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7/09/2014

Le café de l'Océan Indien au xixe siècle et la Méditerranée


Il est dans les idées généralement admises que le café de l'Océan Indien, soit des Mascareignes, soit de Moka fortement concurrencé et remplacé en partie par celui des Antilles dès la fin du 18e siècle, ne se releva pas des difficultés de la Révolution et de l'Empire et surtout de l'extension de la culture de la canne à sucre. Chassé par celle-ci, il ne serait plus devenu qu'une culture secondaire en voie de disparition dès la Restauration.
2De même considère-t-on comme général le remplacement en Méditerranée des cafés de la Mer Rouge par ceux d'Amérique tôt dans le 19e siècle avec la crise du Yémen, la décadence de Moka et l'amenuisement du rôle du café d'Arabie dans le grand commerce du produit. Deux assertions qui doivent, semble-t-il, être nuancées, sinon fortement corrigées.
3Au vrai les cafés de Bourbon, après une crise au milieu du siècle retrouveront presque leur importance absolue de jadis cependant que le Yémen, s'il n'exporte plus par Moka continue de fournir longtemps une part notable de la consommation régionale et d'exporter vers l'Europe ou l'Amérique par de nouveaux ports, notamment Djeddah puis Aden, cependant que de nouvelles plantations aux Indes, à Ceylan et en Indonésie contribuent non seulement à conserver mais à redonner à l'Océan Indien une place éminente dans le commerce international du café jusqu'aux dernières décennies du 19e siècle.
  • 2 Mac CULLOCH, p. 327 ; de 7420 000 lbs en 1819 à 22 690 000 lbs en 1830.
  • 3 Tableau n°. Le maximum est atteint en 1846-1848. Le grand développement de la consommation du thé (...)
  • 4 ANNALES MARITIMES, 1847, t. 3, p. 48. Les importations doublent en vingt cinq ans de 6 796 000 en (...)
  • 5 Sur le développement très rapide de son usage dans la marine française sous la Restauration. LEONA (...)
4Ce commerce est dominé par quelques grands traits. D'abord par l'accroissement constant de la demande grâce à l'extension de l'usage et l'amélioration du niveau de vie. La consommation triple en Angleterre entre 1820 et 1830 et les progrès du café y sont jusqu'aux années 1865 beaucoup plus rapides que ceux du thé.
 En France, généralisé dans la marine sous la Restauration, il se popularise durant la Monarchie de juillet cependant que son introduction dans l'ordinaire des armées sous l'Empire contribue non seulement à l'accroissement immédiat de la consommation mais à sa diffusion.
  • 6 Les remarques d'Aldesselam pour la Tunisie, p. 94. En Libye, l'importation de Tripoli passe d'une (...)
5Dans les pays musulmans méditerranéens, le café entre dans les mœurs dès la fin du 18e siècle. Il gagne du terrain dans de nouvelles couches sociales tout au long du xixe siècle.
  • 7 En Angleterre le café colonial paie dans le tarif de 1836, 5 d. la lb, en 1842 – 4 d, et le café é (...)
6Son commerce est facilité par l'évolution des législations douanières européennes qui, à la suite de l'Angleterre abaissent partout les droits d'entrée et les uniformisent quelqu'en soit la provenance.
  • 8 Le rôle de ces entrepôts masque parfois les provenances réelles, v. tableau.
  • 9 Le marché de Londres réexporte en 1860, 56 % de ses importations. Ce taux monte en 1871 à un maxim (...)
  • 10 Hambourg qui reçoit 28 millions de kg en 1840 en importe en 1876, 115 millions et plus de 200 mill (...)
  • 11 Sur le rôle de Trieste La Guidie, op. cit. p. 144. Le port qui importait dans les années 1830, 36  (...)
  • 12 La redistribution représente dans les années 1875-1880 plus de 90 % des importations ; rapport du (...)
  • 13 Dans la période 1858-1862, le Havre prend une importance naissante, ses importations passant de 13 (...)
7Le grand négoce s'appuie sur quelques places spécialisées, entrepôts et centre de redistribution, au rôle essentiel.
 Les ports hollandais, puis Londres acquièrent une importance de premier plan au milieu du 19e siècle et conservent une place notable bien qu'amoindrie après 1875. Hambourg affirme sa prééminence après 1850 et fournit de plus en plus l'Europe centrale où ses exportations viennent faire concurrence aux apports de Tries te dans le voisinage même du port autr. Celui-ci cependant conforte son rôle de redistribution vers le Proche Orient en compétition avec Marseille puis Gênes. Le Havre fournit plus de la moitié des cafés reçus en France, Marseille un peu moins du tiers et Bordeaux perdant progressivement de son importance moins du cinquième.
  • 14 Voir tableau.
  • 15 La presse commerciale fournit régulièrement la latence du marché, notamment le Gibraltar Chronicle (...)
8Dans ce mouvement généralement ascendant, se marquent des phases courtes de régression liées essentiellement à des crises internationales, notamment en 1848 et 1867. Les prix subissent également des variations cycliques. Sans entrer dans le détail complexe suivant les places et les qualités, on peut noter quelques grandes tendances
. Hausse des prix des années 1820, effondrement des années 1830, forte remontée jusqu'en 1835 avec des cours élevés jusqu'en 1844, où s'amorce une crise dont le marché sort après 1850 avec une forte augmentation dans la période 1850-1870.
 Maintien des prix élevés jusqu'en 1873 et forte dépression des années 1877-1882.
  • 16 Ainsi, entre 1830 et 1840 le café de Java augmente à Londres de 12,5 %, celui du Brésil de 18,5 %, (...)
9D'une façon générale, les cafés d'Amérique sont proportionnellement de moins en moins chers par rapport à ceux de la Mer Rouge ou de Java.
10C'est dans ce marché dont le volume est multiplié par six entre 1820 et 1855 et à nouveau par trois de cette date à 1900 que se place la production de l'Océan Indien avec trois zones géographiques très différentes par leur structure de production et de commercialisation, les Mascareignes d'une part, la Mer Rouge d'autre part, enfin l'Inde, Ceylan et l'Indonésie.

I. LES MASCAREIGNES

  • 17 Voir tableau.
11Les Mascareignes, et Bourbon plus que l'Ile de France avaient tenu dans la diffusion et le commerce du café un rôle essentiel. Il leur avait été en partie ravi par les Indes occidentales dans ce grand mouvement de bascule du négoce des cafés si bien étudié par Monsieur COURDURIE. Ce recul s'était affirmé pendant la Révolution et l'Empire s'arrête sous la Restauration pour reprendre sous la Monarchie de juillet.
 Il n'est pas pour l'essentiel, au moins à la Réunion, lié à la concurrence de la canne à sucre. Celle-ci sans doute s'étend mais moins à son détriment que sur de nouvelles terres mises en culture. Les exigences des deux plantes ne sont pas exactement les mêmes et les deux types d'exploitation sont fort différents. La production du sucre est déjà essentiellement le fait d'assez vastes domaines, comptant plusieurs centaines d'esclaves avec des équipements relativement onéreux, cependant que le café est produit sur des petites propriétés n'excédant guère 2 à 3 hectares et comportant peu de main d'œuvre, pour une grande partie familiale.
  • 18 Production de café des Indes occidentales britanniques :
    Moyenne 1821-1834 26 490 620
    1834-1838 16 7 (...)
12Il s'agit, en fait, d'une crise générale du café dans les anciennes colonies, aussi accusée aux Antilles notamment dans les Indes occidentales anglaises.
 Les contemporains ont tendance à mettre en cause des facteurs botaniques, épuisement des sols, abâtardissement des espèces, maladies… En fait plus efficace est, déjà, la concurrence de nouvelles grandes plantations, de structures assez différentes et somme toute se rapprochant de celle des domaines sucriers.
  • 19 ROUILLARD (G). Histoire des domaines sucriers de l'Ile Maurice, le Port-Louis, 1964-1979, p. 8 – L (...)
  • 20 La réexportation par l'Angleterre est de 31 kg en 1831, 22 984 en 1938 et 45 083 en 1839. Entre : (...)
  • 21 Annales Commerciales. Extérieures : en 1 :860, réexportations, vers la France pour 289 000 Francs.
13A Maurice, il est certain que la première extension des plantations de canne à sucre s'est bien faite au détriment de toutes les autres cultures et donc de celle du café. Celle-ci en l'espace d'une vingtaine d'années disparaît pratiquement (en 1857, 2 500 acres et en 1839, 388 seulement).
 La production ne couvre plus la consommation et dans les années 1840, le seul café sorti de Maurice provient de la réexportation de parties de cargaisons venues des Indes et de Ceylan.
 Le Port Louis exercera cette fonction de redistribution de façon épisodique et jusqu'aux années 1870, c'est-à-dire jusqu'à l'ouverture du Canal de Suez.
  • 22 Les rapports de ; ces missions sont aux. Archives de la Marine à Paris et partiellement reproduits (...)
14Mais à la Réunion, ce qui souligne bien les différences des structures agraires des deux îles, le café bien que réduit se maintient. Les efforts entrepris pour en soutenir la culture sont continus. Le Gouverneur Freycinet en 1823 envoie une expédition au Yémen "à l'effet de renouveler à Bourbon les caféiers qu'on dit un peu dégénérés". Ces missions seront sans que l'on puisse porter véritablement à leur crédit le maintien notable de la culture.
15Les Mascareignes qui avaient dans les années 1817-1819 quelques 7 000 hectares de plantation de café en comptent 4 000 en 1829-1830, moins de 3 000 dans les années 1850, désormais entièrement cantonnés à la Réunion.
16Le type d'exploitation ne semble pas s'être sensiblement modifié encore que les statistiques soient en la matière particulièrement douteuses. Elles demeurent de caractère familial, d'assez faible rendement et mobilisant peu de capitaux et peu de main d'œuvre.
17Ce déclin certain encore que moins accusé qu'il n'a été dit, a fait porter, par les contemporains, des jugements définitifs (repris par nombre d'historiens) sur le sort d'une culture vouée semblait-il à la disparition. En fait, après 1860, on constate un revif de la culture. La crise de la production sucrière, notamment en 1866-1867, semble à première vue l'expliquer. Mais là encore il n'y a pas de simple substitution de cultures et des facteurs économiques divers interviennent. Le problème de la main d'œuvre et de sa crise, joue certainement un rôle. Plus encore la forte hausse des cours mondiaux dans les années 1870, ainsi que les considérables facilités des transports qu'apportent la création des Messageries impériales, puis l'ouverture du canal de Suez. De 1865 à 1880, la progression des surfaces cultivées est continue, en deux phases de 1865 à 1871 où elle passe de 2 000 hectares à plus de 4 000 et de 1878 à 1881 où elle atteindra 6 000 hectares.
  • 23 Rapport sur les produits des colonies françaises â l'Exposition Universel. le de : 1878 – Paris., (...)
  • 24 Cf. infra, la comparaison avec les rendements de Ceylan ou de Java.
18Dans les années 1880, le café n'est pas loin de retrouver à la Réunion les superficies qu'il occupait dans sa plus belle époque du 18ème siècle. Mais ce n'est plus, néanmoins qu'une culture secondaire par rapport aux autres spéculations agricoles. La nouvelle carrière que des optimistes prévoient pour lui, notamment à l'occasion de l'Exposition universelle de 1878 tournera cou.
 La structure de la petite exploitation familiale manque de compétitivité et sa productivité est beaucoup moins forte que celle des nouvelles plantations.
 La production n'a pas évolué et n'a pas connu les transformations qui ont si fortement marqué les développements de la canne à sucre : concentration des propriétés, mécanisation, liens avec le grand négoce. Face à l'énorme accroissement de la consommation française, le café de la Réunion ne représente plus qu'une part très faible des approvisionnements du marché national.
19Ainsi, après une période de crise importante, mais non pas décisive, dans les années 1828-1855, le café de la Réunion avait retrouvé à peu près son niveau ancien ; mais s'il se maintenait en chiffres absolus, son importance relative n'avait cessé de diminuer, sa condamnation comme production notable de l'île était proche.
20Le même constat peut, à certains égards s'appliquer au café du Yémen avec en outre d'importantes transformations dans les courants d'échanges.

II – LA MER ROUGE

  • 25 Les rapports accusent des. navires américains de venir avec, une partie : de cargaison : en café : (...)
  • 26 Sur les pratiques de : culture et de commerce interviennent les, notes fort précisas de BRIOM in :(...)
  • 27 Rapport FORSANS. Juillet 1 :823, in Annales Maritimes, 1832. t. 2. p. 580.
  • 28 Ibidem. p. 531.
21Jusqu'aux années 1830, le café du Yémen exporté par le port de Moka conserve son importance et garde un prestige qui assure une prime sur tous les marchés à la "qualité Moka". Celle-ci par là même, recouvre parfois d'autres qualités d'autres provenances qui se font naturalisées dans le port. Le renom des cafés du Yémen reste incomparable et c'est là que l'on vient chercher les qualités les plus réputées. Le café ne se prend plus ailleurs, notamment à Bertelfagui, comme au temps de Blancard. Les commerçants. Banians et Arabes l'achètent dans l'intérieur, le traitent, l'acheminent sur la côte.
 On trouve encore à Moka "des magasins bien pourvus pour y faire une cargaison entière et il est même des marchands qui vendent le café tous droits et tous frais payés". La factorerie française est encore en 1823 en bon état et "fort commode avec des vastes logements et des beaux magasins et traite bien formés".
  • 29 Sur cette activité du début du siècle, v. les notes de CRUTTENTEN, in, Nouvelles Annales des Voyag (...)
22Moka conserve ses activités jusque dans les années 1835. Un traité commercial imposé par la Compagnie des Indes après le bombardement de 1820, la présence d'un agent politique britannique, l'éclat du nom, la forte demande sur tous les marchés dans une période d'accroissement général de la consommation, maintien élevé, l'exportation notamment vers les États-Unis.
  • 30 Au total en 1823 trente navires environ. Sur ces navires américains à Gibraltar, v. infra.
23Elle se fait essentiellement par la voie du Cap par navires américains mais aussi français et un peu par l'intermédiaire de l'Inde et le truchement de Bombay, en faibles lots par le relais de Maurice. La route de l'Égypte desservie par les navires de Mehemet Ali, malgré les traitements de faveur dont ils jouissent à Moka où ils ne paient pas de douane, n'est alors que fort peu utilisée tant par le maintien du vieil usage de la route méridionale que par le renchérissement que provoque le transbordement en Égypte.
  • 31 MIEGE (J.L.) Djeddah, port entrepôt au xixe siècle, in Talbe Ronde Sénanque, juin 1981. Les ports (...)
24Cette suprématie de Moka, qui embarquait la quasi-totalité des cafés d'Arabie, est battue en brèche dans les années 1835-1840. La politique douanière prohibitive et la pratique des monopoles de Mehemet Ali, les luttes politiques, notamment en 1848, font reporter le commerce vers Djeddah dont la concurrence s'affirme dans les années 1840-1850 dans l'essor général, si remarquable, du port. Dans cette même décennie, apparaît mais modeste encore l'intervention du port d'Aden.
  • 32 La description de H. LAMBERT qui y séjourna en mai 1856, Le Tour du Monde, VI, p. 66 et 72. D'aprè (...)
25Dans les années 1850-1855 la capture est faite, Moka n'est plus qu'un port négligé par les navires européens, une ville en partie en ruines. Les cafés du Yémen sont désormais expédiés, soit par le relais de Zanzibar, soit surtout par Djeddah et la voie de l'Égypte, première bénéficiaire du transfert du commerce.
  • 33 A.E.P. – Mem. Doc. Asie 27, rapport du Cdt. Jehenne 1842.
  • 34 Rapport adressé au Gouverneur de Bourbon en août 1842 par P. ORUL, Cdt. du Brick le Colibri in Ann (...)
  • 35 Sur ce double trafic, des indications des Annales du Commerce Extérieur : Importation en 1842-456  (...)
  • 36 Annales du Commerce Extérieur. Faits commerciaux. Afrique, t. 1, 1843-1866, Paris, 1867.
  • 37 A.S.L. Cor. Est. Corfou, 26 décembre 1826, différence de prix de 50 % entre le café moka et celui (...)
  • 38 Nouvelles Annales des Voyages, 1832, t. 55, p. 342, à propos du marché du café de Syrie.
26Les années du milieu du siècle constituent une des époques les plus florissantes de l'activité de Djeddah qui s'affirme comme le principal entrepôt de la Mer Rouge et le centre actif d'un remarquable réseau commercial arabe. Il a capturé le commerce du café des ports yéménites.
 Les cargaisons sont réexpédiées à Suez qui n'est alors qu'une annexe de Djeddah et par Alexandrie, gagne l'Europe.
 Le marché d'Alexandrie témoigne bien au milieu du siècle du double flux des cafés en Méditerranée. Il en arrive sur la place de l'ouest, venant d'Amérique par le truchement des entrepôts de Londres ou de Trieste pour la consommation locale et la réexportation au Proche Orient, mais aussi de la Mer Rouge systématiquement appelé Moka bien qu'une partie vienne d'Abyssinie pour la réexportation vers l'Europe et quelques ventes sur des places privilégiées de l'empire ottoman.
 Les mercuriales notent ces différences sur les marchés de redistribution Méditerranéens, et tous les rapports consulaires insistent sur le rôle du bon marché dans le "débit de café des Indes Occidentales" et le cantonnement croissant du café du Yémen dans les demeures riches.
  • 39 Sur ce rôle, GAVIN, Aden, p. 55 sq., p. 338, voir tableau.
    Dès janvier 1856, LAMBERT avait bien not (...)
27A ce double mouvement correspond une double réexportation partie vers le nord, partie nous l'avons dit par la voie de l'Afrique orientale et du Cap. Celle-ci prend de l'importance avec l'émergence de la place anglaise d'Aden dans le commerce du café à partir des années 1855 au détriment désormais de Djeddah.
28Si une partie des expéditions d'Aden prend également le chemin de l'Égypte, l'essentiel s'achemine par la vieille voie méridionale. Aden reçoit les cafés par des dhow arabes venant de tous les petits ports du Yémen mais surtout par ses frontières continentales. Il en reçoit aussi d'Éthiopie, embarqué à Berbera notamment par les commerçants banians. Le commerce pour la place est en majeure partie tenu par les parsis (38 bis).
  • 40 On ne peut souscrire à l'affirmation de Kour (Z.U.) The History of Aden, p. 5, qui écrit que les A (...)
29La moyenne annuelle des importations par voie de terre passe de 8 900 roupies pour les années 1845 à 1847, à 224 000 pour les années 1855 à 1857 et 395 700 pour 1866-1868. Les autorités s'emploient avec ténacité à développer ce commerce contre la mauvaise volonté des commerçants yéménites.
 Ainsi dans les années 60 la récente supériorité de Djeddah est menacée par Aden cependant que Moka est définitivement supplanté.
CAFÉ EXPORTÉ D'ADEN
CAFÉ EXPORTÉ D'ADEN
 
  • 41 Farnic, East and West of Suez, p. 136, Guérin, op. cit., p. 187. Le café représente alors 12,7 % d (...)
30Aden entre 1870 et 1880 accroîtra de plus de cinq fois la valeur de son commerce de café, reexportant sur Londres, Marseille, Trieste et New-York.
  • 42 M.O.C. 1897, pp. 270-271, rapport Gries, Commerce et navigation du port d'Aden en 1895-1896.
31Le port était devenu le seul centre de redistribution des cafés de la Mer Rouge.

III – LES INDES

32Des cultures de plantations de type nouveau se constituent en Inde et à Ceylan dans les années 1825-1845. Dans le sud de la Péninsule essentiellement dans l'État de Mysore comme à Ceylan elles présentent des traits communs : ampleur des propriétés, importance de l'appel à la main d'œuvre extérieure, rendement élevé à l'hectare d'une culture entièrement spéculative.
  • 43 Sur le café à Ceylan, v. notamment Tinker (H), South Asia : A short Hlstory, Londres, 1966, Chp. 6 (...)
  • 44 E.A.P. Cor. Cons. Angleterre. Liverpool, 22, XII, 1843.
331 - A Ceylan où la première plantation date de 1823 la production se développe à partir de 1836 par la distribution de terres domaniales. Une vive spéculation attise les capitaux européens. Sir Campbell, Gouverneur de l'île estime en 1841 à 100 000 livres (2 500 000 F or) les investissements annuels depuis 1837 et s'attent à voir "l'île couvrir prochainement les besoins anglais en café, vue excessive. Il n'en reste pas moins que la production décuple en quantité en vingt ans (1838 : 3 159 125 F, 1859 : 35 187 140 F).
  • 45 LEVY-LEBOYER, les banques, op. cit., p. 207, Dermigny, dans son ouvrage sur Canton, t. 3, p. 1064, (...)
34Dès 1843, Ceylan fournit près de la moitié du café consommé dans le Royaume-Uni.
  • 46 Sur le rôle des villageois Meyer, in Asie du Sud-Est, op. cit., Paris, 1979, p. 575.
    Sur l'immigrat (...)
  • 47 WEERASOORIA (W.S.) The Nattukottai Chettiar Merchant Bankers in Ceylon, 1973 ; Evers, Chettiar mon (...)
  • 48 ANNALES DU COMMERCE EXTERIEUR, n° 1406, p. 6. En 1848 on compte 295 plantations sur environ 30 000 (...)
  • 49 ANNALES DU COMMERCE EXTERIEUR, n° 799 et 1406 qui indique certains rendements supérieurs à 900 kg (...)
35Les planteurs font appel à une main-d'œuvre importante de villageois cinghalais d'abord, puis d'immigrants Tamouls arrivés par dizaines de milliers, à partir de 1842 surt. Les Indiens Chettiar tiennent grande place dans ce "boum" du café à la fois par leur prêts à la production et par le contrôle de la commercialisation. Si des cultures villageoises persistent, les cultures des plantations européennes l'emportent de beaucoup. Elles assurent en 1860 les trois quarts de la production. Elles sont très différentes des cultures traditionnelles des îles. Les propriétés sont de dix à quinze fois plus étendues (en moyenne 80 hectares 5). Elles appartiennent à de gros propriétaires mais aussi à des sociétés qui possèdent en moyenne plus de 100 hectares. Ce sont pour la plupart des entreprises européennes. Sur 800 exploitations, 700, cependant que 100 seulement appartiennent à des asiatiques ou à des métis. La main-d'œuvre est abondante, tant à l'unité (deux travailleurs environ à l'hectare) que sur chaque domaine où s'élèvent des villages nouveaux. Les rendements sont particulièrement élevés, de 500 à 900 kg à l'hectare, deux à trois supérieur à ceux des Antilles, trois à quatre fois à celui de la Réunion.
  • 50 FARNIC, op. Cit. p. 169-170. Le premier chargement via le Canal atteint Londres le 8 juillet 1870. (...)
  • 51 La première expédition directe de café de Ceylan pour la France se fait dès 1860, v. compte rendu (...)
36Le café devient dans les années 1865/1870, la principale spéculation de l'île fournissant plus des deux tiers de ses exportations. L'ouverture du Canal de Suez les favorisera mais sans qu'elle ait eu une influence marquée sur un négoce largement développé dans les deux décennies précédentes.
  • 52 l'Hemaleia vastatrix.
  • 53 Les premières plantations de thé furent créées en 1842 par M. Worm qui transforma la vaste cafetiè (...)
  • 54 MILLS (L.A.), Ceylon under British Rule 1795-1832, Londres, O.U.P., 1932. L'exportation de thé dép (...)
  • 55 En 1905, 3 500 acres seulement demeurent plantés en café.
  • 56 Également sur la production de la Malaisie. Dans les années 1880, quelques planteurs malheureux de (...)
37La production atteindra un maximum de 50 millions de kilogrammes dans les années 1875 et les plantations leur plus grande étendue en 1878 avec 275 000 acres, le thé n'en occupant que 4 700. C'est alors que la crise survient brutalement. La maladie répandue à partir de 1869 ravage les plantations.
 La chute mondiale des cours en 1878-1880 encourage également la concurrence de nouvelles spéculations notamment les plantations de thé. La régression du café est extrêmement rapide dans les années 1880 et s'accélère les années suivantes avec le grand bouleversement apporté dans le commerce du café par l'essor des plantations brésiliennes. La culture deviendra négligeable après 1900. Ceylan avait néanmoins pesé de façon décisive sur le marché du café pendant plus de trois décennies.
  • 57 Sur ce négoce par Calcutta, Annales du Commerce Extérieur, n° 612, 1850, p. 30 ; par Bombay, Annal (...)
  • 58 Sur ce mode de production de plantation coloniale, Moore (J.P.). Migration to Mysore Plantations, (...)
  • 59 Lors de la famine de 1876-1878, 350 000 personnes se réfugièrent sur les plantations pour y trouve (...)
382 - L'Inde est d'abord un marché de redistribution par Calcutta surtout qui réexporte des cafés de Ceylan ou de Batavia, par Bombay d'où sont expédiées des cargaisons venues de Moka. La part des café produits dans l'Inde même va rapidement croître dans les années 1845-1850 par les apports des plantations du sud de la péninsule. Dans l'État de Myssore, se créent des domaines assez semblables à ceux de Ceylan, notamment dans les districts des collines de Hassan et Kuder avec de forts moyens financiers largement européens, de grandes propriétés, l'appel à la main d'œuvre immigrée de régions voisines, des rendements assez forts, encore que moindre que ceux de Ceylan. Le nombre des travailleurs recrutés annuellement s'élève dans la période 1870-1875 à environ 150 000 personnes.
  • 60 Mc. CULLOCH, op. cit.
  • 61 Compte rendu de la structure industrielle et commerciale, op. cit., année 1870, p. 50.
  • 62 B.C.F., 1877, sur les exportations à Hambourg.
  • 63 Statistical Abstract.
  • 64 Sur le Commerce du xviiie siècle, VLEKKE (B.U.), Nausantara, a History of the East Indian Archipel (...)
39La production s'accroît rapidement. Les expéditions de café indien qui n'étaient que de 62 000 kg en 1857, atteignent 355 000 kg en 1866 ayant sextuplé en dix ans. Dès avant l'ouverture du Canal de Suez, là encore, Marseille reçoit de façon croissante des cafés de l'Inde. L'ouverture du Canal, sans le bouleverser, élargit le marché. Dans les années 1870, les ventes de café tiennent le dixième rang dans le commerce d'exportation de l'Inde. Après un maximum dans les années 1880-1890 (2,17 % des exportations, près de 18 millions de roupies, onze à treizième rang des exportations), elles diminuent progressivement tant en valeur absolue qu'en importance relative.
40Les superficies doublent de près de moitié en une douzaine d'années.
SUPERFICIES CULTIVEES EN CAFE. En acres (63)
SUPERFICIES CULTIVEES EN CAFE. En acres (63)
41L'évolution avec dix ans de retard, rappelle parfaitement celle du marché de Ceylan.

IV – LES INDES NEERLANDAISES

42Les Indes néerlandaises, fournisseur ancien voient se modifier profondément le caractère et l'importance de leur production au 19ème siècle (64).
  • 65 Sur cet essor et le commerce avec Nantes après 1818, A.N.P., 93 Aq 1, B0UDET, (1818-1830). Sur les (...)
  • 66 L'exportation fut de 1 921 100 kg en 1823 dont 8 % de Sumatra, de 2 317 000 kg en 1832 dont 16,2 % (...)
43Dans les premières années de la restauration hollandaise, à partir de 1816, les plantations se développèrent dans le sud ouest de Java (Priangan) et dans le centre et le sud de Sumatra. L'exportation prit de l'importance et atteignit près de deux millions de kg en 1823. Elle demeura à peu près stationnaire pendant la décennie suivant la production oscillant entre vingt et trente mille tonnes.
44L'introduction du système des cultures forcées (cultuurstalsel), après 1830, fit du café la culture principale sous l'autorité gouvernementale. Elle fut progressivement étendue à l'ensemble de Java et aux autres îles.
  • 67 Une bonne description de la culture à cette date est fournie par le Cap. ITIER dans un rapport du (...)
  • 68 V. Annales Maritimes et Coloniales, 1840, t. 2, p. 297 et 1841, t. 2, p. 25, sur les compétitions (...)
  • 69 Fo. Consular Reports, 1867, p. 274, rapport du consul WARD. Une description détaillée du système d (...)
45En 1833, le gouvernement introduisit le monopole du commerce du café à Java : c'est le début d'un extraordinaire essor. Le gouvernement en développa en effet systématiquement la production et s'efforça de mettre en nouvelles cultures chaque année au moins l/12èmedes surfaces déjà exploitées, tant pour remplacer les arbres morts que pour étendre les plantations. La production triple en l'espace de dix ans, passant de 25 000 tonnes en 1832 à 76 000 en 1843.
 Dans ces années, l'Indonésie produit entre le quart et le cinquième du café récolté dans le monde. Environ les 3/4 sont produits sous l'autorité gouvernementale, 20 % par les grandes plantations indépendantes, la part des petits propriétaires, très faible, ne cessant de diminuer de 10 % en 1839 à 5 % en 1845, 3 % en 1847, et 1 % seulement en 1848.

46Les récoltes demeurent à peu près stationnaires jusqu'aux années 1870, elles s'accroissent à nouveau fortement dans la décennie suivante pour atteindre leur maximum dans les années 1880 (113 000 tonnes en 1879, chiffre le plus élevé).
  • 71 Les derniers vestiges ne disparaissent qu'en 1918.
  • 72 Sur cette crise, Bulletin Comité Asie Française, Juin 1913, p. 285.
47Quand la plupart des cultures sous autorité du gouvernement furent libérées dans les années 1860 (celles du poivre en 1862, du giroflier en 1863, de l'indigo en 1865, du tabac en 1366), la culture forcée du café fut maintenue, étant considérée comme indispensable aux ressources de l'État. Elle fournit en effet alors 65 % des ventes de la production agricole coloniale, rapportant 81 500 000 F à l'État. Ce ne sera qu'après 1880 que le contrôle se relâchera.
 L'Indonésie comme Ceylan, dans les années 1870 comme les Indes dans les années 1880, connaît en 1885-1890 une forte crise de production. La maladie décime les plantations, oblige en partie à remplacer l'Arabica par le Libérica, puis le Robusta. La production tombe de près des deux tiers en 1887 (43 000 tonnes) et diminue encore de moitié en 1893 (24 000 tonnes). La reprise sera lente face à la concurrence de l'Amérique du Sud. Elle s'accompagnera d'une concentration et d'une modernisation des exploitations, renforçant le caractère capitaliste des plantations.
48Malgré cet effort le café ne retrouvera pas en Indonésie la place qu'il avait tenu au milieu du 19ème siècle. Ainsi les trois grandes zones de culture de plantation de l'Inde, de Ceylan et de l'Indonésie ont connu avec des particularités locales la même grande évolution d'ensemble marquée par un essor des années 1830-1850 qui à restitué pendant quelques décennies à l'Océan Indien son rôle de grand producteur et de grand fournisseur du commerce du café international.
49Quelques conclusions se dégagent de cette évolution.
50La Révolution et l'Empire ont à certains égards effacé une partie de 1'évolution du 18ème siècle. La ruine relative des Antilles, la revalorisation du commerce oriental ont fait partiellement retrouver à l'Océan Indien, le rôle qui avait été jadis le sien, comme grand fournisseur de café de l'Europe. La crise de la production des Mascareignes, dans les années 1830, le déclin de Moka après 1840, ont affecté leur fourniture mais moins qu'il n'est généralement indiqué.
51Il s'agit plus d'une baisse relative dans le flot montant des échanges que d'une diminution absolue. Elle est compensée par l'ouverture de nouveaux marchés : les Indes, Ceylan, l'Indonésie produisant suivant un nouveau type de plantations lié au début du capitalisme colonial. Leur apport ne dépend pas des transformations du système des communications par l'ouverture du Canal de Suez, mais lui est sensiblement antérieur. A cet égard, on ne saurait trop souligner une fois encore la faiblesse de son impact sur le mouvement général des échanges. Ce qui triomphe, ce n'est pas une zone géographique sur l'autre et non pas les plus ou moins grandes facilités de transport.
52Ce qui est en cause, c'est une structure de production : les limites de l'agriculture traditionnelle yéménite, les difficultés des cultures dans les îles privées de l'esclavage, l'inadéquation de la petite propriété insulaire aux nouvelles conditions économiques.
53A cet égard, la canne à sucre fut bien une concurrente mais non pas dans la rivalité pour la terre, ni dans la substitution, sur les mêmes zones d'une culture à l'autre, mais dans la lutte pour la main d'œuvre et dans l'adaptation grâce à la concentration, l'appel des capitaux, la traction animale et le début des mécanisations que la spéculation sucrière sut réaliser. La culture du café peut se développer dans des formes assez voisines sur les nouvelles terres "de colonisations capitalistes" de Ceylan ou de Mysore ou dans le système des cultures forcées de 1'Indonésie.
54Les exportations de ces nouveaux producteurs s'ajoutent à celles des anciens marchés, plus qu'elles ne substituent à elles. Contrairement à l'évolution amorcée au début du siècle et qui à induit en erreur les observateurs, la production de la Réunion ne diminue par énormément ou du moins ne diminue que conjoncturellement. Dans la commercialisation ce n'est que dans les années 1840, que de nouveaux courants commerciaux se substituent aux anciens trafics.
55Moka est remplacé par Djeddah d'abord, par Aden ensuite comme principal entrepôt de café de la Mer Rouge.
  • 73 Voir tableau.
  • 74 En 1818, arriva le 3 octobre venant de Moka en 126 jours du brig américain DORA avec une cargaison (...)
  • 75 La Feuille d'avis de Marseille, fournit la liste des arrivées avec des cargaisons de café de Gibra (...)
56La voie de l'Égypte commence de s'affirmer. Le marché de Gibraltar témoigne à la fois de cette permanence et de cette évolution. Le port est le principal dépôt de redistribution du café en Méditerranée. Il reçoit jusqu'aux années 1840 des cargaisons d'Amérique du Sud, des Antilles mais aussi par la voie des États-Unis ou directement de Moka, des cafés de la Mer Rouge.
 La redistribution se fait par des dépôts secondaires, grâce à des petits navires gibraltariens ou à des vaisseaux sardes.
 Malte réexpédie ainsi vers la Tunisie ou la Libye, Trieste vers le Proche Orient.
57Après 1845-1850, ce rôle diminue comme s'amenuisent les apports à Gibraltar des cafés de la Mer Rouge. La voie de l'Égypte ne cesse de s'affirmer, celle du Canal de Suez va à partir des années 1870, remplacer la redistribution par le Cap.
58Cette évolution des réseaux de distribution ne modifie pas sensiblement jusqu'aux années 1875 le rôle des cafés de l'Océan Indien en Méditerranée. En fait la grande révolution se fera dans la décennie 1875-1885 par le triomphe définitif des cafés d'Amérique du Sud, puis au tournant du siècle par l'arrivée des cafés africains.
59L'exemple de la production du café dans l'Océan Indien et de son négoce en Méditerranée éclaire ainsi à la fois les novations et les permanences dans les grands courants commerciaux du 19ème siècle
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Marchand arabe conduisant une caravane de chameaux chargés de sacs de moka.

Plantation de café à C

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