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2/11/2017

Hammam-Bou-Hannifa – Aquæ Sirenses


1- Hammam-Bou-Hanifia, station thermale située dans la wilaya de Mascara. Ce nom est en réalité une déformation de Sidi-Ben-En-Nifia, marabout vivant sur la rive de l’oued-el-Hammam, la Sira des Romains.
2 – À proximité s’élève l’un des grands barrages d’Algérie ; le troisième par la hauteur (54 m). Sa capacité de retenue est de 73 millions de mètres cubes, ce qui permet d’irriguer plus de 20000 ha.
3 – À 1 500 mètres au sud des établissements de bains, sur le ressaut du Djebel Dergara dont les pentes douces descendent jusqu’à la rive droite de l’oued-el-Hammam, se trouvent les ruines de la ville antique d’Aquæ Sirenses, “les eaux de la Sira”. Ces ruines s’étalaient, au début de ce siècle, sur la pente ouest d’une colline dominant toute la plaine, elles descendaient jusqu’aux bords de l’oued, en amont de la longue et fertile vallée qui s’ouvre sur la plaine de Mohammadia. La ville était bien défendue par la rivière et par deux profonds ravins, un au nord, l’autre au sud, les montagnes forment un amphithéâtre irrégulier autour d’un promontoire élevé de la rive droite.
4 – Grâce à cette situation géographique et stratégique, ce mamelon a été choisi par les Romains, entre le règne de Trajan et au plus tard sous les derniers Antonins, pour y installer un poste militaire afin de renforcer la partie ouest du système défensif du deuxième siècle. Ce limes passait dans la région, de l’Est à l’Ouest, par Gadaum Castra (Sidi Faghloul), Mina (Relizane), Ballene Præsidium (L’Hillil), Castra nova (Mohammadia), Tasaccura (Sig), Regiæ (Arbal), Albulæ (Temouchent).
5 – Quelques années plus tard, le camp attira une population civile qui s’installa dans la fertile vallée, propice à la culture du blé et à la plantation d’oliviers. Il s’agrandit et devint une ville forte, surtout, après la construction de la nouvelle ligne frontière “Prætentura”, qui passait au sud cette région, de l’Est à l’Ouest, par Tiaret, Cen (Aioun Sbiba), Cohors Breucorum (Henchir Souik), Ala miliaria* (Benian), Lucu (Timiziouine), Kaputtasaccura (Sidi Ali ben Youb), Altava* (Oueld Mimoun), Pomaria (Tlemcen), Numerus Syrorum (Maghnia).
6 – Située entre le système défensif du deuxième siècle au nord, et la prætentura du sud, la ville forte fut un nœud de communication qui reliait ces deux voies. On y retrouve en effet sept voies, qui, reliaient la ville d’Aquæ Sirenses à certains postes militaires. La première, où a été trouvée une borne milliaire du cinquième mille datée de l’année 239 apr. J.-C. (C.I.L., VIII, 22.593), reliait notre ville à Castra nova ; la deuxième se dirigeait vers Regiæ ; la troisième vers Tasaccura ; la quatrième vers Kaputtasaccura ; la cinquième vers Lucu ; la sixième vers Alamiliaria ; la septième vers Mina. Cette section de route était jalonnée par des bornes milliaires, dont deux du règne d’Alexandre Sévère, une sans indication de distance (C.I.L, VIII, 22595), l’autre marquant le quatrième mille (C.I.L, VIII, 22596).
7 – On connaît peu de choses sur Aquæ Sirenses. Cependant, à l’époque chrétienne, la ville disposait de trois églises. Aquæ Sirenses fut un bastion du donatisme, à la conférence de 411, seul participe Honoratus l’évêque donatiste dont la sœur Robba est enterrée dans l’église d’Ala Milaria* parmi les “saints” et les “martyrs” donatistes. Dans la Noticia de 484 ; la ville n’est représentée que par le seul Félix, l’évêque donatiste. C’est d’Aquæ Sirenses que provient l’épitaphe la plus récente, datée de 569 de l’ère chrétienne.
8 – La ville couvrait entre 30 et 35 hectares environ, enfermée dans une solide enceinte, dont l’épaisseur dépassait deux mètres, et dont chaque angle au moins avait une tour ; des ouvrages de défense renforçaient les côtés, même à l’Est ou la muraille longeait un petit ravin allant aboutir dans l’oued. Son appareil est un mélange de belles pierres de tailles et de moellons grossiers, coupé de portes et de poternes, et du côté de la rivière, par des bouches d’égouts. Près de l’emplacement des portes se trouvaient de grosses pierres appareillées avec bossages, des débris de chapiteaux et des fragments de colonnes.
9 – De la ville détruite, dont les pierres servirent de carrière, il est difficile de faire une description. Cependant, nous pouvons constater, d’après les rapports de fouilles, trois avancements successifs du rempart vers la rivière, donc un agrandissement de la ville, ce qui laisse supposer qu’Aquæ Sirenses a vécu trois périodes historiques, à chacune correspond une enceinte.
10 – La première enceinte protégeait le camp militaire dont nous avons parlé plus haut. Elle entourait la partie la plus haute de la ville, enclôt la crête du mamelon formant pointe entre les deux ravins. Le côté Nord-Est, déjà protégé par son escarpement naturel a encore été exhaussé par des terrassements, double rempart, glacis, fossés. Dans cette enceinte, tout près du rempart Est, se trouvait une basilique chrétienne. Cette basilique, bien que construite dans la première enceinte, a sans doute été édifiée après l’agrandissement du camp. Il semble qu’elle date de la fin du troisième siècle ou du début du quatrième.
11 – La deuxième enceinte agrandit la ville de près du double. Il paraît qu’elle a été construite juste après l’agrandissement du camp et sa transformation en ville forte. Dans son angle Nord-Est, dans une terrasse régulière et plane, se reconnaissait, dans la première moitié de ce siècle, un bâtiment qui peut-être a été un établissement de bains.
12 – La ville forte s’agrandit et s’étala vers la rivière. C’est à cette période que fut construite la troisième enceinte, dont le mur vint passer à 30 ou 40 mètres seulement de la berge, dans laquelle se trouvaient deux basiliques chrétiennes.
13 – La première est un édifice de 17,50 mètres de long sur 11 mètres de large, d’une époque plus basse que celle de la basilique citée plus haut. Dans la sacristie de droite, à deux mètres environ plus bas que les murs de la basilique se trouvait une tombe, une sorte de sarcophage en briques grossières, vide de tout mobilier funéraire. En revanche, il y avait dans l’abside deux pierres d’autel, placées l’une sur l’autre, avec cavités pour fixer les pieds d’une table. Au milieu de ces pierres, un loculus à reliques, carré, vide de son contenu, des débris d’œuf d’autruche et une monnaie en argent de Septime Sévère. La crypte de cette abside est séparée de la crypte de la nef par un mur épais. Dans la première, étaient emmagasinés quelques poteries (jarres, assiettes, plats) en terre grossière et de fabrication locale, de nombreux fragments de poteries fines, un petit vase en terre à goulot presque complètement rempli d’arêtes et d’écailles de poissons. Dans la deuxième, il a été mis au jour un squelette humain, des fragments de bois et deux stylets en ivoire.
14 – La deuxième basilique est un monument de 18,80 mètres de longueur sur 11 mètres de largeur, elle aussi de basse époque. Son abside non arrondie était surélevée de deux marches. De chaque côté de ces marches était placée une courte colonne qui ne dépassait pas un mètre.
15 – Un peu au delà du ravin et des remparts, tout l’intervalle était une vaste nécropole. C’était là, presque face aux thermes, le principal cimetière mais non pas le seul, car les nécropoles occupaient une large bande de terrain suivant la rive droite du chabet Benian. Elles s’étendaient sur la presque totalité des pentes douces du djebel Dergara, et contournaient la ville de trois côtés, Nord, Est et Sud-Est. L’emplacement des tombes était marqué par des alignements de moellons et de pierres non taillées.
16 – Les tombes de la plus ancienne époque se trouvaient dans la partie Sud-Est. Au centre de ce cimetière, dans sa partie Est, il y avait une memoria chrétienne, où les membres d’une communauté de la ville venaient demander la protection de leurs saints, et s’y réunissaient pour la commémoration des morts en partageant une agape fraternelle. Certes cette memoria est de basse époque, mais on ne peut s’empêcher de penser que le cimetière existait bien avant le triomphe du christianisme, puisqu’elle a été construite avec des pierres funéraires des tombes païennes, dont les inscriptions portent toutes le sigle païen “D.M.S.” sans le moindre indice chrétien.
17 – La memoria est un édifice rectangulaire de 11,50 mètres de longueur sur 6,50 mètres de largeur, orienté Est-Ouest dans le sens de la longueur, surmontée d’une voûte en berceau qui constituait la seule partie apparente au dessus du niveau du sol. Les murs, bâtis en petit appareil, comprenaient un alignement de pilastres espacés, dont l’intervalle était rempli de moellons et de petites pierres non taillées. Un mur transversal la divisait en deux chambres, l’une à l’Est, l’autre à l’Ouest, chacune avait son entrée séparée, mais contiguë. L’exploration de l’édifice, au début de ce siècle, avait donné des débris de poteries berbères et romaines, des lampes, des ossements humains, des ossements d’animaux (mouton, lapin, âne, cheval, volaille), deux dalles funéraires qui ressemblent aux “Mensæ” des tombes des martyrs et quelques stèles à inscriptions.
18 – Dans la partie Nord, en face de la porte Nord du rempart, se trouvaient l’hypogée, une construction funéraire vide de tout mobilier, et un cimetière. Tout les deux contenaient des sépultures d’une époque plus basse que celle du cimetière Sud-Est, et dénotent une époque de décadence, où l’on ne savait plus écrire le latin.
19 – Parmi les inscriptions trouvées dans les ruines d’Aquæ Sirenses, deux seulement citent des militaires. La première érigée en 242 apr. J.-C. par Porcius Quintus ex præpositus du numerus Ambov… et décurion d’une aile dont le nom n’est pas cité (C.I.L. VIII, 9745), la deuxième consacrée à Valerius eques (B.S.G.A.O, 47, 1927, p. 262), qui était peut être en garnison à Alamiliara et avait été ramené à Aquæ Sirenses, sa ville natale pour y être inhumé dans le caveau familial. Malheureusement, ces deux inscriptions ne nous renseignent guère sur l’histoire militaire de la ville. En revanche, les inscriptions funéraires et les objets trouvés dans les cimetières nous apprennent que la société d’Aquæ Sirenses est un mélange de citoyens Romains et de Berbères non romanisés de différentes couches sociales. Les plus riches avaient la possibilité d’acquérir la vaisselle de luxe italienne, importée soit directement d’Italie soit par l’intermédiaire des villes côtières de la partie occidentale de la Maurétanie Césarienne, en revanche les pauvres se sont contentés d’une poterie plus au moins grossière de fabrication locale. Les autres inscriptions trouvées dans la ville sont, aussi, importantes pour l’étude de cette société. Elles nous font savoir qu’une partie, au moins, de la population d’Aquæ Sirenses, comme dans toutes les villes de l’Afrique Romaine, était, au troisième siècle, encore attachée aux dieux païens, tels que le dieu Syrien Aeternus à qui ont été dédiés un monument en 216 apr. J.-C. (B.S. G.A.O., 1882, p. 124) et une dédicace sans date (ibid., 1945/46, p. 32) et le génie des eaux Numini Aquarum Sirensium à qui a été dédiée une dédicace en 242 apr. J.-C. (C.I.L., VIII, 9745).
20 – Il paraît que la ville a eu une vie longue. Elle a vécu jusqu’à la fin de la période Romaine. Peut-être détruite par les Vandales, elle a été reconstruite à l’époque byzantine, puis peut-être bouleversée par les tremblements de terre du huitième siècle.

BIBLIOGRAPHIE

Demaeght L., Géographie comparée de la partie de la Maurétanie Césarienne correspondant à la province d’Oran, Oran 1888.
Vincent M., “Aquæ Sirenses”, Cinquième congrès international d’Archéologie(Alger 14-16 Avril), publié par les soins de la société historique Algérienne, Alger, 1933, p. 261-274.
Id., “Aquæ Sirenses (Bou Hanifia)”, B.S.G.A.O., 58, 1937, p. 113-124.
Id., “Aquae Sirenses : Memoria du Cimetière”, B.S.G.A.O., 47, 1927, p. 255-263.
Morcelli S.A., Africa Christiana, Brescia, 1816-1817
Salama P., “Les déplacements successifs du limes en Maurétanie Césarienne (essai de synthèse)”, Limes Akten des XI internationalen Limes kongresses(Székesfehévar, 30.08/06.09.1976), Budapest 1977, p. 577-595.
Gui L, Duval N. Caillet J.-P, Basiliques chrétiennes d’Afrique du Nord, Paris, 1992.
Camps-Fabrer H., Lolivier et l’huile dans l’Afrique romaine, Alger 1953.

Par : Kh. Mansouri


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