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8/30/2016

Moussa Saïb : L'enfant de Teniet-el-Haad a atteint son but


MOUSSA mâche les mots, les savoure, comme un garnement gourmand. Assis dans la salle de massage, le jeune international algérien se ressert une part de finale. Quand il raconte son but, le premier de son équipe, sa langue claque. Pour un peu il s'en mordrait les lèvres: «Je suis l'homme le plus heureux du monde. Imaginez: deux ans après mon arrivée en France, j'entre dans le livre d'or d'Auxerre. C'est fabuleux.»
Et Moussa Saïb remonte le temps, d'une phrase traverse la Méditerranée, retourne à ses premiers dribbles sur les terrains vagues de la banlieue de Tiaret, à l'ouest d'Alger. «J'ai commencé à taper dans le ballon en 1981, à l'école, dans les rues de mon patelin, Teniet-el-Haad, se souvient-il. Aujourd'hui, je réalise un rêve d'enfance. Pour nous le football c'est le seul sport roi. On n'a pas d'autre chose à faire.»
1988. Le stade d'Hamaba est plein comme un oeuf. L'Algérie affronte le Zimbabwe en match éliminatoire de la Coupe du monde en Italie. Aux côtés des vedettes de «la grande époque», Madjer, Assad et autre Beloumi, un gamin de dix-huit ans se démène comme un beau diable. «J'avais la trouille. Il y avait 70.000 spectateurs dans les tribunes et j'étais le plus jeune sur la pelouse, raconte le milieu de terrain bourguignon. Finalement, on a gagné 3-0. Inoubliable.»
Quelques mois auparavant, Moussa Saïb avait fait ses grands débuts dans le championnat de première division sous le maillot de Tiaret. Par la suite, il rejoindra une des équipes phares du pays, la Jeunesse sportive de Kabylie. Et puis, ce fut le déclic, un beau jour de 1992, sur les bords la Loire, à Tours. «Nous avons disputé une rencontre amicale contre Auxerre. Immédiatement, les négociations se sont ouvertes. Guy Roux a dit: votre numéro huit m'intéresse.»
Deux saisons plus tard, le footballeur mesure le chemin parcouru. Fini le rôle de joker fou, abonné du dernier quart d'heure, qui se ruait à la pointe de l'attaque. A l'Abbé-Deschamps, M. Roux lui a appris à se replier, à tacler, à marquer son adversaire à la culotte. «Dans le foot moderne, si tu ne sais pas défendre, tu ne joues pas, remarque le bon élève. Je m'y suis mis. Résultat: pour cette finale, j'étais titulaire.»
Signe extérieur de réussite. Couronnement d'une carrière de professionnel «qui n'est pas donnée à tout le monde». Moussa voudrait pouvoir partager sa joie avec la jeunesse algérienne. «Notre jeunesse est pleine de ressources, mais j'ai peur qu'elle ne soit gâchée dans la conjoncture actuelle, soupire-t-il. Sur cette terre, chacun rêve d'avoir une pâte à faire lever. Chez nous, elle existe. nous avons de très bons éléments. Manque «les industriels», l'encadrement, l'organisation.» Moussa Saïb évoque encore l'insécurité sur les stades, l'absence de statuts pour les joueurs, le manque de sérieux des instances dirigeantes... «Pour une simple erreur administrative, l'Algérie a été disqualifiée de la Coupe d'Afrique et écartée de la phase finale. C'est impardonnable! Ils ont frustré toute une génération de footballeurs qui voyaient dans cette compétition internationale une occasion de se révéler.»
Mais ce samedi soir, Moussa Saïb refuse de broyer du noir. Il effleure l'énorme Coupe que lui tend son compère Vahirua. Et touche du bois: «Avec la nouvelle équipe arrivée à la tête de la fédération algérienne, j'ai bon espoir. Les choses vont s'améliorer. Je suis d'ailleurs à la disposition de l'équipe nationale, où ils veulent et quand ils veulent. Je n'oublierai jamais mon pays. Si je suis là, c'est grâce à l'Algérie.»

LUNDI, 16 MAI, 1994
L'HUMANITÉ

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