L’architecture ksourienne représente un patrimoine d’une richesse indéniable. Une partie considérable de ce patrimoine souffre de dépérissement et tombe progressivement en désuétude. Le matériau de construction terre, qui représente le matériau de base servant à la construction de ces établissements humains, constitue le talon d’Achille de ces groupements et participe, par sa dégradation et son manque de durabilité, à la disparition pure et simple de pans entiers de la mémoire collective locale et nationale.
Ksar à Béchar
Le k’sar (pluriel : k’sour), signifie étymologiquement palais. Les ksour sont ces ensembles fortifiés qui s’étendent du Sud marocain au Sud tunisien et qui, à l’origine, étaient construits dans un souci défensif. De nos jours et avec la disparition des préoccupations défensives, le ksar désigne toute agglomération saharienne anciennement construite et de tendance plutôt rurale par opposition aux structures plus importantes que sont les médinas.
Les ksour forment, par leur implantation sur les anciennes routes des caravanes, un maillage important qui s’égrène sur tout le Sud algérien. Bien que la plupart d’entre eux aient perdu depuis longtemps leurs remparts, ils ont pu demeurer, jusqu’à un passé récent, des structures fonctionnelles assurant à leurs habitants une suffisance alimentaire et une certaine cohésion sociale. Ils ont toujours été partie intégrante d’un agro-système intégrant la palmeraie, les terres cultivables et l’eau.
Les ksour sont généralement dressés sur sols rocheux et terrains élevés dans un but d’autodéfense, et aussi pour la préservation des ressources hydriques et des sols fertiles. Ils ne présentent pas de caractéristiques typologiques uniformes. Les premières études conduites par des officiers militaires français (Martin, 1908, Echallier, 1972) particulièrement dans le Sud-ouest, révèlent unité et différences ; l’unité paraît surtout dans la localisation, le processus d’implantation, et le modèle d’organisation des rues. Les différences portent essentiellement sur la morphologie de l’unité fondamentale composant le ksar.
Tandis que dans le Sud-ouest, le ksar est constitué par l’adjonction d’entités appelés kasbet (pluriel de kasbah), entités fortifiées, cette caractéristique ne se rencontre pas dans la vallée du Mzab ou dans les ksour du Sud-est.
Echallier (1972), se basant sur l’apport de photos aériennes, entreprit une classification qui fit ressortir six types différents de ksour. Mais, en général, l’archétype du ksar reste une structure carrée, ou rectangulaire, parfois circulaire, entourée d’une enceinte aveugle et continue, flaquée de tours de guet aux angles, et percée d’une ou de plusieurs portes qui assurent la relation avec le monde extérieur. Le tissu est organisé autour d’un réseau de voirie structuré en ramification, dont les différentes branches traduisent, au sol, la division du groupement humain et des sous-groupes. Les habitations sont continues et généralement mitoyennes sur deux ou trois côtés. Les places des ksour sont appelées rahbas. Elles constituent des éléments structurants dans l’espace urbain et servant le plus souvent de lieux de réunions pour les structures sociales traditionnelles. C’est aussi dans les rahbas que sont célébrées certaines fêtes religieuses, et parfois de vieilles traditions païennes remontant à la période antéislamique. Quelques activités commerciales y prennent place à côté du marché hebdomadaire. La place acquiert souvent de l’importance du fait de ses activités commerciales. L’importance de ces dernières se reflète dans la configuration de la place et sur sa structure urbaine.
L’état actuel des ksour dans cette région atteste du haut degré de dépérissement qui les caractérise. L’abandon est consommé dans beaucoup de structures. Si certaines attestent de la présence d’un certain nombre d’habitants, c’est plus pour témoigner de leur précarité et de leur volonté de partir pour une maison en dur, dans la périphérie, dès que les conditions matérielles le permettent. Même les activités qui ont fait jadis la fierté de certains ksour comme l’artisanat, ou celles qui ont présidé à leur destinée ou leur ont donné une vocation, comme le caractère religieux, ont tendance à disparaître.
Il est communément admis que les agglomérations urbaines traditionnelles sont le résultat d’une multitude de facteurs culturels et socio-économiques, qui, en s’imbriquant, ont contraint les habitants à produire un habitat de survie formant un véritable système écologique. Ainsi le trame support sous-jacente semble jouer un rôle de premier ordre dans l’évolution typo-morphologique de ces groupements humains. Certaines variables comme le site (topographie, relief), la manière de se procurer de l’eau, la structure géomorphologique du terrain ont joué un rôle non négligeable, non dans la genèse du système écologique lui-même, composé du triptyque bâti-palmeraie-eau, mais dans la topologie du noyau initial et de son évolution par la suite.
Anciens Ksour dans la commune de Mchouneche (Aurès)
Dans le Ziban, la platitude et l’homogénéité du terrain n’imposent pas d’implantation différenciée par rapport à la palmeraie. La plupart des agglomérations sont fondées sur les restes d’agglomérations romaines. Dans ces groupements, la palmeraie entoure souvent le bâti, et même si le terrain du bâti s’avère être rocailleux et/ou non fertile, il ne forme pas une entité séparée de l’assiette de la palmeraie. Les agglomérations du Zab subissaient l’influence du massif montagneux aurasien, de nombreuses rivières descendant des Aurès et la présence de nombreuses sources ont permis l’implantation de ksour sur le piémont. Ce qui a permis aux habitants de maîtriser très tôt les techniques d’irrigation. La présence de nombreux moulins à blé témoignent jusqu’à aujourd’hui de la fertilité des terres de ces établissements humains.
Dans le Souf, la topographie particulière du terrain impose une autre dialectique au rapport bâti-palmeraie-eau. La présence de trois entités orographiques caractéristiques (dunes de sables, terrains plats et ghouts) entraîne une attitude différente dans la gestion de l’espace. Si le bâti se dispose de façon parcimonieuse sur les franges étroites des terrains stables et peu sableux, les dunes forment une limite naturelle et en même temps un élément structurant linéaire régulant et dirigeant le sens de l’évolution urbaine. Les ghouts quant à eux accueillent les palmiers.
Dans l’Oued Righ, deux limites naturelles (les dunes et les palmeraies) orientent le développement linéaire des agglomérations dans le sens méridien. Des particularités topographiques locales (présence de buttes gypseuses) expliquent le développement de certains noyaux traditionnels suivant une forme radioconcentrique sur les buttes.
Vestiges d’un Ksar aux alentours de Ouargla
L’architecture Ksourienne est le produit d’une culture de masse nourrie de la quotidienneté, de l’environnement et du génie local et non pas une production d’élite. Cet habitat exprime les contraintes environnementales et les valeurs locales. Car, raisonner, exclusivement, en termes d’écosystèmes et de contraintes environnementales, c’est succombé à la séduction du discours rationnel qui sépare le corps et l’esprit en deux entités distinctes. De la disposition de la maison dépend le salut de ses occupants. Toutes les civilisations ont eu recours à des stratégies d’orientation, de formalisation de l’habitat pour se protéger des éventuelles agressions provenant de l’autre monde, invisible.
Maison au Ksar de Temacine (environ de Touggourt/ Ouargla)
- L’organisation intérieure : Le premier endroit que l’homme privilégie est bien entendu celui où il vit le plus régulièrement, mais l’endroit où l’homme investit le plus est celui où il se retrouve seul ou avec les siens, face à la nuit et à l’inconnu qui l’habite. Un des noms de la maison, al-bayt, renvoie au concept de la nuit, demeure du mystère. Tout dans la maison doit être conçue pour négocier ce rapport au monde de l’occulte et du mystère.
L’espace intérieur de la maison est découpé selon une conception du sacré et non pas seulement en fonction de besoins concrets et objectivables. En général, deux chambres, une cour intérieure (rahba), un petit magasin à provision et un petit enclos pour les animaux (taghemmin). Ce petit enclos est d’une importance capitale, en tant que premier broyeur des déchets ménagers. Tout déchet domestique se transforme immédiatement en aliment de bétail dont les déjections sont recyclées en un engrais assez recherché. Ce fumier, mélangé aux cendres du foyer (kanûn), fait souvent l’objet d’une clause spéciale. Le propriétaire d’une maison, avant de la louer, exige du futur locataire, comme condition préalable, la récupération du fumier (laghbâr) aussi bien humain qu’animal.
L’autre explication de la présence du bétail dans les maisons est liée aux croyances qui font que les animaux peuvent constituer un rempart contre le néfaste. La croyance veut que les ovins et les caprins qui cohabitent dans le même espace que l’homme, à l’intérieur de la maison, soient des écrans contre le danger. Ceci est à lier avec le sacrifice qui consiste à tuer un mouton, ou autre, à faire couler le sang pour éviter une catastrophe que l’on sent comme imminente ou pour évacuer un mal déjà là.
- Le patio : Un autre élément très important et même structurant de la maison Ksourienne est le patio ou Wast Dār, autour duquel se construit la maison. Chaque face ouvre sur un espace appelé bayt. La signification du Patio varie grandement d’une société à une autre. Par exemple, une cour peut isoler une communauté du monde extérieur pour des raisons de pureté spirituelle, être un espace de pouvoir historiquement sanctifié ou une source de vitalité familiale. Le Patio est la source de la vie et de la fertilité. C’est la forme fondamentale de toute architecture traditionnelle palais, sanctuaires ou maisons. La maison à patio reflète le rôle central de la famille dans la société.
- Les portes : Les portes, seuils et ouvertures marquent la transition entre deux sortes d’espace. Leur franchissement peut indiquer le passage d’une personne d’un état à l’autre. Portes et fenêtres, ouvertures indispensables sont aussi les parties les plus vulnérables d’un édifice. La porte invite à l’entrée et en permet le contrôle. Les portes sont les expressions les plus élaborées et les plus explicites du contrôle. Reflétant ou proclamant l’importance du contenu de l’édifice.
Chez les Berbères, la porte doit rester ouverte toute la journée pour qu’entre la lumière du soleil, apportant la prospérité. Une porte fermée signifie la stérilité ; s’asseoir sur le seuil s’est empêché soleil de rentrer, c’est barrer l’entrée du bonheur et de la fertilité. La porte acquiert souvent une importance marquée par des arcs, piliers, portiques et autres éléments. Ces arcs si diversement décorés sont là pour marquer des passages. Que ce soit à l’entrée du Ksar ou dans une rue, la porte est bien soulignée par cette arcature signe de protection.
- Sqîfa : La porte est souvent prolongée d’une sqîfa, une sorte de vestibule où parfois est confectionnée une banquette maçonnée (dukkâna) permettant ainsi au seuil d’être marqué dans sa fonction de filtre. Contrairement à ce que l’on a pu penser ou écrire, cette sqîfa n’est pas un espace où le propriétaire recevait ses invités. Elle révèle plutôt, la structuration polynucléaire de la famille. Plusieurs ménages habitaient la même demeure. Frères et cousins vivent sous le même toit et sous la même autorité patriarcale. Mariés et occupants des pièces (byût) différentes, les couples ne se rencontrent jamais tous ensemble dans le même espace. Chaque homme évite, en général, de croiser le regard d’une femme qui n’est pas la « sienne ». On n’y pénètre pas de manière impromptue, même quand on y habite. On s’annonce (par l’expression : at-trîg! le chemin!) et patiente quelque peu dans la sqîfa. On peut même s’y reposer éventuellement, notamment quand on est accompagné d’un invité, étranger à la famille, le temps que le chemin soit dégagée.
Avant d’entamer sqîfa, un lieu de sens, ‘Atba (seuil) la devance et qui sert à marquer le changement d’espace, mais également de statut. En revanche, le seuil peut signifier le contrat que l’on passe avec les forces de l’Invisible, également appelées Ahl-ad-Dār (litt, « Les Occupants de la Maison »). Pour Ed. Westermarck, en franchissant le seuil, la personne éprouve un certain pressentiment. Ainsi s’explique le symbolisme du franchissement de la limite qui sépare la lumière de l’obscurité et qui requiert quelques défenses magiques comme la tasmiya (le fait de dire Bismillah, Au nom de Dieu).
Les seuils sont souvent des barrières symboliques de ces ouvertures et peuvent être marqués par des prières, des incantations et des bénédictions pour s’assurer qu’une arrivée est bienveillante et protéger l’espace intérieur. La marche du seuil est aussi l’endroit où le corps d’un défunt quittant la maison pour la dernière fois est posé un instant. Souvent, une autre petite porte arrière sert à se débarrasser des ordures ménagères. Cet orifice peut être explicitement assimilé à l’anus de la maison.
- Ayn ad-dar : Un élément architectonique a attiré notre curiosité est ce trou au niveau d la toiture appelé `ayn ad-dār littéralement traduit « l’œil de la maison ». Cette ouverture aménagée au plafond des patios est, en effet, un « œil de la maison » qui regarde le ciel, symbole de la grâce et de la protection. Elle permet l’infiltration de la lumière qui est la métaphore la plus fondamentale du Coran, qui dit : « Dieu est la lumière du ciel et de la terre. »
- Les arceaux : L’arc le plus usité au Maghreb est l’arc plein ceintre outre passé ou en Fer à cheval qui symbolise la défense et la protection magiques. Il est censé éloigner le mauvais œil, la malédiction et les mauvais augures. II « déleste » les visiteurs de leurs intentions envieuses, leur aura négative. II est en outre l’un des emblèmes porte-bonheur que la culture maghrébine semble avoir.
Si l’arc, symbole de majesté, marque tous les passages, c’est que la porte possède un sens symbolique. Plus qu’un accès, c’est une limite. A la fois permissive et obstruant, la porte est l’expression d’une ambivalence du possible et de l’impossible. Elle s’ouvre et se ferme.
L’arc, le cercle, le carré et le dôme ne sont pas de simples formes géométriques produits par les contraintes technologiques, mais des « imago mundi » qui sont présent dans l’architecture ksourienne. Il ne semble pas y avoir d’immobilisme dans la forme des maisons traditionnelles à travers les époques. Nous relevons plutôt un changement continu sous une homogénéité apparente. Ces formes témoignent d’habitudes architecturales et du génie local qui expriment et perpétuent différentes mentalités propres et originales en dépit de l’empreinte profonde « uniformisation » induite par la « modernisation et la globalisation ».
Il nous paraît pertinent aujourd’hui de cesser de ne voir dans l’architecture ksourienne qu’une »Architecture de spontanéité » sans règle ni modèle. Un autre regard s’impose par lequel « Tradition » ne rime pas forcement avec « Archaïque » ou « Arriéré ». Ces établissements humains que nous voyons comme le produit d’une spontanéité se révèlent être, en fait, le produit d’une planification rigoureuse et autrement plus complexe que la planification actuelle, en ce sens où elle a pris en compte non seulement le fonctionnel mais encore et surtout ce que nous avons appelé l’immatériel.
Prenant pour point de départ la forme de la maison dans l’architecture Ksourienne, montrant comment les explications unilatérales à partir du climat, des matériaux, de la technologie, du site, de l’économie ou de la religion sont impuissantes à expliquer les différentes formes que peut prendre la maison, Nous concluons que la forme de la maison est avant tout culturelle, c’est-à-dire complexe.
Bibliographie:
* La ville et le désert: le bas-Sahara algérien par Marc Coté
* Les arcanes de la maison ksourienne entre signes et signifiants par Mustapha Ameur Djeradi ( Communication présentée aux Ateliers Méditerranéens du Patrimoine, 21 et 22 Avril 2010 à Bechar)
Ksar à Béchar
Les ksour dans le Bas-Sahara : genèse et évolution
Le k’sar (pluriel : k’sour), signifie étymologiquement palais. Les ksour sont ces ensembles fortifiés qui s’étendent du Sud marocain au Sud tunisien et qui, à l’origine, étaient construits dans un souci défensif. De nos jours et avec la disparition des préoccupations défensives, le ksar désigne toute agglomération saharienne anciennement construite et de tendance plutôt rurale par opposition aux structures plus importantes que sont les médinas.
Les ksour forment, par leur implantation sur les anciennes routes des caravanes, un maillage important qui s’égrène sur tout le Sud algérien. Bien que la plupart d’entre eux aient perdu depuis longtemps leurs remparts, ils ont pu demeurer, jusqu’à un passé récent, des structures fonctionnelles assurant à leurs habitants une suffisance alimentaire et une certaine cohésion sociale. Ils ont toujours été partie intégrante d’un agro-système intégrant la palmeraie, les terres cultivables et l’eau.
Les ksour sont généralement dressés sur sols rocheux et terrains élevés dans un but d’autodéfense, et aussi pour la préservation des ressources hydriques et des sols fertiles. Ils ne présentent pas de caractéristiques typologiques uniformes. Les premières études conduites par des officiers militaires français (Martin, 1908, Echallier, 1972) particulièrement dans le Sud-ouest, révèlent unité et différences ; l’unité paraît surtout dans la localisation, le processus d’implantation, et le modèle d’organisation des rues. Les différences portent essentiellement sur la morphologie de l’unité fondamentale composant le ksar.
Tandis que dans le Sud-ouest, le ksar est constitué par l’adjonction d’entités appelés kasbet (pluriel de kasbah), entités fortifiées, cette caractéristique ne se rencontre pas dans la vallée du Mzab ou dans les ksour du Sud-est.
Echallier (1972), se basant sur l’apport de photos aériennes, entreprit une classification qui fit ressortir six types différents de ksour. Mais, en général, l’archétype du ksar reste une structure carrée, ou rectangulaire, parfois circulaire, entourée d’une enceinte aveugle et continue, flaquée de tours de guet aux angles, et percée d’une ou de plusieurs portes qui assurent la relation avec le monde extérieur. Le tissu est organisé autour d’un réseau de voirie structuré en ramification, dont les différentes branches traduisent, au sol, la division du groupement humain et des sous-groupes. Les habitations sont continues et généralement mitoyennes sur deux ou trois côtés. Les places des ksour sont appelées rahbas. Elles constituent des éléments structurants dans l’espace urbain et servant le plus souvent de lieux de réunions pour les structures sociales traditionnelles. C’est aussi dans les rahbas que sont célébrées certaines fêtes religieuses, et parfois de vieilles traditions païennes remontant à la période antéislamique. Quelques activités commerciales y prennent place à côté du marché hebdomadaire. La place acquiert souvent de l’importance du fait de ses activités commerciales. L’importance de ces dernières se reflète dans la configuration de la place et sur sa structure urbaine.
L’état actuel des ksour dans cette région atteste du haut degré de dépérissement qui les caractérise. L’abandon est consommé dans beaucoup de structures. Si certaines attestent de la présence d’un certain nombre d’habitants, c’est plus pour témoigner de leur précarité et de leur volonté de partir pour une maison en dur, dans la périphérie, dès que les conditions matérielles le permettent. Même les activités qui ont fait jadis la fierté de certains ksour comme l’artisanat, ou celles qui ont présidé à leur destinée ou leur ont donné une vocation, comme le caractère religieux, ont tendance à disparaître.
Il est communément admis que les agglomérations urbaines traditionnelles sont le résultat d’une multitude de facteurs culturels et socio-économiques, qui, en s’imbriquant, ont contraint les habitants à produire un habitat de survie formant un véritable système écologique. Ainsi le trame support sous-jacente semble jouer un rôle de premier ordre dans l’évolution typo-morphologique de ces groupements humains. Certaines variables comme le site (topographie, relief), la manière de se procurer de l’eau, la structure géomorphologique du terrain ont joué un rôle non négligeable, non dans la genèse du système écologique lui-même, composé du triptyque bâti-palmeraie-eau, mais dans la topologie du noyau initial et de son évolution par la suite.
Anciens Ksour dans la commune de Mchouneche (Aurès)
Dans le Ziban, la platitude et l’homogénéité du terrain n’imposent pas d’implantation différenciée par rapport à la palmeraie. La plupart des agglomérations sont fondées sur les restes d’agglomérations romaines. Dans ces groupements, la palmeraie entoure souvent le bâti, et même si le terrain du bâti s’avère être rocailleux et/ou non fertile, il ne forme pas une entité séparée de l’assiette de la palmeraie. Les agglomérations du Zab subissaient l’influence du massif montagneux aurasien, de nombreuses rivières descendant des Aurès et la présence de nombreuses sources ont permis l’implantation de ksour sur le piémont. Ce qui a permis aux habitants de maîtriser très tôt les techniques d’irrigation. La présence de nombreux moulins à blé témoignent jusqu’à aujourd’hui de la fertilité des terres de ces établissements humains.
Dans le Souf, la topographie particulière du terrain impose une autre dialectique au rapport bâti-palmeraie-eau. La présence de trois entités orographiques caractéristiques (dunes de sables, terrains plats et ghouts) entraîne une attitude différente dans la gestion de l’espace. Si le bâti se dispose de façon parcimonieuse sur les franges étroites des terrains stables et peu sableux, les dunes forment une limite naturelle et en même temps un élément structurant linéaire régulant et dirigeant le sens de l’évolution urbaine. Les ghouts quant à eux accueillent les palmiers.
Dans l’Oued Righ, deux limites naturelles (les dunes et les palmeraies) orientent le développement linéaire des agglomérations dans le sens méridien. Des particularités topographiques locales (présence de buttes gypseuses) expliquent le développement de certains noyaux traditionnels suivant une forme radioconcentrique sur les buttes.
Vestiges d’un Ksar aux alentours de Ouargla
Le contenu latent de l’architecture Ksourienne
L’architecture Ksourienne est le produit d’une culture de masse nourrie de la quotidienneté, de l’environnement et du génie local et non pas une production d’élite. Cet habitat exprime les contraintes environnementales et les valeurs locales. Car, raisonner, exclusivement, en termes d’écosystèmes et de contraintes environnementales, c’est succombé à la séduction du discours rationnel qui sépare le corps et l’esprit en deux entités distinctes. De la disposition de la maison dépend le salut de ses occupants. Toutes les civilisations ont eu recours à des stratégies d’orientation, de formalisation de l’habitat pour se protéger des éventuelles agressions provenant de l’autre monde, invisible.
Maison au Ksar de Temacine (environ de Touggourt/ Ouargla)
- L’organisation intérieure : Le premier endroit que l’homme privilégie est bien entendu celui où il vit le plus régulièrement, mais l’endroit où l’homme investit le plus est celui où il se retrouve seul ou avec les siens, face à la nuit et à l’inconnu qui l’habite. Un des noms de la maison, al-bayt, renvoie au concept de la nuit, demeure du mystère. Tout dans la maison doit être conçue pour négocier ce rapport au monde de l’occulte et du mystère.
L’espace intérieur de la maison est découpé selon une conception du sacré et non pas seulement en fonction de besoins concrets et objectivables. En général, deux chambres, une cour intérieure (rahba), un petit magasin à provision et un petit enclos pour les animaux (taghemmin). Ce petit enclos est d’une importance capitale, en tant que premier broyeur des déchets ménagers. Tout déchet domestique se transforme immédiatement en aliment de bétail dont les déjections sont recyclées en un engrais assez recherché. Ce fumier, mélangé aux cendres du foyer (kanûn), fait souvent l’objet d’une clause spéciale. Le propriétaire d’une maison, avant de la louer, exige du futur locataire, comme condition préalable, la récupération du fumier (laghbâr) aussi bien humain qu’animal.
L’autre explication de la présence du bétail dans les maisons est liée aux croyances qui font que les animaux peuvent constituer un rempart contre le néfaste. La croyance veut que les ovins et les caprins qui cohabitent dans le même espace que l’homme, à l’intérieur de la maison, soient des écrans contre le danger. Ceci est à lier avec le sacrifice qui consiste à tuer un mouton, ou autre, à faire couler le sang pour éviter une catastrophe que l’on sent comme imminente ou pour évacuer un mal déjà là.
- Le patio : Un autre élément très important et même structurant de la maison Ksourienne est le patio ou Wast Dār, autour duquel se construit la maison. Chaque face ouvre sur un espace appelé bayt. La signification du Patio varie grandement d’une société à une autre. Par exemple, une cour peut isoler une communauté du monde extérieur pour des raisons de pureté spirituelle, être un espace de pouvoir historiquement sanctifié ou une source de vitalité familiale. Le Patio est la source de la vie et de la fertilité. C’est la forme fondamentale de toute architecture traditionnelle palais, sanctuaires ou maisons. La maison à patio reflète le rôle central de la famille dans la société.
- Les portes : Les portes, seuils et ouvertures marquent la transition entre deux sortes d’espace. Leur franchissement peut indiquer le passage d’une personne d’un état à l’autre. Portes et fenêtres, ouvertures indispensables sont aussi les parties les plus vulnérables d’un édifice. La porte invite à l’entrée et en permet le contrôle. Les portes sont les expressions les plus élaborées et les plus explicites du contrôle. Reflétant ou proclamant l’importance du contenu de l’édifice.
Chez les Berbères, la porte doit rester ouverte toute la journée pour qu’entre la lumière du soleil, apportant la prospérité. Une porte fermée signifie la stérilité ; s’asseoir sur le seuil s’est empêché soleil de rentrer, c’est barrer l’entrée du bonheur et de la fertilité. La porte acquiert souvent une importance marquée par des arcs, piliers, portiques et autres éléments. Ces arcs si diversement décorés sont là pour marquer des passages. Que ce soit à l’entrée du Ksar ou dans une rue, la porte est bien soulignée par cette arcature signe de protection.
- Sqîfa : La porte est souvent prolongée d’une sqîfa, une sorte de vestibule où parfois est confectionnée une banquette maçonnée (dukkâna) permettant ainsi au seuil d’être marqué dans sa fonction de filtre. Contrairement à ce que l’on a pu penser ou écrire, cette sqîfa n’est pas un espace où le propriétaire recevait ses invités. Elle révèle plutôt, la structuration polynucléaire de la famille. Plusieurs ménages habitaient la même demeure. Frères et cousins vivent sous le même toit et sous la même autorité patriarcale. Mariés et occupants des pièces (byût) différentes, les couples ne se rencontrent jamais tous ensemble dans le même espace. Chaque homme évite, en général, de croiser le regard d’une femme qui n’est pas la « sienne ». On n’y pénètre pas de manière impromptue, même quand on y habite. On s’annonce (par l’expression : at-trîg! le chemin!) et patiente quelque peu dans la sqîfa. On peut même s’y reposer éventuellement, notamment quand on est accompagné d’un invité, étranger à la famille, le temps que le chemin soit dégagée.
Avant d’entamer sqîfa, un lieu de sens, ‘Atba (seuil) la devance et qui sert à marquer le changement d’espace, mais également de statut. En revanche, le seuil peut signifier le contrat que l’on passe avec les forces de l’Invisible, également appelées Ahl-ad-Dār (litt, « Les Occupants de la Maison »). Pour Ed. Westermarck, en franchissant le seuil, la personne éprouve un certain pressentiment. Ainsi s’explique le symbolisme du franchissement de la limite qui sépare la lumière de l’obscurité et qui requiert quelques défenses magiques comme la tasmiya (le fait de dire Bismillah, Au nom de Dieu).
Les seuils sont souvent des barrières symboliques de ces ouvertures et peuvent être marqués par des prières, des incantations et des bénédictions pour s’assurer qu’une arrivée est bienveillante et protéger l’espace intérieur. La marche du seuil est aussi l’endroit où le corps d’un défunt quittant la maison pour la dernière fois est posé un instant. Souvent, une autre petite porte arrière sert à se débarrasser des ordures ménagères. Cet orifice peut être explicitement assimilé à l’anus de la maison.
- Ayn ad-dar : Un élément architectonique a attiré notre curiosité est ce trou au niveau d la toiture appelé `ayn ad-dār littéralement traduit « l’œil de la maison ». Cette ouverture aménagée au plafond des patios est, en effet, un « œil de la maison » qui regarde le ciel, symbole de la grâce et de la protection. Elle permet l’infiltration de la lumière qui est la métaphore la plus fondamentale du Coran, qui dit : « Dieu est la lumière du ciel et de la terre. »
- Les arceaux : L’arc le plus usité au Maghreb est l’arc plein ceintre outre passé ou en Fer à cheval qui symbolise la défense et la protection magiques. Il est censé éloigner le mauvais œil, la malédiction et les mauvais augures. II « déleste » les visiteurs de leurs intentions envieuses, leur aura négative. II est en outre l’un des emblèmes porte-bonheur que la culture maghrébine semble avoir.
Si l’arc, symbole de majesté, marque tous les passages, c’est que la porte possède un sens symbolique. Plus qu’un accès, c’est une limite. A la fois permissive et obstruant, la porte est l’expression d’une ambivalence du possible et de l’impossible. Elle s’ouvre et se ferme.
L’arc, le cercle, le carré et le dôme ne sont pas de simples formes géométriques produits par les contraintes technologiques, mais des « imago mundi » qui sont présent dans l’architecture ksourienne. Il ne semble pas y avoir d’immobilisme dans la forme des maisons traditionnelles à travers les époques. Nous relevons plutôt un changement continu sous une homogénéité apparente. Ces formes témoignent d’habitudes architecturales et du génie local qui expriment et perpétuent différentes mentalités propres et originales en dépit de l’empreinte profonde « uniformisation » induite par la « modernisation et la globalisation ».
Il nous paraît pertinent aujourd’hui de cesser de ne voir dans l’architecture ksourienne qu’une »Architecture de spontanéité » sans règle ni modèle. Un autre regard s’impose par lequel « Tradition » ne rime pas forcement avec « Archaïque » ou « Arriéré ». Ces établissements humains que nous voyons comme le produit d’une spontanéité se révèlent être, en fait, le produit d’une planification rigoureuse et autrement plus complexe que la planification actuelle, en ce sens où elle a pris en compte non seulement le fonctionnel mais encore et surtout ce que nous avons appelé l’immatériel.
Prenant pour point de départ la forme de la maison dans l’architecture Ksourienne, montrant comment les explications unilatérales à partir du climat, des matériaux, de la technologie, du site, de l’économie ou de la religion sont impuissantes à expliquer les différentes formes que peut prendre la maison, Nous concluons que la forme de la maison est avant tout culturelle, c’est-à-dire complexe.
Bibliographie:
* La ville et le désert: le bas-Sahara algérien par Marc Coté
* Les arcanes de la maison ksourienne entre signes et signifiants par Mustapha Ameur Djeradi ( Communication présentée aux Ateliers Méditerranéens du Patrimoine, 21 et 22 Avril 2010 à Bechar)
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