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2/11/2017

Les Oranais et le livre : On achète, en attendant de lire

La lecture est un acte personnel, même si la communauté et la société ont leur rôle à jouer entre les différentes actions, allant de l’achat du livre, à son ouverture pour vouloir ou pouvoir enfin le lire. Paolo Coelho, Amin Maalouf et Yasmina Khadra continuent à séduire les lecteurs, les plus jeunes, en particulier.

Le livre entre le collectionneur et le lecteur
Les Oranais, lisent-ils réellement? Ou se contentent-ils seulement d’acheter des livres qui vont finir par être rangés dans une bibliothèque personnelle? Enquête.
Personnellement, j’ai été poussé à faire cette enquête après avoir été témoin d’une conversation entre deux citoyens dans une bibliothèque située au Bd du Front de mer, un lieu que fréquente, depuis plusieurs années. C’est un jeune étudiant qui demande à son camarade s’il va lire de sitôt le bouquin acheté à presque 1.000 da et c’est à ce dernier de lui répondre «si je trouve le temps.» Le premier réplique immédiatement: «tu ne le liras jamais, je te connais: tu es un collectionneur. Tu n’es pas un lecteur

Est-ce que tous les gens lisent les bouquins qu’ils achètent? Beaucoup de gens le font certes, mais de nombreuses personnes ne le font pas. Cela me rappelle fatalement l’aveu d’un artiste algérien qui en répondant à une question posée par une journaliste d’une radio publique sur le nombre de titres que recèle sa bibliothèque chez lui et s’il les a lus tous: «certains livres sont là car j’aime contempler cet endroit (bibliothèque)».
Dès 1986, Le Capital cède sa place à Tafsir Ibn Katir
En ce jeudi après midi, il est 14 heures et déjà une foule constituée d’amis et de proches qui s’est rassemblée à l’intérieur et à l’entrée de la librairie Art, Culture et Lettres, dans l’attente de la venue deNourine Djelouat pour la vente dédicace de son livre «l’Ecchymose du soleil».
De la centaine d’exemplaires mis en vente en cette après midi, il n’en reste aucun, en l’espace de moins de deux heures. La tendance est donc maintenue et confirmée : «Les oranais sont de fervents fans du livre.» C’est peut-être une conclusion qui va contre tous les préjugés qui qualifient les habitants de la deuxième ville du pays quand il s’agit de leur relation avec le livre.
Rappelons, pour l’occasion, que dès l’ouverture de la bibliothèque régionale (ex Cathédrale Sacré Cœur) vers le milieu des années 1980, les premières chaines humaines (queues) pour l’achat des livres ont été faites pour les fameux livres de la religion: Ibn Katir et son Tafsir du Coran avait la cote.
Pourtant, quelques années plutôt, l’idéologie marxiste et le Capital, le livre, avaient carrément constitué une élite intellectuelle, cultivée et…progressiste. C’est dire qu’à Oran (et en Algérie aussi) et pour chaque décennie, il y a des valeurs sociales qui se créent et qui imposent, par conséquent, un mode de lecture différent, conjoncturel et donc, éphémère.
Lire, c’est des périodes
Dans un premier temps, nous avons fait un tour chez des libraires connus et là aussi, la vente d’une cinquantaine de livres par jour «nous a été confirmée», par plusieurs vendeurs qui affichent une certaine «satisfaction» mélangée à une désolation, comme pour nous montrer «qu’on peut mieux faire.» Ainsi le lecteur oranais, enfant, jeune ou adulte est accrédité de la mention «peut mieux faire», pour la seule raison que «la lecture, c’est des périodes.» Autrement dit, pour l’achat des livres chez les oranais, il existe des périodes distinctes, que beaucoup d’observateurs, notamment, des universitaires, des vendeurs et unbouquiniste nous l’affirment.
L’espace bien aménagé de l’association Le Petit Lecteur attire les enfants scolarisés, dont les exigences affectives passent avant celles liées aux connaissances. Dans cet espace, l’enfant trouve avec ses pairs, des moments de partage et d’affirmation de soi pour lire réellement et apprendre par la suite. Beaucoup d’adultes n’ont pas appris à lire dès l’enfance et c’est ainsi qu’ils éprouvent une lassitude et un désintéressement à tout ce qui est lecture sérieuse et effective.

Divers domaines

Hamid Maouche, la cinquantaine entamée depuis quelques années, nous révèle, presque fièrement, que «le livre intéresse encore et toujours.» Il ajoutera, pour étayer sa thèse, que «des domaines comme la philosophie, la psychologie, la religion et l’histoire font souvent objet de la demande des gens qui viennent nous voir.» Cela a constitué une véritable clientèle, selon Hamid, qui étale ses livres dans un coin de la place Moudjahid, ex place Kahina.
Dans les librairies, les gérants n’arrivent toujours pas à dresser la tendance du livre lu chez les oranais. «Cela bascule des classiques, romans et autres écrits sur le développement personnel, au parascolaire et cuisine», tient à préciser un gérant de la librairie Fassila (Virgule). Cette disparité gène beaucoup dans l’élaboration d’une véritable statistique et d’un profil «complet» du lecteur oranais et c’est pourquoi, que de ce dernier, on sait désormais «peu de choses».
«Beaucoup de gens disent que les oranais ne lisent pas et c’est complètement faux», tient à préciser Houari, un habitué des librairies, puisque tous les jeudis, c’est le tour «complet» qu’il fait dans ces espaces d’achat.

Lire: une mode?

Néanmoins, nous tenons à préciser quelque chose d’important: l’achat d’un livre ne signifie guère sa lecture et entre acheter un bouquin et le lire, il existe encore une autre phase à passer. C’est le cas de beaucoup de gens «qui se mettent à la mode» comme nous le précise Chiraz, une militante associative. Pour elle «acheter un livre est devenu une mode, surtout chez notre jeunesse, qui parle de Nietzsche comme elle parle de Coelho, sans vraiment les lire.» C’est peut-être là, une certaine forme de préjugés. Mais «combien de gens achètent les livres pour les mettre dans la bibliothèque sans les lire réellement?», tente de nous interpeller Chiraz.
 Témoignages
Ali, enseignant universitaire
«Personnellement, j’ai eu une expérience qui m’a marqué avec une de mes étudiantes. J’ai eu comme habitude de demander à mes étudiants: «Quel bouquin vous lisez actuellement?» Si beaucoup d’entre eux me répondent par «aucun», d’autres citent le titre ou l’auteur de leur «livre de chevet». Une étudiante en première année nous révèle fièrement: «l’alchimiste de Paolo Coelho est mon livre de chevet». Deux années plus tard, la même étudiante, que j’ai eue lors d’un atelier révèle aussi fièrement : «l’alchimiste de Paolo Coelho est mon livre de chevet.» Je suis resté sans voix.»

Halima, enseignante dans un CEM
Halima éprouve beaucoup de difficultés à faire lire à ses élèves des textes en Français. Les adolescents n’arrivent pas lire et donc à comprendre les textes proposés et selon notre institutrice seulement «Un sur Dix» arrive à comprendre un texte. «Ce taux est nettement supérieur, quand il s’agit de la langue arabe, avec un peu moins de difficultés dans la compréhension des textes», tient à préciser Halima.

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