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6/23/2017

Art culinaire : Couscous traditionnel, Constantine, Mila et Tiza roulent toujours le grain


Notre enfance a été bercée par les doux crissements des mains de nos mères et grands-mères sur le fond des grandes gassâas, qui donnaient au bout de quelques jours un délicieux couscous pour toute l’année. Qu’il soit à la viande de mouton ou de veau, qu’il soit à l’huile d’olive ou au raisin, qu’il soit au petit lait ou au poulet, ou carrément au poisson, le couscous ne cesse de faire fantasmer nos papilles gustatives.

Une image éculée depuis longtemps, malheureusement, puisque l’industrie est venue pour chasser le traditionnel avec l’apparition du couscous industriel conditionné. Sim, Mama, La Belle, et d’autres marques bien connues maintenant font partie du lexique des amateurs de pâtes roulées, bien que le couscous traditionnel, « le roulé à la main », fait de la résistance et s’inscrit depuis peu sous ce label. Mila, Tizi Ouzou et Constantine sont justement les porte-drapeaux de ce fameux couscous qui dure et perdure malgré la concurrence du conditionné, plus accessible que le traditionnel, où il faut avoir des recommandations pour accéder au « statut » de consommateur du «roulé main».
A Constantine, par exemple, les «sites» de production de couscous traditionnel sont connus. En plus des revendeurs qui commercialisent le couscous essentiellement dans les vieux quartiers, il y a aussi des femmes au foyer qui, de bouche à oreille, se sont fait « une carte de visite » qui leur permet d’écouler toute leur production sans pouvoir satisfaire une demande toujours en hausse. El Hadja est bien connue à El Guemmas, un quartier qui abrite justement un nombre considérable de rouleuses de couscous. « Au début, je roulais le couscous toute seule, mais au fur et à mesure de la demande, je n’arrivais plus à satisfaire mes clients. Ma fille s’y est mise avec moi, puis deux de mes nièces, et ensuite toutes les mains disponibles que je connaissais. 
Mes clients sont généralement des familles où la femme travaille au même titre que son mari, bien qu’il y ait aussi des familles dites traditionnelles, car rouler le couscous ne se fait plus, sauf à des fins commerciales ».
Le même constat peut être effectué à Mila, une autre « capitale » du couscous. Sur place, les rouleuses de couscous se concurrencent très sérieusement, et nous pouvons affirmer sans crainte d’être démenti que la plus grande concentration de fettalate se trouve à l’antique Milev. D’ailleurs le m’haouer de Mila, un couscous roulé à plusieurs reprises qui se déguste après avoir été humecté de sauce blanche et garni de boulettes de viande et de morceaux de poulet, fait foi quand on parle de qualité supérieure. Sa commercialisation dépasse de loin les frontières de la wilaya car aussi bien à Constantine qu’à…
Alger, le m’haouer est omniprésent. Les acheteurs de l’hôtel El Aurassi, il y a quelques années, ne s’y sont pas trompés puisqu’ils s’approvisionnaient à Mila, effectuant des collectes régulièrement auprès des ménages, au même titre que plusieurs autres hôtels de Annaba.
Pour faire face aux « regroupeurs » de couscous sans scrupules qui nivellent les prix par le bas, des fettalate se sont rassemblées en coopérative, que ce soit à Mila ou à Constantine, pour essayer de faire face à la nouvelle donne et s’opposer par des moyens légaux aux pratiques peu orthodoxes des patrons d’hôtel ou revendeurs.
Une PME de… m’zeyet
C’est le cas, il y a quelques années, de l’association Feth de la commune de Sidi Khlifa, wilaya de Mila, où un regroupement de plusieurs rouleuses a été créé. Une union qui a fait de cette association une force, car présente à toutes les foires du couscous. Feth peut se targuer d’être aujourd’hui une PME rentable. 
Et comment ne le serait-elle pas quand elle produit aussi bien du couscous à la semoule classique que le m’zyet, ou le couscous noir, pour reprendre l’appellation usitée, et autres gâteries.
Du côté de la ville des Ponts, on est déjà passé à la vitesse supérieure puisque l’exportation n’est plus un mythe. « Nous avons commencé l’exportation du couscous il y a plusieurs années. Nous avons enregistré une commande ferme de 8 tonnes envoyée par le ministère des Affaires étrangères, suite à une demande de nos ambassades. 
Nous avons, bien entendu, honoré le contrat, et nos représentations à l’étranger ont été si satisfaites du couscous constantinois, qu’une autre commande de douze tonnes pour cette année a été consignée et déjà satisfaite », nous dira fièrement le directeur d’un regroupement de producteurs de couscous fait main.
« Nous ne comptons pas nous arrêter en si bon chemin. La publicité faite à notre couscous, dégusté dans nos ambassades, a fait que bon nombre de résidents à l’étranger ont pris langue avec nous pour d’autres opérations d’exportation. Nous serons en mesure de satisfaire ces demandes mais seulement après la création d’un emballage adéquat», ajoutera notre interlocuteur.
Du côté de Tizi Ouzou, le couscous Frikat, du nom de la commune dans laquelle il est produit, s’est frayé un chemin appréciable dans les dédales du «roulé».
«Pour le moment nous nous débrouillons à merveille localement et à travers le centre du pays. Nous produisons plusieurs genres de couscous dont celui à la poudre de riz qui est une nouveauté », nous dira le gérant de l’entreprise, rencontré au détour d’une foire de couscous. « Nous avons aussi créé un contenant de qualité qui peut nous assurer une excellente représentation à l’étranger. 
Mais pour le moment, l’exportation n’est pas dans nos cordes ni dans nos priorités, mais cela ne saurait tarder. »
Ainsi donc, el kousksi n’a pas dit son dernier mot. Les expériences d’exportation ne cessent de se multiplier à travers nos villes et campagnes tentant d’assiéger la forteresse Europe.
Il reste que pour atteindre cet objectif, il faudrait au préalable assurer une bonne communication entre rouleurs, regroupeurs, revendeurs et exportateurs. Car si l’on sait qu’au niveau du centre du pays la demande dépasse de très loin l’offre, à l’Est et surtout à l’échelon de la wilaya de Mila, la production du « roulé » reste très souvent au niveau local créant une mévente chez de pauvres femmes qui n’ont que leurs plats et leurs mains pour survivre. C’est aussi la survie et l’exportation d’un produit qui fait la fierté de l’Algérie qui est en jeu.

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