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7/02/2014

Saveurs et vertus traditionnelles : Sur la route des épices

L’histoire millénaire a montré que les recettes de cuisine sont le fruit de tâtonnements au cours desquels on a associé dans des proportions raisonnables et sur la base des connaissances acquises sur la teneur en éléments nutritifs, les ingrédients : légumes, fruits, épices, huiles.
Ainsi, si l’histoire de ces aliments a été longue et semée d’embûches, celle des épices l’a été davantage.
L’humanité a vécu une véritable épopée des épices, devenues, à des époques fastes, objets de commerces caravaniers en des points du globe, situés aux antipodes comme l’Asie, l’Europe, l’Afrique, l’Amérique. Aussi, transportées d’un continent à l’autre grâce à des générations de marchands intrépides et tenaces dans leur commerce, les épices ont révolutionné la cuisine et la médecine traditionnelle.
Des denrées précieuses qui remontent à la nuit des temps
L’appellation épices viendrait de la diversité des espèces originaires d’un grand nombre de pays.
Les Egyptiens des temps pharaoniques connaissaient parfaitement les vertus du cumin pour l’avoir longtemps utilisé, d’abord pour la momification, avant de l’introduire comme ingrédient dans les recettes culinaires. Le cumin, connu en Méditerranée depuis 5 000 ans, est recherché pour ses vertus de fidélité. Quant aux clous de girofle, ils étaient couramment employés comme antibiotiques.
Toujours dans le Moyen et Extrême-Orient, liés par la route de la soie et des épices, dont le point de départ était la Chine ainsi que tous les pays du Sud-Est asiatique, comme la Malaisie, la muscade était réputée pour la croyance, conformément à des pratiques anciennes.
Balbeck, près de Beyrouth ainsi que la vallée de la Becca, gravement endommagées par les tremblements de terre, sont pourtant restées attachées aux brassages des traditions et des civilisations marquées par le temple de Jupiter aux six colonnes et les cérémonies rituelles.
Elles sont situées au carrefour des voies de passage, à la limite des continents qui voyaient passer des marchands d’épices ayant servi aussi de véhicules des récits légendaires. Que de contes, fables, proverbes, légendes anciennes ont voyagé dans l’espace et le temps grâce à des marchands qui ne manquaient pas de talents de conteurs, de maîtres de la langue !
Des épices pour l’échange de saveurs culinaires et de productions culturelles
On a maintenant compris pourquoi y a-t-il eu tant de similitudes entre productions de tradition orale en Asie, en Afrique, en Europe. Les auteurs indous furent connus plusieurs siècles avant l’ère chrétienne. Au IVe siècle, l’Ethiopien Esope, adopté par les Grecs en sa qualité de fabuliste et de philosophe, n’ignorait rien des fabulistes indous de la trempe de Bidpaï.
A la faveur des voyages à travers des pays et des contacts fructueux, les marchands d’épices étaient férus de littérature populaire. En mémorisant les productions orales comme la poésie, les contes et légendes merveilleuses remontant à des millénaires, ils avaient acquis toute la sagesse du monde.
Les épices, qui intéressaient tous les peuples de vieille civilisation, constituaient des sources de revenus appréciables, pour ne pas dire d’enrichissement. Elles donnaient envie de manger et de s’instruire. Aussi, plus on en consommait, plus on en demandait.
La coriandre et le céleri, plantes aromatiques méditerranéennes, avaient suscité un engouement sans précédent en cuisine. On rivalisait d’ardeur dans l’invention des recettes à base d’épices qui excitaient l’appétit. C’est de leur découverte qu’est née la sauce de poissons à base de petits anchois pour la marinade comme pour la macération de la viande pendant plusieurs jours avant la cuisson. On avait inventé aussi le four chauffé à la braise.
Les Chinois adoraient les épices, 2 000 ans avant J. C. Pendant des siècles, ils ont parcouru la route de la soie, passant par l’Indonésie et la Perse. Ils ont fait découvrir la noix de muscade et la poudre de 5 épices : anis, fenouil, clous de girofle, piment, gingembre, auxquelles on a ajouté l’ail. Grâce à eux, le monde a connu aussi les champignons comestibles qui, laissés à mijoter, dégagent un parfum délicieux.
L’épopée des épices créatrice de liens commerciaux et facteur de rapprochement au fil des siècles
Au fil des siècles, Africains, Arabes de Tripoli, du Caire ou de Beyrouth, Chrétiens et Juifs se sont côtoyés pour négocier la vente des épices qui ont fait le bonheur de tous. L’acheminement de la marchandise depuis l’Extrême-Orient s’est effectué à dos de chameaux. Nous devons répéter, parce que cela est important, que la rencontre entre marchands de différents continents s’est accompagnée d’échanges intéressants, particulièrement sur le plan culinaire. Chacun des partenaires a appris à emprunter aux autres les recettes de cuisine à base d’épices. Le cumin et la cannelle ont été là l’origine du perfectionnement des cuisines : libanaise, turque, iranienne.
Les Libanais avaient introduit puis développé une tradition consistant à consommer du café avec la cardamoom. Toujours au Liban, comme dans la vallée de la Becca, on a toujours privilégié les plats épicés, comme le taboulet ou la salade au persil. On y a aussi une prédilection pour la cannelle et le poivre ; la cannelle qui était reconnue avoir un pouvoir aphrodisiaque était fortement recherchée par les femmes désireuses d’attirer l’attention des hommes. Plus tard, au XVIe siècle, les Espagnols rapportent d’Amérique la tomate, autre ingrédient à multiples vertus et au goût bien prononcé s’accommodant parfaitement des épices.
Au fil du temps, les cuisiniers ont appris à marier poivre, gingembre, cannelle, safran provenant d’une fleur séchée, importée de Zanzibar, mais cultivée en Espagne. Les Espagnols en mettent à leurs plats pour relever le goût du mélange de tomates pelées et de poivre vert. Ce qui nous fait penser aux peuples dont la spécialité culinaire reste le poulet, accompagné de fruits de mer et d’épices orientales.
De l’Inde à l’Europe,
en passant par le Liban
Les pays du Moyen-Orient, avec le Liban en tête, ont connu des périodes fastes au cours desquelles le négoce des épices s’est développé, surtout avec les Vénitiens qui acheminaient à travers
les Alpes des quantités considérables d’épices, particulièrement de gingembre fort recherché, malgré son prix ; une livre de gingembre valait un mouton.
Avec le poivre noir, la cannelle, les clous de girofle, le gingembre, la viande de bœuf cuite dans une marmite en terre, avait acquis un goût exceptionnel. Partout, la cuisine a été promue au rang des arts avancés. L’introduction des épices a été suivie d’idées nouvelles et du développement de l’esprit inventif dans le domaine culinaire.
C’était l’heure de la sélection des meilleures variétés de poivre, d’écorce de cannelle, de clous de girofle ou de sauge, selon que ces plantes aromatiques provenaient de Guinée, de Java ou du Sri Lanka. Désormais, on ne pouvait plus prétendre faire manger agréablement sans le poivre qui apporte ce quelque chose de savoureux. Les voyages des marchands portugais expliquent bien cet engouement pour ces voyages lointains, même s’ils devaient se procurer les épices au prix fort.
De ce trafic, Lisbonne s’est enrichie. Les marchands sont alliés jusqu’au Mozambique pour y fonder une colonie d’esclaves avant de traverser la mer d’Arabie, l’Océan indien pour rejoindre les côtes de l’Inde où Goag était devenu un port portugais. Les Portugais se sont lancés dans un commerce prospère des meilleures variétés de piment rouge, cannelle, safran, menthe, coriandre, cumin huile d’arachide raffinée en Inde. Plus tard, ils se rendent en Malaisie, s’emparent du port de Malacca, haut lieu de négoce des épices tenant Venise sous sa dépendance.
Après la découverte du Mexique par Christophe Colomb, les Portugais prétendaient avoir conquis l’est de l’Asie comme l’avaient fait les Espagnols pour l’Ouest. Çà et là, on entendait parler de crevettes au riz à la portugaise et à la muscade. Christophe Colomb leur avait apporté d’autres saveurs et des fruits exotiques.
A partir du voyage au Mexique, on a assisté chez ces peuples conquérants à la découverte des plats de poivrons farcis, de la vanille provenant d’une population indigène, les Totanoks pour qui, derrière le safran, la vanille était l’épice la plus chère.
Peu après, les Hollandais, sous couvert d’une civilisation, se sont lancés à leur tour dans la conquête de territoires et d’archipels, dont ils ont pris soin de massacrer les peuples pour s’emparer de leurs épices : muscade, girofle…
Puis, en venant coloniser l’Île Maurice, dans l’Océan indien, les Français ont brisé le monopole des Hollandais. Pierre Poivre, éponyme de l’épice célèbre, avait sonné le glas des Hollandais en devenant gouverneur chargé de l’exploitation de 40 ha de jardin aux épices.
Vinrent ensuite les Anglais en Indonésie à la place des mêmes Hollandais qui durent s’incliner. On doit aux nouveaux occupants la fondation de comptoirs d’épices originaires de cette région du monde attachée à la cuisine traditionnelle. Il existe des milliers de plantes aromatiques fort appréciées comme l’anis étoile au Sri Lanka et en Inde.
C’est dans ces pays qu’on fait un usage régulier du piment, citronnelle, gingembre, feuilles de cumin, lait de coco, qui donnent un goût fantastique aux plats traditionnelles.

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