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7/05/2014

le congrès de la Soummam

La guerre d’Algérie, née principalement de la scission du principal parti nationaliste le Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques (MTLD), fut déclenchée pour dépasser les palabres superflus des politiciens. L’objectif fut du coup de réaliser un large rassemblement possible des Algériens, condition sine qua none pour juguler le joug colonial. En effet, dans la déclaration du 1er novembre 1954, le but assigné à la résurrection fut la restauration de l’Etat algérien « démocratique et social », et ce dans le cadre des principes de l’Islam. Bien que la revendication fut pendant un temps non négociable, celle-ci fut mûrie et enrichie par l’apport de nouvelles figures de proues à l’instar d’Abane Ramdane, sorti de prison en janvier 1955. D’ailleurs, sa libération coïncida avec la programmation de la réunion nationale de bilan et d’évaluation des premiers mois. Celle-ci n’eut pas lieu à cause de l’absence du coordinateur national, Mohamed Boudiaf, en Algérie. Ce dernier se trouva en effet au Caire à la recherche des armes pour alimenter les maquis intérieurs.
 
Cependant, pour les dirigeants intérieurs, des organismes suprêmes devaient être mis en place afin d’organiser et de diriger l’insurrection à l’échelle nationale. Dans une contribution au journal El Watan, Belaid Abane écrit, à propos de cette impérieuse nécessité d’une réunion nationale, ceci : « La proclamation du 1er Novembre, maigre viatique politique des « premiers hommes », n’énonce rien de plus que le principe de mettre fin au colonialisme. Sur le contenu de cette révolution qui prend forme, ses principes, ses objectifs, sa direction, rien. » (1) Par conséquent, une équipe de militants œuvra pour doter la révolution d’une charte politique définissant le rôle de chaque organisme dirigeant. Ainsi, en compagnie de Ben Mhidi, Youcef Lebjaoui, Abderazak Chentouf, Abdelmalek Temmam, Amar Ouzzegane, Abane travailla d’arrache-pied afin d’homogénéiser la lutte au niveau national. Mais avant de tenir un congrès national, l’équipe pilotée par Abane, connue sous le nom de « groupe d’Alger », s’attela d’abord à réaliser l’union de tous les courants nationalistes sous l’égide du Front de Libération nationale (FLN).

I- Le rassemblement national

Les initiateurs de la révolution algérienne – le groupe des 9 – savaient d’emblée que sans une large participation populaire, l’insurrection avait une infime chance d’aboutir. Du coup, le maître mot fut l’appel au peuple algérien de rejoindre massivement le front. Ainsi, l’addition de petits apports aurait créé une force pouvant contrebalancer l’ordre colonial établi. Pour le groupe d’Alger, l’action militaire devait être conjuguée concomitamment à l’action militaire. Et la tâche ne fut pas une sinécure. En effet, les formations politiques – dites modérées telles que l’UDMA de Ferhat Abbas, le MTLD centraliste ou les Oulémas – rêvèrent encore d’un possible règlement pacifique de la crise. Selon Mohamed Harbi, le parti de Ferhat Abbas ne cessa pas, avant d’intégrer le FLN en avril 1956, de rencontrer les représentants de la colonisation, à l’instar de Jacques Soustelle, en vue de trouver une solution au conflit. De son ralliement, Harbi écrit : « C’est le truquage des élections cantonales d’avril 1955 qui tire Abbas de ses rêveries et le convainc, qu’incapable de faire accepter des changements par les Européens, le gouverneur Jacques Soustelle manipule les Algériens dans le but d’isoler le FLN.» (2) Ceci dit, Ferhat Abbas demeura, toute sa vie, un authentique nationaliste. Il privilégia toutefois les solutions négociées aux solutions violentes. Quant aux autres tendances, jalouses de leur autonomie, elles ne voulaient pas sacrifier leurs partis, tels le MNA ou le PCA, pour l’intérêt national.

Cependant, le groupe d’Alger, rejoint par Ben Mhidi depuis son voyage cairote, s’est attelé à doter la révolution d’une direction nationale englobant l’ensemble des tendances nationalistes. Bien qu’il y ait des réticences de la part de quelques partis, la dynamique d’union nationale fut aboutie grâce aux efforts de persuasion des Abane, des Ben Mhidi, etc. Cette mission fut accomplie lorsque les militants nationalistes modérés acceptèrent de dissoudre leurs partis et de rejoindre individuellement le front. L’union étant concrète, il ne restait qu’à redéfinir les rôles au sein du FLN en présence des nouveaux courants. Les forces vives de l’intérieur étant d’accord pour l’organisation d’un congrès national, il ne restait qu’à choisir le lieu et la date. Celle-ci a été fixée préalablement pour le 30 juillet 1956 dans les Bibans dans le Constantinois. Le 22 juillet, le groupe d’Alger, escorté par une unité de l’Armée de Libération Nationale (ALN), fut accrochée par une compagnie de l’armée française. D’où le changement du lieu de la rencontre. Le choix se porta sur une zone plus sécurisée, Ifri Ouzellaguene en l’occurrence. Cette zone eut à sa tête le valeureux combattant, Amirouche Ait Hamouda, commandant un effectif de prés de 1500 soldats.

II- Les objectifs du congrès

Le dimanche 20 août 1956 les travaux du congrès furent ouverts. Deux absences de grande importance furent tout de même constatées. Il y eut d’abord l’absence de Ben Boulaid, chef de la zone 1 (Aurès-Nemmenchas). Ensuite, il y eut celle de la délégation extérieure. Dans son rapport au Conseil National de la Révolution Algérienne (CNRA), Abane expliqua les raisons de la défection des responsables intérieurs : « Trois sur cinq des responsables qui étaient à l'intérieur devaient tomber soit entre les mains de l'ennemi soit au champ d'honneur (Bitat, Ben Boulaïd Mustapha et Didouche). » Mais l’absence qui constitua une embûche de taille à l’application des résolutions du congrès de la Soummam fut celle de la délégation extérieure. Dans « Le temps des Léopards », Yves Courrière relata les craintes de Zighout Youcef, chef de la zone 2, quant à l’absence des représentants du FLN au Caire : « Si l’extérieur n’est pas là, on contestera le congrès et notre réunion ne servira à rien », a-t-il prévenu. Toutefois, la nécessité impérieuse de doter la révolution d’une stratégie nationale commune fut plus que primordiale. Et les éventuelles contestations ne furent pas dissuasives bien qu’elles aient été réelles. Car l’urgence fut l’organisation de toutes les forces vives se trouvant à l’intérieur ainsi que l’homogénéisation de l’armée. D’ailleurs, Mohamed Harbi n’écrit-il pas à ce propos : « Il était possible d’avoir six politiques différents, six stratégies différentes et aussi six peuples différents comme il existait six wilayas différents. » (3)

Cependant, bien que la France ait exercé continûment une pression médiatique afin de priver l’Algérie d’un soutien international ; sur le plan interne, le congrès de la Soummam a su rendre populaire le combat du FLN en réussissant une grande réunion au centre du pays. Avec cette mobilisation, le mythe de l’ « Algérie française » s’amenuisait considérablement. Dans son rapport au CNRA d’août 1957, Abane mit en exergue cet engouement populaire en écrivant : « L’esprit FLN qui avait banni le sectarisme des anciens partis politiques a été pour beaucoup dans cette union du peuple algérien.» A cette union incontestable, la révolution se dota désormais de deux organismes suprêmes, le Comité de Coordination et d’Exécution (CCE) et le CNRA. Celui-là joua le rôle de l’exécutif et celui-ci le rôle législatif. En outre, un principe universel sur lequel repose toutes les démocraties fut également adopté. C’est le principe de la primauté du politique sur le militaire. Quant au principe de la primauté de l’intérieur sur l’extérieur, ce principe signifiait ni plus ni moins que la révolution devait être dirigée sur le sol national. Il fut aussi décidé la codirection de la révolution. A vrai dire, une concession à la délégation extérieure.

III- L’après congrès

L’absence de la délégation extérieure au congrès de la Soummam causa d’énormes problèmes. Mais les représentants du FLN au Caire avaient-ils l’intention de se rendre en Algérie ? En tout cas, depuis l’apparition du livre de Mebrouk Belhocine, « Le courrier Alger-le Caire », on peut affirmer au jour d’aujourd’hui que ces délégués furent régulièrement informés de la préparation d’un congrès national. Il y eut au moins quatre correspondances entre le groupe d’Alger et la délégation extérieure sur ce sujet. En plus de cela, leur absence ne signifia pas, de façon tangible ou sous jacente, leur exclusion de la direction. En effet, les congressistes retardèrent autant que faire se put la publication des décisions de la Soummam afin qu’elles soient transmises et commentées par les absents au congrès. Dans le rapport d’Abane déjà cité, celui-ci argua la volonté d’associer les délégués extérieurs en écrivant : « Les décisions du Congrès furent d'une part remises aux frères Zirout et Amirouche chargés de les communiquer respectivement aux Nemmenchas et aux Aurès et d'autre part, envoyées au Caire par un agent de liaison spécial. Ce dernier rencontra Ben Bella à Tripoli et les lui a remises en mains propre en lui demandant de les communiquer aux frères de l'extérieur. » 

Cependant, il est un secret de polichinelle que lors de l’arraisonnement de l’avion transportant la délégation extérieure de Rabat vers Tunis, le document dont parla Abane en août 1957 avait été saisi, le 22 octobre 1956, par des miliaires français. Cette piraterie aérienne incita par ricochet les membres du CCE de publier les décisions de la Soummam avant que la France l’ait fait avant eux. Depuis la prison de la santé, Ben Bella, soutenu notamment par Boudiaf et Bitat, reprocha aux congressistes la non-mention du caractère islamique de la révolution et l’omission du rôle de l’Egypte. Cet argument ne fut utilisé que pour « rejeter dans le fond et dans la forme » les résolutions soummamiennes. D’ailleurs, plus d’un demi-siècle plus tard, Ben Bella ne pardonne pas à Abane le travail accompli en 1956. Lors de son passage à la chaine El-Jazeera, il y a quelques années, il déclara : « La révolution algérienne était d'essence islamique et arabe, elle avait surtout eu lieu grâce au soutien des Egyptiens et le congrès de la Soummam était une trahison puisqu'il a rayé de sa charte ces origines. Ce congrès a fait dévier la révolution des objectifs tracés le 1er novembre 1954. » Or les congressistes ne furent ni contre l’Islam- dont la plupart furent de véritables pratiquants-, ni anti-Egyptiens. Sur ce dernier point, ils voulurent seulement organiser la révolution en dehors de toute mainmise extérieure, décisive soit-elle. En revanche, bien qu’il ait été en prison, Ben Bella sut exercer une pression permanente sur les organismes issus de la Soummam. Peu à peu, les colonels des wilayas lâchèrent du lest en abandonnant la ligne soummamienne. De la délégation extérieure, selon Harbi, seul Ait Ahmed continua à soutenir les décisions adoptées le 5 septembre 1956. Sa seule réserve concerna la nomination de Lamine Debaghine, chef de la délégation extérieure.

En guise de conclusion, il parait aller de soi que le congrès de la Soummam, en dehors de toute polémique, affina la stratégie et les objectifs de la guerre. Les attributions de chaque organisme furent ainsi définies. Le mérite revint bien sûr à tous les militants ayant œuvré pour doter la révolution d’une véritable plate-forme politique. Dans l’« Autopsie d’une guerre », Ferhat Abbas rendit un grand hommage à celui qui a mené cette mission avec brio : « Abane Ramdane a eu le grand mérite d’organiser rationnellement notre insurrection en lui donnant l’homogénéité, la coordination et les assises populaires qui lui étaient nécessaires et qui ont assuré la victoire.» (4) En tout cas, qu’il en déplaise aux adversaires des décisions de la Soummam, ce congrès fut l’une des grandes victoires sur l’ennemi colonial en ce sens qu’elles ont défini les bases de la nouvelle République. En revanche, sur le plan interne, la recherche d’un modus vivendi à l’intérieur du pays pour ne pas mécontenter les colonels et la concession de codirection accordée à la délégation extérieure ont affaibli considérablement la direction politique du front. Les deux principes chers à Abane et Ben M’hidi ont duré à peine une année. En effet, lors du CNRA réuni au Caire, le 26 août 1957, les deux principes ont été réécrits. Ils ont donné ceci : La non-différence entre l’intérieur et l’extérieur et la non-distinction entre militaire et politique. Surtout, avec la disparition de Ben Mhidi et Abane, les résolutions du congrès ont perdu leur esprit sauf à des fins de propagandes.

Boubekeur Ait Benali,19 août 2010,
 Quotidien d'Algérie 


Notes de renvoi :

1) Belaid Abane, El Watan, 21 août 2009.
2) Mohamed Harbi, FLN, mirage et réalité, page 132.
3) Ibid, page 172.
4) Ferhat Abbas, Autopsie d’une guerre, page 198.

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