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4/14/2020

MÉMOIRE: IL ÉTAIT UNE FOIS LA PESTE À ORAN



Présentée par Albert Camus dans son mythique ouvrage ‘’La peste’’ paru en 1947, comme une ville morne qui a tourné le dos à la mer et où il n’y avait in arbres ni oiseaux, Oran la millénaire fut comptoir phénicien, puis ville romaine, refuge de corsaires, cité espagnole, puis bourg ottoman avant de devenir la plus française des villes du sud de la méditerranée.

Touchée en cet hiver 2020 par la pandémie COVID 19, la population y observe le confinement et scrute les écrans à l’écoute des nouvelles des cas de coronavirus et des distributions de semoule !

On parle du premier cas de Corona dans la ville, des 600 voyageurs confinés dans des hôtels, de l’ouverture d’une annexe de l’Institut Pasteur et d’autres clameurs et rumeurs des réseaux sociaux.

Certains citoyens déterrent la mémoire de la ville et redécouvrent sa riche histoire qui a inscrit en lettres de sang des épidémies désastreuses, la peste étant la plus indélébile.


Oran 1557, la peste et la domination espagnole.


Les récits des voyageurs de l’époque qui parcouraient l’Afrique du Nord rapportent que la ville, cité portuaire et commerçante prospère sous domination espagnole, fut frappée par la peste en ce milieu du 16e siècle. Plus de la moitié de la population fut décimée par ce fléau face auquel aucune médication ne pouvait faire barrière.
La ville fortifiée était sous la poigne du gouverneur, le comte d’Alcaudéte, dont l’administration était préoccupée par le sauvetage de l’armée espagnole d’occupation et la protection des élites citadines proches de la puissance coloniale. 
Les soldats de la garnison furent sortis de la cité fortifiée. L’armée espagnole se déploya en cercles concentriques autour de la ville avec des campements mobiles sur les flancs de coteaux et un hôpital de campagne au pied du mont Murdjadjo. 
La population autochtone subit alors la propagation fulgurante du fléau qui toucha en profondeur la campagne et les coteaux de l’ouest algérien. Des milliers de femmes et d’enfants succombèrent à la fièvre pestilentielle, même le sultan déchu Moulay El Hassan fut emporté par la maladie. La peste sévit durement pendant plus de 6 mois, les milliers de morts étaient sortis de la ville fortifiée vers le bas quartier de la Marine et aux lieux dit Rrhi ( Les moulins) et des jardins de Ras El Ain .

De cette époque tragique Oran, l’indolente ville méditerranéenne fondée dans les premières années de 10ème siècle (902) garde une mémoire trouble, une littérature orale en bribes de récits héroïques et de légendes, des poésies pastorales pleurant les tribus décimées et le «Cimetière des pestiférés» classé dans l’inventaire des monuments historiques que recèle la cité de Sidi El-Houari. A la fin du 18ème siècle c’est le cholera qui mit la main sur Oran ! La population dans ses croyances religieuses de l’époque érigera la Sainte vierge de Santa Cruz, en totem protecteur sur les hauteurs du Murdjadjo

La peste sous l’occupation turque

Oran, occupée par les turcs de 1708 à 1732, fut reprise par les Espagnols jusqu’au tremblement de terre de 1790 qui vit leur départ définitif. La ville qui, selon les démographes de l’époque, comptait alors près de 9000 âmes, fut réoccupée par les Turcs jusqu’à l’arrivée des Français. Le 4 janvier 1831, quand le général comte Charles-Marie Denys de Damrémont, chef de l’expédition, entra dans Oran. La population fut estimée en 1831, à 18 000 habitants. Oran portait encore les stigmates du tremblement de terre de 1790 qui l’a en grande partie détruite. 
La famine conséquente à une période de forte sécheresse frappa en 1793 ! 
Au terme de cette disette, un épisode de peste fit des ravages dans la population recomposée après le départ des Espagnols et le séisme de 1790. En 1794, des pèlerins revenus de la Mecque ramenèrent la bactérie et le fléau repartit de plus belle ! 
Il s’éteignit après avoir emporté des milliers d’âmes. Vingt ans plus tard, la peste revint fulgurante, moins durable que les précédentes. Cette épidémie de 1817 balaya tout l’ouest algérien. 

La poésie pastorale portée par le chant bédoui, garde en mélodies langoureuses le désastre de cet épisode pestilentiel implacable qui emporta des tribus entières. La peste fait partie de ces maladies gravées dans la mémoire collective parce qu’elles ont semé la terreur durant des siècles. Depuis le début de l’histoire humaine, plusieurs épidémies de peste ont causé plus de 200 millions de morts dans le monde.

La peste camusiènne des années 40

La peste bubonique survenue à Oran durant l’été 1945, après la seconde guerre mondiale, fut très légère, pratiquement sans impact retenu par la mémoire collective régionale. 

Cet épisode a néanmoins offert à Albert Camus l’opportunité de dérouler son récit dans cette ville qu’il a préféré à Alger, où il eut une sérieuse épidémie en 1944. André Malraux rapporte que Camus l’avait informé le 3 mars 1942, de son chantier d’écriture d’un roman sur la peste lui confiant que « c’est bizarre, mais dit comme cela, le sujet me parait si naturel « . La fiction qui se déroule dans les années 1940, fait totalement abstraction de la guerre mondiale. 

Elle a pour théâtre Oran, deuxième préfecture de l’Algérie française, une ville que Camus n’aime pas particulièrement comme il en ressort de son récit. Les thèmes centraux sont la mise à l’épreuve collective et la mort inattendue face à un terrifiant fléau incontrôlable. Viennent s’y greffer la crainte du handicap et de la maladie, la souffrance dans la solitude, la séparation et l’exil. Les personnages sont tous masculins. Rieux, le médecin narrateur, figure sociale principale, et son ami Tarrou, sorte de philosophe solitaire, ont à leurs cotés Rambert le journaliste parisien coincé à Oran, Paneloux le prêtre et son fatalisme religieux, Grand le fonctionnaire municipal déshumanisé, Cottard le trafiquant et Othon le juge. 

Il n’y a pas de personnages centraux féminins, tout comme il n’y a aucun Arabe dans le récit de 350 pages structuré en cinq parties inégales. Les rôles attribués aux rares femmes sont classiques, elles incarnent la patience, la douleur, voire la résignation. La population n’a pas d’identité particulière, c’est un tout évoqué collectivement. 

Elle passe de la peur, aux tentatives d’émeutes, ensuite à l’abattement, dans une sorte de consentement éphémère, qui mue avec l’épidémie entre panique et espoir. Les autorités, timorées au début à l’image du préfet, craignant d’affoler la population se ressaisissent et organisent le confinement et l’approvisionnement de la ville. Tout comme au 18e siecle, elles envisagent de dresser un monument à la mémoire des pestiférés. Le récit narre en chronique la vie quotidienne d’une population indifférenciée pendant une épidémie de peste. Le sujet totalement fictionnel serait une analogie avec le fascisme et le nazisme.

Le retour de la peste en 2003

Oran avait oublié la peste disparue durant toute la période coloniale française ! L’institut Pasteur d’Alger l’a bien noté ! La voilà qui refait sa réapparition en juin 2003 ! Entre le 4 et le 18 juin 2003, 10 cas de peste bubonique sont apparus à trente kilomètres d’Oran, dans la localité de Kehaïlia, village de 1 200 personnes, relevant de commune de Tafraoui. Le premier cas signalé, un garçon de 11 ans, décède malgré les soins d’urgence ! Les habitants sont mis sous traitement préventif. Le village est fermé, en quarantaine pour 12 jours et une campagne de désinsectisation est menée intra-muros et alentour. L’enquête n’identifiera pas l’origine exacte de l’épidémie. S’agit-il d’une bactérie enfouie sous terre (gisement tellurique) comme cela fut le cas pour le tétanos ? Quatre autres cas des communes de Mascara et d’Ain Temouchent, limitrophes d’Oran se rajoutèrent aux dix premiers. Les mesures de traitement médical furent prises. L’épidémie enrayée.

Demain la peste !

Tant que l’environnement demeurera dans l’état de saleté avancée, la peste reviendra, tout comme les autres maladies ! La prolifération de l’habitat précaire, les égouts à ciel ouvert, la gestion aléatoire des déchets ménagers, l’absence de campagne de dératisation et de désinsectisation participent directement à l’apparition de la peste. Le ramassage des ordures est devenu un problème, il ne se fait plus régulièrement. Les décharges sauvages à l’entrée des villes et villages, créent des vecteurs de nuisances tels qu’insectes, chiens et chats errants, rongeurs porteurs de maladies. L’eau est une autre préoccupation des habitants de la plupart des régions du pays. Cette calamité fait suite à une multitude de catastrophes qui a frappé le pays, à savoir, en 2002 la tuberculose avec 18328 cas, la typhoïde avec 2411 cas et la méningite avec 2579 cas, en plus des maladies à transmission hydrique avec en moyenne 8125 cas par an. Les conditions de malvie liées à la pauvreté créent des environnements propices à la diffusion de la maladie.

Concluons avec Albert Camus qui fait parler Rieux le personnage principal de son livre, en ces termes : ‘’Que le bacille de la peste ne meure ni ne disparaît jamais (…) qu’il attend patiemment dans les chambres, les caves…

Et que, peut-être, le jour viendrait où, pour le malheur et l’enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse ». Le Covid19, après le MERS d’Arabie et le SARS de Chine, n’est elle pas une forme de peste moderne ?

PAR ALGÉRIE INFOS

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