Pénétrant dans un musée végétal aux espèces inconnues et spectaculaires, allée des dragonniers, allée des ficus, allée des palmiers…
quel promeneur au Jardin d’essai du Hamma confronté à l’étrangeté de ce monde pourrait penser aux débuts modestes de la Pépinière centrale du gouvernement (5 ha en 1832), connue aujourd’hui sous le nom de Jardin d’essai du Hamma ? Le jardin, qui s’étend maintenant sur 62 ha, est un modèle pour les Jardins d’essai qui seront créés au cours du XIXe et au début du XXe.
Il porte la marque des différentes conceptions qui président aux rapports à la terre : création coloniale en vue d’acclimater des plantes, école horticole, mais aussi mise en scène de la domestication du végétal et de l’animal.
Un jardin créé pour les besoins de la colonisation
La Pépinière centrale du gouvernement n’était en rien comparable au jardin qui s’étend maintenant sur 62 ha : elle a été créée par décret émanant du général Avisard, le 30 décembre 1832, pour pourvoir aux besoins de la colonie. C’est par rapport à cet objectif qu’est apprécié, moins de deux ans après, son apport. Dans son Rapport sur la colonisation de l’ex-Régence d’Alger (1834), où il prône le développement d’une colonie de peuplement, le député d’Indre-et-Loire, La Pinsonnière, membre de la commission envoyée en Afrique, écrit : «On recommande donc l’entretien dans la Régence d’un jardin destiné à faire, pour les colons, les frais d’expérience qui ruinent ordinairement les particuliers, à importer et à élever toutes les espèces d’arbres propres au climat, toutes les plantes utiles à l’agriculture, de façon à ce que le colon puisse trouver sous sa main les plants d’arbres tout acclimatés et les graines qui lui seront nécessaires.» Les deux premiers directeurs du jardin, qui sont des militaires, organisent l’acclimatation de végétaux importés de la métropole : le résultat est d’emblée jugé positif par la Pinsonnière, qui ne tarit pas d’éloges : «Le tout est dans le plus parfait état de végétation et de tenue.
Il a fallu faire des travaux préparatoires considérables, mais ils ont été judicieusement ordonnés, et il aurait été impossible de mieux faire.» Le Jardin d’essai est mis au service de la colonisation agraire jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. En filigrane, l’idée d’une colonie prospère, comme l’était l’Afrique romaine, le «grenier à blé» de l’empire, ou encore Alger, riche du commerce du blé au XVIIIe. En 1837, le jardin devient «Pépinière centrale du gouvernement» et accueille différentes essences des pépinières de lamétropole, il est à l’origine d’une intense activité de distribution de plants (25 000 en 1834, 87 000 en 1837)à la fois aux organismes publics et aux colons.
Du Jardin d’essai viennent les espèces introduites pour satisfaire aux exigences des aménagements de la colonie : alignement d’arbres le long des routes créées ou plantation dans les terres concédées (obligation de planter 50 pieds d’arbres fruitiers ou forestiers par hectare concédé). Les nouvelles espèces vont venir se mêler, ou plutôt se substituer, à une végétation autochtone, celle des djenen, ces résidences hors des murs de la ville ottomane aux jardins secrets, entourées de vergers, celles d’une campagne qui frappait les voyageurs par sa beauté. La Pinsonnière déplore la «dévastation» du paysage, «les conséquences de l’occupation militaire et du vandalisme de quelques spéculateurs» et regrette la disparition des «beaux jardins plantés d’orangers et de grenadiers, rafraîchis naguère par des eaux amenées à grands frais», ou encore les «anciennes plantations magnifiques d’oliviers, de figuiers et de jujubiers».
Un demi-siècle plus tard, un article paru dans la revue la Société de géographie note que «l’Afrique du Nord n’a pas d’individualité végétale …elle a nos arbres et nos fleurs», mais qu’en ce qui concerne la ville d’Alger, «on a l’œil tellement attiré par une profusion de merveilles végétales qu’il faut être latiniste et botaniste pour pouvoir les nommer». Tel est donc le résultat de la mission assignée au jardin d’Essai :
acclimater les plantes de la métropole puis développer des recherches sur les végétaux exotiques pour en développer la culture sur les terres nouvellement colonisées. Vingt et un Jardins d’essai régionaux sont créés sous l’impulsion du Maréchal Bugeaud, mais ils périclitent rapidement. Quand, en 1867, la Compagnie générale algérienne reçoit de l’Etat 100 000 ha à mettre en culture et se fait concéder l’exploitation du Jardin d’essai (qu’elle garde jusqu’en 1913), elle poursuit ces deux missions conformément aux décrets de 1867 et de 1883, qui stipulent que le Hamma doit être un établissement de diffusion de végétaux exotiques et indigènes.
Parmi ses réussites, l’eucalyptus importé d’Australie est l’arbre qui symbolise la colonisation. Le jardin devient une plate-forme commerciale prisée des botanistes du monde entier : parmi ses clients, le principal est l’établissement londonien de Sander et fils, pour les cocos, Charon, à Paris, passe aussi des commandes importantes.
«Au Hamma est née la culture brésilienne du palmier coco», se vante Rivière, directeur du jardin en 1906. Ce sont aussi des centaines de kentias que Sander de Bruges et Wibier de Gand reçoivent du Hamma. Quant aux reines, l’impératrice Eugénie, puis la reine d’Angleterre reçoivent des bouquets de strelitzias lors de leur visite à Alger. C’est à l’époque aussi que le paysage de la Côte d’Azur se modifie grâce aux plantes exotiques acclimatées à Alger. Le Hamma perdra de son influence quand le goût se portera à la fin du XIXe sur les produits belges.
«Au Hamma est née la culture brésilienne du palmier coco», se vante Rivière, directeur du jardin en 1906. Ce sont aussi des centaines de kentias que Sander de Bruges et Wibier de Gand reçoivent du Hamma. Quant aux reines, l’impératrice Eugénie, puis la reine d’Angleterre reçoivent des bouquets de strelitzias lors de leur visite à Alger. C’est à l’époque aussi que le paysage de la Côte d’Azur se modifie grâce aux plantes exotiques acclimatées à Alger. Le Hamma perdra de son influence quand le goût se portera à la fin du XIXe sur les produits belges.
La mise en scène des collections végétales
Jardin d’agrément pour les Algérois depuis plus d’un siècle, le Jardin d’essai a d’abord présenté ses collections selon une logique scientifique : celle des catégories botaniques qui permettait de regrouper différents sujets. L’effet produit est à la fois saisissant et parfaitement didactique : parmi les plus anciennes se trouvent l’allée des platanes, l’allée des palmiers (1845), l’allée des dragonniers et des bambous (1847), l’allée des ficus (1863).
Par ailleurs, la forme suit la fonction : de vastes carrés sont créés pour la production des plantes ornementales. Le jardin d’Essai fait partie de l’itinéraire obligé d’un touriste. Karl Marx regrette de ne pas l’avoir visité avec un guide compétent ! Le principal bouleversement a été celui du réaménagement au moment de la création du musée des Beaux-Arts pour le centenaire de la colonisation : c’est à ce moment-là qu’est tracée la grande allée à la française, sorte de voie triomphale du bord de mer à la nouvelle institution qui le surplombe, œuvre des architectes Régnier et Guion.
La domination culturelle suit la domestication de la nature. Pour autant, si le symbole se veut frappant, le jardin, du fait de son étendue, n’est que partiellement affecté : le parc zoologique, qui date du début du siècle, rappelle que la théorie de l’acclimatation concernait aussi les espèces animales. Aujourd’hui, le jardin accueille les chercheurs (l’Institut national de la recherche agronomique y est installé) et les familles ; son public est toujours sensible au charme qui subsiste de l’aventure des essais d’acclimatation et des curiosités qu’ils ont créées.
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