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5/07/2018

Mustapha Zitouni. de l’équipe de France de football à l’équipe du FLN «Que reste-t-il de nos souvenirs ?»


Le 15 avril 1958, les meilleurs footballeurs algériens du championnat de France quittent la métropole pour former ce qui deviendra la fameuse équipe du FLN.
A l’hôtel Majestic de Tunis où ils ont élu domicile, les joueurs se préparent déjà à affronter l’équipe du pays hôte. C’est le début d’une longue équipée. Boumezrag et ses hommes vont alors sillonner les continents pour porter haut la voix de la Révolution. Dans le groupe, Mustapha Zitouni, arrière central de l’équipe de France, sans doute le meilleur à son poste, fait ses adieux à la Coupe du monde que les Tricolores vont disputer en Suède. Il a conscience de la gravité de son geste, mais il a choisi son camp, et rien n’indique aujourd’hui qu’il regrette sa décision.
Au contraire, le joueur en tire un certain orgueil dès lors qu’il considère cette étape comme l’une des plus importantes de sa vie. «Si c’était à refaire, je le referai sans l’ombre d’un doute, car lorsque Bentifour et Boumezrag m’avaient contacté à Monaco en pleine gloire, j’ai estimé que je devais accomplir mon devoir sans regarder le rétroviseur.» Pourtant, quel bel horizon s’ouvrait devant ce talentueux défenseur chouchouté par toute la France et qui a eu le culot de détrôner, en équipe de France, le grand, «l’empereur» Robert Jonquet du Stade de Reims.
Le dernier match des Bleus auquel a pris part Zitouni, son coéquipier de l’équipe du FLN, Mohamed Maouche s’en souvient comme si c’était hier. «C’était en 1957, au Parc des Princes. J’y étais. La France affrontait l’Espagne et Mustapha avait subjugué les foules par sa classe.
A telle enseigne qu’à la fin du match, Di Stefano, meilleur joueur du monde, qui n’en a pas touché une durant la partie, est venu le féliciter et lui proposer de porter les couleurs du Real Madrid.» Mais ni le chant des sirènes ni la griserie de la gloire, encore moins la folie des grandeurs n’ont pu ébranler les convictions du jeune Mustapha, qui se résoudra à endosser le maillot vert et blanc de l’Algérie, frappé du croissant et de l’étoile, dont il a fait connaître la juste cause à travers le monde.

Tout a commencé à Notre-Dame
Né le 19 octobre 1928 à Notre-Dame d’Afrique, à Alger, Mustapha est issu d’une famille modeste. Comme tous les enfants de l’époque, il fit la connaissance du sport dans le quartier qui l’a vu naître, chemin de Carmel à «Madame l’Afrique». Un de ses vieux amis se rappelle qu’«il n’a pas suivi le chemin classique en passant par les catégories d’âge. En réalité, Mustapha est venu sur le tard au football, où son incorporation à l’OMSE s’est faite sans aucune transition. Ses galons gagnés en juniors deuxième année, il fit merveille en équipe fanion, où il s’imposa comme titulaire indiscutable dans le dispositif mis en place par le regretté El Kamal».
Pourtant, à Saint-Eugène, ce n’étaient pas les talents qui manquaient à l’époque, avec des joueurs doués comme Boubekeur, Maouche, Zouba, Defnoun, Abdallah... Maouche qui l’a beaucoup côtoyé témoigne : «Sincèrement, on a rarement vu un joueur de la trempe de Zitouni. C’était le roi de l’interception. Jamais il ne commettait de faute sur l’adversaire et ses interventions étaient marquées du sceau de l’élégance. Il a une technique en mouvement exceptionnelle et une vision du jeu extraordinaire.
A Cannes, où il a signé sa première licence pro en 1953, il a été l’un des premiers défenseurs à monter en attaque, alors que les arrières à l’époque étaient tenus de ne pas quitter leur camp.» D’autres témoignages élogieux sont distillés, sans complaisance, par des journalistes français de l’époque, qui ont consacré à Mustapha les hommages qu’il mérite.
Albert Batteux, entraîneur français de renom, même contrarié par la défection de Zitouni en 1958, n’en a pas moins gardé l’image «d’un footballeur doté de qualités exemplaires et qui était quelque part en avance sur ses équipiers». Un autre coach, bien de chez nous celui-là, Khabatou, pour ne pas le nommer, le patriarche du foot
algérien, comme certains aiment affectueusement l’appeler, a eu ces mots forts pour Zitouni : «C’est l’intelligence du football.»

L’adieu à la Suède
Pour qui connaît le vieux technicien du MCA et sa sévérité, cette appréciation prend l’allure d’un compliment méritoire et mérité... En tout cas, les connaisseurs apprécieront. Abdelkader Aouissi a eu à arbitrer à maintes reprises Zitouni. Il garde le souvenir «d’un gentleman sur le terrain qui nous facilitait la tâche par sa correction et son comportement exemplaires. Je ne me rappelle pas avoir vu un arbitre lui brandir un quelconque carton ou lui infliger un avertissement. Sa forte personnalité et son caractère trempé déteignaient sur ses coéquipiers», reconnaît-il.
Face à cette gerbe de louanges, notre homme reste serein, avec cependant cette propension à triturer le souvenir.
Mustapha peut vous raconter à satiété la belle épopée de 1958, le départ précipité, les manchettes de journaux, les lendemains de la fugue, la solidarité de groupe à Tunis, le Mondial 1958 en Suède... Est-ce sa manière à lui de conjurer le sort ? Nul ne le sait. Cette époque mouvementée et fertile continue de bercer les souvenirs de Mustapha, qui reste persuadé que «l’Algérie avait une équipe exceptionnelle qui aurait pu gagner la Coupe du monde en 1958».
Pas moins que ça... Est-ce son tempérament de battant et de gagneur qui l’autorise à une prospective aussi osée ? Sa sœur cadette Selena, qui vit toujours dans la maison familiale, nous a raconté les bons et mauvais moments passés ensemble.
Elle nous parle respectueusement des dons de son frère dans le domaine du sport. «Il s’est mis au basket d’abord, avant de jeter son dévolu sur le football qu’il n’a plus quitté. Je pense qu’il avait des prédispositions pour ce sport qu’il a su honorer avec les résultats que l’on sait. Il aurait pu aspirer à une vie douillette et tranquille, mais il a préféré les défis en optant pour une cause juste qui a fini par triompher», suggère-t-elle avec assurance. Le ton de Selena devient plus grave lorsqu’elle évoque l’attitude changeante des gens. «Ils lui ont fait un jubilé. C’est bien, mais Mustapha, sans forfanterie, méritait largement mieux.
Par exemple, un grand tournoi avec de grandes équipes organisé par les autorités sportives, à la mesure du talent de Mustapha et des grands sacrifices qu’il a consentis au service du football et de la patrie», note-t-elle avec une pointe de regret. Selena a horreur des promesses non tenues et il se trouve que dans ce registre, elle a été flouée. Elle explique qu’à l’occasion du dernier jubilé consacré à son frère, des gens importants sont venus à la maison et ont constaté l’état de délabrement de la demeure famillale suite aux inondations de 2001.
«Des promesses m’ont été faites pour réhabiliter l’habitation, mais depuis je ne vois rien venir. Mustapha, qui n’a pas de pied-à-terre à Alger, avait l’habitude de
venir à la maison durant ses séjours. Or, depuis quelques mois, il est obligé d’aller chez des amis ou des parents», confie-t-elle.

Son nom est lié au RCK
Quand il est à Alger, il ne manque pas de se rendre dans sa deuxième famille, à Kouba, où les Aït Chegou, par exemple, le considèrent comme l’un des leurs. C’est là qu’il a fait les beaux jours du club banlieusard avec les Amirouche, les cinq «frères» Aït Chegou, le regretté Mauro, Benyahia, Haddadi Touta et les autres.
Mustapha classe la période koubéenne parmi ses meilleurs souvenirs. «J’ai participé à la montée du RCK avec lequel j’ai disputé une finale de coupe d’Algérie mémorable au stade El Annasser, perdue face au grand Chabab de l’époque. Il y avait en plus un match dans le match à travers le duel que j’ai livré à Lalmas au summum de sa gloire. Les anciens s’en souviennent.» Avant le RCK, il avait entraîné l’OMSE dans l’euphorie de l’indépendance.
Lui, il voulait renouer avec le football pro, mais sa prise de position pendant la Guerre d’Algérie lui vaudra des représailles, puisqu’en 1962 la Fédération française de football refusa de lui délivrer une licence.
Les Français n’oublieront jamais le «coup» qu’il leur a fait avec ses frères avant le Mondial suédois. Mustapha met définitivement un trait sur le football tricolore, rentre au bercail et continue à jouer à un haut niveau jusqu’à l’âge de… 46 ans ! Ce qu’il n’aime pas par-dessus tout ? L’ingratitude. Les traits de son visage trahissent la douleur contenue face à des gens qui, après l’avoir encensé, se détournent lorsqu’il leur fait part de ses déboires et ennuis. Et on verra par la suite que, hélas, il n’en a pas manqué… Continuons à l’entretenir du football cette passion qui lui colle à la peau et dont il n’est pas près de se séparer.
Dites-lui de vous faire part de l’état des lieux du foot algérien et voilà qu’il vous dresse un tableau pas du tout reluisant. «Le foot a beaucoup régressé en Algérie à cause d’une instabilité chronique et cyclique, mais aussi en raison d’une politique qui ne fait pas la part belle aux jeunes. Sans assises, on ne peut rien faire, encore moins inverser la pyramide comme ça a l’air d’être le cas actuellement», dit-il, amer, sans aller trop loin dans le raisonnement, lui l’observateur lointain mais avisé.
«Qui n’avance pas recule, dit-il ; alors que les autres nations font des avancées spectaculaires, nous restons dans nos schémas étriqués.» Il se réfère à la Coupe d’Europe qu’il suit assidûment à la télé.
«Comment un mordu comme moi peut-il se passer d’un tel spectacle ? C’est un jeu d’une autre dimension. Quand je vois ce qui se passe chez nous, je mesure le fossé qui nous sépare des grandes nations. Il faut travailler, travailler. Moi, avant d’arriver au sommet, j’ai dû trimer…»
Une manière aussi de dire que le football doit être l’affaire de tous ceux qui l’aiment et pas seulement de ceux qui en vivent. Les pages tournées ne doivent jamais être oubliées, dit-on. Nostalgique et rêveur, Mustapha a traversé des périodes difficiles. Ce qu’il n’a jamais osé dire, d’autres le feront pudiquement à sa place.
Le drame familial qui l’a secoué a rompu brutalement le fil des jours heureux. Cela l’a inévitablement changé. Dans l’adversité, nous dit un de ses anciens compagnons, il s’est battu avec courage et dignité aux côtés de son épouse Ghislaine qui partage sa vie depuis plus d’un demi-siècle. A la retraite à Nice, après de loyaux services à Air Algérie, il ne s’est pas départi de sa démarche altière, mais le moral n’est pas le même. Lui qui a réussi à dompter tous ses adversaires a dû se résigner devant le mal qui le ronge et qui s’est attaqué au point sensible qui est sa raison d’être : la mémoire.
Car, soudain, c’est toute une époque enfouie qui est pulvérisée. Mais Mustapha, comme lors des jours fastes, tente de dépasser ces contingences avec la force de sa foi, même si on n’est pas maître de son destin. La vie de Zitouni, faite toute de paraboles, en est peut-être un exemple édifiant. Il finira par céder face à la Faucheuse le 5 janvier 2014 à Nice des suites d’une longue et éprouvante maladie.
 

Parcours :

Naissance en 1928 à Alger. Sa carrière sportive débute en 1945 à l’Olympique musulman saint-eugénois. De 1948 à 1951, il s’engage pour 3 ans dans l’armée, joue en équipe militaire et remporte le doublé. Durant cette période, il est transféré à l’Institut national des sports de Paris. Il participe aux Jeux olympiques d’Helsinki en 1952.
En 1953, il est sollicité pour la première fois par un club pro, Cannes en l’occurrence. En 1954, il joue dans la sélection d’Afrique du Nord. Dans la même année, il est transféré au club de la Principauté avec un contrat de 4 ans.
Quatre sélections en équipe de France A (Belgique, Hongrie, Angleterre et Espagne). Sélectionné en équipe de France pour la Coupe du monde de Suède (1958). 1958-1962, défenseur central de l’équipe du FLN. A l’indépendance, il est joueur-entraîneur à l’OMSE. 
De 1963 à 1972, il joue le même rôle au RC Kouba. Finaliste de la coupe d’Algérie en 1966 (RCK-CRB).
Hamid Tahri

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