Il a été plusieurs fois emprisonné par la police française qui lui reprochait d’être un artiste subversif, ennemi de la France, auteur de chansons contre «l’ordre établi». Le poète-chanteur, éternel insurgé contre l’occupant, s’était, dès son jeune âge ligué contre l’occupation française. Il refusait de tout son être le fait accompli. A défaut d’épée ou de fusil, il utilisait des mots, simples, d’usage courant dans la région de l’Ouest du pays, mais qui suffisaient à faire peur à l’occupant. «S’hab El Baroud» fut, en effet, un appel franc à la révolte lancé par Hanani Houari. La célébration avec faste du centenaire de l’occupation de son pays par les colonisateurs français, ne pouvait le laisser indifférent. Quoiqu’il ne fut pas à sa première action.
Les colons avaient organisé des festivités grandioses durant tout le mois de juillet 1930. Une occasion pour les colons de narguer, de manière outrancière les «Indigènes» qui n’arriveront jamais à soumettre. A l’exemple de Hanani Houari qui mettra toute sa hargne dans la composition de la chanson mythique «Es hab el baroud».
Elle ne fut, malheureusement pas entendue, très peu ou mal comprise. Sa diffusion devait être très restreinte, en raison de l’absence de moyens de diffusion, très peu répandus à l’époque.
Belouahnani Houari, de son vrai nom, a vu le jour en 1908 à Oran. Certains précisent qu’il serait né dans l’ex rue Petit Lac Salé dans le quartier emblématique d’El Hamri.
Orphelin de père et de mère dès l’âge de 6 ans, il fut recueilli et élevé par sa tante maternelle, Boukabous Khadra qui l’inscrivit à l’école ex-Avicenne, où il obtiendra le certificat d’études primaires élémentaires(CEPE), le diplôme le plus élevé autorisé alors aux Indigènes. Le strict minimum d’instruction nécessaire pour le permettre de comprendre les ordres qu’ils recevront des colonisateurs. Houariapprendra également l’arabe, en parallèle, à l’école coranique de son quartier.
Adolescent, il présentait déjà un intérêt particulier pour la poésie. Il admirait les chantres du melhoun, leschouyoukh dont il avait appris les textes par cœur qu’il récitait avec un grand plaisir suscitant l’admiration de son auditoire.
A force de déclamer les vers des maîtres, Houari se mit lui-même à écrire ce qu’il ressentait, ce qu’il voulait faire entendre qu’il ne trouva pas chez la plupart des poètes. Ce ne fut guère pour chanter l’amour ou la beauté de la femme. Loin s’en faut. Ce que déclamait Hanani Houari sortait instinctivement du fond de ses tripes.
Sa haine viscérale, innée, à l’égard de l’occupant le rendait irascible et même violent à la seule vue d’un uniforme. Il refusait le colonialisme, la domination de son pays, l’asservissement de son peuple, et il le montrait ouvertement.
Une attitude qui lui valut d’être plusieurs fois arrêté et incarcéré pour insultes et voies de faits sur des policiers ennemis.
La «hogra» dont il se sentait victime le conduit à menacer ouvertement les colonialistes dans deux poèmes intitulés «Youm iji enhar» (Viendra le jour) et «El baya‘ine» (les collabos). Il évoquera également sa situation de persécuté dans «Mesjoune ana» (Je suis emprisonné), et «Hanani meskine» (Pauvre Hanani). Une complainte sur sa situation de colonisé, persécuté par des étrangers dans son propre pays.
Ce fut dans les geôles coloniales qu’il se découvrit la vocation de poète de la résistance, rapporte-t-on.
A sa libération, après plusieurs mois de détention, arbitraire bien sûr, Hanani Houari écrira, en autres, «Aya en ‘aoulou , (Allons, décidons-nous !) Un autre appel pathétique à la révolte qui, dans les années 30 ne trouvera malheureusement que peu d’écho auprès de la population.
Sa grande colère, sa rage impuissante devant les exactions commises par les occupants va provoquer chez lui ce cri de rage qu’il extériorisa dans la fameuse qacida intitulée «S’hab el baroud».
Comme on pouvait s’y attendre, la chanson lui coûtera une énième arrestation où, humiliation, privation de liberté, souffrances morale et physique, etc. lui étaient encore infligées par les forces d’occupation.
Dans le souci de rétablir l’ordre des choses, et en hommage à la mémoire de Hanani Houari, nous déplorons le fait que les paroles de «S’hab el baroud», révolutionnaires à l’époque, soient complètementfalsifiées par des collaborateurs de l’occupant par le biais de certains demeurés. Des larbins de service qui se complaisaient dans leur servilité, avaient honteusement «raïsé» cet appel patriotique dans le but d’en faire oublier le texte original.
Des pseudos-chanteurs sans foi ni loi, gardant l’air, ont en tiré des versions paillardes et les chantaient devant le public des maisons closes. Certains ont été jusqu’à en revendiquer la paternité.
D’appel solennel à la révolte, au soulèvement populaire, à la lutte contre l’occupant pour le recouvrement de la dignité du peuple algérien, le poème a été transformé en une vile chanson impudique exhortant à la débauche, encourageant la consommation de l’alcool et les orgies. Une situation où le colonialisme français cherchait à confiner la population algérienne pour détourner son attention de son état de colonisé afin de le maintenir sous sa domination et mieux l‘asservir.
Hanani Houari, un nationaliste pur et dur
Hanani Houari n’était pas un chanteur de raï, tel qu’on pourrait le croire, selon l’idée qu’on se fait actuellement de ce genre musical, paillard, apprécié dans les bas-fonds d’Oran et d’autres villes de l’Ouest. C’était, faut-il le préciser, un nationaliste pur et dur, comme beaucoup d’Algériens épris de liberté qui, à travers tout le territoire national, n’ont cessé de manifester depuis l’invasion de l’armée française à partir deSidi Fredj, le refus du joug colonial et se battaient pour recouvrer leur liberté, leur indépendance, leur dignité.
Certains d’entre eux avaient carrément pris le maquis dans la région d’Oran, à l’exemple de Bouziane El Qal’i, Ould Habra… que les autorités françaises qualifièrent de «bandits de grands chemins». Ils ne s’attaquaient, en fait, qu’aux riches colons qui s’étaient accaparés les terres des Algériens. Ces «bandits» délestaient les riches colonisateurs de leurs biens acquis par la force, pour les redistribuer aux pauvrespaysans spoliés de leurs terres et réduits à la misère.
Ces héros et beaucoup d’autres n’avaient pas été suivis par le peuple comme ils devaient s’y attendre. Il faut croire que la répression était très forte, ou l’heure d’une véritable insurrection armée n’avait sans doute pas encore sonné… Sans oublier l’œuvre dévastatrice des collaborateurs, précurseurs des harkis.
Selon certains témoignages transmis oralement par ceux qui l’ont connu, Hanani Houari avait le don de la rime riche et celui de composer des poèmes avec une spontanéité déconcertante. Il suffisait d’un mot, d’une allusion, d’une image aussi furtive soit-elle, d’un courant d’air parfois, pour que sa verve débordante jaillisse pour donner naissance à un poème. Toujours sur le thème de la lutte contre l’occupant.
Selon certaines sources orales, dont on ne doute pas de la crédibilité, Hanani était un bel homme doté d’une voix faite pour le chant et dont il savait s’en servir. D’une nature très sociable, il privilégiait la compagnie des érudits devant lesquels il faisait montre un respect presque obséquieux. Comme il entretenait de bonnes relations avec tous ceux qu’il côtoyait.
Mais toute sa gentillesse, son amabilité, son humilité se transformaient, comme par enchantement, en rage, colère et agressivité à la seule vue d’un uniforme militaire français. Il devenait subitement une véritable furie que rien ni personne ne pouvait contenir.
Ni les emprisonnements successifs, ni les conseils de ses amis ne purent calmer la hargne qu’il éprouvait contre l’arrogance du képi, ressenti comme une agression permanente à l’égard des «Indigènes», qu’on tutoyait par mépris dont il faisait partie.
En fait, le peuple algérien n’a jamais baissé les bras, depuis ce 5 juillet 1830 de triste mémoire. Le peuple ne s’était pas soumis. Sa résistance n’a jamais cessé depuis que les premiers soldats français mirent les pieds sur le sable de la plage de Sidi Fredj. Les historiens ont superbement rapporté tous les actes de bravoure, les hauts faits d’armes et les millions de valeureux Chouhada tombés au Champ d’honneur durant les 132 années d’occupation.
Hanani Houari mourut très jeune. Sa santé devait être, sans doute, fragilisée par les tortures infligées par la police française pendant les détentions successives dont il a fait l’objet. Le héros est mort jeune.
Le texte original et intégral, de la chanson « S’ hab el Baroud »
(Traduction littérale)
Es hab el baroud, es hab baroud Les hommes à l’explosif
Es hab el baroud bel karabila Armés de carabine
Rafdine el baroud Ils portent la poudre
Ou cha’line eftila Et ont allumé la mèche.
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Oua syadna maoulou Nos seigneurs se sont préparés
Ou rahoum ‘aoulou Et sont déterminés
Bghaou ifaoulou A vouloir tenter (risquer)
Fi nhar ekhsoum Dans un jour d’épreuves
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Hzamhoum tahlila Leur ceinture garnie
Rakbine etouila Montés sur « la haute »
‘Aoulou ‘alel qtila Déterminés au combat
Fi nhar mchoum En un jour funeste
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Oueli bgha es ’aya Mais pour qui veut reprendre
Ma ijich bel hdaya Ne va pas par la courtoisie
Nadou lel ‘anaya Ils se sont redressés, par dignité
Refdou el karsoum Et ont relevé le défi
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‘Aoulou, be ‘amarhoum Résolus à donner leur vie
Ghir rabbi ma’ahoum Seulement Dieu est avec eux
Lebtal essouahoum Les héros sont ainsi
Ou laïmou el goum Et ils ont formé une cavalerie
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Ou essioufa tech’al Et les épées scintillent
Ouel baroud lek hal Et la poudre noire
Ma bqa men yehtel Plus d’envahisseur
El ard ouel qoum De la terre et du peuple
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Men ba’d mia ou ‘am Après cent et un an
Ki nhar bel klam Comme un jour, en paroles
Lemghafra beslam La réconciliation avec embrassades
Ouel heuzn ehmoum Et le deuil est chagrins
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Balaki ma etjich Prend garde si tu ne viens pas
Ouenti ‘andek jich Alors que tu as une armée
El jayah ledhich L’incapable pour le peureux
Ibane maqioum Paraît bien équipé
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Esmek Houria Ton nom est Liberté
Oua ‘aziza ‘alia Et tu m »es très chère
Mommou ‘aïnyia Prunelle de mes yeux
Ouel kebda meksoum Et le foie (le cœur) est brisé
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Esmek houa el khir Ton nom c’est la richesse
Metloqa ki tir Lâchée comme l’oiseau
Eslebti del ichir Tu as séduit ce jeune homme
‘Achiqek, mafhoum Ton amoureux, bien sûr
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Men dorri chafi De mon mal, guéris-moi
Enti sor ektafi Tu es le soutien pour mes épaules
Arouahi ma etkhafi Viens n’aies crainte
Ktabek marsoum Ton livre est consigné
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La tabti, arouahi Ne tardes pas, viens
Ya galbi arouahi Ô mon cœur, viens
Ouekter enouahi Mes larmes ont augmenté
Alamek ma’loum Ton emblème est connu
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Be jah moul el qboul Au nom du prophète
Mohamed ersol Mohamed le Messager
El bchara ma ettol Le présage ne tardera pas
Tehdef elioum Elle interviendra aujourd’hui
Les collaborateurs de tous acabits, dont le rôle a grandement contribué au prolongement de l’occupation, avaient été chargés par leurs maîtres de dénaturer les paroles de Hanani pour étouffer ses appels incessants à la révolte.
Tout a été fait pour empêcher ses cris de parvenir aux oreilles des Algériens, éveiller leur conscience et les pousser à la révolte.
Ainsi donc, plusieurs autres versions «raïesques», toutes aux paroles aussi débiles les unes que les autres, avaient été improvisées et chantées sur le même air composé par Hanani Houari.
« S’hab el Baroud », un chant éminemment patriotique, a été travesti par:
Ma jach el barah,
majach elioum,
danitou jayah,
ou eddah ennoum…
(Il n’est pas venu hier.
Il n’est venu aujourd’hui.
Je le crois paresseux.
Et a sombré dans le sommeil…)
Ma raki daïra,
ya le ‘azba el baïra,
men jartek ghaïra,
etrakhsi be soum…
(Que ne fais-tu pas. ô vieille fille.
De ta voisine tu es jalouse.
Et tu fais baisser le prix…)
Où encore :
Balaki ma etjich.
Ga’da fouk el ‘arich
eddaoui el maghroum…
(Prends garde à ne pas venir.
Assise sur la tonnelle…
Tu guéris le passionné…)
Un détournement sans vergogne de nobles paroles appelant à la libération du pays. Des expressions honteuses qui ont été trop longtemps colportées et sont, malheureusement, parvenues jusqu’à nous, et pas seulement. Elles ont poursuivi leur ravage et même contribué à la confection d’une certaine notoriété…
(Nous nous gardons de reprendre certaines paroles, trop grossières, eu égard au respect que nous devons à nos lecteurs).
Grande est notre désolation de constater qu’aucun «cheb» (ou moins « cheb ») n’a cherché à connaître l’origine de cette chanson afin de rétablir la réalité en hommage et à la réhabilitation de son digne auteur. D’où la nécessité, avons-nous estimé, de réaliser ce modeste travail afin de rétablir la vérité. Par respect au moudjahid Hanani Houari qui a lutté, durant sa courte vie, avec son art et ses poings nus, contre lecolonialisme.
Certains Oranais n’ont pas manqué de déplorer le fait que les autorités concernées ne lui aient jamais rendu l’hommage qu’il mérite en baptisant un site culturel, une rue au moins à son nom…
Une réhabilitation à la mémoire d’un fils d’Oran. Ce ne serait que justice !
*Abdelkader Arrouche, auteur dramatique – journaliste.
Sources : Association Culturelle pour les Arts Traditionnels Oranais (ACTO).Avec mes remerciements au poète oranais cheikh Mekki Nouna.
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