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5/07/2013

La Numidie entre deux mondes

Le grand aguellid Massinissa va mourir ; Carthage sera détruite peu après ; la paix règnera encore entre la Numidie -déjà moins indépendante- et Rome jusqu’en 111 av. J.-C. ; Après la résistance musclée que Jugurtha opposera, pendant six ans, aux ambitieux romains, le royaume numide sera vassalisé mais pas encore soumis à une vraie domination de la part du futur grand empire…

Longtemps après la fin de Carthage, l’influence punique (grecque également) jouera un role important sur la vie des Numides. Le demi-siècle de règne du Grand Aguellid Massinissa, commencé par l’annexion de la Numidie masaesyle du roi Siphax, avait abouti à l’extension du pays à l’Est (petite Syrte et quelques ports de la grande Syrte) et au Sud, aux limites du pays des Gétules ; toutes régions orientales gagnées l’étaient sur la puissance carthaginoise soumise depuis la deuxième guerre punique à un interdit absolu de conduire des opérations militaires, même défensives. C’est au cours d’une des nombreuses agressions commises par les Berbères de l’aguellid que le déclenchement de la troisième et dernières guerre entre Rome et Carthage eut lieu, il faut dire que les Carthaginois, excédés, avaient osé se rebiffer. Mais, si Carthage connaîtra la destruction et la ruine en -146, le roi numide mourra deux ans plus tôt, laissant trois héritiers légitimes. N’ayant pas eu le temps de régler le problême de sa succession, c’est le général romain Scipion Emilien qui s’en chargera. Plutôt qu’introniser l’aîné, Miscipsa, il préfèrera partager (donc démembrer) le pouvoir royal en trois domaines ; Miscipsa à l’administration, Gulussa aux armées et Mastanabal à la justice.
Jusque-là, ces ancêtres des Algériens qu’étaient les Numides avaient préservé leur indépendance, mais sous surveillance de Rome (Gilbert Meynier). Cependant, bien après la fin de Carthage l’influence punique restera culturellement forte. Le royaume numide avait symboliquement reçu des Romains ce qui restait des riches bibliothèques puniques ayant échappé à l’incendie final de la ville. Par contre, Rome qui s’était toujours méfiée d’une montée en puissance des Berbères, Maures compris, se devait de contrôler le détroit de Sicile, si bien que le sénat vota pour l’occupation des territoires perdus par Carthage et légèrement au-delà. Rappelons aussi que les agronomes puniques avaient, grâce à un talent remarquable, mis en valeur les terres arides de la future Tunisie. Ce qui devient alors la province romaine d’Afrique sera délimité par la Fossa regia, établie un peu plus à l’Ouest que les anciennes fosses phéniciennes. La ligne de démarquation partait, on pense, de l’embouchure de l’oued el Kebir et s’enfonçait vers le Sud pour terminer quelque part  à l’Est.
Depuis 123 av. J.-C., Rome avait tenté, en vain, d’installer une colonie de citoyens romains dans la nouvelle ville qu’elle venait de faire bâtir aux abords de l’ancienne cité rasée. La Colonia Juniona Carthago périclitera rapidement par désolidarisation de ses membres et sera abandonnée. Tous avaient réussi à capter les terres environnantes dans une spéculation effrénée et avaient fini par monter leurs propres domaines agricoles. Il faudra attendre l’avènement de Iulius Caïus Caesar (Jules pour les intimes) pour en voir une autre reconstruite à la romaine cette fois-ci. Sa Colonia Iulia Carthago ne changera de nom pour s’appeler Tunis (Tounous) qu’à partir de la conquête arabe, au VIIème siècle ap. J.-C.
Revenons à la mort de Massinissa (-148) dont je rappelle le lien fort qu’il avait avec Rome par le biais de Scipion Emilien. La Capitale romaine envoie donc le général (qui n’a rien à voir avec Scipion l’Africain) pour imposer non pas le partage du royaume en trois ni pour désigner l’aîné comme nouvel aguellid, mais, de préférence, pour entraîner une scission du pouvoir et ainsi le contrôler plus aisément. On devine parfaitement les arrières pensées qu’entretient Rome pour garder une forme de suprématie sur la Méditerranée -car il ne s’agit pas encore de domination. Le temps va passer sans anicroches entre les deux civilisations ; la Numidie est en pleine expansion économique et son agriculture, érigée en système de domaines coopératifs, produit du blé pour Rome, de grandes quantités en fait. Pour la cité romaine, en pleine explosion démographique, les terres de Sicile qu’elle a annexé auparavant et celles de la provine d’Afrique ne suffisent plus à assurer des besoins toujours croissants pour sa population. Lorsque Miscipsa se retrouve seul après la mort de Mastanabal et de Gulussa, il devient le nouvel aguellid des Numides. Le royaume lui appartient mais il est fort âgé et n’a pas connu la gloire des anciens dynastes, la paix ayant régné durant plus de trente ans. Il aurait pu nourrir des ambitions d’hégémonie pour sa nation, la rendre plus célèbre dans le lointain futur, mais il préfèrera fidéliser son alliance avec Rome qui se répend un peu partout. Installé paisiblement dans sa capitale Cirta, il se consacrera entièrement à l’art et à la culture - l’héllènisme et le punique l’ont largement inspiré - mais de ce point de vue là, Rome se fait déjà sentir.
A l’inverse, pourquoi Rome n’a t-elle pas commis sa conquête du Maghreb tout de suite plutôt qu’après ? En vérité, rien ne pressait pour elle au sud de la botte italienne, militairement parlant tout au moins. Pas de menace flagrante a priori ; bien au contraire nous l’avons vu. Les trois frères, puis Miscipsa seul, fournissaient même des contingents militaires legers et lourds pour assister les Romains dans leurs guerres de conquête de l’Hispanie et d’ailleurs (Ilyrie, Macédoine et Grèce). Au Nord, dans la vallée du Rhône, Cimbres, Teutons, Celtes compris, agressaient fréquemment la Gaule narbonnaise que Rome occupait déjà. Il fallait aussi défendre la frontière Nord de la Gaule cisalpine (Nord de l’Italie) également soumise par Rome. La république ne disposait pas encore de suffisamment de troupes pour lever de nouvelles légions et se trouvait contrainte de recruter des mercenaires italiques ou parmi les étrangers. Le coût était un frein à toute ambition. Même la guerre que menera Jugurtha durant six ans contre les cohortes romaines ne déclanchera pas l’invasion de toute l’Afrique du Nord. Par contre, parce que Jugurtha fut le funeste perdant, la Numidie, pas encore sous domination stricto sensu, devint pour la première fois la vassale des Latins.
Jugurtha, que nous retrouverons au prochain article, est un héros de légende pour nombre d’Algériens. Si Massinissa passe aujourd’hui pour le grand unificateur et initiateur de progrès de la future Algérie, Jugurtha fait figure de résistant contre l’étranger conquérant et envahisseur. On retrouvera ce caractère fort trempé chez le Berbère en général, bientôt avec Tafarinas, bien plus tard avec la Kahena, reine des reines pour tous les Algériens. Mais comme Jugurtha, cette diva de l’Antiquité berbère ne saura pas empêcher la domination arabe d’abord, islamique à partir du Xème siècle quand la tolérance au christianisme autochtone s’éteindra peu à peu. Son histoire, bien qu’on n’en sache rien d’officiel, plutôt nourrie par divers romans aux points de vue polémiques, clôturera mon histoire sur la jahiliyya algérienne. Mais attendons encore quelques siècles…
ANNEXE
Massinissa contre Carthage
En Afrique, Massinissa, voyant les nombreuses villes établies sur les rives de la Petite Syrte, aini que l’opulence de la contrée appelée les Emporia, convoitait depuis longtemps les importants revenus que procuraient ces pays. Il avait entrepris, peu avant l’époque qui nous occupe ici, de les enlever aux Carthaginois. Il se fut rendu maître du plat pays, car, en rase campagne, il était le plus fort, du fait que les Carthaginois, qui avaient toujours répugné à faire la guerre sur terre, étaient complètement amollis par de longues années de paix. Mais il ne parvint pas à s’emparer des villes qui étaient bien gardées. Les deux partis portèrent leur querelle devant le Sénat, auquel ils envoyèrent à plusieurs reprises des ambassadeurs. Chaque fois, les Carthaginois voyaient leur thèse rejetée par les Romains, non pas qu’ils fussent dans leur tort, mais parce que leurs juges étaient persuadés qu’il était de leur intérêt de se pronomcer contre eux. Pourtant, quand Massinissa lui-même, peu d’années avant, poursuivaient avec des troupes le rebelle Aphter, il avait demandé aux Carthaginois l’autorisation de traverser le pays en question, mais ceux-ci, estimant qu’il n’en avait aucunement le droit, la lui avaient refusée. Néanmoins, à l’époque où nous sommes arrivés, les Carthaginois ne purent plus faire autrement que de s’incliner devant les sentences rendues à Rome. Ils durent non seulement abandonner le pays et les villes qui s’y trouvaient, mais encore verser une somme de cinq cent talents, correspondant aux revenus qu’ils en avaient tirés depuis le début du conflit.
Polybe, Histoire, XXXI, 21. Collection de la pléïade, Paris, 1970, pp 1098-1099.

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