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4/02/2016

Larbaâ Nath Irathen ou « La ville des Lions »

Perchée à plus de 900 mètres d’altitude et distante d’une trentaine de kilomètres de Tizi-Ouzou, Larbaâ Nath Irathen est située sur un relief accidenté, au nord de la chaîne montagneuse du Djurdjura.

Un adage populaire dit que pour rallier Larbaâ Nath Irathen « les chemins sont fort nombreux, on a beau choisir le sien, ce sont tous les chemins qui montent » (Ansi Isteqidh Ilarbaa dhasawen).
Cette difficulté d’accès en a fait un village paré contre les assauts belliqueux. En effet, les envahisseurs ont toujours eu du mal à pénétrer sur ce territoire, repoussés par les Ath Irathen, vaillants montagnards dont le courage n’a jamais été démenti par l’Histoire, depuis l’Antiquité jusqu’au déclenchement de la guerre de libération nationale.
Résistant d’abord aux Romains, dans le sillage des rois berbères Takfarinas et Firmus, ils ont également empêché l’arrivée sur leurs terres des Arabes, représentés par la dynastie fatimide et ses razzias ravageuses, tout comme l’ont fait les souverains Hammadites de Bougie.

Avènement de l’empire ottoman

Se retrouvant sans cesse sous la menace de la flotte espagnole qui sévit dans les eaux méditerranéennes, les souverains berbères de Béjaïa appellent l’empire ottoman à la rescousse. Mais très vite, les tribus kabyles qui étaient, jusque-là, invaincues finissent par être quelque peu « domptées » par Ali Khodja, soutenu par des fractions tribales supplétives de la plaine des Amraoua Le caïd turc fait bâtir plusieurs bordjs avancés (Bordj-Boghni, Bordj-Sebaou, Bordj-Ménaïel et Bordj-Bouira) sur les contreforts méridionaux du Djurdjura afin de pouvoir surveiller et contrôler la population kabyle, collecter les impôts et mettre aux arrêts les récalcitrants, et ils seront nombreux à s’élever contre les nombreuses injustices commises à leur égard par l’occupant ottoman.
Voulant mater plus radicalement cette population hostile, l’un des successeurs d’Ali Khodja, en l’occurrence Mohammed Ed-Debbah, bey du Titteri, commence sa campagne par les Ath Irathen qu’il croit bien connaître pour avoir étudié dans l’une de leurs zaouïas lorsqu’il était jeune. Mal lui en prit. Dès qu’il s’engouffra dans les escarpements du village d'Adeni, il est abattu sans sommation par un commando qui l'attendait près de Tala n Semdha. Quant à ses troupes armées, elles furent chassées au-delà des rives du Sebaou. Mohammed Ed-Debbah (l'égorgeur) est enterré sur la route d'Alger, près de l’ex-Rébeval (Baghlia).

Occupation française de la région

Alors que les Turcs ont eu maille à partir avec les Ath Irathen, les Français, eux, parviennent grâce à leur armada et leur artillerie lourde à imposer leur domination sur cette confédération mais non, sans concéder des pertes.
En 1854, le gouverneur général d’Algérie, le maréchal Randon, mène en personne une colonne militaire vers le cœur des monts du Djurdjura, traversant pour cela la région de Boubhir, à la recherche du célèbre résistant Boubaghla (l’homme à la mule), qui a trouvé refuge chez les Ath Irathen. La mission se solde par un cuisant revers puisque les soldats français trouvent en face d’eux des montagnards résolus à leur donner le change, menés par l’héroïne des djebels, Lalla Fadhma N’Soumer. Pourchassant l’ennemi jusqu’à Tizi-Ouzou, elle parvient à préserver l’indépendance de sa région.
Entrés à Tizi-Ouzou, les Français y installent dès 1855 une garnison et, à la fin de la guerre de Crimée, le maréchal Randon reçoit l’autorisation de mener une autre expédition de plus grande envergure sur le Djurdjura, fort d’un arsenal militaire dit-on « jamais égalé dans l’histoire du pays ». Dans un récit de la campagne de 1857, le capitaine Eugène Clerc écrit dans son récit : « De toutes les tribus insoumises, la plus forte et la plus remuante était, sans contredit, celle des Béni-Raten. Par le nombre de ses fusils, par sa renommée guerrière, par ses efforts constants pour soutenir l'Indépendance commune, elle avait acquis une influence et une supériorité incontestées sur toutes les autres tribus de la Kabylie ».
Forte d’une armada d’infanterie de 35000 hommes et d’un matériel militaire lourd, l’armée coloniale s’ébranle pour découdre avec les Ath Irathen. Ces derniers alignent en face quelques quatre mille fusils. L’assaut est donné à l’aube du 24 mai, jour de l’Aïd el fitr. En dépit d’une parfaite connaissance du relief et d’une grande bravoure, les guerriers kabyles ne parviennent pas à inverser la vapeur de cet affrontement inégal. Ils essuient les tirs déchaînés d’artillerie, d’obus et de fusées de montagnes. Après une farouche résistance qui cause des pertes importantes tant humaines que matérielles à l’ennemi, surtout lors de la fameuse « Journée de la poudre » à Icheriden où pas moins de 3000 Kabyles se sont retranchés pour livrer bataille, les Ath Irathen perdent malheureusement la bataille.
Le 28 mai, la place de Souk Larbaâ est livrée par les Ath Irathen au colonisateur. Ichariouène, village situé au voisinage de la place forte des Ath Irathen connaît lui aussi la dépossession et le séquestre à l'instar des autres villages de Kabylie. Ses habitants, dont la famille du plus célèbre poète kabyle, Si Muh U M'Hand, ainsi que celle du résistant des Ath Irathen, Cheikh Seddik Arab, sont dépossédés de leurs biens et déplacés. Le maréchal Randon, dans ses Mémoires, dit du cheikh Seddik, qu'il fut « la tête et le bras des Beni-Raten lors de la campagne de Kabylie ». En réalité, l’aura du cheikh allait bien au-delà des limites de la confédération des Ath Irathen, ce chef prônant la résistance contre l’envahisseur colonial.

Pose de la première pierre

Le 14 juin 1857, jour anniversaire du débarquement français dans la baie de Sidi-Fredj, les occupants français posent officiellement la première pierre des travaux de construction d'une forteresse, conçue suivant le système Vauban par le général du génie militaire, Chabaud-Latour. Idéalement placée, sur un piton rocheux, le but est stratégique, à savoir dominer et contrôler toute la kabyle. D’autre part, le général Chabaud-Latour entreprend le tracé et la construction d'une importante route de montagne, reliant Tizi-Ouzou à la Haute montagne. Dix jours plus tard, les travaux sont interrompus pour lancer l’attaque contre les Icheriden (voir encadré 1).
En 1858, un décret impérial signe la naissance de Fort-Napoléon (du nom de l'empereur Napoléon III). Afin de marquer leur victoire, les Français érigent un arc de triomphe portant le millésime 1857 à l'entrée Nord de Larbâa Nath Irathen ainsi qu’un monument au-dessous du village de Tamazirt, détruit par l’ALN à la fin de la guerre d'Algérie.
Alors que les Français pensent avoir réussi à domestiquer la population kabyle, la contestation monte, chaque jour, un peu plus. L’insurrection de 1871 menée par le Bachagha Mokrani et son allié le cheikh Aheddad (voir encadré 2) ne sera que le début d’une longue série de batailles qui conduiront au déclenchement de la guerre de libération nationale, le 1er novembre 1954.

La ville s’agrandit… première école

La ville de Fort-l’Empereur s’agrandit rapidement. La première école communale de Kabylie voit le jour en 1854, à Tamazirt. Malgré les réticences des chefs de famille du village, des enfants iront user leurs culottes sur les bancs de cette école, certains en sortiront diplômés. D’ailleurs, la région est connue pour avoir été une grande pourvoyeuse d’instituteurs qui iront dispenser le savoir dans toute la Kabylie et même au-delà. C’est d’ailleurs, par le biais de ces éclaireurs du savoir qu’émergeront des émancipateurs et intellectuels tels que Boulifa ou Lechani, originaires des Irjen, Abès, natif du village Azouza.
D’autres constructions voient le jour, comme des magasins, des hôtels, des bâtiments d’administration ou un hôpital géré par des religieuses. Sous la IIIe République, Fort- l’Empereur est rebaptisé Fort-National.

Déclenchement de la Révolution algérienne

Durant la guerre de libération nationale, la région de Larbaâ Nath Irathen, qui fait partie de la Wilaya III, joue un rôle prépondérant, à travers la montée au maquis de plusieurs de ses enfants, parmi lesquels Abane Ramdane, surnommé l'architecte de la révolution, le colonel Mohammedi Said, Hadni Said dit « Si Lhakim », lieutenant, commissaire politico-militaire des Irjens, militant de l'OS, arrêté et emprisonné en 1948, le commandant Mahiouz, Smail Ougemoun, officier de l'ALN, pour ne citer que ces quelques noms. Certains sont morts en martyrs, d’autres encore vivants après l’indépendance ne manqueront pas d’apporter leur témoignage pour l’Histoire, à l’instar de Mohand Oubelaïd Hocine qui a publié en 2015 un récit intitulé « Itinéraire d’un combattant de Larbaâ Nath Irathen ».

Hassina Amrouni

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