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6/29/2014

El Caïda H’lima, femme de pouvoir et stratège hors du commun

Les mythes et légendes qui continuent d’entourer la vie de Caïda H’lima démontrent que les féministes algériennes ne se sont jamais penchées sérieusement sur l’Algérie profonde, encore moins sur l’histoire sociale de ce pays. 
Et pour cause, cette légende a littéralement brisé la domination masculine, de surcroît dans un monde rural réputé pour sa rigueur quant au respect des canons et convenances. Exploit réalisé à la fin du dix-neuvième siècle et lors de la première moitié du vingtième. Sous d’autres cieux, El Caïda H’lima aurait été érigée en icône symbolisant l’émancipation de la gent féminine. Elle était une femme de pouvoir et une stratège hors du commun. Pour asseoir son rang au sein de son clan, elle a su, mieux que quiconque, manipuler et instrumentaliser les alliances matrimoniales à son avantage. Elle est une brillante illustration de la thèse avancée dans les années quatre-vingt du siècle dernier par l’anthropologue Camille Du Jardin concernant les femmes au Maghreb, attribuant à ces dernières un pouvoir exorbitant dès qu’elles atteignent la ménopause. 

Jusqu’ici, on ignore si El Caïda H’lima était alphabétisée ou non. Mais ceux qui ont eu l’occasion de voir sa signature apposée sur des documents, notamment des actes de vente ou d’achat de terrains, supposent qu’elle ne l’était pas. Pourtant, elle est la fille d’un cadi qui avait exercé notamment dans la région de Sig. Mieux, son père, Mohamed Ben Youssef Azzayani, est l’auteur d’un livre toujours d’actualité que les spécialistes consultent, puisque traduit en langue française. C’est le célèbre «Dalil Al Haran oua anis assarhan fi akhbar madinat Ouahran»


El Caïda H'lima, femme de pouvoir et stratège hors du commun dans Histoire caida_halima
Caïda Halima (source : « Oran, La Mémoire » de Kouider Metaïr)



Née en 1860 à Sig, on ignore si son affiliation avait été déterminante dans sa trajectoire personnelle. En tout cas, son étoile ne brilla aucunement lors d’un premier mariage avec un certain Maatallah avec qui elle aura une fille. C’est en épousant Ould Kadi Ali, issu d’une famille de bachaghas, que H’lima s’attribuera le qualificatif de Caïda. Précisons que ce statut est exclusivement masculin. Il y a à peine quelques mois qu’une promotion de caïdate, sorties d’une école spécialisée, a vu le jour au Maroc où le statut de caïd existe encore. Concernant H’lima, il est fort probable qu’elle s’était inspirée du cas de l’épouse du célébrissime colonel Bendaoud qui se faisait appeler madame la colonelle. Ce qui réconforte cette hypothèse, c’est le lien de parenté par alliance existant entre les Bendaoud et les Ould Kadi. Mais pour se convaincre que Caïda H’lima était une dame de pouvoir, il suffit juste de consulter des photos d’elle encore conservées par certaines familles oranaises. On la voit trôner majestueusement, avec sa tenue traditionnelle, parée de bijoux d’époque, au milieu d’assemblées d’hommes, dont des colons et responsables civils et militaires français. A son époque, elle avait sa propre voiture avec son chauffeur personnel. Son secrétaire particulier, qui n’était autre que son neveu, était comme son ombre, ne la quittait jamais. Il devait être imposant de corpulence et assistait pratiquement à toutes ses entrevues avec les autres hommes avec qui elle traitait les affaires. Il était à ses côtés notamment les jours de fêtes religieuses quand les cadis et notables de toute la région des environs d’Oran venaient carrément lui prêter allégeance. On raconte qu’elle a renvoyé de chez elle un caïd qui n’a pas su se tenir correctement en sa présence. Elle se permettait de saisir de jour comme de nuit un certain Morant, patron du bureau arabe qui faisait et défaisait les caïds. 


Habitant dans une ferme aux fins fonds des terres agricoles de la région d’El-Amria (Lourmel), elle avait son téléphone dès 1895. Pour la gestion des biens de son mari, elle avait placé deux de ses frères comme précepteurs, l’un dans la région de M’lata. En arrivant chez les Ould Kadi, elle mettra pratiquement tout le monde au pas, notamment ses beaux-frères. Quand elle s’est installée dans la région d’El-Amria, elle faisait travailler la main-d’oeuvre espagnole spécialisée dans le vignoble. S’inspirant des expériences de l’Espagne, c’est elle qui décida le morcellement de la propriété familiale en des exploitations de dix hectares chacune, entourée par des oliviers servant aussi comme brise-vent. Ses décisions se rapportant aux affaires familiales étaient incontestées, pourtant elle s’était liée à une famille de bachaghas très gros propriétaires fonciers, puisque les biens de leur arrière-grand-père étaient estimés à 13.000 hectares. Chez elle, elle disposait de toute une cour de femmes qui étaient à son service, a indiqué Sadek Ben Kada dans une conférence donnée le mois de ramadan dernier sur les femmes oranaises. Il y avait même une Espagnole qui se chargeait de ses soins corporels, a-t-il souligné. 


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Ferme de Caïda Halima



Son intuition de devoir contrôler les alliances matrimoniales pour les mettre à son profit s’est manifestée dès son mariage avec son second époux. Constatant le caractère récalcitrant du fils de son mari (d’une première couche), elle n’hésitera pas une seconde de lui donner en mariage sa propre fille, issue elle aussi de son premier mariage. De cette union naissent cinq filles qui auront ses faveurs jusqu’à la venue de Setti, une autre grande dame de l’Oranie. C’est elle qui décidera du mariage d’une de ses petites filles avec une des grandes figures de la région de Takhmart (Tiaret), le cheikh Ben Brahim. Encore une fois, le simple examen des documents iconographiques disponibles permet de constater la différence d’âge entre les deux époux et de conclure que ce mariage visait des arrangements d’une autre nature. Elle décidait de marier et de divorcer les hommes de son univers sans qu’on ose lui opposer la moindre résistance. Beaucoup d’anecdotes circulent dans ce sens. 
 El Caïda H’lima n’admettait pas qu’on lui fasse de l’ombre. Après la construction de la première mosquée à M’dina Jdida portant le nom de Cherifia, El Caïda exigea la même chose de son mari. La mosquée connue plutôt par le nom de Ben Kabou, dans le même périmètre que la première, lui était dédiée et devait prendre son nom. D’ailleurs, elle est enterrée dans cette mosquée. Or, le cimetière dit «Moul Eddouma» appartient aux Ould Kadi qui disposaient d’un autre cimetière familial à El-Amria. C’est probablement elle qui a insisté pour qu’elle soit enterrée dans la mosquée par imitation aussi de Cherifia. Ce qui est établi, c’est que vers la fin des années trente, elle a été à La Mecque, avec toute une suite bien évidemment. Elle avait perdu son époux en 1933. Atteinte de diabète, elle mourut en 1944. 


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La maison de Caïda Halima à Saint-Antoine (© Khaled Kedjar)



On ne lui connaît pas d’engagement politique, contrairement à sa fille Setti et à Kheira Bendaoud qui se chargeront quatre ans après de ramener les gosses orphelins des événements de Sétif et Kharrata et de les placer au niveau des familles oranaises. El Caïda H’lima était inscrite dans la temporalité. Elle s’est fait construire à l’identique deux superbes demeures: l’une à Oran dans le quartier de Saint Antoine et la seconde au niveau de la wilaya de Témouchent. Une rue d’Oran porte son nom qui continue de corroborer mythes et phantasmes. Sa trajectoire reste à découvrir. Dans ce cadre, les responsables ont évoqué la construction d’un musée où on pourra exposer notamment ce qui reste de ses objets personnels que détiennent certaines familles. Un premier pas pour restaurer la véritable dimension de cette dame, devancière de plusieurs décennies celles qui se sont réclamées du féminisme… d’importation.







Source: 

* Article de Ziad Salah publié le 27 mai 2009 dans le quotidien d’Oran.
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