L'OUBLI de soi, lorsqu'il est souverain bien-aimé, fait - hélas! - parfois d'heureux ignorants.
Dans le monde actuel, il faut savoir d'où l'on vient, - ce qui déterminerait ce que l'on est et où l'on se situe dans les rangs des peuples libres. Le passé idéologique forge la nationalité qui définit l'identité. Ces mots «nouveaux» ne seraient-ils formulés que pour préciser la réalité d'une conscience nouvelle, l'idée persisterait encore, car c'est ce que chacun est aujourd'hui qui lui donne sa valeur, - et d'autant que le monde, comme il va, exige de chacun à être soi... Justement, Noureddine Benamara nous ramène à cette vérité-là décrite dans sa longue et riche réflexion autobiographique qu'il nous propose dans son livre Les Meknassas de L'Ouarsenis (*).Ces Berbères du vrai fonds berbère
D'emblée, ça tire l'oeil. Ce travail de recherche annonce son fort volume de documents consultés et laisse apparaître la scrupuleuse vigilance de l'auteur qui semble devoir ne rien écarter ou perdre des tenants et des aboutissants de l'Histoire perdue puis retrouvée des Meknassas. La structure, qu'il donne à son ouvrage, se distingue par un caractère d'utilité, elle sous-tend un assemblage d'informations à la fois en grande quantité et pressées. La modestie de sa plume juste et vive sert efficacement l'intérêt de l'objectif recherché qui est celui de combler la lacune d'un fait historique trop souvent oublié et, qui plus est, manque de sources fécondes. Peu d'écrits existent, en effet, sur cette période et sur le thème abordé, sauf peut-être chez René Basset, par exemple, sa belle Étude sur la Zanatia de l'Ouarsenis et du Maghreb central, (Publication de l'École des Lettres d'Alger), éd. Ernest Leroux, éditeur, Paris, 1895. Quoi qu'il en soit cet essai intitulé Les Meknassas de L'Ouarsenis est un chant d'amour et de liberté, dédié à la «Numide Algérie», berceau sublime des Meknassas héroïques de tous les temps et, par ainsi, c'est également une oeuvre de courage infini et de passion d'écrire librement pour témoigner, car cette oeuvre est éditée à compte d'auteur...
Noureddine Benamara est natif de Tiaret, la cité chargée d'histoires humaines dans les Hautes Plaines d'Algérie, docteur d'État en droit de l'université Paris X et enseignant universitaire. Il sait ce dont il parle: de ce qu'il a vécu lui-même et de ce qu'il a reçu de ses «aïeux, les Meknassas de L'Ouarsenis», eux-mêmes issus d'une lointaine tribu nomade berbère, celle des Zenâta (Zénètes). Leur histoire, autant attachante que complexe, est impossible à évoquer ici en quelques lignes. Ces Berbères, du vrai fonds berbère, furent de grands chameliers originaires d'Ifrîqiya et, au témoignage de l'éminent Ibn Khaldoun, ils furent aussi, à l'avènement de l'islâm, des représentants dignes de la branche Botr, les descendants d'un éponyme légendaire Maghdis el-Abtar. Beaucoup d'entre eux, à la suite de la conquête de l'Andalousie sous la direction de Tariq ibnou Ziyâd, à laquelle ils avaient pris part, s'installèrent, à leur retour, dans l'émirat de Sijilmassa dans le Tafilelt. Leur chef Meknassa el-Moutazz s'allia aux Khâridjites et ses troupes adoptèrent l'islâm khâridjite dont le foyer central s'organisera, plus tard, sur le versant du Djebel Djouzzoul, dans la ville de Tâhert (ou Tîhert, «La lionne», en berbère), aujourd'hui Tagdemt, non loin de Tiaret, l'ancienne cité romaine. Cette cité, accédant à l'imâmat vers 766, deviendra capitale des Ibâdites. Mais bientôt, la tribu guerrière des Maghrawa en chassa les Meknassas qui allèrent se disperser approximativement dans les Hautes Plaines proches du Sahara. Tout particulièrement, un grand nombre de Meknassas se fixèrent sur les pentes de la chaîne de l'Ouarsenis («Rien de plus haut», en berbère) abritant Tiaret. L'Histoire révèle, du reste, qu'«un Miknassa, Messalla ibn Habbous, obtint du khalife fatimide Oubaïd Allah le gouvernement de Tihart et du Maghreb central.»
Dans l'«Avant-propos» à son ouvrage Les Meknassas de L'Ouarsenis, Noureddine Benamara décrit ses motivations d'enfant de Tiaret s'éveillant, «à peine plus âgé de 6 ans en 1954» à la découverte de l'histoire de ses origines. Il situe spécialement ce qu'il appelle «le Douar Méknassas» de ses rêves et de ses émotions. Il finit par y apprendre progressivement que ses «aïeux» n'étaient pas «Gaulois», car «Comme tous les enfants indigènes de mon quartier, écrit-il, ´´Ras e'Soq´´ ou ´´Douar Méknassas´´, j'avais fréquenté en effet, ces écoles traditionnelles coraniques où l'on m'avait enseigné de manière pragmatique, que j'étais musulman et par raccourci habituel, que j'étais donc ´´Arabe´´.» De même, les films égyptiens parlant arabe, produisaient sur lui une profonde impression, «Mais cette image, elle aussi, était brouillée dès que je replonge dans mon milieu familial où l'on me répétait sans cesse que j'étais ´´Méknassi´´. Mais qu'était-ce être Méknassi? La réponse était simple, les ´´Benamara ´´appartiennent à la tribu des Méknassas de l'Ouarsenis occidental, établie sur les deux rives centrales de la vallée de l'oued Rhiou. Et comme tous les jeunes Méknassis, j'eus droit à mon voyage initiatique dans cette région, chez des oncles et des cousins des grands-parents, restés accrochés à leurs maigres lopins de terres. J'appris là que les ´´Benamara´´ avaient été expropriés de leur terre à la fin du XIX e siècle. Comme tant d'autres Méknassis [...], ils avaient dû émigrer vers Tiaret où ils s'étaient établis à la périphérie nord de la ville française de Tiaret. Ils y avaient reconstitué leur ´´boqâà´´, ´´cercle´´ ou ´´douar´´ Méknassas, tout proche du marché indigène ´´Ras e'Sog´´ affublé par les habitants de la ville moderne, du nom méprisant de ´´bazar´´ Méknassas. Ces Méknassas de Tiaret, repartaient de manière périodique vers leur région d'origine, comme on peut aller en pèlerinage. Ils allaient se ressourcer pour ne pas oublier, et nous emmenaient enfants avec eux, pour nous transmettre leur mémoire. Je leur en suis reconnaissant. Et là, j'appris que j'avais des liens très forts avec cette terre de l'Ouarsenis, pourtant âpre et rugueuse.»
L'Ouarsenis numide
Entrons vite, sans hésiter, à travers l'histoire de l'Homme de l'Ouarsenis, dans la grande Histoire des origines de l'Algérie et de ses populations jusqu'à «La Renaissance» et découvrons le «Très lourd héritage» du territoire ancestral, non seulement régional, mais bel et bien national. Jugurtha le Numide et ses fils, Abdelkader l'Algérien et ses fils, «les dignes filles et fils de Novembre» sont effectivement une découverte ou une remémoration pour nous tous. De plus, Noureddine Benamara a pu écrire avec raison dans sa conclusion: «En suivant le fil de laine des Méknassas de l'Ouarsenis, j'ai appris à mieux voir et à apprécier plus, la richesse des motifs et des couleurs du tapis ´´numide-algérien´´. Suivons donc les étapes héroïques de ces Meknassas dont nous faisons partie et qui font partie de nous-mêmes à jamais: l'Algérie plurielle depuis les temps immémoriaux des générations et des générations passées, ayant vécu sur notre terre désormais libre et indépendante.
En somme, l'émotion est immense, pleine et instructive, celle que met en nous Noureddine Benamara avec son livre Les Meknassas de l'Ouarsenis. Remontons l'Histoire de l'unité essentielle du peuple algérien en quinze chapitres ponctués de plusieurs exergues et appuyés de nombreuses notes, illustrés par des photos et des cartes, accompagnés de textes choisis, suivis d'une chronologie et d'une bibliographie que l'on pourrait compléter encore aisément par des titres qui font autorité dans le domaine de la recherche de cette tranche d'histoire. Il faut lire ces chapitres dont: Les origines (L'apparition de l'homme dans l'Ouarsenis. Les valeurs culturelles et civilisationnelles dans l'Ouarsenis berbère.), Parties d'un tout (L'Ouarsenis massaessylien. Pour une Numidie unifiée, L'Ouarsenis numide.), Vents d'Occident (La «Numidie Algérie» agressée. L'ordre romain en Numidie du Nord. La radicalisation progressive de la révolte numide.), Le Royaume de l'Ouarsenis (Les Royaumes, L'oeuvre des rois tihertins), Vents d'Orient (La résistance aux Oméyades, Les Méknassas et la propagande de l'islam), etc.
Sincèrement, c'est à cette catégorie d'ouvrages que je tiens. Ils nous permettent, si j'ose dire, d'avancer dans notre passé. Aussi, Noureddine Benamara a-t-il parfaitement raison de «chercher notre vérité par nous-mêmes» et de nous mettre sous les yeux une histoire d'Algérie qui revivifie notre mémoire. La nôtre a tellement été bourrée d'étranges histoires conçues par le système scolaire colonial qu'elle reste encore assez sclérosée et se tient même méfiante des écrits de certains auteurs si bien affidés qu'ils aient été à la colonisation française de 1830 à 1962, - cela dit, évidemment, «sauf le respect dû à ceux qui ne méritent pas cette remarque.»
(*) LES MEKNASSAS DE L'OUARSENIS de Noureddine Benamara
Ouvrage édité à compte d'auteur, Alger, 2013, 448 pages.
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