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11/09/2016

Mechkour Mouloud Ammi Mouloud, marchand de savoir»



Mechkour Mouloud, le bouquiniste d’Alger, est décédé il y a quelques jours. Il avait 82 ans.

La triste nouvelle de son décès m’est parvenue alors que j’étais à l’étranger. Sa disparition m’a ému et a accentué ma peine, parce que les médias s’étaient aventurés à annoncer une «mort tragique  suite à une agression sauvage». Cette info a fait du mal à sa famille qui l’a fait savoir. «Mon père, nous dit Kamel son fils, est mort dans mes bras.
C’est moi qui lui ai lu la Chahada (profession de foi)  alors qu’il agonisait. Il venait de décéder après avoir lutté courageusement durant de longs mois contre la maladie. Il est parti, l’âme en paix, entouré de l’affection des siens.» Kamel est le second fils de Mouloud, alors que l’aîné Yazid a préféré s’installer en Suisse où d’ailleurs le paternel s’offrait quelques escapades lorsque l’envie s’en ressentait.
A son retour, «retapé» comme il aimait se qualifier, il ne manquait pas de me vanter l’ordre, la discipline et la propreté qui rythment la vie des Helvètes.
L’autre fils, le plus jeune, Rafik, a préféré lui aussi vivre à l’étranger. Les trois frères ont six sœurs dont le fils de l’une d’elles, Chemseddine, s’était déjà préparé il y a quelques mois à prendre la relève, sous l’œil bienveillant de son grand-père.
La boutique de Mouloud, pleine d’ouvrages pédagogiques, de classiques littéraires ou de vieux magazines dont des récents également, bien rangés, l’est aussi par une clientèle qui sait qu’elle va toujours y trouver le livre recherché.
Mouloud n’était pas qu’un simple vendeur. Il savait orienter ses clients, réserver des livres commandés par des habitués et lorsque le temps le lui permettait, il s’attelait à redonner vie à un ouvrage trop usagé ou à recoller les feuilles rebelles d’un autre.
Et c’est non sans fierté qu’il évoquera, avec une certaine nostalgie, les gens célèbres qui ont défilé dans son étroite échoppe avec lesquels il a lié amitié. Il citera, pêle-mêle, Albert Camus qui venait régulièrement, Boucebci, Mouloud Feraoun, Mimouni, Emanuel Robles et bien d’autres.
Il racontera avec un ton exquis la «descente» impromptue du maire de Paris, Delanoë, en visite officielle à Alger, qui n’a pas manqué d’y faire une escale en faisant un brin de causette avec notre ami, qui restera pour lui un morceau d’anthologie. Mouloud, qui aimait écouter avait une sensibilité extrême.
Il me disait sans détour son mal-être et son indignation face à la monté de l’incivisme, de l’intolérance et surtout de l’irrespect, surtout de la part des jeunes. Homme avenant, accueillant, aimable, son sourire et sa gentillesse séduisaient ainsi que sa tendresse et sa générosité alors que la vie, comme il le rappelait, dans ses jeunes années ne se montrait envers lui ni tendre ni généreuse.

A 16 ans, il était déjà là dans ce réduit où il tenait le rôle de coursier en se frottant au métier qu’il apprendra au fil des ans. La propriétaire, en signe de reconnaissance, à son départ en 1962, lui léguera ce bien qui rayonnera durant plus d’un demi siècle comme l’enseigne «L’Etoile d’or» que porte ce magasin situé en haut de la rue Didouche Mourad.
Depuis, Mouloud avait cette conviction que les livres ne sont pas des paquets de mots inertes. Il savait leur parler et s’ingéniait  à les ranger de sorte qu’il puisse les repérer lorsque la nécessité l’exige. Mouloud aimait aussi raconter ses virées au fier pays des Beni Yala dont il est originaire.
Où il fait bon vivre à Guenzet et où l’on déguste à satiété la «Chlita» et le «Tikourbabine». Mouloud était ainsi, entier et très sociable. Sa mémoire qui a prodigieusement résisté à l’érosion du temps était une véritable bibliothèque. Adieu l’ami, repose en paix…
Hamid Tahri

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