Aïn Séfra, est-ce une source jaune à qui les premiers occupants donnèrent cet éponyme en s’inspirant de la couleur de la dune d’où elle surgit ? Ou est-ce qu’il y a là quelque chose de surnaturel ou de sacré ?
On a tenté d’expliquer qu’il s’agit plutôt d’Aïn Essafia prônant la limpidité que lui procure certainement la dune-filtre qui s’étale le long du djebel Mekter de l’Atlas Saharien qui l’a nourrie le long des millénaires. Il y a là un mystère et tout mystère est séduisant.
On ne connait que peu de choses de la période d’avant l’arrivée d’Ouled Sidi Boutkhil, fondateurs du ksar, et à ce niveau, posons-nous quelques questions. Qui est Sidi Boutkhil ? Un descendant de Sidi Abdelkader Djilani, né à Zemmora (wilaya de Relizane) en 1480 et mort en 1563, appartenant à l’ordre de la quadyria, formé par des maitres dans les zaouate de Zemmora et de Sidi Lahouari, que la vocation mystique allait destiner dans le Sud-ouest des Hauts Plateaux à Rba (wilaya d’El Bayadh) où il s’installa vers 1515 et y vécut jusqu’à sa mort.
Dans ce ksar, il exerça son activité d’enseignant et fut fortement intégré : il y forma une centaine d’adeptes dans la zaouia de quadyria et scella l’alliance avec les Boubekri en accordant la main de sa fille Keltouma au fils de Sidi Slimane Ben Bousmaha, le futur Sidi Ahmed El Mejdoub de la tribu des Chadelya.
Ce mariage allait bouleverser les rapports entre ces deux familles à cause du puits de Hassi Labiad promis comme dote de mariage, revendiqué par les frères du mari et non cédé. Mais après la mort de Sidi Boutkhil et du mari (1571), le conflit qui s’était apaisé jusque-là grâce aux multiples interventions de Sidi Boutkhil resta latent et la torche du puits ne s’était jamais éteinte. Elle ne s’éteindra qu’après quatorze années de conflit ouvert entre les Boubekri et Ouled Sidi Boutkhil tel que nous le rapporte Kitab En Nassab de Khelifa Benamara (1).
Des lieux chargés d’histoire
Vaincus, ces derniers laisseront la zaouia aux disciples et émigreront à l’Ouest où ils seront recueillis par leurs amis, les Béni Amer, amis de longue date. C’est à Aïn Séfra qu’ils s’installeront en achetant à cette tribu contre 1000 moutons les terres des berges de l’oued Breidj sur douze kilomètres allant de Skhouna à Ressaf. Cette réserve foncière allait changer la vocation du lieu et transformer leur activité de nomades en activité sédentaire de paysans-citadins.
De splendides jardins allaient naitre que l’on peut observer aujourd’hui en se baladant le long de cette dune. Ainsi, ce sont donc les fils de Sidi Boutkhil qui ont fondé le ksar et non Sidi Boutkhil lui-même. C’est ainsi qu’il y a lieu de comprendre que le mausolée de Sidi Boutkhil, devenu depuis le saint patron de la ville, a été érigé en sa mémoire et est donc à considérer comme un cénotaphe puisqu’il n’héberge pas sa tombe, celui-ci ayant été enterré à Rba et ceci même si deux sépultures familiales y sont hébergées.
Aussi, il y a lieu de se demander si Aïn Séfra n’est pas plus ancienne ? Le lieu n’était-il pas habité auparavant? Tout ce qu’on peut dire sur la toponymie d’Aïn Séfra, c’est que le ksar n’a pas une consonance amazigh comme les autres appartenant aux monts des ksour mais bien une consonance arabe et qu’à ce titre il est récent. Et l’on peut conclure que la ville refuse pour l’instant de donner son âge.
Les Ksours de la baraka
Aujourd’hui, on peut constater que le ksar a été amputé des trois quarts de son espace. Non, ce n’est pas à cause de la guerre de libération nationale qui l’a épargné même si elle n’a pas épargné les maisons de «fellaga» mais à cause des inondations de 1964 qui l’ont durement affecté et qui ont entrainé les démolitions de 1978, opérées avec la connivence d’une administration des travaux publics chargée à l’époque de l’urbanisme et une djemaa inconsciente toutes les deux du préjudice qu’elles allaient causer au patrimoine de la ville. Il n’en reste plus grand-chose aujourd’hui.
Seule la maquette élaborée par un artiste, M. Djardini Mohammed, grâce au soutien du géographe feu Mekkaoui Mohammed, natifs tous les deux de ce ksar, expose assez fidèlement le plan ou le corps du ksar et l’on peut y voir sa morphologie et deviner quelques aspects de la vie de nos aïeux. Que reste-t-il aujourd’hui du ksar et de Sidi Boutkhil ? Un espace à conserver et à valoriser et certainement une célèbre phrase qu’il aurait dite à Arba et que ses fils reprirent certainement comme recommandation pour peupler Aïn Séfra : «Quiconque passe une nuit dans ma cité, sera considéré comme l’un de mes enfants».
Voilà une délicate phrase qui donne à réfléchir et que chaque Séfraoui devrait retenir ; c’est presqu’un proverbe qui décrète une attitude et met en perspective l’urbanité ; elle est toute hospitalité, bonté et bienveillance. Seule la sagesse d’un mystique, rodé au partage et à la pauvreté et débarrassé de toute préoccupation matérielle, pouvait émettre une phrase d’une telle intensité de chaleur et d’humanisme qui annonce une règle à suivre prônant la quiétude et augurant le «vivre ensemble».
Cette phrase est à méditer car de nos jours où tout pouvoir où qu’il soit et à quelque niveau qu’il soit dans ce monde divise, Sidi Boutkhil nous donne du fil non pas à retordre mais à tisser, tisser la toile ou tisser la ville et donner du sens à la vie loin du tribalisme qui nous a jusqu’à présent mené à la dérive et qui continue de nous ronger encore et de nous empoisonner la vie. C’est là le secret de sa baraka, une valeur sûre du patrimoine immatériel.
(1) Kitab En Nassab Echarif Khelifa Benamar, Edition Maktabat Ennassab Aïn Séfra 2014
Boutkhil Beghdadi
(1) Kitab En Nassab Echarif Khelifa Benamar, Edition Maktabat Ennassab Aïn Séfra 2014
Boutkhil Beghdadi
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