Lointain héritage des thermes de la Rome Antique, les hammams au Maroc étaient le lieu de socialisation par excellence, mais aussi celui de croyances fortement ancrées et de rituels bien observés à la lettre.
L’histoire du hammam :
– que l’on appelle aussi « bain maure », en référence à l’Espagne musulmane d’Al Andalus
– s’est développée à la faveur de l’expansion de l’Islam dans les pays du Maghreb et du Moyen-Orient, grâce à l’Empire ottoman. Mais, son origine éminemment romaine puise ses racines dans les thermes romains et grecs.
Durant l’Antiquité, les Romains construisaient, voici plus de quatre millénaires pour les plus anciens, de grands thermes publics au centre-ville. Les arabes préférèrent, quant à eux, en construire plusieurs, plus petits, disséminés à travers la ville. La pratique du hammam ne commença vraiment à se développer qu’au début du VIIe siècle apr. J.-C., lors des conquêtes arabes en Syrie. Les conquérants furent en effet séduits par ce rituel à l’eau chaude. Le hammam, « qui répand la chaleur », « eau chaude », ou encore « source chaude » en arabe, se compose de trois ou quatre salles de température différente, selon le même principe que les thermes romains. Comme dans les thermes, le baigneur passait à travers une série de salles, mais leur importance respective différait.
Dans le hammam, le tepidarium (salle tiède) romain devenait un simple couloir menant des vestiaires au harara (pièce la plus chaude) où l’on pouvait être longuement massé, ce qui n’était pas le cas dans le caldarium romain. Alors que les Romains terminaient leur séance dans une bibliothèque ou une salle d’étude, au hammam, on se retrouvait dans la salle de départ, où l’on s’allongeait sur des couchettes. Des serviteurs apportaient alors des boissons et rafraîchissaient les baigneurs avec des éventails.
De Volubilis à Fès
Au Maroc, le premier hammam islamique connu est celui de Volubilis, situé en contrebas, au sud-ouest du site, sur la rive droite de l’oued Khoumane. Des fouilles récentes ont montré que ce monument faisait partie du quartier général fondé par Idriss Ier à l’extérieur de l’enceinte romaine. Vu ses dimensions réduites, il s’agit vraisemblablement d’un hammam privé qui faisait partie d’un complexe résidentiel. Sa datation remonte à la période où Idriss Ibn Abd Allah, descendant de la famille du Prophète, arriva sur le site où il fut accueilli par la tribu des Awraba qui le prit pour imam. Le quartier et le hammam ont survécu à son assassinat et à l’abandon de la ville par les Idrissides au profit de Fès, nouvelle capitale de la dynastie. Idriss II, fondateur de cette ville hypothétiquement en l’an 802, et ses compagnons, avaient apporté la pratique du bain d’étuve de Volubilis qui fut leur premier séjour en terre marocaine. Plus tard, au XIVe siècle, aux dires de Ali Ibn Abd Allah Ibn Abi Zar al-Fassi, auteur du célèbre Rawd al-Qirtas, il y avait, à Fès, 93 hammams au temps des Almohades.
Les expressions, employées aujourd’hui encore dans les hammams, paraissent perpétuer une certaine tradition espagnole. Pour le Maroc, l’influence espagnole fut prépondérante sous les Almoravides et surtout les Almohades. En effet, uniquement à Cordoue, sous Abderrahmane III, on comptait, d’après l’écrivain et historien marocain du XIVe siècle Ibn Idhari, et seulement pour les femmes, pas moins de trois-cents bains publics.
Cet art du Xe siècle a pu fournir, sans nul doute, de nombreux exemples aux conquérants de la péninsule ibérique, revenus en terre marocaine après la Reconquista. Par ailleurs, l’appellation assez énigmatique de fornaci (salle de combustion) indiquerait aussi, dans les temps modernes, un apport venu du Bosphore.
Oignon de scille et djinns:
Plus près de nous, Edmond Secret – très vraisemblablement un pseudonyme – dénombra, dans le tome II du Bulletin de l’Institut d’Hygiène du Maroc, dans le Fès des années 1940, trente hammams. Ses calculs lui permirent d’estimer qu’on y accomplissait, chaque jour, plus de 6 000 bains. Au moins une fois par semaine, tous les habitants adultes de la médina – qu’il s’agisse du peuple ou de la moyenne bourgeoisie – se rendaient dans un des hammams publics.
Les grands bourgeois, quant à eux, possédaient un hammam particulier au sein de leur belle demeure. Et dans une courte étude architecturale des bains de la capitale et de sa ville voisine, l’architecte et peintre orientaliste Edmond Pauty dénombra, quant à lui et à la même période, 17 hammams à Rabat et Salé, mais souligna avec insistance qu’ils ne représentaient qu’une faible partie des hammams qui prospéraient jadis.
Au fil des siècles, dans ce lieu de socialisation par excellence, des contes, des légendes et des croyances se tissèrent et restèrent ainsi fortement liés à la pratique du hammam. Léon l’Africain, diplomate et explorateur de l’Afrique du Nord des XVe et XVIe siècles rapporta ainsi que les propriétaires et les employés des hammams, une fois l’an, invitaient leurs amis et s’en allaient en troupe hors de la cité au son des fifres, des tambourins et des trompettes, pour arracher un oignon de scille qu’ils mettaient dans un beau vase en cuivre. Ils s’en retournaient ensuite dans la cité, toujours dans ce joyeux tohu-bohu, jusqu’à la porte du hammam.
Ils plaçaient ensuite l’oignon de scille dans un panier qu’ils pendaient à la porte d’entrée du hammam. Le propriétaire du bain et ses employés étaient ainsi persuadés que cette pratique leur ferait affluer plus de clientèle. Léon l’Africain affirme, dans sa Description de l’Afrique, que cette coutume venait des « anciens africains ». Il ajouta aussi ce détail intéressant concernant l’hygiène de l’époque : au hammam, les gens de qualité s’étendaient sur une pièce de feutre. Ils étaient ainsi – tout relativement – à l’abri des causes de contamination, à une période où les épidémies faisaient rage…
Au début du XIXe siècle, le voyageur Ali Bey El Abbassi, pseudonyme de l’Espagnol Domingo Badia y Leblich, rapporta à propos des hammams de Fès cette anecdote toute personnelle : « Les bains sont ouverts au public toute la journée. J’y allais ordinairement la nuit, prenant toute la maison de bains pour moi seul afin qu’il n’y eût point d’étrangers… La première fois que je m’y suis rendu, ayant fait la remarque qu’il y avait des seaux d’eau symétriquement placés au coin de chaque salle et de chaque cabinet, je demandai à quoi ils étaient destinés. «- Ne les touchez pas Seigneur, répondirent avec empressement les gens du bain. – Pourquoi ? – Ces seaux sont destinés à ceux d’en bas. – Qui sont ceux d’en bas ? – Les démons qui viennent se baigner pendant la nuit ».
Certains hammams possédaient une pièce consacrée à un saint, parfois enterré sur place. Il y a peut-être là, nota Edmond Secret, « une survivance du culte antique des divinités thermales, dont les statues ornaient les bains grecs et romains ». Ainsi, à Fès Jdid, les habitués du Hammam Zebbala rendaient un culte à Lalla Chafia (Madame la Guérisseuse), qui possédait un sanctuaire dans la salle tiède. Par une invocation, les fidèles se mettaient sous sa protection jusqu’à leur sortie du bain. Dans son enquête sur les bains de Rabat-Salé, Edmond Pauty releva quant à lui que les hammams, selon la croyance populaire, sont « le lieu de prédilection des jnouns ». On franchit ainsi, nota-t-il, le seuil du pied gauche – alors que celui de la mosquée se fait du pied droit -, et le lieu était aussi, selon une autre croyance tenace, le moyen de guérison de tous les malaises (al-tabib al-abkam).
« Nhar al-hammam »
Après les croyances venaient les rituels. Il y avait ainsi certaines exceptions au fait que les hammams étaient des lieux publics. Ainsi, selon Edmond Secret, à Fès, dans certaines grandes familles, comme celle des chorfas idrissides, les femmes ne sortaient pas pendant la journée. Les familles louaient ainsi le hammam la nuit, une fois par semaine ou par quinzaine. Vers dix heures, tous les membres de la famille, hommes, femmes, enfants, esclaves, allaient au hammam. Les hommes passaient les premiers, les femmes ensuite. Le hammam ouvrait le matin à l’aube pour que les croyants puissent se purifier avant la prière du fajr. Toute la matinée, jusqu’à une heure, le hammam n’était ouvert qu’aux hommes.
L’après-midi, il appartenait aux femmes jusqu’à dix heures du soir, puis les hommes revenaient jusqu’à minuit. Les garçons après sept ans n’étaient plus admis au bain des femmes.
Toujours à Fès, dans les années 1940, l’après-midi, dans les ruelles de la vieille ville, on rencontrait souvent de petits cortèges de femmes accompagnées de fillettes. Elles avaient à la main des bouilloires et des seaux de cuivre. Une esclave noire précédait ou fermait la marche, portant sur la tête un ballot de linge. Ces femmes allaient au hammam. C’était alors « Nhar al-hammam », un jour important dans la vie quotidienne de la famille fassie et l’une des rares sorties de la bourgeoise de Fès. Soigneusement préparée, cette sortie avait toujours lieu après la fin des menstrues de la maîtresse de maison. Vingt-quatre heures avant, cette dernière s’enduisait les cheveux de henné. La bouilloire contenait de l’eau parfumée de rose et de fleurs d’oranger, destinée à apaiser la soif des baigneuses. Les ustensiles nécessaires au bain prenaient place dans un seau en cuivre. Pièce obligatoire du trousseau de la mariée, ce seau de cuivre, plus ou moins finement ouvragé, symbolisait la richesse d’une famille.
Socialisation et youyous
À côté des objets de toilette, on plaçait dans le seau pour des oranges et quelques œufs durs. Il fallait, en effet, tenir durant de longues heures : le bain d’une dame était en effet très long et durait souvent toute l’après-midi. Partie de chez elle à trois heures, la baigneuse n’y rentrait qu’à huit ou même neuf heures le soir.
Aussi, les femmes payaient-elles double tarif : au lieu de trois seaux d’eau pour un homme, il fallait pour chacune d’entre elles au moins dix seaux. La coquetterie leur faisait garder sur elles leurs bagues et leurs bracelets et elles portaient, à l’intérieur du hammam, un caleçon ou encore une serviette à rayures de couleur, nouée en pagne. Le hammam était, bien entendu, le lieu des cancans, les voisines du bain bavardaient, racontaient les dernières nouvelles de la ville… Des relations se nouaient, les mères de jeunes gens célibataires appréciaient les jeunes filles, les étudiaient dans leur plus simple appareil et des mariages se concluaient.
Edmond Secret rapporta également que le hammam jouait un grand rôle dans la cérémonie de mariage.
Une douzaine de jours avant ses noces, la fiancée commençait la période des sept bains. Le dernier correspondait à l’avant-veille de son entrée au domicile conjugal. Ce dernier bain comporte la cérémonie du taqbib. Parentes et amies accompagnaient la fiancée.
Les tayyabates, cierges à la main, la conduisaient tout habillée à la salle chaude, pendant que ses compagnes poussaient des youyous et chantaient ses louanges. Deux parentes déshabillaient la mariée. Alors, dans sept seaux d’eau tiède préparée à l’avance, les tayyabates puisaient l’eau avec un récipient provenant de La Mecque, tassat Mekka, et versaient l’eau sur la tête de la fiancée. La fiancée était ainsi sanctifiée et placée sous la protection des anges. Après le bain, la fiancée était coiffée de la mharma, châle brodé de soie noire, au prix parfois extrêmement élevé. Les servantes du bain chantaient la beauté de la jeune fille, ainsi que des louanges au Prophète. La fiancée ne devait plus remettre le costume qu’elle portait à l’entrée : il était donné aux tayyabates, avec une somme modique.
Le rituel du bain de l’accouchée, quant à lui, avait lieu l’après-midi, entre le sixième et le vingtième jour. La mère n’emportait pas son enfant, qui restait confié à la garde de la sage-femme. Les femmes du hammam accueillaient par des youyous l’arrivée de l’accouchée.
Celle-ci était précédée par deux tayyabates, qui tenaient à la main un cierge et un brûle-parfum. Le premier bain de l’enfant avait lieu à un an révolu. La mère, portant son enfant sur son dos, entrait habillée jusqu’à la salle chaude. Là, elle allumait un cierge ou une lampe à huile. Alors seulement, elle pouvait déshabiller l’enfant.
Ce sont là des temps révolus… A Fès, hammam Kalkaliyine, hammam Qarqoufa (le bain où l’on grelotte), al-Amir, Rechacha… A Salé, hammam Boutouil, celui de Derb Sidi Turki, celui de Shlihe, à Rabat, le hammam Maroca, celui de la Rue des Consuls, ceux des Oudayas et de Chellah… Et bien d’autres, à travers le Maroc, aujourd’hui disparus, faisant s’évanouir en ces lieux bien des éclats de rires ou encore d’homériques disputes féminines… Un grand nombre de bains maures ont été abandonnés, d’autres ont été démolis. Mais, des hammams continuent à exister, à vivre, comme en se gaussant de l’usure du temps. Ainsi, à Oujda, le plus connu est le hammam al-Bali, dont la construction date de celle de la casbah et de la Grande mosquée en 1296, sous le règne d’un sultan mérinide, Abi Yacoub Youssef… Bien que vétuste, il continue à vivre, et à faire perdurer traditions et rituels
Zamane
L’histoire du hammam :
– que l’on appelle aussi « bain maure », en référence à l’Espagne musulmane d’Al Andalus
– s’est développée à la faveur de l’expansion de l’Islam dans les pays du Maghreb et du Moyen-Orient, grâce à l’Empire ottoman. Mais, son origine éminemment romaine puise ses racines dans les thermes romains et grecs.
Durant l’Antiquité, les Romains construisaient, voici plus de quatre millénaires pour les plus anciens, de grands thermes publics au centre-ville. Les arabes préférèrent, quant à eux, en construire plusieurs, plus petits, disséminés à travers la ville. La pratique du hammam ne commença vraiment à se développer qu’au début du VIIe siècle apr. J.-C., lors des conquêtes arabes en Syrie. Les conquérants furent en effet séduits par ce rituel à l’eau chaude. Le hammam, « qui répand la chaleur », « eau chaude », ou encore « source chaude » en arabe, se compose de trois ou quatre salles de température différente, selon le même principe que les thermes romains. Comme dans les thermes, le baigneur passait à travers une série de salles, mais leur importance respective différait.
Dans le hammam, le tepidarium (salle tiède) romain devenait un simple couloir menant des vestiaires au harara (pièce la plus chaude) où l’on pouvait être longuement massé, ce qui n’était pas le cas dans le caldarium romain. Alors que les Romains terminaient leur séance dans une bibliothèque ou une salle d’étude, au hammam, on se retrouvait dans la salle de départ, où l’on s’allongeait sur des couchettes. Des serviteurs apportaient alors des boissons et rafraîchissaient les baigneurs avec des éventails.
De Volubilis à Fès
Au Maroc, le premier hammam islamique connu est celui de Volubilis, situé en contrebas, au sud-ouest du site, sur la rive droite de l’oued Khoumane. Des fouilles récentes ont montré que ce monument faisait partie du quartier général fondé par Idriss Ier à l’extérieur de l’enceinte romaine. Vu ses dimensions réduites, il s’agit vraisemblablement d’un hammam privé qui faisait partie d’un complexe résidentiel. Sa datation remonte à la période où Idriss Ibn Abd Allah, descendant de la famille du Prophète, arriva sur le site où il fut accueilli par la tribu des Awraba qui le prit pour imam. Le quartier et le hammam ont survécu à son assassinat et à l’abandon de la ville par les Idrissides au profit de Fès, nouvelle capitale de la dynastie. Idriss II, fondateur de cette ville hypothétiquement en l’an 802, et ses compagnons, avaient apporté la pratique du bain d’étuve de Volubilis qui fut leur premier séjour en terre marocaine. Plus tard, au XIVe siècle, aux dires de Ali Ibn Abd Allah Ibn Abi Zar al-Fassi, auteur du célèbre Rawd al-Qirtas, il y avait, à Fès, 93 hammams au temps des Almohades.
Les expressions, employées aujourd’hui encore dans les hammams, paraissent perpétuer une certaine tradition espagnole. Pour le Maroc, l’influence espagnole fut prépondérante sous les Almoravides et surtout les Almohades. En effet, uniquement à Cordoue, sous Abderrahmane III, on comptait, d’après l’écrivain et historien marocain du XIVe siècle Ibn Idhari, et seulement pour les femmes, pas moins de trois-cents bains publics.
Cet art du Xe siècle a pu fournir, sans nul doute, de nombreux exemples aux conquérants de la péninsule ibérique, revenus en terre marocaine après la Reconquista. Par ailleurs, l’appellation assez énigmatique de fornaci (salle de combustion) indiquerait aussi, dans les temps modernes, un apport venu du Bosphore.
Oignon de scille et djinns:
Plus près de nous, Edmond Secret – très vraisemblablement un pseudonyme – dénombra, dans le tome II du Bulletin de l’Institut d’Hygiène du Maroc, dans le Fès des années 1940, trente hammams. Ses calculs lui permirent d’estimer qu’on y accomplissait, chaque jour, plus de 6 000 bains. Au moins une fois par semaine, tous les habitants adultes de la médina – qu’il s’agisse du peuple ou de la moyenne bourgeoisie – se rendaient dans un des hammams publics.
Les grands bourgeois, quant à eux, possédaient un hammam particulier au sein de leur belle demeure. Et dans une courte étude architecturale des bains de la capitale et de sa ville voisine, l’architecte et peintre orientaliste Edmond Pauty dénombra, quant à lui et à la même période, 17 hammams à Rabat et Salé, mais souligna avec insistance qu’ils ne représentaient qu’une faible partie des hammams qui prospéraient jadis.
Au fil des siècles, dans ce lieu de socialisation par excellence, des contes, des légendes et des croyances se tissèrent et restèrent ainsi fortement liés à la pratique du hammam. Léon l’Africain, diplomate et explorateur de l’Afrique du Nord des XVe et XVIe siècles rapporta ainsi que les propriétaires et les employés des hammams, une fois l’an, invitaient leurs amis et s’en allaient en troupe hors de la cité au son des fifres, des tambourins et des trompettes, pour arracher un oignon de scille qu’ils mettaient dans un beau vase en cuivre. Ils s’en retournaient ensuite dans la cité, toujours dans ce joyeux tohu-bohu, jusqu’à la porte du hammam.
Ils plaçaient ensuite l’oignon de scille dans un panier qu’ils pendaient à la porte d’entrée du hammam. Le propriétaire du bain et ses employés étaient ainsi persuadés que cette pratique leur ferait affluer plus de clientèle. Léon l’Africain affirme, dans sa Description de l’Afrique, que cette coutume venait des « anciens africains ». Il ajouta aussi ce détail intéressant concernant l’hygiène de l’époque : au hammam, les gens de qualité s’étendaient sur une pièce de feutre. Ils étaient ainsi – tout relativement – à l’abri des causes de contamination, à une période où les épidémies faisaient rage…
Au début du XIXe siècle, le voyageur Ali Bey El Abbassi, pseudonyme de l’Espagnol Domingo Badia y Leblich, rapporta à propos des hammams de Fès cette anecdote toute personnelle : « Les bains sont ouverts au public toute la journée. J’y allais ordinairement la nuit, prenant toute la maison de bains pour moi seul afin qu’il n’y eût point d’étrangers… La première fois que je m’y suis rendu, ayant fait la remarque qu’il y avait des seaux d’eau symétriquement placés au coin de chaque salle et de chaque cabinet, je demandai à quoi ils étaient destinés. «- Ne les touchez pas Seigneur, répondirent avec empressement les gens du bain. – Pourquoi ? – Ces seaux sont destinés à ceux d’en bas. – Qui sont ceux d’en bas ? – Les démons qui viennent se baigner pendant la nuit ».
Certains hammams possédaient une pièce consacrée à un saint, parfois enterré sur place. Il y a peut-être là, nota Edmond Secret, « une survivance du culte antique des divinités thermales, dont les statues ornaient les bains grecs et romains ». Ainsi, à Fès Jdid, les habitués du Hammam Zebbala rendaient un culte à Lalla Chafia (Madame la Guérisseuse), qui possédait un sanctuaire dans la salle tiède. Par une invocation, les fidèles se mettaient sous sa protection jusqu’à leur sortie du bain. Dans son enquête sur les bains de Rabat-Salé, Edmond Pauty releva quant à lui que les hammams, selon la croyance populaire, sont « le lieu de prédilection des jnouns ». On franchit ainsi, nota-t-il, le seuil du pied gauche – alors que celui de la mosquée se fait du pied droit -, et le lieu était aussi, selon une autre croyance tenace, le moyen de guérison de tous les malaises (al-tabib al-abkam).
« Nhar al-hammam »
Après les croyances venaient les rituels. Il y avait ainsi certaines exceptions au fait que les hammams étaient des lieux publics. Ainsi, selon Edmond Secret, à Fès, dans certaines grandes familles, comme celle des chorfas idrissides, les femmes ne sortaient pas pendant la journée. Les familles louaient ainsi le hammam la nuit, une fois par semaine ou par quinzaine. Vers dix heures, tous les membres de la famille, hommes, femmes, enfants, esclaves, allaient au hammam. Les hommes passaient les premiers, les femmes ensuite. Le hammam ouvrait le matin à l’aube pour que les croyants puissent se purifier avant la prière du fajr. Toute la matinée, jusqu’à une heure, le hammam n’était ouvert qu’aux hommes.
L’après-midi, il appartenait aux femmes jusqu’à dix heures du soir, puis les hommes revenaient jusqu’à minuit. Les garçons après sept ans n’étaient plus admis au bain des femmes.
Toujours à Fès, dans les années 1940, l’après-midi, dans les ruelles de la vieille ville, on rencontrait souvent de petits cortèges de femmes accompagnées de fillettes. Elles avaient à la main des bouilloires et des seaux de cuivre. Une esclave noire précédait ou fermait la marche, portant sur la tête un ballot de linge. Ces femmes allaient au hammam. C’était alors « Nhar al-hammam », un jour important dans la vie quotidienne de la famille fassie et l’une des rares sorties de la bourgeoise de Fès. Soigneusement préparée, cette sortie avait toujours lieu après la fin des menstrues de la maîtresse de maison. Vingt-quatre heures avant, cette dernière s’enduisait les cheveux de henné. La bouilloire contenait de l’eau parfumée de rose et de fleurs d’oranger, destinée à apaiser la soif des baigneuses. Les ustensiles nécessaires au bain prenaient place dans un seau en cuivre. Pièce obligatoire du trousseau de la mariée, ce seau de cuivre, plus ou moins finement ouvragé, symbolisait la richesse d’une famille.
Socialisation et youyous
À côté des objets de toilette, on plaçait dans le seau pour des oranges et quelques œufs durs. Il fallait, en effet, tenir durant de longues heures : le bain d’une dame était en effet très long et durait souvent toute l’après-midi. Partie de chez elle à trois heures, la baigneuse n’y rentrait qu’à huit ou même neuf heures le soir.
Aussi, les femmes payaient-elles double tarif : au lieu de trois seaux d’eau pour un homme, il fallait pour chacune d’entre elles au moins dix seaux. La coquetterie leur faisait garder sur elles leurs bagues et leurs bracelets et elles portaient, à l’intérieur du hammam, un caleçon ou encore une serviette à rayures de couleur, nouée en pagne. Le hammam était, bien entendu, le lieu des cancans, les voisines du bain bavardaient, racontaient les dernières nouvelles de la ville… Des relations se nouaient, les mères de jeunes gens célibataires appréciaient les jeunes filles, les étudiaient dans leur plus simple appareil et des mariages se concluaient.
Edmond Secret rapporta également que le hammam jouait un grand rôle dans la cérémonie de mariage.
Une douzaine de jours avant ses noces, la fiancée commençait la période des sept bains. Le dernier correspondait à l’avant-veille de son entrée au domicile conjugal. Ce dernier bain comporte la cérémonie du taqbib. Parentes et amies accompagnaient la fiancée.
Les tayyabates, cierges à la main, la conduisaient tout habillée à la salle chaude, pendant que ses compagnes poussaient des youyous et chantaient ses louanges. Deux parentes déshabillaient la mariée. Alors, dans sept seaux d’eau tiède préparée à l’avance, les tayyabates puisaient l’eau avec un récipient provenant de La Mecque, tassat Mekka, et versaient l’eau sur la tête de la fiancée. La fiancée était ainsi sanctifiée et placée sous la protection des anges. Après le bain, la fiancée était coiffée de la mharma, châle brodé de soie noire, au prix parfois extrêmement élevé. Les servantes du bain chantaient la beauté de la jeune fille, ainsi que des louanges au Prophète. La fiancée ne devait plus remettre le costume qu’elle portait à l’entrée : il était donné aux tayyabates, avec une somme modique.
Le rituel du bain de l’accouchée, quant à lui, avait lieu l’après-midi, entre le sixième et le vingtième jour. La mère n’emportait pas son enfant, qui restait confié à la garde de la sage-femme. Les femmes du hammam accueillaient par des youyous l’arrivée de l’accouchée.
Celle-ci était précédée par deux tayyabates, qui tenaient à la main un cierge et un brûle-parfum. Le premier bain de l’enfant avait lieu à un an révolu. La mère, portant son enfant sur son dos, entrait habillée jusqu’à la salle chaude. Là, elle allumait un cierge ou une lampe à huile. Alors seulement, elle pouvait déshabiller l’enfant.
Ce sont là des temps révolus… A Fès, hammam Kalkaliyine, hammam Qarqoufa (le bain où l’on grelotte), al-Amir, Rechacha… A Salé, hammam Boutouil, celui de Derb Sidi Turki, celui de Shlihe, à Rabat, le hammam Maroca, celui de la Rue des Consuls, ceux des Oudayas et de Chellah… Et bien d’autres, à travers le Maroc, aujourd’hui disparus, faisant s’évanouir en ces lieux bien des éclats de rires ou encore d’homériques disputes féminines… Un grand nombre de bains maures ont été abandonnés, d’autres ont été démolis. Mais, des hammams continuent à exister, à vivre, comme en se gaussant de l’usure du temps. Ainsi, à Oujda, le plus connu est le hammam al-Bali, dont la construction date de celle de la casbah et de la Grande mosquée en 1296, sous le règne d’un sultan mérinide, Abi Yacoub Youssef… Bien que vétuste, il continue à vivre, et à faire perdurer traditions et rituels
Zamane
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