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6/23/2017

L’automédication : une bombe à retardement


S’approvisionner en médicaments, sans consulter un médecin, est jugé anodin par beaucoup d’Algériens.
Ayant attrapé un rhume, se sentant fébrile, voulant prendre du poids ou en perdre, on évite, pour diverses raisons, de se rendre dans un cabinet médical. On fait son propre diagnostic, celui de ses enfants ou parents. On décide de la prise de tel ou tel traitement, à de telles ou telles doses, et même de la durée de la cure. Il ne reste plus qu’à passer dans l’officine de pharmacie la plus proche. Acte qui pourrait se renouveler plusieurs fois par mois.
Une grande responsabilité
“On peut citer trois catégories de malades-consommateurs. D’abord les personnes instruites. Celles-ci donnent le nom du remède dont elles ont besoin. Il peut s’agir d’un antibiotique, d’un anti-inflammatoire, d’un antalgique ou un d’anti-gastrique. Les citoyens analphabètes nomment plutôt le mal dont ils souffrent, tel que la toux, la fièvre, les maux de tête, les rages de dents. D’autres encore attendent du pharmacien qu’il fasse le diagnostic après lui avoir expliqué leur état”, répond M. Laggoune, pharmacienne à notre question relative aux habitués à l’automédication. Par ailleurs, celle-ci admet que la distribution de médicaments, pour des maux considérés banals, est courante dans les officines de pharmacie. Cependant, elle ne cache pas son inquiétude de voir des patients conseiller à leurs proches ou amis des traitements qui leur ont été prescrits et se dit opposée à cette idée. “Parce que la réaction au traitement diffère d’un malade à un autre, d’une part et d’autre part, l’autodiagnostic est souvent erroné. Une fièvre n’est peut-être que le symptôme d’une maladie plus grave”, constate-t-elle.
B. Yacine, un autre pharmacien, déclare : “Je ne trouve pas d’inconvénients à donner un antitussif ou un antalgique, mais je m’abstiens, par exemple, de satisfaire les demandes en corticoïdes ou antihistaminiques recherchés pour leurs effets secondaires, en l’occurrence la prise de poids par des jeunes femmes. À celles-ci j’explique les éventuelles conséquences négatives, sur la santé, de ces produits chimiques. Malheureusement, elles ne sont pas toujours réceptives.” Nous apprenons par ailleurs que des malades chroniques essaient parfois de renouveler leur ordonnance sans l’avis de leur médecin traitant.
À ce propos, Dr Rachid Mehri, chirurgien spécialiste en maladies internes, pour qui l’automédication ne peut être que nocive, affirme : “Il est vrai que le conseil du pharmacien peut être utile, mais il doit être limité à certains produits, étant donné que le petit interrogatoire adressé au patient n’est pas suffisant pour évaluer son état. Il faut prendre en compte aussi qu’au niveau des officines, il y a des vendeurs ou auxiliaires lesquels n’ont pas fait d’études universitaires leur permettant une connaissance de ce genre de produits. Donc ils doivent se limiter à la prescription du médecin.” Et d’ajouter : “Le renouvellement d’une ordonnance ne devrait pas être fait automatiquement, car la prise de certains médicaments doit être limitée dans le temps pour éviter les effets secondaires, à savoir un retentissement sur les organes vitaux du corps humain.”
Effets irréversibles
Dr Mehri attire l’attention sur les répercussions fâcheuses de quelques médicaments à titre d’exemple, puisque la liste est, selon lui, trop longue. Avant de préciser que “l’automédication anarchique peut provoquer des effets néfastes sur les organes vitaux tel le foie. Ce dernier peut être lésé suite à une consommation abusive de paracétamol se vendant comme des bonbons. Ce médicament est susceptible de provoquer des insuffisances hépatiques avec un bilan biologique perturbé. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens, de leur côté, risquent surtout de sécher les diabétiques ou autres malades présentant déjà des prédispositions à des lésions rénales lesquelles peuvent être aggravées. Des lésions éventuelles apparaissent suite à une utilisation prolongée, sans avis médical, de produits comme le Flagyl (Métronidazole). Ce remède très prescrit en tant qu’antiseptique ou antibiotique en fonction de l’objectif du médecin peut entraîner des lésions de la moelle osseuse. Sachant que c’est au niveau de cette moelle osseuse que sont produits les différents constituants du sang, essentiellement les plaquettes, les globules blancs et rouges”.
Cependant, le foie, les reins et la moelle osseuse ne sont pas les seuls organes susceptibles d’être affectés. Ce praticien expérimenté met en garde les habitués contre la consommation excessive des molécules chimiques : “l’aspirine ainsi que les anti-inflammatoires non stéroïdiens pris à des doses importantes ou pendant une période prolongée affectent l’estomac. Des ulcères ou des perforations nécessitant des interventions chirurgicales urgentes ont été diagnostiqués”.
Par ailleurs, ce spécialiste précise que “lorsque les corticoïdes avaient été inventés, ils avaient révolutionné le domaine de la santé du fait qu’ils réglaient énormément de problèmes. Mais ils ont également beaucoup de méfaits telle l’aggravation des pathologies chez les hypertendus et diabétiques. L’excès de corticoïdes pris pour leurs effets secondaires cause la maladie de Cushing traduite par une lypodystrophie facio-tronculaire (obésité localisée au niveau de la face, du tronc et du cou). L’effet inverse, c'est-à-dire la maladie d’Addison résulte de la privation brutale du corps de ces produits. En effet le corps ne secrètera pas de cortisol naturel parce que l’arrêt n’était pas progressif. Le manque en cette substance est mortel si le diagnostic n’est pas fait en urgence”. Ce praticien nous raconte le drame d’une jeune femme ayant décidé de prendre quelques kilogrammes avant son mariage. Trois jours après ses noces, elle est morte des suites de la privation aigue de son corps de cette molécule, en l’occurrence, un corticoïde. À la question de savoir si des produits pharmaceutiques avaient été retirés du marché du médicament vu leur nocivité, le Dr Mehri fait savoir que “si on fait appel à des références habituelles, on trouve que certains médicaments ont été effectivement retirés de la commercialisation. Car l’effet d’une molécule n’est démontré qu’après plusieurs années suivant son arrivée dans les pharmacies bien qu’elle soit passée par plusieurs étapes à savoir l’expérimentation puis les essais aux laboratoires jusqu’à la consommation en essais sur les volontaires. Ce n’est qu’après qu’elle soit commercialisée à grande échelle qu’on peut vraiment connaître ses effets”. La mésothérapie, une pratique joignant la médecine occidentale à celle d’Extrême-Orient est désormais pratiquée dans de nombreux pays dans le but de diminuer les méfaits des molécules chimiques. Ce traitement consiste en la diffusion lente et longue de quantités infimes de médicaments à l’endroit où le mal se fait sentir, toujours selon notre interlocuteur.
La sensibilisation
“On ne peut prétendre avoir lancé une campagne proprement dite de sensibilisation aux conséquences de l’automédication mais on a souvent fait appel au consommateur, à travers la presse écrite, les médias audiovisuels et sur les réseaux sociaux, pour l’avertir des dangers des produits pharmaceutiques”, nous confie le Dr Mustapha Zebdi, président de l’Association de protection et orientation du consommateur (APOCE). Avant d’ajouter que “très récemment, nous avons mis en garde contre l’utilisation d’un corticoïde en comprimés, en l’occurrence la dexaméthasone. Nous avons également œuvré, par le passé, à retirer des lieux publics des spots publicitaires louant des compléments alimentaires et vitamines lesquels sont susceptibles de nuire à la santé des citoyens notamment les jeunes”. Le Dr Zebdi juge, par ailleurs, que “le malade s’expose à des dangers immédiats en avalant de façon anarchique des produits chimiques, notamment les antibiotiques se trouvant déjà dans des produits alimentaires tels la viande, le lait et les œufs, ce qui engendre une résistance aux microbes. Les antihistaminiques utilisés pour endormir les enfants sont également très dangereux, les médicaments destinés aux diabétiques pris afin de maigrir ne sont pas anodins non plus. Mais ce qui est aberrant et plus préoccupant encore est d’avoir constaté la vente de médicaments dont la dexaméthasone importée de Chine, chez les vendeurs des plantes médicinales”.
Concernant les causes du phénomène, le président de l’APOCE énumère plusieurs facteurs. Il explique que “la longue attente dans un cabinet médical, ou tout simplement l’habitude font partie des causes de l’automédication. Mais la raison la plus plausible est d’ordre financier. Le patient n’est peut-être pas affilié à une caisse d’assurance-maladie. Et même s’il l’est, le remboursement des frais d’une visite médicale est dérisoire. Ajoutez à cela le fait que beaucoup de médicaments ne sont pas remboursables. La marge entre ce que le malade débourse pour se faire soigner et ce qu’il se fait rembourser est importante alors il préfère certainement économiser les honoraires du médecin s’élevant parfois à 1500 DA. Quant aux analyses médicales et radios, elles sont hors de portée du citoyen à revenu moyen”.
Reportage réalisé par : Laldja Messaoudi

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