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10/22/2016

Ebéniste d’art : Un métier en voie de disparition à la Casbah



Les ébénistes d’art dont foisonnait autrefois la Casbah sont aujourd’hui menacés de disparition face à l’engouement des Algériens pour le mobilier et la décoration intérieure modernes. La Casbah comptait des ébénistes nés qui transformaient le bois en oeuvres d’art dont aucun foyer n’était dispensé. 

Aujourd’hui, la menuiserie d’art traditionnelle est devenue « un métier rare » qui n’est pas reconnu à sa juste valeur, a déclaré à l’APS le menuisier artisan ébéniste Khaled Mahiout. « C’est un métier chargé d’histoire. Il reste intimement lié à l’architecture de la Casbah et au mode de vie de ses habitants. Il propose aussi des approches esthétiques affinées au fil des temps par les dépositaires de ce savoirfaire ». 

M. Mahiout dira que la Casbah « n’avait point besoin d’artisans étrangers à sa demeure », car elle disposait de tous les métiers d’art et savoir-faire nécessaires à la vie de la population casbadjie comme les ébénistes, les ferronniers, les dinandiers et autres. Il citera non sans amertume les nombreuses familles ébénistes que comptait la ville antique dont Hamine Moumna et fils, 

Abdelkader Bentchoubane, Hamid Qabtane (spécialisé dans la miniature et le style hispano-moresque) et Hassan Damardji fabriquant des tribunes des mosquées de la ville et de la Zorna (instrument de musique traditionnelle) de Bouaalam Titiche. Khaled Mahiout exerce son métier dans son atelier juché sur les hauteurs de la Casbah. Il tente de préserver cette part de patrimoine en l’inculquant aux amateurs étant convaincu que la Casbah d’Alger ne peut retrouver son prestige d’antan si la pérennité de ce métier n’est pas assurée. Il évoque avec beaucoup de nostalgie les vieilles maisons de la Casbah, de véritables musées, dit-il, où vivaient les familles avec modestie et générosité et où le bois s’imposait en souverain. Il évoque aussi le bon vieux temps où les familles fêtaient une nouvelle naissance en offrant au nouveau venu un berceau, « eddouh » fait de bois blanc et rouge et symbolisant dans les moeurs algériennes la vie et la continuité ». 

De nombreux noms de meubles, a-t-il rappelé, ont disparu du lexique algérois comme la « Rechichqa », une sorte de patère fixée à l’entrée d’une pièce pour maintenir l’embrasse du rideau de porte ou « Lizar el bab » et qui sert aussi à suspendre les vêtements. « Il y a aussi les cadres des photos familiales, habilement décorés, les Moucharabys (balcons formant avant-corps devant les fenêtres et fermés par un grillage) qui permettaient aux femmes de voir sans être vues, s’évitant quelque regard impudique ». Khaled continue malgré tout à cultiver son savoir-faire en confectionnant de temps à autre des tables à l’ancienne. « La vie moderne a entraîné une rupture avec le raffiné chez l’Algérien qui penchait autrefois naturellement vers tout ce qui est purement artisanal et le voici à présent très enclin aux choses éphémères », regrette l’artisan. 
Khaled a refait de nombreux modèles en restant fidèle aux originaux à l’instar de la porte de Djamaa El Kebir dont il a réalisé une copie conforme au modèle vieux de six siècles. Il travaille actuellement sur un modèle de paravent ou « Essetra » auquel il imprime le style néo-mauresque. 

La menuiserie d’art traditionnelle chez les Mahiout est un legs familial. Le grand oncle paternel a laissé son empreinte sur des monuments emblématiques de la capitale comme la Grande poste, le Palais du peuple et l’hôtel El-Djazaier. 

La boiserie de ces édifices a été réalisée par un groupe de menuisiers ébénistes dont il faisait partie. Khaled qui tente, contre vent et marée, de préserver ce « capital précieux » en s’approvisionnant des meilleures essences de bois sur le marché, déplore l’absence de soutien aux artisans ébénistes. 

Le président de la Fédération nationale des artisans algériens, Réda Yaici a reconnu à ce propos qu' »en effet », les menuisiers artisans ne sont plus subventionnés notamment après le gel du Fonds national de promotion des activités de l’artisanat traditionnel dont ont bénéficié de nombreux artisans à travers le pays. M. Yaici a qualifié le travail de Khaled Mahiout de « mémoire vivante » de la Casbah d’autant que cet artisan et ses fils font dans la restauration des vielles bâtisses classées monuments historiques et des constructions au style architectural particulier.

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