époque corroborée par sa deuxième femme, Yamina n’Hamou Ou Vaâli de Tazaïart, village d’Ighil Ali.
La version locale de la mort de Boubeghla est un peu plus imagée. La voici telle que nous l’avons recueillie auprès d’un fin connaisseur de la région. Un jour, tout en haut de la montagne, deux bouviers gardaient leurs bestiaux tout en promenant leurs regards sur les terres riches de la vallée. «Si j’avais ces terres», dit l’un, j’aurais fait ceci et cela.» «Tu rêves !», répond son compagnon. «On ne sait jamais», renchérit celui qui rêvait à voix haute. Sur ces entrefaites vint à passer Boubeghla et sa garde rapprochée de cavaliers. Les deux bergers les invitent alors à partager leur petite collation. Probablement, un morceau de galette, quelques figues sèches et un «agouglou», fromage frais fait avec du lait dans lequel on verse quelques gouttes de sève de figuier ou d’artichaut sauvage. Au cours de la discussion, l’un des bergers interroge le chérif sur le secret de son invulnérabilité aux balles.
Il faut savoir que Boubeghla avait en effet, entre autres mythes, cette réputation. Le chérif se trahit alors en ouvrant son vêtement pour montrer l’armure en argent qu’il portait sur lui et qui le prémunissait contre les balles, en bronze à l’époque.
Le renseignement, qui valait son pesant d’or, n’était pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Celui qui rêvait de posséder des terres dans la vallée vit là un moyen de concrétiser ses chimères, puisqu’il alla aussitôt monnayer son secret auprès du chef de la garnison de Tazmalt, un certain colonel Marmier.
L’histoire dit que Boubeghla périt à Tablazt le 16 décembre 1854. La légende raconte que le rêveur devint un gros propriétaire terrien. Il faudra attendre l’année 1857 pour voir les Ath Mellikeche signer l’armistice avec les Français. A la condition qu’aucun Français ne pose son pied sur leur territoire. «Nous n’avons besoin ni de vos gendarmes ni de vos écoles», dirent-ils aux représentants français. Dda Velaïd raconte encore qu’à l’appel au djihad lancé par le bachagha Mokrani en 1871, les Ath Mellikeche, réunis en assemblée générale à Agouni Gouroiz, firent cette réponse très diplomatique : «Nous ne fermons pas la porte du djihad. Celui qui veut participer à titre personnel est libre, mais nous n’allons pas obliger les gens à entrer en guerre.» Ils venaient de signifier aux Mokrani qu’ils leur tenaient rigueur de leur refus de se joindre à la guerre qu’ils menaient aux côtés de Boubeghla 20 ans auparavant.
Aujourd’hui à Ath Mellikeche, aucune plaque ou monument ne rappelle l’épopée de Boubeghla et de ses compagnons qui sont tombés les armes à la main lors de très nombreuses batailles contre les troupes de Randon, Bugeaud et autres Mac Mahon. Boubeghla a été oublié.
Selon l’historien Mahfoud Kheddache, sa tête, conservée dans du formol, serait toujours dans un musée parisien.
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