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4/22/2013

Résistances à l’envahisseur de l’Afrique du nord

Résistances à l’envahisseur

Ptolémée de Maurétanie aurait donc été éliminé (cela demeure assez flou) sous l’ordre de l’empereur Caligula, en 40 ap. J.-C.. A partir de cette période, Rome annexe purement et simplement la Maurétanie et entame sa conquête de l’Est algérien (puis celle de l’Ouest) depuis la province occupée de l’Afrique proconsulaire. Claude découpe alors la Maurétanie en deux parties : à l’Ouest, la Tingitane et, à l’Est, flanquée entre la première et la Numidie, la Césaréenne.
La IIIème légion, basée à Ammaedara (Haïdra, ville frontière algéro-tunisienne) sous Hadrien, glissera peu à peu vers l’Ouest : installée dans un second temps à Theveste (Tebessa) sous Vespasien, elle est déplacée à Lambaesis (Lambèse-Tazoult) fin Ier – début IIème siècle (Points rouges sur la carte ci-dessous). Le IIIème siècle verra se produire encore beaucoup de soulèvements de la part des populations rurales, bien plus nombreuses que celles des villes par ailleurs. On ne dompte pas facilement les fiers Berbères.
On se souvient de la fameuse révolte de Tacfarinas qui avait duré de 17 à 24, sous Tibère. La raison en était légitime puisque Rome, dépourvue de scrupules, venait de couper le chemin des transhumances cinithiennes Nord-Sud, en construisant une première grande route pour ses déplacements militaires, allant d’Ouest en Est, du Sud tunisien à la Petite Syrte, plus précisément d’Ammaedara à Tacapae (Gabès) en passant par Capsa (Gafsa).
Le règne de Domitien (fin du Ier siècle) sera relativement calme du côté de l’Afrique du Nord. Quelques échauffourées tout au plus, sans gravité ni menace pour l’ambitieuse Rome. Mais, dès le IIème siècle,  des troubles sévères vont avoir lieu, calmés partiellement après qu’Hadrien se soit déplacé en personne sur le sol africain, au moins pour soutenir ses troupes. Bien que commençant en 118, et non immédiatement après cet assassinat, les historiens y voient un lien avec l’élimination ordonnée par le prince, en 117, d’un grand général maure, Lusius Quietus, qui, avec Marcius Turbo (autre général qui le remplacera par la suite), avait maté une révolte des juifs en Judée (Révolte de Kitos ). Comme trop souvent, Rome inflige sa Pax romana au monde méditerranéen, toujours après avoir semé le désordre dans les pays qu’elle juge «pas assez soumis».
Sous Antonin le Pieux, l’insurrection reprend de plus belle, si bien qu’il faut faire intervenir des contingents venus de Syrie, d’Espagne et de Pannonie (au Nord de la Dalmatie). C’est à partir de la moitié du IIème siècle que Tipasa, transformée pour la cause en camp retranché, connaîtra un formidable essor qui en fera rapidement une vraie citadelle romaine. Des stèles y représentent des cavaliers auxiliaires de l’armée romaine, armés de lances, d’arcs ou d’épées, chevauchant vaillamment, on s’en doute, vers les troupes ennemies qu’ils désorganisaient en les éparpillant. Ces légions étrangères ont également stationné dans d’autres cités déjà occupées par Rome ; c’est le cas de Portus Magnus (Saint-Leu/Bettioua), de Cartennae (Ténès), d’Albulae (Aïn Temouchent) et de Caesarea (Cherchell), dans lesquelles les inscriptions concernant ses moments ne manquent pas (Points jaunes sur la carte ci-dessus). Notons au passage que Portus divini, située à l’emplacement de l’actuelle ville d’Oran, n’était alors qu’une vaste plage, sans doute habitée par des quelques pêcheurs.
Vers la fin du IIème siècle, c’est à dire sous Marc-Aurèle, des Maures de Tingitane (les Baquates) vont jusqu’à commettre des incursions en Bétique, de façon à attaquer directement les légions romaines installées dans le Sud de l’Espagne.
Un peu plus tard, passée une période plus calme au début du IIIème siècle (sous les règnes de Septime Sévère et de son fils Carcalla, des Berbères romanisés), la confédération tribale des Bavares, Maures installés sur une grande région allant de la rive gauche de l’oued Cheliff à la région de Cirta (Constantine), se soulève en Numidie puis en Maurétanie orientale, ce, pendant le règne d’Alexandre Sévère. Là aussi, il faut mettre bien plus de moyens que d’habitude pour en venir à bout ; à Auzia (Aumale/Sour el Ghozlane) ; à el Mahdia (willaya de Sétif) ; à Teniet Mesken, plus au Nord. Ces troubles insurrectionnels dureront cependant plus de soixante ans et, à la fin du siècle, le tétrarque d’Occident Maximien Hercule n’en avait pas encore terminé avec la résistance maure.
Cette mosaïque, trouvée dans l’abside de la basilique judiciaire de Tipasa, doit être vue comme de la propagande, c’est à dire comme une affiche servant d’avertissement aux populations qui tenteraient à nouveau de se heurter à la puissance romaine que, dès lors, nul ne saurait endiguer. Cette superbe mosaïque (par l’état de conservation) montre un couple d’autochtones et leur enfant. De toute évidence, ce sont des captifs. Les personnages de sexe masculin sont dévêtus, contrairement à la femme. Celle-ci porte-t-elle des bracelets ou bien est-elle menottée ? L’homme, lui, a très certainement les mains liées dans le dos. Tout autour de ce carré sont disposés des médaillons en losange portant des visages d’hommes et de femmes dont on pense, trahis par le teint mat dont l’artiste les a affublés, qu’ils sont les familiers du couple à l’enfant. On ne doute pas non plus du sort réservé à cette famille de résistants à l’occupant : ils ont forcément dû être vendus sur le marché des esclaves, chose plutôt courante à l’époque.

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Les limes d’Afrique du Nord

De même qu’une ligne frontière (limes, limite(s)) séparait les indisciplinés Germains des Romains, plus civilisés qu’eux, des limites bien surveillées (Le Fossatum Africæ) existaient aussi en Afrique du Nord. Certes, ces dernières ont mis plus longtemps à se stabiliser -on se souvient d’un premier fossé (Fossa Regia) protégeant l’Africa vetus. La conquête romaine sera entravée, comme je l’ai dit plus haut, par les interminables insurrections des différentes tribus, aussi bien numides et maures que gétules. Aussi, la première préoccupation de Rome fut-elle de renforcer les territoires les mieux armés : la Numidie pour commencer, le Maurétanie septentrionale pour finir. A la fin, les Gétules et les Garamantes, seuls, seront considérés comme des barbares, à dire : des exclus du monde dit civilisé. Je propose une carte, élaborée par A.J. Garcia, que j’illustre en deux temps : la première concerne l’extrême Est algérien ; la deuxième, les deux tiers restants, c’est à dire le centre et l’Ouest du pays. Je néglige volontairement l’histoire qui se déroula du côté marocain. On peut également avoir recours à la carte des villes et sites du Maghreb antique.
◊ Les Limes de Numidie :

 
Depuis la rébellion menée par le défunt Tacfarinas, sous le règne de Tibère, Rome tenait à l’œil le territoire (assez restreint) de la Numidie ; elle avait fait construire une première rocade entre Cirta et Leptis, probablement Leptis Minor, sur la côte est tunisienne. A la fin du Ier siècle, Madaura est une ville déjà fortifiée (Point vert sur la carte ci-dessous), dans laquelle est vite  implantée une colonie de vétérans. Toujours sous les Flaviens, plus tard les Antonins, les lignes de démarcation, qui n’ont cessé de bouger, vont enfin prendre corps : on dispose des postes de garde (Vazaivi/Zoui, Aquæ Flavianæ…) jalonnant la rocade Nord des Aurès (Zone en jaune sur la carte ci-dessus), entre Theveste (Tebessa) et Mascula (Khenchela). Nerva, le premier des Antonins, fait bâtir Cuicul (Djemila, point rouge), à l’Ouest de l’ancienne zone léguée jadis à Sittius (allié à Bocchus le Jeune en soutien à Jules César), représentée par les quatre villes septentrionales : Cirta (Constantine), Rusicade (Skikda), Chullu (Collo) et Milev (Mila); Sitifis (Sétif, point bleu foncé), plus tard Thamugadi (Timgad, point orange) sont dues à son successeur, Trajan. Des villes naissent à l’emplacement de camps retranchés, installés bien avant. Rome glisse inéluctablement à la fois vers l’Ouest et en direction du Sud : la jonction est faite entre Theveste et Lambæsis (Lambèse).
Mais c’est au Sud des Aurès que l’on trouvera le plus grand nombre de vestiges des limes romains datant de cette période : ruines des forts d’Ad Maiores (Besseriani), à l’Est, de Badias (Badis) ou de Thabudeos (Thouda) en allant vers l’Ouest, tous construits sous Trajan. Les princes antonins (Hadrien, Antonin le Pieux) poursuivront l’œuvre d’annexion réelle, et plus seulement administrative, de l’Afrique du Nord. Tout un réseau de routes, véritable anastomose, sera mis en place pour faciliter le transport, vers la capitale  (Rome), de biens marchands produits localement, mais surtout le déplacement des légions «pacificatrices». Les limes sont désormais matérialisés par des fossés, des levées de terre, des fortins, des postes de gardes, des palissades, des check-points où l’on doit s’acquitter de taxes douanières si l’on veut entrer… Pour une plus grande protection du territoire acquis ainsi que pour mieux contrôler les ressources, en eau notamment, les limes s’enfoncent aux confins du désert saharien (camp de Gemellæ/Henchir Kasbat sous Hadrien, Castellum Dimmidi/Messâd sous Septime Sévère, points bleu clair). La dynastie des Sévères achèvera la mise en démarcation de la province numide par rapport au monde resté barbare (La Gétulie, repoussée plus au Sud, à l’arrière de l’actuelle Laghouat). En 238, l’avancée vers le Sahara est stoppée volontairement mais Rome contrôle parfaitement l’axe principal du réseau mis en place, «celui qui défendait les accès Sud des Aurès-Nementcha et remontait vers le Nord-Ouest à partir de Gemellæ en direction de Thubunæ (Tobna) : le limes badensis (Badia) veillait sur les débouchés Sud des transversales des Nementcha et de l’Aurès oriental ; celui du limes gemellensis avait ses quartiers à Gemellæ et défendait les approches des piémonts Ouest de l’Aurès ; enfin, celui du limes Thubunensis contrôlait la frontière proche du Hodna», cette région montagneuse qui restera en dehors du territoire contrôlé par Rome. -son armée est incompétente sous les couverts forestiers et dans les montagnes. Une seule légion (la Legio Tertia Augustus), assistée de quelques troupes d’auxiliaires gaulois, espagnols, Thraces, pannoniens, ou carrément berbères, tiendra le limes qui va de la Grande Syrte à l’Hodna, ce, jusqu’à l’arrivée des Vandales en 429.
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◊ Les Limes de Maurétanie :

 
Les tribus de Maurétanie posèrent plus de problèmes à la romanisation (commencée au Ier siècle av. J.-C. en Afrique du Nord, sous César, puis sous Octave-Auguste) que les tribus Numidie. Le Ier siècle de notre ère débutait par la célèbre révolte des Musulames, menée sous l’égide de Tacfarinas ; si les hostilités commencèrent avec des Numides, la contagion gagna rapidement tout l’Hodna, jusqu’à la vallée du Chélif, en territoires maures. De façon à protéger les villes côtières déjà investies par Rome (Points rouges sur la carte ci-dessus), au moins administrativement, sinon militairement, mais aussi celles bâties à l’intérieur des terres, il fallait installer de nombreux postes militaires sur des rocades anastomosées qui restaient à construire dans les terres. Une rocade Nord (Points bleus foncés) fut décidée, laquelle serait, comme en Numidie, jalonnée de postes de garde ou de camps retranchés. De même pour contenir les Gétules du Sud, une rocade méridionale (Points bleus clairs) sera matérialisée comme la première (Zones en jaunes).
Ainsi, le même processus que celui conduit pour conquérir la Numidie et son Sud, sera mis en œuvre pour pénétrer le vaste territoire de Maurétanie césaréenne. A une différence près, l’Est algérien vaut, dès le début et pour des raisons stratégiques, plus cher aux yeux de Rome que tout l’ensemble maurétanien. La légion avance donc, cependant que les terrassiers posent la «route» ; des camps retranchés mais aussi des postes de guet par dizaines ponctuent la rocade :
♦ au Nord, protégeant la côte d’éventuels assauts telliens, c’est à dire le littoral allant de Saldæ (Béjaïa/Bougie, Est algérien) jusqu’à Portus Magnus (Bethioua/Saint-Leu, proche d’Arzew à l’Ouest), en passant par Icosium (Alger), Tipasa et Cæsarea (Cherchell), cette rocade court en leur Nord ; on renforce également les accès et la protection de cités déjà mises en place à l’intérieur des terres, sous Auguste dans la vallée du Cheliff (Zucchabar/Miliana, Tigava/El Attaf), ou sous Hadrien (Forteresses de Rapidum/Sour Djouab et de Thanaramusa Castra/Berrouaghia) ; de nouvelles citadelles voient le jour (Sufascar/Oued Chorfa, Castellum Tingitanum/Chlef, Mina, Castra Nova/Perregaux/Mohammadia, Tasaccura, Regiæ, Albulæ/Aïn Temouchent; Rome pratique ici encore la colonisation par peuplement des cités, qu’elle dote de grands territoires agricoles de façon à satisfaire les vieux soldats qui s’y installent comme colons. Ceux-ci deviennent rapidement des Romano-berbères puis se mélangent aux Berbères qui, eux, se romanisent.
♦ au Sud, commencée peu après la première, à cheval entre le IIème et le IIIème siècle, cette rocade ira de l’Hodna (au Sud-Ouest de Sétif/Sitifis) jusqu’à la vallée de la Siga, aujourd’hui Oued Tafna (à l’Est du Maroc). Elle traverse la région du Titteri (au Sud d’Alger), celle de l’Ouarsenis (à sa gauche), puis atteint les Monts de Frenda et de Saïda (Toutes parties en jaune). Notons les camps comme Boghar/Castellum Mauritanum, en surveillance du Titteri et de l’Ouarsenis ; plus à l’Ouest, ceux d’Altava (Ouled Mimoun), de Pomaria (Tlemcen) et, pour finir, de Numerus Syrorum (Maghnia). Au-delà, nous sommes en Tingitane mais cela ne concerne plus l’histoire de l’Algérie.
Camp de Rapidum construit en 122 ap. J. -C. pour le cantonnement de la 2ème cohorte des Sardes

Que ce soit en Maurétanie césaréenne ou dans la Tingitane, les manières de refuser l’intégration forcée à l’Empire en pleine hégémonie étaient nombreuses : les tribus ne reconnaissaient aucune autorité autre que celle que leur conféraient leurs us et coutumes ; les échauffourées, les soulèvements, tout pouvait prendre l’allure de l’insurrection ; la rébellion, larvée ou réelle, ne cessera pas. Jamais l’empreinte de Rome ne marquera les Maurétanie (côté Ouest) autant qu’elle l’a fait en Africa/Numidie (côté Est). Les différences sont notoires. A l’Est, outre le nombre de ruines plus important qu’à l’Ouest du pays, en Tunisie aussi, la romanisation est relativement acceptée -les grandes villes cherchant de préférence le statut de citoyenneté romaine- voire désirée, quand, dans les deux Maurétanie, on le refuse plus catégoriquement. Nombreuses sont les bourgades ou villes de l’Est maghrébin devenues municipes, bourgs-garnisons ou encore colonies de vétérans (romains et auxiliaires des légions étrangères), les autres ont préféré conserver leur statut de villes libres (ou cités pérégrines). Preuve est faite que les risques de guerres entre tribus numides et armée romaine étaient limités du côté Est : contrairement à l’Ouest qui présente des villes systématiquement fortifiées par les Romains, on n’en trouve pas en Africa proconsularis/Numidie. Les remparts des villes fortifiées de l’Ouest (Maurétanie) seront l’œuvre des Byzantins, donc bien plus tardifs.

ANNEXE :

La tournée d’inspection en Numidie de l’empereur Hadrien
«Le voyage d’Afrique s’acheva en plein soleil de juillet dans les quartiers tout neufs de Lambèse ; mon compagnon adossa avec une joie puérile la cuirasse et la tunique militaire ; je fus pour quelques jours le Mars nu et casqué participant aux exercices du camp, l’Hercule athlétique grisé du sentiment de sa vigueur encore jeune. En dépit de la chaleur et des longs travaux de terrassement effectués avant mon arrivée, l’armée fonctionna comme tout le reste avec une facilité divine : il eût été impossible d’obliger ce coureur à un saut d’obstacle de plus, d’imposer à ce cavalier une voltige nouvelle sans nuire à l’efficacité de ces manœuvres elles-mêmes, sans rompre quelque part ce juste équilibre de forces qui en constitue la beauté.» Marguerite Yourcenar, Mémoires d’Hadrien, Plon, Paris, 1951.

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