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7/08/2014

Cadrage historique de l'irrigation en Algérie

Sommaire
Irrigations antiques, tribales et arabo-andalouses           
Politique d’irrigation et PMH coloniales                                                                                                
La grande hydraulique et la politique des grands barrages
La Petite et Moyenne Hydraulique
Le Sahara
Conclusion
La politique hydro-agricole de l’Algérie indépendante
Les hésitations de la planification socialiste (1962-1980)
Nouvelle politique et impasse hydro-agricole des années 1980-1990
Les nouvelles orientations des années 2000
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Irrigations antiques, tribales et arabo-andalouses
Avant de rapporter synthétiquement ci-après quelques repères historiques sur l’histoire des irrigations et des sociétés hydrauliques il faut garder à l’esprit que le qualificatif de Petite et Moyenne Hydraulique (PMH) n’est apparu en fait qu’à l’époque de la colonisation française[1] pour marquer une différence avec une hydraulique nouvelle créée de toute pièce par l’Etat : la grande hydraulique, ses grands périmètres irrigués et ses trames agraires géométriques. Avant ces grands aménagements coloniaux le distinguo n’existait pas. Il y avait l’irrigation, ses techniques, ses ouvrages, ses cultures et ses sociétés, avec sa diversité de systèmes, et le Maghreb n’avait jamais vu de barrages de « grande hydraulique » d’envergure comme l’archéologie en avait révélé au Yémen ou en Iran, pour ne citer que les plus connus.
L’histoire précoloniale de l’irrigation au Maghreb est en fait une histoire de PMH, et tout ce qui ne fut pas ni n’est pas grande hydraulique, liée aux grands barrages réservoirs, est de la PMH. On verra plus loin dans le chapitre sur l’évaluation des politiques coloniales et socialistes de l’irrigation, que la PMH n’était pas une priorité dans la politique hydro-agricole et qu’elle était le fait des sociétés paysannes « périphériques » des régions plus marginales des montagnes, des steppes et des oasis sahariennes, en dehors des grandes zones de colonisation et de citadinité, là où l’histoire se faisait et là où elle se fait encore.
Et pourtant cette PMH historique, qualifiée d’irrigation traditionnelle, reléguée au rang des technologies « moyenâgeuses », dépassées, qui ne permettent ni une production « intensive », ni une efficience de l’utilisation de l’eau, sont la face émergée résiduelle d’un héritage prestigieux de la civilisation arabo-musulmane dans le domaine agricole en général et de l’irrigation[2] en particulier, comme nous l’évoquons ci-dessous.
On ne sait si à l’époque berbère pré-romaine des techniques tribales d’irrigation en terrasse étaient déjà développées dans les zones de montagnes semi-arides et sub-humides du Maghreb telles qu’on peut encore les observer ça et là au Maroc et dans une moindre mesure en Algérie. Il est admis que les zones de montagne, châteaux d’eau de l’Afrique du Nord, constituaient les zones centrales de peuplements d’avantage que les plaines intérieures plus insalubres et moins sures. On sait par contre que dans les zones d’oasis actuelles sahariennes l’agriculture y était déjà pratiquée juste avant l’ère chrétienne au niveau de petites principautés berbères proto-zénètes et de communautés judéo-mélano-berbères. Des techniques rudimentaires d’irrigation y étaient pratiquées : cultures lacustres, de décrue, de ruissellement par submersion avec canalisations rustiques d’amenée (cf. Annexe 9 sur l’évolution historique de l’hydraulique oasienne)
Par contre l’archéologie atteste de travaux et d’ouvrages hydrauliques importants (aqueducs, citernes, petits barrages) en Algérie à l’époque romaine. Ceux-ci étaient principalement destinés à l’alimentation en eau potable des villes et de leurs thermes. Certes les cités romaines devaient comporter des vergers et des jardins périphériques arrosés à partir des adductions urbaines. Les romano-numides pratiquaient aussi l’épandage de crue dans les zones intérieures comme en témoignent les restes de barrages de dérivation, d’impluvium collecteurs et de seguias dans les zones de Chemora, sur l’oued Djellal, sur l’oued Mellagou . Mais dans l’ensemble cette hydraulique agricole participait avec les plaines céréalières intérieures et côtières à la vocation de grenier à grains qu’avait assigné Rome à sa Maurétanie Césarienne et à sa Numidie connexe.
L’hydraulique arabo-musulmane[3] allait compléter l’héritage de l’hydraulique romaine qui était celle des citernes, des aqueducs et des transferts en lui apportant sa science et son art spécifique en la matière à travers l’expansion géopolitique de l’Islam en Moyen-orient et en Asie. L’hydraulique arabo-andalouse[4] fut ainsi un point focal d’accumulation et de valorisation des techniques d’irrigation et des plantes acclimatées, adaptées et développées en Espagne et en Afrique du Nord.
La technologie hydro-agricole arabo-andalouse et les différents systèmes d’irrigation (saki, sakiya) liés comprenaient en résumé :
-       La science de la détection de l’eau[5] et de la construction des puits (bi’r): puits arabes ronds à fond circulaire et à margelles ovales, puits persans oblongs.
-       Les techniques d’exhaure : roues à godets hydrauliques ou gyro-tractées par des animaux (saniya, noria na’ura, ), balanciers (chadouf).
-      Les canaux et rigoles d’irrigation (qanat, qadus, seguias) et l’art de conduire l’eau gravitaire en courbe de niveau.
-      Les citernes et bassins de régulation (sharidj).
-      Les techniques d’irrigation à la parcelle par submersion : rigoles (sawaki), casiers ou bassins (haoud), localisée (arrosoirs et autres instruments).
-      L’art du nivellement, du planage, du drainage naturel et du terrassement des parcelles.
-      La connaissance et le contrôle de la salinité des eaux d’irrigation.
-      Les techniques d’association de la fumure et de l’arrosage.
-      L’agronomie des espèces rapportées du Khorasan à la Mésopotamie , acclimatées et adaptées grâce à l’irrigation : riz, sorgho, blé dur, canne à sucre, coton, melon, épinards, artichauts, oranges, citrons. Les cultures d’été, la diversification et l’intensification des assolements, etc.
A partir de cet héritage hydraulique arabo-andalou, mais aussi à partir d’autres apports directs au Maghreb et peut-être de techniques « autochtones » en milieu saharien (foggara-s, dlou-s, ghout-s), c’est ainsi toute une spécificité et une diversité de l’hydraulique agricole qui s’est ainsi développée en Afrique du Nordde part la variété de ses climats, de ses reliefs, de ses paysages, de ses hommes et de ses cultures :
-       Périmètres terrassés de montagne à partir de sources et de prises sur oueds, culture de la pente, de la séguia; horticulture intensive, sociétés sédentaires hydrauliques ethno-lignagères ;
-       Périmètres d’eaux de crues et d’impluvium, gestion sociale de l’aléa et de la pénurie, sociétés tribales agro-pastorales de la steppe ;
-       Zones maraîchères du sahel littoral ou péri-urbaines, culture du puits et de l’exhaure, sociétés paysannes composites ;
-       PMH coloniale gravitaire ou de pompage « moderne » à canaux portés et/ou seguias bétonnées, et équipements de régulation et de partition, sociétés paysannes acculturées, colonisées /décolonisées ;
-       Systèmes oasiens traditionnels : foggaras, ghout-s, puits arabes, puits persans, puits artésiens, séguias et partiteurs, sociétés ksouriennes hydrauliques, tribales et à castes ;
-       Nouveaux systèmes modernes de la PMH développés à partir de pompages dans des lacs collinaires, ou de puits ou forages individuels ou collectifs (concessions GCA), avec une variété de modes d’irrigation à la parcelle (gravitaire, aspersion, goutte à goutte), sociétés déstructurées individualistes.
En résumé quelles sont les grandes caractéristiques d’une société « paysanne » hydraulique traditionnelle ? On peut retenir pèle mêle à ce stade :
-       Des cultures techniques hydrauliques collectives autonomes transmises de génération en génération. Ces cultures hydrauliques font partie de la culture tout cours et de l’identité culturelle des individus.
-       Des droits d’eau collectifs et micro-collectifs (lignages), et individuels familiaux à des paliers de niveaux sociaux variables qui décodent la structure sociale.
-       Des organisations conséquentes de gestion participative collective de l’eau, des équipements et de l’irrigation : tours d’eau, amazzel, cheikh el ma, twiza, entretiens collectifs des réseaux et des ouvrages, ventes d’eau aux enchères (foggaras), experts locaux.
-       Des solidarités et des conflits internes et externes aux groupes sociaux  par rapport à la gestion sociale de l’eau . Des systèmes d’arbitrage  par paliers ethno-lignagers et tribaux.
-       Des systèmes socio-techniques et de production liés adaptés à l’irrégularité, à l’aléa, au risque, à la rareté, à la pénurie, à la diversité, à la plurifonctionnalité.
-       Des inégalités des droits d’eau, de la propriété foncière liée, de niveaux de vie et de catégories sociales liés : chefferies, notables, inféodés, clients, commensaux, maîtres, esclaves, confréries, zaouïas
-       Des sociétés de type « paysanne », caractérisées par :
    • L’intégration et la structuration en groupes domestiques, (‘aïlas et lignages),
    • L’interconnaissance et la transmission du savoir interne de génération en génération,
    • La recherche de la sécurité et de la reproduction simple de la société et non pas des surplus,
    • Des surplus gérés par des systèmes de clientélisme et d’échanges avec des groupes d’affinités sélectives et non pas d’ouverture sur l’économe de marché,
    • La médiation avec les sociétés extérieure par le système des notables,
  • Un système social global de résistance aux contrôles de l’Etat et de la société englobante
Politique d’irrigation et PMH coloniales[6]
A l’instar de la colonisation romaine, et bien plus tard de la Régence Ottomane, l’espace rural algérien avait été vu au début par le colonisateur français comme un grenier à blé pour la métropole. Avec la loi du 16 juin 1851 qui classait toutes les eaux d’Algérie dans le domaine public, allait s’ouvrir une période de conflit structurel avec le droit coutumier musulman[7] qui allait faciliter la spoliation des terres irriguées ou irrigables par les algériens.
La grande hydraulique et la politique des grands barrages
Très vite cependant le colonisateur allait réaliser les limites des réserves de bonnes terres irriguées ou facilement irrigables, et la première génération des barrages-réservoirs allait se développer pendant la deuxième moitié du XIXème siècle. Cette politique hydraulique était fondée sur le principe que pour « faire une bonne colonisation il fallait une bonne hydraulique agricole. [8] Cette nouvelle politique hydro-agricole fut basée sur des barrages réservoirs.[9] Elle supposait par ailleurs une mobilisation conséquente du foncier au profit des colons, ce qui fut obtenu à travers les deux outils législatifs fondamentaux du Senatus Consulte de 1863[10] et la loi Warnier de 1873.
Pendant la période 1850-1894 furent ainsi construits 7 grands barrages :
-       5 en Oranie (Cheurfas, DJidiouia, Tlelat, Fergoug, Magoum) ;
-       2 dans l’Algérois (Hamiz, Meurad).
Pour un volume total cumulé de retenues de quelque 65 millions de m3.
Ces premiers barrages furent construits dans la précipitation sans études préalables sérieuses avec le concours de compagnies coloniales et européennes capitalistes sur lettre d’invitation de Napoléon III en personne. Le bilan de cette première vague de construction de grands barrages fut négatif aux plan des performances technologiques : ruptures de digues de barrages[11], durée des travaux de constructions parfois rédhibitoires trop courtes (2ans) ou trop longue (jusqu’à 20 ans), envasement prématuré des retenues …
Ces contre performances entraînèrent par contre coup des programmes d’études hydrologiques et de bassins versants de base qui avaient fait cruellement défaut pour l’exécution des ouvrages.
Par ailleurs, en matière de contribution des usagers si l’Etat colonial investissait il leur demandait par contre de prendre en charge les frais d’entretien des réseaux en se constituant en syndicats d’irrigation. Les syndicats se constituaient mais étaient réticents[12] - L’Etat finit par restreindre les investissements hydrauliques à partir de 1880 jusqu’à un arrêt pur et simple des grands travaux à partir de 1890[13]. Au bout du compte force fut de constater l’échec de cette première politique hydraulique agricole coloniale, et les grands travaux hydrauliques n’allaient pas reprendre avant l’après première guerre mondiale.
En 1900 le bilan de l’irrigation algérienne pouvait se résumer comme suit :
-       35 entreprises d’irrigation et 576 syndicats d’irrigation au total ;
-       330 400 ha irrigables pour 201 200 ha effectivement irrigués (61%), dont 150 000 ha de céréales (75%); et 20 000 ha (6%) seulement à partir des grands barrages ;
-       346 m3/s équipés à partir des grands barrages réservoirs pour 26 m3/s seulement utilisés en moyenne ;
-       Au total les barrages réservoirs ne représentent que 7% du total des eaux d’irrigation (65 millions m3 eaux régularisées pour 10,9 milliards m3/an utilisés).
Le premier bilan historique d’inventaire des superficies « irrigables » en Algérie était demandé aux circonscriptions de l’hydraulique en 1882 par le Gouverner Général Tirman.  Les résultats en furent 193 000 ha nouveaux irrigables à partir de 365 millions de m3 qui seraient régularisables …
Finalement, à la fin du XIXème siècle les terres irriguées ne représentent que 13% des terres des colons, et la colonisation de peuplement reste basée sur la céréaliculture pluviale et la vigne.
Le déficit alimentaire de la métropole d’après la première guerre mondiale allait questionner à nouveau la colonie en matière de production agricole pour combler ce déficit. Un nouveau programme de grands travaux hydrauliques ambitieux allait être lancé en 1920 avec 14 nouveaux grands barrages[14], plusieurs petits barrages en Kabylie et de nombreux barrages de dérivation. Parallèlement un programme d’assainissement était lancé pour les grandes plaines marécageuses littorales et sub-littorales[15]. Ce vaste programme relativement ambitieux pour l’époque et dans son contexte colonial allait être étalé et révisé jusqu’à la fin des années 30 vu les contraintes budgétaires de la colonie.
A partir de 1935 le système de la colonisation foncière officielle allait s’éteindre, et il est intéressant de noter le Service de la Colonisation allait devenir le Service de la Colonisation et de l’Hydraulique pour s’occuper désormais de la mise en valeur des terres irrigables. Ainsi la colonisation changeait son optique, ne cherchant plus à s’étendre sur de nouvelles terres indigènes, mais se concentrant sur les terres irrigables à partir de grands barrages et l’eau potable. Cette nouvelle politique de grande hydraulique se poursuivra jusqu’à l’indépendance avec une troisième génération de barrages à fins hydroélectriques vu la dépendance énergétique de la colonie qui avait été révélée pendant la deuxième guerre mondiale.
Parallèlement la petite hydraulique restait le parent pauvre de la politique hydraulique coloniale. Limitée à des captages de sources, de creusements de puits, de petites barrages de dérivation etc. Elle était commandée par la stricte satisfaction de besoins locaux ça et là.
Il faut retenir que la nouvelle orientation de la politique hydraulique avait suscité dès les années 20 une kyrielle de demandes de concessions d’oueds entiers[16] pour construction de barrages. Certains projets de barrages furent remiser dans leurs cartons (Oued Rhiou, Oued Taht, Oued Isser, Oued Rhummel, Oued el Abd, El Kantara), les autres et de nouveaux seront construits entre 1926 et 1963, dont la plus grande partie avant 1945. Il s’agira finalement des 9 barrages réservoirs suivant : O Fodda, Ghrib-Boughzoul, Bakhada, Bou Hanifia, Zardezas, Beni Bahdel, Ksob, Foum el Gueiss, Hamiz et Cheurfas (surélévation) et un barrage de dérivation (Hardy).
Ces barrages totalisaient une capacité initiale de stockage de 800 millions de m3, pour une superficie irrigable de cumulée de 146 000 ha, ce qui restait finalement un programme moyennement ambitieux …
La dernière tranche de construction 1945-1963 de grands barrages porta sur les 5 nouveaux barrages suivant : Sarno, Tadjemout, Foum el Gherza, Meffrouch, La Cheffia (Bou Namoussa) et la surélévation de Bakhadda. Leur capacité de stockage cumulée représentait 686 millions de m3 pour une superficie totale irrigable de 44 000 ha seulement (vocation hydro-éléctrique mixte ou unique de ces nouveaux barrages).
Finalement à la veille de l’indépendance on pouvait mettre à l’actif de la colonisation une vingtaine de grands barrages réservoirs qui représentaient une capacité mobilisée de quelque 1452 millions de m3, et un potentiel irrigable de 128 500 ha qui fut très loin d’être atteint comme nous le verrons ci-après.
L’efficacité des barrages allait être aussi altérée par l’envasement structurel. Sur 17 des principaux grands barrages on estimait un taux d’envasement[17] moyen global de près de 30% pour un âge moyen des barrages de 22 ans avec des extrêmes à 80-85% (Foum el Gueiss et Ksob (28 et 37 ans d’âge). Ce malgré quelque 24 périmètres délimités de défense et restauration des sols (DRS), déclarés d’utilité publique et créés pour la plupart en 1942/1943. Mais pour quelque 4,5 millions d’ha de superficies de bassins versants cumulées à l’amont des barrages en 16 ans (1946-1961), seulement 54 000 ha seront reboisés, 169 000 ha seront traités en DRS dans les périmètres et 135 000 ha hors périmètre, ce qui ne représente que 4,5 % de l’objectif des programmes de DRS, réalisation insignifiante …
En matière d’équipements et de taux d’irrigation des périmètres de grande hydraulique (152 000 ha)[18] à l’aval des barrages réservoirs, on estimait en 1960 que 46% seulement des superficies équipées étaient effectivement irriguées, pour un rythme moyen d’équipement annuel globalement moitié de celui qui était programmé. Finalement la situation des grands périmètres se résumait comme suit :
-       Surface totale classée : 152.000 ha,
-       Surface équipée : 105.560 ha (69%),
-       Surface irriguée : 47.840 ha (45%),
-       Volume d’eau moyen disponible calculé : 530 millions m3,
-       Volume d’eau amené en tête des réseaux : 420 millions m3 (79 % de la possibilité),
-       Volume d’eau effectivement distribué aux usagers : 304 millions m3 (72%),
-       Volume moyen délivré à l’hectare : 6060[19] m3.
Le faible taux relatif d’utilisation de l’eau d’irrigation s’expliquait à la fois par les fuites sur les ouvrages de tête et par le manque de motivation des colons pour payer l’eau.
Quant à la répartition des cultures en irrigué on peut retenir globalement les taux d’occupation suivant, par ordre décroissant : arboriculture 44% (dont agrumes 30%), maraîchage 29%, céréales 18%, cultures industrielles 2,5%, fourrages 2,5%. On constate, malgré tout, une très nette évolution vers des spéculations plus intensives depuis l’après deuxième guerre mondiale[20].
La Petite et Moyenne Hydraulique
Si on excepte les barrages de moyen hydraulique et les grands ouvrages de dérivation, on ne peut pas dire que la Petite et Moyenne Hydraulique ait fait l’objet d’une politique volontariste et planifiée jusqu’aux années 50. Son bilan reste plus imprécis eu égard son caractère hétéroclite, diffus et aux réalisations étalées dans l’espace et dans le temps sur plus d’un siècle de colonisation. Malgré cela il faut retenir d’entrée de jeu qu’elle permettait d’irriguer en 1960 plus du double de la superficie réellement irriguée en grande hydraulique …
Au titre de la PMH étaient ainsi classés dans l’Algérie du nord :
-       Les barrages réservoirs de moyenne importance,
-       Les barrages collinaires,
-       Les barrages de dérivation,
-       Les pompages  et les forages,
-       L’aménagement des sources,
-       La création de points d’eau pour l’alimentation humaine et pastorale.
Le bilan des 5 barrages réservoirs classés en moyenne hydraulique[21] (cf. supra) était le suivant en 1960 :
-       Superficie irrigable 54.000ha,
-       Superficie équipée 45.500 ha (84%),
-       Superficie effectivement irriguée 13.000 ha (28,5%).
Ce qui constituait des performances comparées encore moindres de celles de l’ensemble des grands barrages de grande hydraulique (cf. supra). Ce constat de fait, cette moyenne hydraulique s’expliquait, en sus des contraintes évoquées précédemment pour les grands barrages, par le problème de sous estimation des problèmes d’envasement et de capacité à y pallier, et peut-être aussi par une surestimation des apports hydrologiques, selon la spécificité de chaque ouvrage bien entendu.
Les barrages collinaires.
Le coût prohibitif de la grande hydraulique par rapport à ses limites de performance amena l’administration à partir années 50 à se réorienter en partie vers une hydraulique agricole plus modeste et davantage à « échelle humaine », celle des lacs collinaires. En 1958 le bilan apparaissait comme suit :
-       1016 retenues collinaires,
-       Volume cumulé des digues 11 millions de m3,
-       Volume cumulé des retenues 38 millions de m3 (3,5 m3 de digue pour 1 m3 d’eau stockée),
-       Superficie irriguée 18 400 ha (2000 m3 de stockage en moyenne par ha),
-       Superficie cumulée des bassins versants captés 44.800 ha (soit une moyenne globale de 2,4 ha de BV capté par ha irrigué),
-       Caractéristiques moyennes d’une retenue : 38.000 m3 de stockage, 44 ha de BV pour 18 ha irrigués.
De ces caractéristiques structurelles on peut déduire que les collinaires, s’ils étaient « rentables » en terme de ratios surfaciques ha BV/ha irrigué[22], par contre ils signifiaient un faible rendement technico-économique des digues d’une part, et des systèmes culturaux irrigués peu intensifs, d’autre part. Fort de la réussite physique de ce programme de collinaire l’administration coloniale formula en 1960, dans le cadre du fameux Plan de Constantine, un nouveau programme décennal ambitieux de quelque 5300 retenues collinaires qui auraient irrigué quelque 100 000 ha, 5 seulement furent réalisés, en Kabylie …
Les barrages de dérivation[23]
On a vu précédemment que la réalisation de barrages de dérivation fut une constante secondaire dans la politique hydraulique coloniale dès la moitié du XIXème siècle. On ne dispose malheureusement pas d’un bilan systématique en la matière, ce qui laisse supposer qu’il n’y avait pas de politique de suivi-évaluation en la matière. Les barrages de dérivation furent notamment réalisés dans les zones semi-arides et arides des Aurès (11 900 ha d’irrigation de crue) et dans la steppe : Sersou, Hodna, Chott Chergui …
Les pompages et les forages
Les pompages collectifs d’envergure concernèrent notamment dans les années 40 les deux rives de l’Oued El Harrach en Mitidja avec quelque 5.200 ha irrigués en assolements intensifs (agrumes, maraîchage, vignes) pour un potentiel irrigable estimé alors à près de 9.000 ha. Les extensions envisagées prévoyaient d’atteindre quelque 24.000 ha …
Les forages profonds intéressèrent surtout les zones oasiennes avec 10 m3/s cumulés dans l’Albien et l’Oued Rhir. Ailleurs dans le Tell ils ne dépassèrent pas 2 m3/s en cumulé.
Au total on estimait en 1960 quelque 12.000 installations de pompage, toute catégorie confondue,  irriguant près de 80.000 ha pour l’ensemble de l’Algérie, soit près du double de l’irrigation réalisée en grande hydraulique. Il tombe sous le sens qu’ici comme ailleurs les techniques mécanisées et motorisées de pompage furent au service de la colonisation et permirent, bien plus que les grands barrages, une spoliation relative des droits d’eau traditionnels et des ressources naturelles potentielles.
L’aménagement des sources
En matière d’aménagement de sources importantes à fin d’irrigation il y a lieu de retenir les réalisations d’envergure les plus connues suivantes :
-       Celles des Monts de Constantine, avec un débit total cumulé de 1760l/s (Hamma, Fourchi et Bou Merzoug) qui irriguées des jardins et des vergers luxuriants ;
-       La source d’Aïn Skhouna sur le Chott Chergui[24] (500 l/s de captés pour un potentiel estimé de 4m3/s)
L’aménagement de points d’eau faisait partie également de la nouvelle politique hydraulique coloniale des années 50. Il se fit sous la direction des chefs de commune avec l’appui des Ponts et Chaussées et de l’Hydraulique et la participation effective des populations européennes et indigènes intéressées. Le bilan en fut l’aménagement de plus de 3000 points d’eau dans le Tell principalement, pour un total de points d’eau recensés de plus de 35 000 en 1961, ce qui ne représentait finalement qu’à peine 8%.
Dans la steppe les Secteurs d’Amélioration Rurale (SAR) avaient parallèlement aménagé quelque 1.500 points d’eau pastoraux entre 1946 et 1955, et prévoyaient en 1960 un nouveau programme mineur de 100 nouveaux points d’eau pastoraux.
Le Sahara
Nous ne traiterons ici que ce qui est des systèmes d’irrigation sahariens « coloniaux » nouveaux ou des systèmes traditionnels qui firent l’objet d’intervention par l’administration coloniale ou le colonat privé.
En résumé on peut dire que jusqu’à la découverte de la manne pétrolière les oasis sahariennes, alors peu peuplées, n’intéressèrent le colonisateur que pour l’exploitation spéculative de la datte deglet nour qui avait de débouchés assurés sur le marché européen.
Rappelons que les palmeraies connaissaient 3 systèmes essentiels d’irrigation :
-       Les forages artésiens ou non, avec irrigation par canaux gravitaires ;
-       Les ghouts, cuvettes de surcreusement pour l’exploitation racinaire des nappes phréatiques dunaires (Souf notamment) ;
-       Le système millénaire des foggaras.
C’est surtout le système d’irrigation par forages et puits tubés qui fut évidemment le domaine de prédilection du colonat européen, des sociétés commerciales et des commerçants et bourgeois algériens, au grand dam des nappes, des puits traditionnels (appelés « puits arabes ») et des systèmes traditionnels liés et des petits fellahs oasiens microfundiaires qui furent contraints à l’émigration. En résumé  on recensait ainsi :
-       Plus d’un millier de forages réalisés entre 1890 et 1930 ; avec diminution de plus de la moitié des puits traditionnels pendant la même période ;
-       Entre 1930 et 1945, 48 forages profonds (entre 60 et 900m), mobilisant un débit total cumulé de 2,2 m3/s ;
Conclusion
Au bout du compte la colonisation ne réussit pas vraiment à développer l’irrigation en Algérie, bien que la politique hydraulique fût pensée pour servir et favoriser avant tout le colonat. On a vu précédemment que diverses raisons participaient de cet échec :
  • Echec technique de la politique des grands barrages : risques hydrologiques, érosion, erreurs d’ingénierie et de Maîtrise d’œuvre, manque de performances des ouvrages et des réseaux, …
  • Prise en compte insuffisante des possibilités et du rôle stratégique de la Petite et Moyenne Hydraulique de surface : barrages collinaires, réseaux collectifs gravitaires de sources ou de pompages
  • Sous-développement de filières  de production intensives en irrigué qui auraient pu justifier les investissements lourds et les rentabiliser
  • Manque d’une politique d’orientations agricoles incitatives spécifiques aux systèmes de production irrigués.
  • Manque de concertation et de participation conséquente insuffisante des usagers bénéficiaires, colons et algériens.
  • Inadéquation du système de tarification de l’eau d’irrigation.
  • Organisations d’irrigants (Syndicats et entreprises) visant la rentabilité à court terme et l’exploitation minière, et ne participant pas à une politique de développement hydro-agricole durable.
  • Absence de planification et de suivi des ressources en eau à long terme.
  • Manque de gestion patrimoniale des ressources en eau souterraines et du potentiel des bassins versants (déforestation, défrichements).
  • Conflit entre l’appareil législatif colonial sur l’eau et le droit musulman traditionnel en la matière, et non reconnaissance des droits d’eau acquis avant 1830.
  •  …
Les chiffres clé de l’hydraulique agricole coloniale se résumaient en 1960 comme indiqué dans le tableau annexé ci-après.
La même année 1960 le Plan de Constantine prévoyait de porter l’irrigation à 256 000 ha en dix ans et évoquait des potentialités maximales de 1 300 000[25] ha avec la mobilisation de 6 milliards de m3/an et un rythme de réalisation de 20 000 ha par an étalé sur 60 ans. Estimation utopique sans doute, mais qui reconnaissait implicitement la faillite et le sous-développement de la politique hydro-agricole coloniale …
La politique hydro-agricole de l’Algérie indépendante[26]
Alors que les experts tiers-mondistes[27] des années soixante mettaient l’accent sur l’importance de l’irrigation comme puissant levier de contribution à l’autosuffisance alimentaire, l’Algérie indépendante allait beaucoup tarder avant de lancer un programme d’investissements hydro-agricoles d’envergure.
Ce n’est qu’à partir du début des années 80 que, dans le cadre du plan quinquennal 1980-1984, allait être lancé un plan ambitieux et volontariste de réalisation de barrages et d’investissements en grande hydraulique agricole (GPI) liés.
Ainsi en 1987 le Ministère de l’Agriculture et de la Pêche projetait pour 2010 une superficie totale irriguée de 827.000 ha (pour une population estimée à 48 millions d’habitants), à partir d’une SAU irriguée estimée à 282.000 ha en 1986, ce qui représentait un taux d’accroissement annuel moyen de 4,8 % par an[28]
Cet objectif ambitieux était alors essentiellement centré sur le secteur agricole socialiste et la PMH n’était alors que marginalement prise en compte. Cet objectif supposait la réalisation de 65 nouveaux barrages dans le Nord (3 par an) et quelque 50 km de linéaires de forages dans le Sud …
 Mais revenons quelque peu en arrière pour essayer de résumer quelle fut l’évolution dans les années 60-70 de la politique et des programmes hydro-agricoles au lendemain de l’indépendance sur la base d’un héritage colonial aux actifs limités, en dysfonctionnement et lourds à gérer, tels que nous l’avons décrit dans le chapitre précédent.
Les hésitations de la planification socialiste (1962-1980)
Rappelons brièvement que dès les premières années de l’indépendance la planification théorique du développement, influencée en partie par des universitaires étrangers tenant sinon militants de l’économie marxiste et de la planification centralisée, avait été décidée via le biais du développement industriel[29] qui devait fournit des biens d’équipement aux aménagements et équipements hydrauliques d’une part, et du matériel et des intrants à l’agriculture pour son intensification, d’autre part. Intensification[30] qui allait être le leitmotiv des décideurs et dirigeants, sans que les uns et les autres ne mettent toujours les mêmes concepts derrière le mot d’ordre …
Malheureusement à la fin des années 70 le Bilan Economique et Social de la décennie 1967-78 réalisé par le Ministère de la Planification et de l’Aménagement du Territoire en matière d’aménagements hydrauliques était sombre :
-       On ne comptabilisait que 3 nouveaux barrages[31] de construits ;
-       On constatait une régression sensible des superficies irriguées et en même temps qu’une forte dégradation de la satisfaction de la demande urbaine en AEP
Si on examine les caractéristiques des différents épisodes de planification de cette période on constate que :
-       Le Plan triennal 67-69 s’était contenté finalement d’une reconduction utopique du Plan de Constantine pour le Plan (cf. supra). Et on il ne fut pas étonnant de constater que le taux de réalisation des programmes hydrauliques de ce plan ne fut que de 49%.
-       Pour le Ier Plan quadriennal 70-73  6 nouveaux barrages[32] furent programmés, et si 70 % des investissements furent réalisés tout secteur confondu, on n’enregistra par contre qu’un taux de réalisation physique de 37% pour l’hydraulique.
-       Pour le IIème Plan quadriennal 74-77 enfin, la priorité fut nettement donnée à l’AEP et aux besoins industriels au premier chef. Paradoxalement on lui assigna aussi en outre des objectifs d’aménagement hydro-agricoles importants, puisqu’il était question de finir d’équiper 110 000 ha, et d’achever 4 barrages en chantier depuis le plan précédent … Il en résulta un taux de réalisations pour l’hydraulique qui chuta à 20% seulement, à la mesure d’une planification technocratique centralisée, déconnectée de la réalité
Le détail du bilan des réalisations et des dysfonctionnements du secteur hydro-agricole 67-78 pouvait se résumer comme suit :
-       55 000 ha de nouvelles superficies irriguées contre 166 000 initialement prévues, soit le 1/3 seulement.
-       Régression sensible des superficies effectivement irriguées en Grande Hydraulique (GH) qui allaient repasser en dessous de la « barre » des 50 000 ha.
-       Vieillissement des équipements de l’époque coloniale et dysfonctionnement des ouvrages et réseaux (Chelif, Mina, Sig, Habra, Bou Namoussa)
-       Défaut de drainages et remontées de sel (Habra, Mina)
-       Dégradation des périmètres de Moyenne Hydraulique (Ksob)
-       Absence de maintenance de certains barrages de dérivation
-       Désintérêt de la Petite Hydraulique (motopompes, collinaires …)
-       Ignorance du secteur de la propriété privée irriguée et des cultures collectives hydrauliques traditionnelles
Les seuls points positifs au tableau furent la réalisation de plusieurs études de base[33], d’inventaires et de planification de qualité sous la Maîtrise d’œuvre efficace du SES du Ministère qui allaient permettre de préparer la future nouvelle politique des années 80 …
Nouvelle politique et impasse hydro-agricole des années 80-90
A la veille des années 80 force était de reconnaître le double constat à la fois :
-       De la situation critique de l’AEP dans les villes dans le contexte d’une démographie urbaine en explosion ;
-       De la stagnation du secteur agricole en général et hydro-agricole en particulier.
Il fallait donc que la question hydraulique devienne « la priorité des priorités », une grande cause nationale en quelque sorte. Comment cela allait-il se traduire dans les plans, les programmes et les faits ?
Au niveau des allocations budgétaires pour le Plan quinquennal 1980-1984 et le Plan quadriennal 1985-1989, les investissements hydrauliques allaient atteindre 23 et 41 milliards DA, devenant ainsi supérieurs aux budgets totaux de l’agriculture, respectivement de 15% et 37% !
Au chapitre des réformes institutionnelles de grands changements allaient être décidés, sans toujours malheureusement de continuité fonctionnelle. L’Algérie indépendante des années 60 était restée sur l’héritage colonial dans lequel les barrages dépendaient du Ministère des Travaux Publics et de l’Equipement (MTPE), tandis que l’équipement et la mise en valeur des périmètres dépendait de la Direction Générale du Génie Rural du Ministère de l’Agriculture et de la Réforme Agraire (MARA).
En 1970 il fut décidé la création d’un Secrétariat d’Etat à l’Hydraulique mais ce nouveau montage institutionnel ne parvint pas à résoudre les problèmes de cloisonnement et de défaut de synergie avec le MARA qui perdurèrent. 1977 vit la création d’un Ministère de l’Hydraulique, de la Mise en Valeur et de l’Environnement (MHMVE) qui fut enfin le lieu d’élaboration et d’exécution d’une vraie politique hydraulique consolidée, tout en n’évitant pas une nouvelle rivalité avec la nouvelle direction du Génie Rural du MARA.
D’autres restructurations ultérieures sont intervenues par la suite :
-       Création de l’INRH puis de l’ANRH à partir de l’ancien SES ;
-       Création de l’ANB, l’AGEP et de l’AGID
L’accent était mis aussi sur la formation hydraulique, qui allait progressivement se substituer à la formation des ingénieurs à l’étranger et combler les manques de l’administration avec :
- L’instauration d’un baccalauréat en sciences de l’eau dans les lycées techniques ;
- 6 instituts de formation[34] de techniciens supérieurs et d’ATS en hydraulique, dotés chacun d’une spécialité (hydraulique urbaine, hydraulique agricole, génie civil hydraulique …
- 4 Instituts Nationaux d’Enseignement Supérieur (INES)[35] en hydraulique (promotions de 50/60 ingénieurs d’Etat par an.
-  La transformation en 1985 de L’Institut Hydrotechnique et de Bonification des Terres (IBH) créé à Blida en 1975, en Ecole Nationale Supérieur d l’Hydraulique (ENSH) avec de promotions de 70 à 80 ingénieurs/an.
Cette nouvelle organisation institutionnelle allait se traduire dans les faits par la mise en eau d’une série de nouveaux barrages et lancement de nouveaux (voir ci-dessous).
Parallèlement il y allait avoir pour la première fois élaboration d’un premier Plan Hydraulique National qui s’appuie sur des schémas directeurs pour chacune des 5 grandes régions hydrographiques dotés de bilans ressources-emplois aux horizons 2000 et 2010 pour l’eau potable et l’irrigation, avec scénarios alternatifs pour aider la décision du politique.
En 1982 une instance d’arbitrage était mise en place entre les différents utilisateurs en concurrence parfois sauvage : le Comité National des Ressources Hydrauliques (CNRH). Tandis que qu’était promulgué un nouveau code des eaux en 1983.
Dans le nouveau processus de planification hydraulique la ressource en eaux de surface régularisables est estimé à 5,7 milliards de m3. Ce qui a pour conséquence, fin des années 90, un nouveau programme ambitieux basé sur :
-       Un potentiel théorique de 55 nouveaux barrages réservoirs pour fin des années  80 : 37 en exploitation, 13 en construction et 18 nouveaux, projetés à l’an 2000;
-       Un potentiel de 13 nouveaux  barrages de dérivation pour seulement 4 en exploitation et 2 en construction
Le potentiel en eaux souterraines est évalué quant à lui à 1,8 milliards de m3 pour l’Algérie du Nord, dont 1,6 milliards mobilisables et, pour le Sahara, selon les sources et les points de vue, comme oscillant entre 3,5 et 5 milliards de m3/an
Si on constate donc une relance de nouvelles ambitions en grande hydraulique, avec priorité donnée à la demande urbaine, une nouvelle orientation d’envergure est en outre donnée à la PMH[36], avec une diversification des types d’aménagements hydrauliques envisagés, notamment en matière d’aménagement collinaire et des pompages liés.
Le Conseil des Ministres de mars 1985 adopte dans ce domaine, sur le modèle attractif de l’Italie du Nord, un programme volontariste de 1000 retenues collinaires qui révèle assez vite ses limites. L’étude SOGREAH 1962 avait pourtant émis des réserves sur la systématisation de ce type d’aménagement : rareté relative des sites convenables, violence des précipitations, importance des pentes, rapidité de l’envasement, coûts relativement élevés conséquent, limites de l’intensification des systèmes de production liés, problèmes de suivi et de gestion …
Finalement force est de constater que, malgré la dynamisation et la structuration du secteur de l’hydraulique étatique, le bilan de la période reste très en deçà des espérances en matière hydro-agricole. Sur 14 périmètres de GPI on observe une régression des superficies irriguées fin des années 80, qui passent de 66 170 ha en 1987 à 36180 en 1989 (-45% !), pour une superficie totale équipée de 145 120 ha (40 000 ha seulement d’augmentation depuis 1960, en 30 ans !)
Parallèlement la progression de Petite et Moyenne Hydraulique reste modeste avec 290 000 ha contre 240 000 ha en 1969 (+19%).
En dernière analyse cette impasse persistante du développement hydro-agricole à la fin des années 90 peut s’expliquer, entre autres, par les contraintes et facteurs limitant principaux suivant (pèle mêle) :
  • Dysfonctionnements et discontinuités administratives accompagnés de la politisation excessive du secteur,
  • Manque d’évolution des mentalités, des cultures techniques et des pratiques au niveau des acteurs administratifs et privés,
  • Manque d’une ingénierie innovante, pluridisciplinaire et de qualité, diversifiée (nationale et internationale),
  • Problèmes d’aléas hydrologiques des apports aux barrages et d’érosion des bassins versant,
  • Priorité insuffisamment planifiée donnée à l’AEP et aux grands transferts,
  • Démembrement et échec du secteur agricole socialiste et des domaines autogérés,
  • Non adéquation des structures et trames hydrauliques des GPI à l’individualisation des exploitations,
  • Problématique de sécurisation et de réorganisation du foncier hydro-agricole,
  • Manque de performance de ouvrages et des réseaux (eau potable et irrigation),
  • Importance et encadrement insuffisants accordés à la PMH
  • Absence de promotion de modèles de systèmes d’irrigation collectifs alternatifs entre GPI et irrigant individuel,
  • Manque d’un système de tarification de l’eau fonctionnel,
  • Sous-développement des filières de production en irrigué,
  • Sous-développement des associations d’irrigants en particulier, et des organisations professionnelles agricoles en général,
  • Dirigisme étatique amont pour les grands ouvrages et libéralisme débridé à l’aval au niveau de l’irrigation individuelle,
Les nouvelles orientations des années 2000
Depuis le début des années 2000, de nouvelles orientations fortes ont été adoptées ou sont en débat. La liste de ces orientations stratégiques principales en est brièvement rappelée simplement ci-après :
-       La création des Agences de Bassin et le lancement d’actions de planification au niveau des régions hydrographiques.
-       Les grands travaux de l’ANBT pour les transferts d’eau pour l’AEP.
-       La politique du MRE en matière de Collinaires, la promotion de l’irrigation localisée et la recherche d’économie d’eau en PMH.
-       Les aides gouvernementales et subventions à la PMH dans le cadre du PNDA et du PPDRI.
-       Les programmes de mise en concessions foncières et hydrauliques.
-       La reconnaissance et la promotion d’une politique de gestion participative associative.
-       La libéralisation du secteur agricole.
-       L’affectation d’objectifs stratégiques alimentaires à l’irrigation par filière (fruits, légumes, céréales, fourrages).
-       La promotion de nouvelles ressources en eau alternatives pour l’irrigation à travers la réutilisation des eaux usées épurées.
-       Le lancement du vaste programme d’unités de dessalement d’eau saumâtre et d’eau de mer pour l’AEP qui devrait permettre une réaffectation des ressources en eau des barrages à l’irrigation (aux GPI au premier chef).
-       La continuation d’un programme de réhabilitation des GPI et d’études de nouveaux périmètres de grande hydraulique.
-       La formulation de nouvelles lois sur l’eau et les concessions.
 NOTES
[1] Sous la régence ottomane les techniques hydrauliques nouvelles restèrent rudimentaires à côté des jardins irrigués urbains et péri-urbains d’héritage andalou. Ils se limitaient à des ouvrages rustiques et précaires de prise au fil de l’eau ou de dérivation des crues.
[3] Cf. aussi « Les maîtres de l'eau - Histoire de l'hydraulique arabe » Mohammed el Faïz - Actes Sud, 2005, 363 p
[4] Cf. « L’eau et l’irrigation d’après les traités d’agronomie andalous au moyen-âge (XIème – XIIème siècles) » par Lucie Bolens in Options méditerranéennes n° 16, 1972, p 65 - 77
[5] Dont l’héritage venait à n’en point douter de la « civilisation arabe des déserts ».
[6] Ce chapitre reprend largement en les synthétisant les données et analyses faites dans la thèse de René Arrus publiée en 1985, « L’eau en Algérie – De l’impérialisme au développement (1830-1962) », et secondairement, la thèse de Jean-Jacques Pérénnes « L’eau et les hommes au Maghreb – Contribution à une politique de l’eau en Méditerranée ». Voir références détaillées dans la bibliographie en annexe du présent rapport.
[7]Qui était basé sur deux principes spécifiques :
-       Le droit de chafa ou de droit de la soif: "droit reconnu à tout individu musulman ou non musulman de prendre dans toute ressource en eau (non appropriée individuellement) autant d'eau qu'il lui faut pour se désaltérer et pour abreuver ses animaux.
-       Le droit de chirb ou droit d'usage des eaux pour l'irrigation des terres, limité sous la restriction que "tout le monde a le droit de chirb à condition qu'il n'apporte pas une gêne quelconque à l'exercice du droit de chirb déjà acquis d'un voisin, par la prise de possession matérielle, solide, durable, paisible, au moyen de travaux, captages, barrages, canaux, clôtures. Ainsi, pour les oueds petits et moyens, les sources, les mares, les puits le rite malékite admettait-il parfaitement le droit de jouissance privative (assimilé au melk) ..."
[8] Illustrée par le slogan du général Mac Mahon en 1864 « Il faut aux colons des terres, des routes, des barrages et des libertés »
[9] Et non plus sur les barrages de dérivation en maçonnerie sur les oueds, qui avaient été développé au début dans l’Ouest et qui avaient très vite montré leurs limites tant techniques que sociologiques …
[10] Le sénatus-consulte de 1863 s'était -proposé de favoriser la colonisation et la mise en valeur de l'Algérie par la constitution de la propriété individuelle chez les indigènes. Mais, sous le Second Empire, on avait seulement délimité les tribus et les douars; nulle part on n'avait entrepris la répartition entre les individus. La loi Warnier de 1873 visait d’avantage la francisation de la terre musulmane et la délivrance aux indigènes après enquête de titres de propriété. On constate la propriété individuelle là où elle existe; on la constitue dans les territoires de propriété collective par des procédures d'enquête générale s'appliquant à tout un douar ou à toute une tribu. Plus tard, une loi de 1887 compléta et améliora la loi de 1873 en conservant le même principe.
[11] 6 ruptures de digue enregistrées sur 3 barrages distincts.
[12] Dès 1988 la redevance devient « proportionnelle à l’augmentation du revenu agricole » dû à l’irrigation, estimé par l’administration.
[13] Le programme de nombre de barrages de dérivation, d’envergure plus modeste, fut par contre maintenu jusqu’à la première guerre mondiale (La Mouilah , Saf saf, Rhiou, Mina, Montagnac, Ponteba, Malkoff, Charon, Massena etc.
[14] Par ordre de programmation prioritaire : reconstruction ou réhabilitation des barrages de Djidjioua, Fodda, Zardezas et assainissement d’Oran, puis les nouveaux barrages de : la Mina, Beni Beurdeur, Oulad Djemaa, Bou Selam, Seybouse, Rhumel, Foum El Gueiss, Foum El Gherza, Guechtour, El Hadi, El hard.
[15] Plaines de l’Habra, du Fezzara et Tonga, du marais d’Hippone, de Boufarik, de maison Blanche et à un horizon plus éloigné l’aménagement « pharaonique » de la grande sebkha d’Oran …
[16] 17 demandes de concession d’oueds déposées en 1926 par des compagnies, sociétés, ou particuliers …
[17] Avec des dégradations spécifiques pouvant dépasser 5 000 tonnes/km2 (Oued Fodda).
[18]Non comptés le périmètres dits de moyenne hydraulique, qui totalisaient 45 500 ha et qui comprenaient les périmètres de du Ksob, du Zardezas, de Maghnia, de Foum el Gueiss et d Foum el Gherza.
[19] Avec les variations suivantes selon les cultures et les périmètres : céréales 1200/2200 m3 ; fourrages 3 000/18 000 m3 ; oliviers 2500/3600 m3 ; agrumes 3500/12000 m3 ; fruitiers : 2000/5600 m3 ; maraîchage 3200/13 000 m3.
[20] En 1945 les céréales venaient encore en tête des cultures irriguées dans les grands périmètres avec 41% de la superficie irriguée …
[21] Pour des superficies de périmètres irrigués variant de 1000 ha (Maghnia) à 5000 ha (Ksob).
[22]Le programme s’était doté d’un système normatif intéressant pour une planification potentielle en terme de ratio ha BV/ha irrigué/pluviométrie annuelle. Ce paramètre variant de 0,9 pour 1200 mm à 41 pour 400 mm …Le seuil de « rentabilité assurée» étant considéré comme systématique à partir de 800 mm de pluviométrie annuelle (3,5 ha de BV/ha irrigué).
[23] On peut aussi citer dans cette rubrique, à titre anecdotique un cas de barrage d’inféroflux ou « barrage souterrain » près de Laghouat (1949) qui fit couler beaucoup d’encres et dont la formule fonda beaucoup d’espoirs d’avenir. Le débit de projet était de 1m3/s pour 3000 ha irrigués (0,33 l/s de dfc) en réalité il ne débita qu’entre 160 et 300 l/s. Une autre réalisation verra le jour sur l’Oued Biskra pour alimenter la ville en eau (salée).
[24] On doit mentionner à ce propos le projet « pharaonique » de l’aménagement du Chott Chergui à la fin des années 40 qui prévoyait un potentiel de récupération d’eau douce évaporée per ascencum à partir des apports pluviométriques sur le BV périphérique de 0,5 à 1 milliard de m »/an, ce qui aurait représenté un potentiel d’irrigation de 100 000 à 200 000 ha et de production hydro-électrique de 0,5 à 1 milliard de kWh/an, ce qui eut changé la face de l’Ouest algérien …
[25]A comparer avec la dernière estimation de la superficie irriguée 2005  sur l’ensemble de l’Algérie 620 000 ha (RGA 2001, dont moins de 50 000 ha en grande hydraulique) pour un volume mobilisé qui se situerait entre 3 et 4 milliards de m3, tandis que les consommations brutes pour l’AEP représenteraient désormais près e 2 milliards de m3.
[26] Ce chapitre se réfère principalement en les pondérant et les complétant, selon les expériences et autres références algériennes propres du Consultant, aux données et constats rapportés dans la thèse de Jean-Jacques Pérennès « L’eau et les hommes au Maghreb – Contribution à une politique de l’eau en Méditerrannée », 1993 op. cit. dans la bibliographie en annexe.
[27] On peut citer notamment pour l’Algérie René Dumont et Marcel Mazoyer, qui précisaient cependant que « c’est un moyen coûteux, limité et difficile à gérer » (in « Développement et socialisme », Paris, Le Seuil, 1969). L’expérience maghrébine a montré par ailleurs par la suite que cela avait été par contre aussi un peu une fausse solution de facilité pour les planificateurs, au détriment des améliorations de la production agricole en sec …
[28] Selon les données des séries B de statistiques agricoles 2000-2005, les superficies irriguées seraient passées pendant cette période de 489 000 à 804 00 ha, soit un accroissement annuel moyen de 10,4 %, dû essentiellement à la PMH …
[29]Conformément aux « paradigmes » du développement agricole par l’aval industriel et le marché induit de l’autosuffisance alimentaire des travailleurs d’une part, et des « industries industrialisantes », d’autre part …
[30] Cf. Claudine Chollet « La terre, les frères et l’argent ».
[31] La Cheffia (Bou Namoussa), Si Mohamed Ben Aouda (Relizane), Djorf Tolba (Abadla), plus les surélévations du Ksob et Zardezas …
[32] Sidi Abdelli, Cheurfas, Ouizert, Deurdeur, Bou Roumi, SMBA
[33] Il s’agit notamment des études suivantes :
-       « Aménagement hydro-agricoles des collines – Reconnaissance générale de l’Algérie », SOGREAH 1962 ;
-       « Etude générale des aires d’irrigation et d’assainissement agricole en Algérie », SOGETHA/SOGREAH 1969 ;
-       « Etude de l’irrigation des grands périmètres irrigués », Energoprojekt 1967
[34] Guelma, Biskra, Ouargla, M’sila, Tiaret et Saïda
[35] Mascara, Chlef, Bejaïa et Biskra
[36] Le premier Plan quinquennal 1980-84 avait déjà préconisé « l’aide au développement des techniques traditionnelles d’irrigation là où elles existent », avec très peu d’actions concrètes.



Chadouf à Beni Abbès - 1908
Noria à Metameur
partiteur traditionnel
Puits artésien dans l'oued Rhir - Touggourt
Puits d'lou dans le Mzab
Le petit barrage de Pérégaux 1908

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