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7/02/2014

Les «anges de la révolution» Hommage aux infirmières et médecins durant la guerre de Libération nationale

Qui peut se passer de la femme ? Depuis Adam et Eve, la femme a toujours été aux côtés de l’homme, dut-elle ne pas être parfois estimée à sa juste valeur. Le 8 mars est une date qui lui est exclusivement dédiée, sans distinction de race, ni de religion. Offrir une fleur à sa femme, sa sœur ou sa collègue, en cette journée hautement symbolique, est une reconnaissance à tout ce que ce qu’elles font. Une gratitude aux sacrifices qu’elles consentent dans l’accomplissement de leurs devoirs. Cette journée, mondialement fêtée, célèbre des femmes ordinaires qui ont fait l’Histoire. Elle puise ses origines dans la lutte que mènent les femmes depuis la nuit du temps, en vue d’être traitées au même titre que les hommes. C’est ainsi que dans l’antiquité grecque, Lysistrata fit une «grève sexuelle» contre les hommes pour mettre un terme à la guerre. En France, également, des Parisiennes, demandant liberté, égalité et fraternité, ont marché sur Versailles pour exiger le suffrage des femmes durant la révolution française. Il convient de souligner que l’idée d’une Journée internationale de la femme a vu le jour au courant du dix-neuvième siècle, période marquée par l’expansion, la croissance démographique explosive et des idéologies radicales dans le monde industrialisé. En Algérie, cette journée est consacrée à nos concitoyennes qui sont de tous les combats. Des femmes avec un grand F. C’est dans cette vision, d’ailleurs, que notre quotidien a rendu un vibrant hommage, ce jeudi, aux moudjahidate infirmières qui ont soigné les moudjahidine durant la guerre de libération nationale. Un hommage bien mérité en somme, puisque l’Algérienne, quel que soit son statut, a accompagné l’évolution de sa société, sans jamais rechigner. C’est dire qu’outre qu’elle assume sa responsabilité de femme, l’Algérienne occupe de hautes responsabilités. L’histoire regorge d’exemples de femmes qui font encore parler d’elles. De Kahina, à Boulmerka, en passant par Djamila Bouhired, l’Algérienne a toujours su dire «nous sommes là» au moment voulu. Ce qu’elles attendent de nous, c’est d’être à la hauteur de leur courage, et de ne pas attendre cette date pour les mettre sur un pied d’égalité que l’homme.

Elles étaient toutes là. Venues parfois de loin. Meriem Mokhtari de Tiaret ou Na Aldjia de Tizi Ouzou. D'autres infirmières de l'ALN, même si leur nom n’est pas évoqué dans le numéro spécial d'Horizons étaient sensibles à ce geste de reconnaissance. Comme Abdelwahab la "bougiote" qui était en wilaya 4. Elle a tenu à être présente comme Mimi Maziz. Cette dernière se fera un nom dans les milieux de la presse. Elle était sur les frontières algéro-marocaines et après les accords d'Evian, elle prit part aux campagnes de vaccination notamment contre la tuberculose en faveur des réfugiés qui s'apprêtaient à rentrer au pays. Beaucoup de personnes étaient présentes à l'hôtel Hilton ce jeudi. On pouvait voir aux premiers rangs l'ancien ministre de la Culture Lamine Bechichi a côté de Louisette Ighilahriz ou la sénatrice Leila Ettayeb souriant à deux rangées du général à la retraite Hachemi Hadjeres très discret. On pouvait aussi reconnaître le professeur Pierre Chaulet avec le professeur Belkhodja, un grand nom de la gynéco-obstétrique.

Assurément, la cérémonie organisée par le journal au profit de ces femmes qui ont sacrifié leur jeunesse et parfois leurs études a été une réussite. Un grand moment de retrouvailles teintées d’émotion. Beaucoup de confrères se sont dit séduits par le geste et la qualité du numéro spécial édité pour l’occasion. "L'histoire doit faire partie aussi de nos préoccupations. Ce n'est pas interdit et même recommandé de parler des problèmes d'aujourd'hui mais sans oublier le passé", dira l'un d'entre eux. En plus des représentants des médias (ENTV, radio et plusieurs titres publics ou privés), de nombreuses institutions comme la présidence de la République, le ministère des Moudjahidine ont délégué leurs représentants. Le chef de cabinet représentait le ministre de la Santé.

D'emblée, la directrice du journal Mme Abbas a indiqué que "ces infirmières avaient soigné et veillé sur la révolution et ce geste envers elles est un devoir de mémoire". "Chaque tranche de vie de l'une d’elle, ajoutera-t-elle, est une page d'histoire en elle-même et qu’elles sont des exemples pour l'éternité".

En présence du chef du gouvernement saluant l'initiative du journal qui, l'an dernier, avait rendu hommage par un numéro similaire aux femmes journalistes durant la Révolution et du ministre de la Communication, les infirmières ou parfois leurs familles ont reçu des médailles de reconnaissance. Ce n'est pas peu. Beaucoup tenaient à être destinataires des photos prises par les photographes. «Chacun est sensible à de tel gestes», dira Mme Leila Ettayeb. Les Algériens ne sont pas amnésiques et cela permet aux nouvelles générations de savoir ce qu'ont enduré leurs parents", ajoutera-t-elle. «C'est une initiative qui va droit au cœur», renchérit la sœur de Rabia Boudjemaa, une militante de Hadjout décédée l'an dernier.


Paroles simples et émouvantes

Après la remise des médailles aux 14 infirmières et à Mme Ighilahriz, deux d'entre elles sont montées à la tribune. De la wilaya 5, elles ont évoqué en termes simples et émouvants les circonstances de leur engagement et les conditions de vie dans les maquis. «Dans les monts d’El Gaada, du côté d’Aflou, nous étions dans des grottes sous terre durant des mois. Je n’ai jamais imaginé revoir un jour la lumière, Si cela devait arriver, je croyais alors que je deviendrais folle», dira El Horra. Elle avait treize ans, une fillette, quand elle prit le chemin du maquis. On avait alors été obligé de lui faire une tenue spéciale. On peut la voir au musée du Moudjahid de Riadh El Feth.

On ne s’est pas contenté d’écouter des témoignages main aussi une intervention du professeur Messaouda Yahiaoui, enseignante au département de l’université d’Alger. Elle a travaillé sur le sujet et le connaît sur le bout des doigts. Plusieurs noms traverseront son intervention. Les professeurs Toumi qui remplacera Lamine Khane après que ce dernier quitte la wilaya 2 pour devenir secrétaire d’Etat au GPRA. Elle évoque aussi le Dr Youcef Khatib, Bachir Mentouri et Ali Ait Idir le premier chirurgien de la révolution algérienne. Nafissa Hammoud était une des responsables de la santé en Kabylie. Elle survivra à la guerre et deviendra ministre de la Santé sous le gouvernement Ghozali au début des années 90.

Elle parlera aussi du docteur Amir devenu responsable à la présidence et à qui on doit l’un des ouvrages les plus documentés sur les services sanitaires de l’ALN et de Yamina Cherrad de la wilaya 2. «Il y a eu beaucoup d'héroïnes anonymes parce que ce n'était pas une guerre classique où tout était archivé et fiché», soulignera le professeur Yahiaoui. Meriem Houari aussi a côtoyé de grands hommes comme le colonel Lotfi, le Dr Damerdji, Abdelghnai Okbi, le capitaine Chaib et Zoulikha Ould Kablia. «On l'appelait Saliha».

Le professeur Abid, enseignant à la faculté de médecine d'Alger, évoquera les sœurs Bedj, Messaouda et Fatma qui tomberont au champ d’honneur. La seconde, condisciple du colonel Hassan au lycée d'El Asnam, deviendra Meriem au maquis. Elle dirigera le premier centre de santé de l'ALN érigé à Tamezguida et installera plusieurs dans la wilaya 4. Il formule le vœu qu'un établissement public de leur ville natale porte leur nom. Il existait, certes, une école primaire des sœurs Bedj mais elle fut détruite par le séisme de 1980.

L’espace d'une matinée, des femmes qui ont depuis gravi des échelons ou d'autres restées modestes ont fait revivre l'épopée d'une génération à qui on ne sera jamais assez reconnaissant. Elles ont montré aussi comme insista El Horra que «la femme ne s'est pas contentée au maquis de laver et de préparer les repas mais elle était une combattante au vrai sens du terme». Et elles en sont toujours fières. Elles recommandent surtout, sans calculs, de prendre soin d’un pays pour lequel tant d’hommes et de femmes se sont sacrifiés.
-- Rencontrées en marge de la cérémonie d’hommage qui leur a été rendu, les moudjahidate infirmières étaient aux anges, contentes d’une reconnaissance tant attendue. 46 ans après l’indépendance du pays qu’elles ont loyalement servi, elles n’ont rien perdu de leur beauté, ni de leur verve. Plus que jamais belles, certaines d’entre elles ont bien voulu donner leurs impressions :


Bouamama El Hora :


«C’est un plaisir de voir les moudjahidate infirmières récompensées de la sorte. Moi qui suis montée au maquis à l’âge de treize ans, j’ai abandonné les études pour soigner les blessés. C’est un choix que j’ai fait et j’en suis fière. C’est pour la première fois qu’un hommage officiel soit rendu aux infirmières qui soignaient les moudjahidine durant la guerre de libération nationale. Je tiens à remercier infiniment toute l’équipe du journal Horizons, particulièrement la directrice, pour cette initiative. Je suis très contente. Franchement, les mots m’échappent pour dire toute ma gratitude. J’espère que les autres organes prennent exemple de votre publication».

Hamoudi Aldjia :


«Toutes les infirmières honorées aujourd’hui sont doublement contentes, puisque non seulement un hommage leur est rendu, mais aussi elles sont honorées la veille de la Journée mondiale de la femme. C’est un double évènement. Tu sais, mon fils, j’étais infirmière même si je n’ai pas poursuivi des études. J’ai soigné des moudjahidine blessés avec des moyens dérisoires. Moi-même j’étais blessée à deux reprises, et j’ai abandonné ma fille unique pour servir la cause nationale. Dieu merci. Nous avons arraché notre indépendance après tant de sacrifices. Je voudrais seulement que les jeunes d’aujourd’hui prennent exemple de leurs aînés pour que prospère l’Algérie».

Mokhtaria Meriem :


«C’est une journée exceptionnelle pour moi, une seconde naissance. C’est un geste sublime que d’honorer des moudjahidate infirmières qui ont servi la cause nationale. Même si cette reconnaissance est venue 46 ans après l’indépendance de notre pays, il n’en demeure pas moins que cet hommage nous va droit au cœur. J’en suis gré à toute l’équipe de votre journal pour ce qu’elle a fait pour nous. C’est un geste inoubliable que j’ose espérer devenir une tradition. Nous, les moudjahidate infirmières, nous avons fait notre devoir envers notre patrie. Nous souhaitons que la jeunesse algérienne fasse de même. Dieu seul sait combien nous avions souffert, et grâce à Lui et notre foi, nous avons arraché l’Algérie aux griffes du colonisateur».

Leila Ettayeb :


«Je voudrais, avant tout, remercier tout le staff d’Horizons, le chef du gouvernement et le ministre de la Communication qui ont honoré de leur présence cet évènement inoubliable et fabuleux. Le choix porté sur les moudjahidate infirmières montre que cette catégorie a combattu aux côtés de leurs frères moudjahidine. Vous savez, j’ai beaucoup apprécié l’intervention de Hora Bouamama et celle de Mokhtaria Meriem, particulièrement pour leur spontanéité. Je suis fière qu’il y ait une dame à la tête du quotidien Horizons, et le professionnalisme des journalistes femmes de cette publication. Cela prouve que nous avons réussi l’après-indépendance. Je voudrais dire à nos jeunes continuez à évoquer l’histoire de notre pays. Le fait d’avoir pensé aux moudjahidate infirmières dénote le rôle important qu’elles ont joué durant la guerre d’Algérie, et l’oubli de ce corps après l’indépendance».

Hassiba Abdelwahab :


«Je suis très contente et triste à la fois. Contente que cet hommage soit une reconnaissance pour ce qu’on a fait durant la Révolution algérienne, et triste parce que des souvenirs lointains ont resurgi subitement dans ma tête. Nous avons vécu des moments intenses. On formait une famille. Après avoir décroché mon diplôme d’infirmière à l’école Verdin, je suis montée au maquis en juin 1955, à Zbarbar. Si Abdellah fut notre responsable. Au début, il se méfiait de nous croyant que nous étions envoyées par l’armée française. Mais la crainte s’est estompée d’elle-même après quelques jours. Durant la bataille de Zbarbar, il y avait énormément de blessés. On enlevait les balles des corps des blessés à l’aide des lames-rasoir. Dans la wilaya IV, nous étions très bien organisées».

Madassi Houria dite Mimi


«Je ne peux pas m’exprimer. Je n’arrive pas à trouver les mots. C’est louable comme initiative, d’autant que l’hommage qui nous est rendu coïncide avec la Journée mondiale de la femme. Je tiens à témoigner du rôle qu’ont joué les villageoises durant la guerre. Ce sont elles qui cuisinaient, qui lavaient le linge. C’est dommage que personne n’ait pensé à elles. Qu’elles sachent qu’elles sont toutes dans nos cœurs. Je leur rend un grand hommage, car elles furent de véritables chevilles ouvrières pendant la guerre».

Janine Belkhoudja


«C’est la première fois qu’il y ait une reconnaissance officielle pour les moudjahidate infirmières. C’est une aubaine pour renouer les contacts entre nous. Il y a ici des infirmières que je n’ai pas revues depuis au moins trois décennies. Au-delà de cet hommage, il faudrait faire un recensement des moudjahidate infirmières ou médecins pour avoir une vue d’ensemble sur ce qu’elles ont accompli dans le service sanitaire pendant la glorieuse révolution».

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